Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/93/2025 du 30.01.2025 sur OMP/26382/2024 ( MP ) , ADMIS
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/23631/2024 ACPR/93/2025 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du jeudi 30 janvier 2025 |
Entre
A______, représentée par Me B______, avocat,
recourante,
contre l'ordonnance de refus de nomination d'avocat d'office rendue le 6 décembre 2024 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,
1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. Par acte déposé le 19 décembre 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 6 décembre 2024, notifiée le 12 suivant, par laquelle le Ministère public a refusé d'ordonner une défense d'office en sa faveur.
La recourante conclut, avec suite de frais et dépens, chiffrés à CHF 1'524.21 TTC, à l'annulation de l'ordonnance querellée et, principalement, à la nomination de Me B______ en qualité de défenseur d'office dès le 14 novembre 2024, subsidiairement, au renvoi de la cause au Ministère public pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. À teneur du rapport de renseignements du 3 octobre 2024, un incendie s'était déclaré, le 16 septembre 2024 vers 19h45, dans la maison louée par A______ au C______, à Genève, propriété de la Commune de D______.
À ce moment-là, A______ était chez elle en compagnie de son ex-mari et de leur petit-fils. Le sous-locataire du studio situé sous le toit se trouvait également dans la maison.
b.a. Questionnée oralement par la police sur les lieux, A______ a admis avoir laissé, sans surveillance, une bougie allumée dans la pièce d'où étaient sorties les flammes. Entendue ensuite formellement, elle a expliqué avoir allumé ce jour-là un fond de bougie sur une soucoupe en porcelaine, qu'elle avait déposée sur son bureau. Il n'y avait rien entre la flamme et le plafond, qui étaient séparés de plusieurs mètres, de sorte qu'elle ne comprenait pas comment le feu avait pris.
Par la suite, son petit-fils âgé de 28 ans et son ex-mari ayant sonné à la porte, elle était descendue au rez-de-chaussée. Alors qu'ils buvaient quelque chose dans la cuisine, ils avaient senti une odeur de fumée, un peu comme une odeur de cigarette, étant toutefois précisé que personne ne fumait dans la maison. Arrivés au premier étage, ils avaient vu "un mur de fumée" et avaient dès lors appelé les pompiers.
b.b. Le petit-fils de A______ a indiqué qu'environ une heure après son arrivée chez ses grands-parents, ils avaient senti une odeur de fumée. À l'étage, son grand-père et lui s'étaient retrouvés face à une épaisse fumée, provenant d'une des pièces du fond. Ils avaient essayé d'éteindre le feu, en vain. Il n'était pas monté dans le bureau avant l'incendie, de sorte qu'il en ignorait les causes.
b.c. La Brigade de police technique et scientifique (ci-après: BPTS), intervenue sur les lieux, n'a pu procéder à aucune analyse, au vu de l'état de détérioration de la pièce.
c.a. Par ordonnance pénale du 4 novembre 2024, le Ministère public a reconnu A______ coupable d'incendie par négligence (art. 222 al. 1 et 2 CP) et l'a condamnée à une peine pécuniaire de 60 jours-amende, à CHF 50.- l'unité, avec sursis durant trois ans, ainsi qu'aux frais de la procédure.
c.b. En date du 14 novembre 2024, par l'intermédiaire de son conseil, A______ a formé opposition contre cette ordonnance.
d.a. Le 15 novembre 2024, la prévenue a requis du Ministère public que son conseil fût désigné défenseur d'office. Elle contestait être l'auteure de l'incendie, ayant découvert, après son audition à la police, certains éléments matériels qui permettaient de supposer que l'incendie avait pour origine une défectuosité du système électrique. Ses ressources financières étaient limitées. Elle était âgée de 76 ans et n'était pas "versée dans la science juridique". Une condamnation pénale aurait des conséquences juridiques importantes pour elle, notamment sur le plan de la responsabilité civile.
d.b. Il ressort du formulaire "Demande de désignation d'un défenseur d'office (art. 132 CPP)" signé par la prévenue le 14 novembre 2024, mais déposé le lendemain, qu'elle est née en 1948, divorcée, sans enfant à charge et retraitée. Elle perçoit mensuellement une rente AVS de CHF 2'019.-, ainsi que des prestations complémentaires de CHF 929.-. Ses principales charges mensuelles sont constituées d'un loyer de CHF 757.50, de primes d'assurance-maladie pour un montant de l'ordre de CHF 900.- et d'impôts à raison de CHF 25.-.
