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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/19944/2023

ACPR/129/2025 du 18.02.2025 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : EXÉCUTION ANTICIPÉE DES PEINES ET DES MESURES
Normes : CPP.236

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/19944/2023 ACPR/129/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 18 février 2025

 

Entre

A______, actuellement détenu à la prison de B______, représenté par Me C______, avocat,

recourant,

 

contre l'ordonnance de refus d'exécution anticipée de mesure, rendue le 8 octobre 2024 par le Ministère public,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,
1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 21 octobre 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 8 octobre 2024, notifiée le 10 suivant, par laquelle le Ministère public lui a refusé l'exécution anticipée d'une mesure ambulatoire au sens de l'art. 63 CP.

Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de l'ordonnance précitée et à ce qu'il soit placé en exécution anticipée de mesure; subsidiairement à ce qu'il soit transféré à l'établissement fermé de D______, jusqu'à son jugement.

B. Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a. A______, né le ______ 1994, de nationalité française, a été arrêté le 14 septembre 2023.

b. Il lui est notamment reproché d'avoir, à Genève, le jour-même, vers 19h15, à hauteur du préau de l'école primaire E______, pris l'enfant F______, né le ______ 2020, dans ses bras, étant précisé qu'au moment des faits, la sœur de ce dernier, âgée de 16 ans, n'a pas été en mesure de l'empêcher de quitter les lieux avec l'enfant et que c'est grâce à l'intervention d'un témoin qu'il l'a lâché, avant de prendre la fuite en courant.

c. Il a été placé en détention provisoire le 17 septembre 2023 par le Tribunal des mesures de contrainte (ci-après, TMC). Sa détention a ensuite été régulièrement prolongée, pour la dernière fois le 29 janvier 2025 jusqu'au 15 mars 2025.

d. À teneur du rapport d'expertise psychiatrique rendu le 18 juillet 2024, A______ souffre de schizophrénie. Au moment des faits, il était en état d'irresponsabilité par suite d'une décompensation psychotique liée à son grave trouble mental. Il présentait un risque de récidive violente (générale) de faible à modéré tant qu'il était compliant à son suivi et à sa médication. Ce risque pouvait être diminué par un suivi psychiatrique intégré (psychiatrique et psychothérapeutique), comprenant notamment un traitement pharmacologique et une abstinence au cannabis. Les experts préconisaient un traitement ambulatoire, au sens de l'art. 63 CP, sur le long terme, ainsi qu'un suivi de probation, pour l'encadrer au mieux, et une activité occupationnelle.

e. Par lettre de son conseil du 23 août 2024, A______ a demandé à ce que les experts se prononcent sur l'éventuelle mise en œuvre du traitement ambulatoire en France, en vue de favoriser sa resocialisation.

f. Dans leur complément du 11 septembre 2024, les experts ont indiqué qu'il était opportun que l'intéressé reprenne un suivi dans la région de son lieu de vie. Le cas échéant, des démarches devaient être entreprises dès que possible auprès des centres médicaux français pour fixer un premier entretien. Le suivi préconisé devait être le plus régulier possible (hebdomadaire) sur le long terme et comprendre un suivi infirmier à domicile en cas d'insuffisance d'entretiens médicaux et pour contrôler la prise de la médication.

g. Le recours formé par A______ contre l'ordonnance du TMC du 28 août 2024 refusant sa mise en liberté, a été rejeté par arrêt de la Chambre de céans du 30 septembre 2024 (ACPR/703/2024), confirmé le 29 novembre 2024 par le Tribunal fédéral (arrêt 7B_1157/2024).

Dans son arrêt, le Tribunal fédéral a rappelé, en substance, qu'il appartient au juge du fond d'ordonner la mesure la plus appropriée, en se fondant sur l'expertise psychiatrique. En l'occurrence, il ne pouvait être d'emblée exclu – au vu de l'importance du trouble dont souffre le prévenu et de ses précédentes interruptions de traitement, pour la dernière fois peu avant les faits reprochés – qu'il soit soumis, dans un premier temps, à une mesure institutionnelle (art. 59 al. 1 CP) et que le traitement ambulatoire (art. 63 CP) préconisé par les experts soit prononcé dans un second temps, dans le cadre d'une libération conditionnelle de la mesure.

h. Le 1er octobre 2024, confirmant ses précédents courriers, A______ a demandé à pouvoir bénéficier d'une exécution anticipée d'une mesure au sens de l'art. 63 CP.

i. Par ordonnance du 31 janvier 2025, le Ministère public a ordonné le classement de la procédure à l'égard de A______ s'agissant de l'infraction d'actes préparatoires délictueux.

j. Par acte du même jour, le Ministère public a saisi le Tribunal correctionnel d'une demande pour prévenu irresponsable des chefs de tentative de séquestration et enlèvement d'un mineur âgé de moins de 16 ans et empêchement d'accomplir un acte officiel. Il annonçait vouloir présenter ses réquisitions lors des débats.

k. Par ordonnance du 3 février 2025, le TMC a ordonné le placement en détention de A______ pour des motifs de sûreté, jusqu'au 30 avril 2025.

l. S'agissant de sa situation personnelle, le précité est célibataire, domicilié en France, sans profession, au bénéfice de l’aide sociale et d'une curatelle renforcée.

