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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/25085/2022

ACPR/102/2025 du 04.02.2025 sur DTCO/3/2025 ( TCO ) , REJETE

Descripteurs : DÉTENTION POUR DES MOTIFS DE SÛRETÉ;RISQUE DE FUITE
Normes : CPP.221

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/25085/2022 ACPR/102/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 4 février 2025

 

Entre

A______, actuellement détenu à la prison de B______, représenté par Me C______, avocat,

recourant,

 

contre la décision de mise en détention pour des motifs de sûreté rendue le 9 janvier 2025 par le Tribunal correctionnel,

 

et

LE TRIBUNAL CORRECTIONNEL, rue des Chaudronniers 9, 1204 Genève - case postale 3715, 1211 Genève 3,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,
1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.

.


EN FAIT :

A.           Par acte expédié le 18 janvier 2025, A______ recourt contre la décision du 9 précédent par laquelle le Tribunal correctionnel a ordonné sa mise en détention pour des motifs de sûreté pour une durée de 3 mois.

Il conclut, sous suite de frais, principalement à son annulation et à sa mise en liberté moyennant éventuellement les mesures de substitution qu'il propose, soit : interdiction de prendre contact avec la partie plaignante; résider dans l'appartement de son père à D______ [GE]; entreprendre un éventuel traitement psychothérapeutique; continuer à exercer son activité professionnelle auprès de E______; se soumettre à une éventuelle surveillance téléphonique; port d'un bracelet électronique; dépôt de son passeport colombien; se présenter régulièrement à un poste de police; se présenter aux convocations des autorités pénales et administratives en Suisse.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.             Le 9 janvier 2025, le Tribunal correctionnel a déclaré A______, né le ______ 1998, coupable d'actes d'ordre sexuel avec des enfants (art. 187 ch. 1 CP), d'actes d'ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance (art. 191 aCP) et de séjour illégal en Suisse (art. 115 al. 1 let. b LEI) et l'a condamné à une peine privative de liberté de 4 ans. Il a également ordonné son expulsion de Suisse pour une durée de 5 ans (art. 66a al. 1 let. h CP) avec inscription au système d'information Schengen.

Le prénommé a annoncé faire appel du jugement.

b.             A______ a comparu libre à son procès. Il avait été entendu comme prévenu par la police le 22 novembre 2022 à la suite de la plainte pénale déposée par la victime et, le 7 juillet 2023, une instruction pénale avait été ouverte contre lui. Le même jour, il avait été auditionné par le Ministère public, qui n'avait pas sollicité sa mise en détention provisoire.

c.              A______ est un ressortissant colombien. Il est célibataire, sans enfant et sans titre de séjour en Suisse. Il n'a pas antécédents judiciaires connus.

d.             Interrogé sur sa situation personnelle à l'audience d'instruction du 7 juillet 2023 et à l'audience de jugement, il a indiqué être arrivé en Suisse une première fois en 2013, mais être rentré en Colombie en 2014. Il était revenu dans notre pays en 2015. Sa mère et sa demi-sœur vivaient en Colombie. Il entretenait de bonnes relations avec elles et leur parlait chaque semaine au téléphone. Il avait également de la famille du côté de sa mère en Colombie ainsi que, du côté de son père, deux tantes. À Genève résidaient son père, son épouse et leur enfant (deux enfants issus d'une précédente relation vivaient également avec eux). Hormis eux, il avait une tante et sa fille, un oncle et sa famille ainsi qu'un cousin qui vivaient à Genève. Il avait obtenu ici un CFC d'employé de commerce et, en septembre 2023, sa maturité professionnelle. Il n'avait pas d'autorisation de séjour, mais avait déposé une demande en ce sens le 16 mai 2024, dont il était sans nouvelles. Il travaillait actuellement pour E______ comme technicien ______, pour un salaire mensuel brut de CHF 5'800.-. Il louait un appartement à Genève et faisait partie d'un club de football. Il souhaitait pouvoir continuer de travailler et résider en Suisse.