C. Dans sa décision querellée, le Ministère public considère que la cause ne présente pas de difficultés juridiques ou de fait particulières, de sorte que la prévenue était à même de se défendre seule; la cause était en outre de peu de gravité, A______ ayant été condamnée à une peine pécuniaire de moins de 120 jours-amende, et n'exigeait ainsi pas la désignation d'un défenseur d'office.
D. a.a. Dans son recours, A______ expose qu'elle est âgée de 76 ans, rencontre de nombreux problèmes de santé et n'a pas de connaissances juridiques. La procédure était complexe, dès lors que la cause de l'incendie était contestée. Une instruction complète de l'affaire devait ainsi être effectuée par le Ministère public. Par ailleurs, les conséquences financières de la procédure étaient importantes. E______, compagnie qui disposait de nombreux juristes aguerris, avait d'ores et déjà porté plainte pénale contre elle, pour un dommage allégué de CHF 430'830.15. Le principe de l'égalité des armes commandait également de lui permettre de bénéficier d'une défense d'office.
En outre, son solde disponible après couverture de ses charges incompressibles (CHF 90.90) était largement insuffisant pour payer un défenseur privé.
a.b. À l'appui de son recours, A______ produit un bordereau de pièces, contenant notamment un rapport médical daté du 3 décembre 2024, faisant état de diagnostics sur le plan cardio-vasculaire.
b. Dans ses observations, le Ministère public relève que la question de savoir si la procédure dirigée contre la prévenue présentait, sur le plan des faits ou du droit, des difficultés pouvait rester ouverte dès lors qu'il s'agissait, en tout état de cause, d'une affaire de peu de gravité, la précitée ayant été condamnée à une peine pécuniaire de 60 jours-amende avec sursis.
c. La recourante réplique qu'à teneur de la jurisprudence de la Chambre de céans (ACPR/102/2021), il ne s'agissait pas d'un cas bagatelle, l'incendie ayant en l'occurrence causé un dommage de plus de CHF 200'000.-.
EN DROIT :
1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la prévenue qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).
2. La recourante estime avoir droit à un défenseur d'office.
2.1.1. En dehors des cas de défense obligatoire visés à l'art. 130 CPP, l'art. 132 al. 1 let. b CPP soumet le droit à l'assistance d'un défenseur d'office aux conditions que le prévenu soit indigent et que la sauvegarde de ses intérêts justifie une telle assistance. S'agissant de la seconde condition, elle s'interprète à l'aune des critères mentionnés à l'art. 132 al. 2 et 3 CPP. Ainsi, les intérêts du prévenu justifient une défense d'office notamment lorsque la cause n'est pas de peu de gravité et qu'elle présente, sur le plan des faits ou du droit, des difficultés que le prévenu seul ne pourrait pas surmonter (art. 132 al. 2 CPP). En tout état de cause, une affaire n'est pas de peu de gravité lorsque le prévenu est passible d'une peine privative de liberté de plus de quatre mois ou d'une peine pécuniaire de plus de 120 jours-amende (art. 132 al. 3 CPP).
Si les deux conditions mentionnées à l'art. 132 al. 2 CPP doivent être réunies cumulativement, il n'est pas exclu que l'intervention d'un défenseur soit justifiée par d'autres motifs (comme l'indique l'adverbe "notamment"), en particulier dans les cas où cette mesure est nécessaire pour garantir l'égalité des armes ou parce que l'issue de la procédure pénale a une importance particulière pour le prévenu (arrêts du Tribunal fédéral 1B_12/2020 du 24 janvier 2020 consid. 3.1 et 1B_374/2018 du 4 septembre 2018 consid. 2.1).