Aucune inscription ne figure à son casier judiciaire suisse. Selon ses dires, il n'aurait jamais eu affaire à la justice française.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public expose ne pas pouvoir accéder à la demande de A______ d'exécuter de manière anticipée un traitement ambulatoire au sens de l'art. 63 CP, dès lors que le précité était irresponsable au moment des faits. Compte tenu des renseignements du Service d'application des peines et des mesures (ci-après, SAPEM), il apparaissait, en effet, qu'un traitement ambulatoire seul – sans que le prévenu ne soit détenu – ne pourrait pas être mis en œuvre à la prison de D______, cet établissement étant réservé exclusivement aux détenus en exécution de peine ou en exécution anticipée de peine. En outre, ledit traitement ne pouvait pas être délégué en France et le SAPEM ne pourrait pas en contrôler l'exécution après le renvoi du précité, ni obtenir des informations de ses médecins et thérapeutes. Le suivi du traitement dépendrait ainsi exclusivement du bon vouloir de l'intéressé.

À l'appui, le Ministère public produit la copie du courriel du SAPEM du 8 octobre 2024.

D. a. Dans son recours, A______ reproche au Ministère public de ne pas avoir démontré, à satisfaction, qu'il ne remplirait pas les conditions d'une exécution anticipée de mesure (art. 236 CPP). Aucun risque de fuite ou de réitération n'était à craindre puisqu'il pouvait effectuer le traitement ambulatoire préconisé par les experts en milieu fermé, à D______ notamment. Le Ministère public ne pouvait se réfugier derrière des "questions pratiques", sans chercher d'alternative moins incisive. Sa place n'était pas à la prison de B______ dès lors qu'il y restait enfermé (à l'exception d'une heure de promenade par jour), sans pouvoir bénéficier du traitement approprié, ni travailler. Sa détention était ainsi disproportionnée (art. 36 Cst et 197 al. 1 let. c et d CPP), eu égard au lieu de détention, au stade de la procédure et aux actes commis en état d'irresponsabilité.

b. À réception, le recours a été gardé à juger, sans échange d’écritures ni débats.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 222 et 393 al. 1 let. c CPP), et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

3.             Le recourant semble reprocher au Ministère public de ne pas avoir suffisamment motivé sa décision.

3.1. La garantie du droit d'être entendu, déduite de l'art. 29 al. 2 Cst., impose à l'autorité de motiver ses décisions, afin que les parties puissent les comprendre et apprécier l'opportunité de les attaquer, et que les autorités de recours soient en mesure d'exercer leur contrôle (ATF 136 I 229 consid. 5.2; 135 I 265 consid. 4.3; 126 I 97 consid. 2b). Il suffit que l'autorité mentionne au moins brièvement les motifs fondant sa décision, de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause; l'autorité peut se limiter à ne discuter que les moyens pertinents, sans être tenue de répondre à tous les arguments qui lui sont présentés (ATF 142 II 154 consid. 4.2; ATF 138 I 232 consid. 5.1.).

3.2. En l'occurrence, le Ministère public mentionne, de manière certes succincte mais suffisante, les éléments ayant conduit à la décision. D'ailleurs, le recourant a été en mesure de la contester dans le cadre de son recours et reproche surtout à l'autorité précédente de ne pas avoir, selon lui, démontré que les conditions de l'art. 236 CPP seraient réalisées.

L'éventuel grief du défaut de motivation apparaît dès lors infondé.

4.             Le recourant reproche au Ministère public d'avoir refusé qu'il commence à exécuter le traitement ambulatoire (art. 63 CP) préconisé par les experts.

4.1. L'art. 236 CPP permet d'autoriser le prévenu à exécuter de manière anticipée une peine privative de liberté ou une mesure entraînant une privation de liberté si le stade de la procédure le permet et que le but de la détention provisoire ou de la détention pour des motifs de sûreté ne s'y oppose pas (al. 1). La Confédération et les cantons peuvent prévoir que l'exécution anticipée des mesures soit subordonnée à l'assentiment des autorités d'exécution (al. 3). Dès l'entrée du prévenu dans l'établissement, l'exécution de la peine ou de la mesure commence et le prévenu est soumis au régime de l'exécution (al. 4).

