Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/73/2025 du 23.01.2025 sur OMP/26290/2024 ( MP ) , REJETE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/3124/2023 ACPR/73/2025 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du jeudi 23 janvier 2025 |
Entre
A______, actuellement détenu à la prison de B______, ______, agissant en personne,
recourant,
contre l'ordonnance de refus de remplacement du défenseur rendue le 5 décembre 2024 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,
1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. Par acte expédié le 15 décembre 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 5 précédent, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a refusé de relever son défenseur d'office, Me C______, de sa mission.
Le recourant, sans prendre de conclusions formelles, demande le remplacement de son défenseur d'office en la personne de Me D______.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. A______ est prévenu de brigandage (art. 140 CP), d'extorsion et chantage aggravé (art. 156 CP), de séquestration et enlèvement (art. 183 CP), de violation de domicile (art. 186 CP) et d'infractions aux art. 33 al. 1 let. a et 34 al. 1 let. e LArm.
b. Une défense d'office en sa faveur, en la personne de Me C______, a été ordonnée par le Ministère public le 13 décembre 2023.
c. Par pli du 16 octobre 2024, A______ a sollicité du Ministère public un changement de défenseur d'office en la personne de Me D______ en lieu et place de Me C______. Il n'avait plus confiance en les "performances" et l'"efficacité" de cette dernière pour le défendre.
d. Invitée à se déterminer, Me C______ ne distinguait aucun reproche ni aucune doléance objective vis-à-vis d'elle ou de son intervention. Une défense des intérêts de A______ était assurée, en particulier : elle l'avait assisté en personne à chaque audience; s'était entretenu avec lui à B______ chaque mois depuis son arrestation; avait présenté des réquisitions de preuves qu'il avait auparavant acceptées; et allait obtenir prochainement le classement d'un des deux faits principaux reprochés. Elle laissait au Ministère public le soin de juger si les conditions de l'art. 134 al. 2 CPP étaient remplies. Elle ne s'opposait pas à la révocation de son mandat.
e. Par ordonnance du 30 octobre 2024, le Ministère public a refusé de relever Me C______ de sa mission.
A______ n'alléguait aucune violation objective, par l'avocate, de son devoir d'assistance et aucun élément objectif ne permettait de retenir que la défense du prévenu n'était pas assurée de manière efficace ni que la relation de confiance entre le prévenu et son défenseur d'office était, de fait, gravement perturbée.
f.a. En parallèle, à la suite de l'avis de prochaine clôture de l'instruction du Ministère public, Me C______ a notamment requis plusieurs réquisitions de preuves complémentaires.
f.b. Me C______ a également transmis un état de frais intermédiaire au greffe de l'assistance juridique faisant état d'une activité de 86h53 pour la période du 13 décembre 2023 au 28 octobre 2024 comprenant notamment 16 conférences avec A______, différentes écritures aux autorités (Tribunal des mesures de contrainte ci-après: TMC et Ministère public), études et consultations du dossier et préparations aux audiences, ainsi que la représentation de son client à 10 audiences par-devant le Ministère public et une devant le TMC, ainsi que lors de la perquisition du domicile du concerné.
f.c. Par ordonnance du 5 décembre 2024, le Ministère public a refusé l'administration des preuves complémentaires sollicitées.
g. Par pli du 25 novembre 2024, A______ a réitéré sa demande de changement d'avocat et sollicité la nomination de Me D______ aux motifs qu'il était en profond désaccord avec Me C______ sur les éléments à étayer pour prouver son innocence et qu'elle n'était pas une spécialiste en matière pénale.
h. Invitée à se déterminer sur cette nouvelle requête, Me C______ a, en substance, réitéré les arguments développés dans sa précédente détermination (cf. let. B. d. supra). Elle ne distinguait pas non plus dans cette nouvelle demande de reproches ou doléances objectives. Une défense efficace des intérêts de son client était encore assurée. Elle laissait toujours au Ministère public le soin de juger si les conditions de l'art. 134 al. 2 CPP étaient remplies et ne s'opposait pas à la révocation de son mandat.