C. Dans la décision querellée, le Tribunal correctionnel retient un risque de fuite.

Quand bien même A______ s'était présenté aux audiences d'instruction et de jugement, il existait un risque que l'intéressé – jeune adulte – ne décide, compte tenu du verdict de culpabilité, de la quotité de la peine et de la mesure prononcée contre lui, d'échapper à l'exécution des sanctions en refaisant sa vie à l'étranger. Si, certes, il avait son père en Suisse, il avait aussi des attaches en Colombie, où vivaient sa mère et une demi-sœur et où il avait grandi, été scolarisé et avait passé la majeure partie de son enfance et de son adolescence, jusqu'en 2015. Le dépôt très récent d'une demande d'autorisation de séjour avait en outre des chances de succès aléatoires au vu du verdict de culpabilité. Compte tenu de sa formation acquise en Suisse, il ne lui serait par ailleurs pas difficile de trouver un emploi en Colombie. Compte tenu de la peine prononcée, les attaches précitées avec la Suisse n'étaient pas suffisantes et le risque de fuite ou d'une entrée dans la clandestinité devenait désormais concret, en ce sens que l'intéressé choisirait d'éviter de purger la peine lourde à laquelle il venait d'être condamné, d'autant qu'au vu de la mesure d'expulsion prononcée, il ne pouvait plus nourrir d'espoir de construire son avenir en Suisse, du moins à court terme.

Aucune mesure de substitution ne pouvait pallier ce risque. Il convenait ainsi de garantir l'exécution de la peine et de la mesure.

D. a. À l'appui de son recours, A______ conteste l'existence d'un risque de fuite concret. Il avait entrepris avec succès des études, dès son arrivée en Suisse, il y avait plus de dix ans (cf. chargé, pces F, G, H, I, J et K). Il était aujourd'hui financièrement indépendant et son employeur E______ s'engageait à le reprendre en cas de mise en liberté (cf. chargé, pce Q). Ses liens avec la Colombie étaient inexistants puisqu'il avait effectué ses études secondaires en Suisse (cf. chargé, pces F et M) et que l'ensemble de sa famille proche résidait en Suisse (cf. chargé, pce L). Il avait fait des démarches pour obtenir son permis de séjour (cf. chargé, pces N, O et P) et remplissait les conditions de la régularisation administrative des personnes sans papiers. Il s'était également présenté à chaque convocation malgré les infractions reprochées. Il admettait les faits d'actes d'ordre sexuel avec des enfants (art. 187 ch. 1 CP), mais contestait la quotité de la peine, raison pour laquelle il avait interjeté appel. Selon lui, il n'était pas exclu que l'autorité d'appel réduise la peine prononcée, qu'il jugeait excessive, et lui inflige une peine avec sursis ou une peine pécuniaire. Sous l'angle de l'expulsion, il pourrait bénéficier d'un cas de rigueur, vu ses attaches en Suisse. Il s'engageait enfin à respecter, le cas échéant, les mesures de substitution proposées, étant précisé, notamment, que son père était disposé à l'héberger afin de garantir sa présence sur le territoire (cf. chargé, pce R).

b. Le Tribunal correctionnel se réfère à sa décision.

c. Le Ministère public conclut au rejet du recours, sans autre remarque.

d. Le recourant persiste dans son recours, précisant avoir reconnu les faits [d'actes d'ordre sexuel avec des enfants] lors de son audition par la police le 22 novembre 2022. Pendant toute la durée de l'instruction, le Ministère public n'avait pas allégué l'existence d'un risque de fuite. Il avait pu terminer ses études, obtenir un diplôme et exercer un emploi à Genève.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme prescrite (art. 384 al. 1, 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une décision du Tribunal correctionnel ordonnant l'arrestation du prévenu à l'issue de l'audience et comme telle sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 222, 231 et 393 al. 1 let. b CPP ; arrêts du Tribunal fédéral 1B_178/2017 du 24 mai 2017 consid. 2.1. et 1B_250/2014 du 4 août 2014 consid. 2.2. in fine ; ACPR/903/2021 du 20 décembre 2021 consid. 1 ; ACPR/12/2017 du 13 janvier 2017 ; ACPR/254/2015 du 30 avril 2015 consid. 1 ; Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n 4 ad art. 231).