2.1.2. Selon la jurisprudence, le point décisif pour admettre l'existence de difficultés de fait ou de droit est de savoir si la désignation d'un avocat d'office est objectivement nécessaire dans le cas d'espèce. À cet égard, il faut tenir compte des circonstances concrètes de l'affaire, de la complexité des questions de fait et de droit, des particularités que représentent les règles de procédure applicables, des connaissances juridiques du requérant ou de son représentant, du fait que la partie adverse est assistée d'un avocat, et de la portée qu'a pour le requérant la décision à prendre, avec une certaine réserve lorsque sont en cause principalement ses intérêts financiers (ATF 128 I 225 consid. 2.5.2; arrêt du Tribunal fédéral 6B_661/2011 consid. 4.2.3; ACPR/224/2014 du 2 mai 2014 consid. 2.2) ainsi que des mesures qui paraissent nécessaires, dans le cas particulier, pour assurer sa défense, notamment en ce qui concerne les preuves qu'il devra offrir (ATF 115 Ia 103 consid. 4; ACPR/122/2014 du 6 mars 2014 consid. 3.1).
2.2. En l'espèce, l'indigence de la recourante apparaît établie au vu des documents produits, ce que le Ministère public ne conteste pas en soi.
Dans la mesure où la peine pécuniaire concrètement encourue par la recourante s'élève à 60 jours-amende, la cause est certes a priori de peu de gravité, au sens de l'art. 132 al. 3 CPP.
Néanmoins, l'intervention d'un défenseur se justifie en l'occurrence en raison des motifs qui suivent. D'une part, la recourante conteste être à l'origine de l'incendie, de sorte qu'ensuite de son opposition, une instruction plus poussée, cas échéant comprenant la mise en œuvre d'une expertise, pourrait s'avérer nécessaire pour déterminer son éventuelle responsabilité pénale. D'autre part, la recourante étant poursuivie pour un incendie par négligence ayant causé plus de CHF 430'000.- de dégâts, les conséquences financières qui découleraient de sa responsabilité pourraient être importantes, de sorte qu'on ne saurait qualifier ici la procédure de cas bagatelle. Dans ces conditions, et étant considéré la situation personnelle de la recourante, il sied d'admettre que la cause revêt une complexité suffisante, tant en fait qu'en droit, légitimant son besoin de bénéficier d'une défense d'office (dans ce sens également, en matière d'incendie : ACPR/102/2021 du 16 février 2021 consid. 2.2.).
Cela se justifie, en outre, au regard du principe de l'égalité des armes. En effet, la recourante doit, dans le cadre de la procédure diligentée, répondre aux prétentions civiles formulées par E______, compagnie d'assurance dotée de spécialistes en matière de responsabilité pénale et civile.
Les conditions pour la désignation d'un défenseur d'office sont donc réalisées.
3. Me B______, constitué en faveur de la recourante dans la présente procédure, sera désigné en qualité de défenseur d'office dès le 15 novembre 2024, date du dépôt de la demande (art. 5 RAJ).
4. Fondé, le recours sera dès lors admis et l'ordonnance querellée annulée.
5. La procédure de recours contre le refus de l'octroi de l'assistance juridique ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 20 RAJ).
6. L'indemnité du défenseur d'office nouvellement désigné sera fixée à la fin de la procédure (art. 135 al. 2 CPP).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Admet le recours et annule l'ordonnance du Ministère public du 6 décembre 2024.
Désigne Me B______ à la défense d'office de A______, avec effet au 15 novembre 2024.
Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.
Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.
Siégeant :
Monsieur Christian COQUOZ, président; Madame Françoise SAILLEN AGAD et
Monsieur Vincent DELALOYE, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.
La greffière : Arbenita VESELI |
| Le président : Christian COQUOZ |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse
(art. 48 al. 1 LTF).