4.2. Même en supposant qu'un traitement ambulatoire serait ordonné par le juge du fond, cette mesure n'entrainerait pas la privation de liberté exigée par l'art. 236 al. 1 CP [à la différence du traitement institutionnel de l'art. 59 al. 1 CP], de sorte qu'il ne peut être mis en œuvre à ce stade (ACPR/88/2023 consid. 3.1.).

Partant, l'exécution anticipée du traitement ambulatoire doit déjà être refusée pour ce motif.

5. Le recourant invoque une violation du principe de la proportionnalité (art. 36 al. 3 Cst et 197 al. 1 let. c et d CPP).

5.1. Conformément au principe de la proportionnalité (art. 36 al. 3 Cst.), il convient d'examiner les possibilités de mettre en œuvre d'autres solutions moins dommageables que la détention (règle de la nécessité). L'art. 197 al. 1 CPP prévoit notamment que les mesures de contrainte ne peuvent être prises que si les buts poursuivis ne peuvent pas être atteints par des mesures moins sévères (let. c) et si elles apparaissent justifiées au regard de la gravité de l'infraction (let. d).

5.2. Aux termes de l'art 374 al. 1 CPP, si le prévenu est irresponsable et que la punissabilité au sens de l'art. 19 al. 4, ou 263 CP n'entre pas en ligne de compte, le ministère public demande par écrit au tribunal de première instance de prononcer une mesure au sens des art. 59 à 61, 63, 64, 67, 67b ou 67e CP, sans prononcer le classement de la procédure pour irresponsabilité du prévenu.

5.3. En l'occurrence, le recourant persiste à soutenir que seul un traitement ambulatoire sera en l'espèce prononcé.

Or, il vient d'être exposé (cf 4.2 supra), qu'en l'état, un tel traitement ne peut être ordonné de manière anticipée. Quoi qu'il en soit, il n'est pas certain que cette mesure soit suffisante pour pallier le risque de récidive présenté par le recourant, comme retenu par le Tribunal fédéral dans son arrêt 7B_1157/2024 du 29 novembre 2024 consid. 3.4. Conformément à l'art. 374 al. 1 CPP, il appartient au juge du fond, en l'occurrence le Tribunal correctionnel, de décider quelle mesure est la plus adéquate, le cas échéant après avoir entendu les experts. La Chambre de céans n'a aucune compétence pour se prononcer sur cette question ni sur un éventuel transfert dans un autre établissement (cf ACPR/941/2023 du 5 décembre 2023).

Enfin, du point de vue temporel, compte tenu de la gravité des faits reprochés, du grave trouble mental dont souffre le recourant, de ses difficultés à rester compliant à son traitement et de la nécessité du prononcé d'une mesure [qu'il s'agisse d'un traitement institutionnel ou ambulatoire], dont la durée maximale (prolongeable) est de cinq ans, le principe de la proportionnalité demeure respecté, ceci d'autant que le Tribunal correctionnel statuera prochainement.

Par conséquent, c'est à bon droit que le Ministère public a refusé la demande du recourant d'exécuter une mesure de manière anticipée et l'ordonnance querellée doit, partant, être confirmée.

6. Le recourant, qui n’a pas gain de cause, assumera les frais de l'instance (art. 428 al. 1 CPP), qui seront fixés en totalité à CHF 900.-, y compris l’émolument (art. 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03).

7. Le recourant plaide au bénéfice d'une défense d'office.

7.1. Selon la jurisprudence, le mandat de défense d'office conféré à l'avocat du prévenu pour la procédure principale ne s'étend pas aux procédures de recours contre les décisions prises par la direction de la procédure en matière de détention avant jugement, dans la mesure où l'exigence des chances de succès de telles démarches peut être opposée au détenu dans ce cadre, même si cette question ne peut être examinée qu'avec une certaine retenue. La désignation d'un conseil d'office pour la procédure pénale principale n'est pas un blanc-seing pour introduire des recours aux frais de l'État, notamment contre des décisions de détention provisoire (arrêt du Tribunal fédéral 1B_516/2020 précité consid. 5.1).

7.2. En l'occurrence, quand bien même le recourant succombe, on peut, encore, admettre que l'exercice de ce recours ne procède pas d'un abus.

L'indemnité du défenseur d'office sera fixée à la fin de la procédure (art. 135 al. 2 CPP).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure, arrêtés à CHF 900.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant (soit, pour lui, son défenseur) et au Ministère public.

Le communique, pour information, au Tribunal correctionnel.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse
(art. 48 al. 1 LTF).


 

P/19944/2023

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

815.00

Total

CHF

900.00