Le recours émane du prévenu, qui a qualité de partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP) et qui, détenu, a un intérêt à l'annulation de la décision entreprise (art. 104 al. 1 let. a et 382 al. 1 CPP).

2. Le recourant ne remet pas en cause l’existence de charges suffisantes contre lui, s'agissant des faits tombant sous le coup de l'art. 187 ch. 1 CP. Il n'y a dès lors pas lieu de s'y attarder, ce d'autant que lorsqu'un jugement de condamnation a déjà été rendu, l'existence de forts soupçons au sens de l'art. 221 al. 1 CPP est renforcée (ATF
139 IV 186 consid. 2.2.3 = SJ 2013 I 573).

3. Le recourant conteste tout risque de fuite.

3.1. Selon l'art. 231 al. 1 CPP, au moment du jugement, le tribunal de première instance détermine si le prévenu qui a été condamné doit être placé ou maintenu en détention pour des motifs de sûreté pour garantir l'exécution de la peine ou de la mesure prononcée (let. a) ou en prévision de la procédure d'appel (let. b). Cette disposition vise avant tout le risque de fuite (A. KUHN / Y. JEANNERET / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 7 ad art. 231). Ces cas de figure ne constituent pas des motifs de détention proprement dits, au sens de l'art. 31 al. 1 Cst., mais apportent des précisions d'ordre procédural en relation avec les motifs de détention légaux de l'art. 221 CPP (ACPR/560/2013 du 23 décembre 2013 et les références citées).

3.2. Le risque de fuite au sens de l'art. 221 al. 1 let. a CPP doit s'analyser en fonction d'un ensemble de critères tels que le caractère de l'intéressé, sa moralité, ses ressources, ses liens avec l'État qui le poursuit ainsi que ses contacts à l'étranger, qui font apparaître le risque de fuite non seulement possible, mais également probable (ATF 117 Ia 69 consid. 4a p. 70 et la jurisprudence citée). La gravité de l'infraction ne peut pas, à elle seule, justifier la prolongation de la détention, même si elle permet souvent de présumer un danger de fuite en raison de l'importance de la peine dont le prévenu est menacé (ATF 125 I 60 consid. 3a; 117 Ia 69 consid. 4a; 108 Ia 64 consid. 3). Lorsqu'un jugement de condamnation a déjà été rendu, cette décision constitue un indice important quant à la peine susceptible de devoir finalement être exécutée (ATF
139 IV 270 consid. 3.1).

3.3. En l'occurrence, le risque de fuite est désormais né avec le verdict du 9 janvier 2025 et apparaît concret. Quand bien même le recourant a comparu à l'unique audience d'instruction du 7 juillet 2023 ainsi qu'à l'audience de jugement, on peut aisément présumer que c'était dans l'espoir d’être acquitté des chefs d'accusation qu’il contestait jusqu’alors et pût bénéficier d'une peine pécuniaire assortie du sursis, comme plaidée par son défenseur.

La situation a toutefois changé radicalement avec le prononcé par le Tribunal correctionnel d'une peine privative de liberté ferme de 4 ans, certes non encore définitive, et d'une expulsion du territoire.

Dans cette configuration, le recourant pourrait être tenté de se soustraire à l'exécution de la peine. Qu'il table sur une éventuelle réduction de peine, compatible avec le sursis, en seconde instance ne constitue pas un facteur dissuasif suffisant, compte tenu de la mesure d'expulsion prononcée.

C'est également en vain qu'il met en avant la présence de proches en Suisse. Le seul membre de sa famille proche vivant en Suisse est son père, lequel a refait sa vie avec une nouvelle compagne ; les autres personnes dont il fournit la liste (cf. chargé, pce L) sont un oncle, une tante et des cousins. Il a, en outre, admis avoir conservé des liens étroits avec sa mère et sa demi-sœur en Colombie. Par ailleurs, il était presque majeur à son arrivée en Suisse. Quand bien même il a alors entrepris des études secondaires à Genève, il a passé son enfance, la majeure partie de son adolescence et suivi toute sa scolarité obligatoire dans son pays de naissance. Ses liens avec la Colombie restent donc substantiels.

S'il a, certes, trouvé un emploi et gagné une autonomie financière en Suisse, il n'en demeure pas moins qu'il ne dispose d'aucun titre de séjour dans notre pays et que ses chances d'en obtenir un apparaissent compromises eu égard à la procédure en cours.

Célibataire et sans enfant, il est particulièrement mobile et rien ne le retient en Suisse. Il pourrait en outre parfaitement mettre à profit en Colombie ou dans un autre pays la formation et l'expérience professionnelles acquises en Suisse.

Enfin, confronté à l'éventualité d'une expulsion de Suisse et à un renvoi en Colombie, le recourant pourrait être tenté de disparaître dans la clandestinité afin d'échapper à l'exécution de cette mesure.

Les mesures de substitution qu'il propose pour pallier le risque de fuite apparaissent insuffisantes, vu l'acuité du risque.

Ainsi, l'obligation de se présenter régulièrement à un poste de police et aux convocations de la justice, de résider chez son père, de continuer à travailler pour son employeur – outre qu'elles n'ont pas de valeur dissuasive particulière – ne permettraient pas d'empêcher sa fuite ou sa disparition dans la clandestinité mais tout au plus de la constater a posteriori, tout comme le port d'un bracelet électronique ou une éventuelle surveillance électronique (dont on ne voit pas bien quelle serait la finalité sous l'angle du risque considéré).

Le dépôt de son passeport colombien constituerait, certes, un palliatif contre une velléité de fuite par la voie des airs, mais pas si celle-ci devait survenir par la voie terrestre.

Les autres mesures de substitution proposées, en tant qu'elles n'ont pas pour vocation de pallier le risque de fuite, mais les risques de collusion et de réitération – non retenus ici –, n'entrent pas en ligne de compte.

4. Dès lors que le caractère proportionné de la détention s'examine à la lumière de la peine prononcée en première instance (cf. arrêts du Tribunal fédéral 1B_406/2012 du 31 juillet 2012 consid. 2.5 et 1B_122/2009 du 10 juin 2009 consid. 2), une violation du principe de la proportionnalité n'entre pas en considération.

5. Le recours est rejeté.

6. Le recourant, qui n’a pas gain de cause, assumera les frais de l'instance (art. 428 al. 1 CPP), qui seront fixés en totalité à CHF 900.-, y compris l’émolument (art. 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

7. Le recourant plaide au bénéfice d'une défense d'office.

7.1. Selon la jurisprudence, le mandat de défense d'office conféré à l'avocat du prévenu pour la procédure principale ne s'étend pas aux procédures de recours contre les décisions prises par la direction de la procédure en matière de détention avant jugement, dans la mesure où l'exigence des chances de succès de telles démarches peut être opposée au détenu dans ce cadre, même si cette question ne peut être examinée qu'avec une certaine retenue. La désignation d'un conseil d'office pour la procédure pénale principale n'est pas un blanc-seing pour introduire des recours aux frais de l'État, notamment contre des décisions de détention provisoire (arrêt du Tribunal fédéral 1B_516/2020 précité consid. 5.1).

7.2. En l'occurrence, quand bien même le recourant succombe, on peut admettre que l'exercice du présent recours ne procède pas d'un abus.

L'indemnité sera fixée en fin de procédure (art. 135 al. 2 CPP).

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure, arrêtés à CHF 900.-.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, au recourant (soit, pour lui, son défenseur), au Tribunal correctionnel et au Ministère public

Le communique pour information à la Chambre pénale d'appel et de révision.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

P/25085/2022

ÉTAT DE FRAIS

 

ACPR/

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

 

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

 

- délivrance de copies (let. b)

CHF

 

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

 

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

815.00

 

 

Total

CHF

900.00