C. Dans sa décision querellée, le Ministère public considère que A______ n'alléguait aucune violation objective, par l'avocate, de son devoir d'assistance et aucun élément objectif ne permettait de retenir que la défense du prévenu n'était pas assurée de manière efficace ni que la relation de confiance entre le prévenu et son défenseur d'office était, de fait, gravement perturbée.
D. a. À l'appui de son recours, A______ précise que l'absence de spécialisation de Me C______ en droit pénal se traduisait concrètement par le fait qu'il avait dû lui-même soumettre les réquisitions de preuves pour son dossier et que, durant les auditions, elle n'avait pas posé de questions "concrètes" pour contrer les éléments "incohérents et discutables" qui lui étaient reprochés. Malgré ses demandes, elle n'avait pas été en mesure de le défendre, ce qui rendait sa défense inefficace.
Me D______, avec qui il s'était entretenu, avait tout de suite remarqué des incohérences dans la procédure et dans les accusations portées contre lui et lui avait suggéré de nombreuses réquisitions de preuves auxquelles n'avait pas pensé Me C______ et qui étaient indispensables pour prouver son innocence. Cela concrétisait une rupture du lien de confiance avec son défenseur d'office et justifiait son changement au profit d'une personne avec une "certaine ancienneté et expérience".
b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.
EN DROIT :
1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) – les formalités de notification (art. 85 al. 2 CPP) n'ayant pas été observées –, concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).
2. La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.
3. 3.1. Selon l'art. 133 CPP, le défenseur d'office est désigné par la direction de la procédure au stade considéré (al. 1); lorsqu'elle nomme le défenseur d'office, la direction de la procédure prend en considération les souhaits du prévenu dans la mesure du possible (al. 2). Cette disposition concrétise la jurisprudence du Tribunal fédéral et de la CourEDH relative aux art. 29 al. 3 Cst. et 6 § 3 let. c CEDH (arrêt du Tribunal fédéral 1B_387/2012 du 24 janvier 2013 consid. 4.3).
3.2. Une demande de remplacement du défenseur d'office ne peut être admise que si, pour des motifs objectifs, une défense compétente et efficace des intérêts du prévenu n'est plus garantie (ATF 116 Ia 102 consid. 4b/aa), que la personne bénéficiaire n'apprécie pas son avocat ou doute de ses capacités ne suffit pas (B. CORBOZ, Le droit constitutionnel à l'assistance judiciaire, in SJ 2003 II p. 84).
L'art 134 al. 2 CPP précise à ce propos qu'une défense compétente et efficace ne peut plus être assurée non seulement en cas de violation objective du devoir d'assistance, mais déjà en cas de perturbation grave de la relation de confiance entre le prévenu et le défenseur.
3.3. La direction de la procédure a le devoir de veiller à ce que le défenseur d’office procure au prévenu une défense compétente, assidue, et efficace. L'art. 134 al. 2 in fine CPP concrétise la jurisprudence du Tribunal fédéral selon laquelle l’autorité judiciaire doit, si elle constate que la défense est manifestement déficiente (arrêt du Tribunal fédéral 6B_307/2016 du 17 juin 206 consid. 2.2), prendre des mesures pour remplacer à temps un défenseur d’office qui viole objectivement les devoirs de sa charge et met de ce fait en péril la défense du prévenu. Le remplacement est une ultima ratio et doit selon les circonstances être précédé d’un rappel du défenseur d’office à ses devoirs (arrêt du Tribunal fédéral 1B_187/2013 du 4 juillet 203 consid. 2.2; Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, op. cit., n. 19 ad art. 134).
Les intérêts du prévenu ne sont pas suffisamment défendus notamment lorsque le défenseur n’assiste pas, de façon répétée, aux audiences d’instruction, en particulier aux confrontations ; manque de façon répétée à ses obligations de représentation ; omet de s’engager pour sauvegarder le droit de son mandant à participer à l’administration des preuves (arrêt du Tribunal fédéral 1B_297/2015 du 26 octobre 2015 consid. 2.6); omet de rendre visite à son client durant la détention provisoire; ne fournit pas de prestation propre et se contente de se faire le porte-parole du prévenu, sans esprit critique (arrêt du Tribunal fédéral 1B_187/2013 du 4 juillet 2013 consid. 2.2), par exemple en se contentant pendant les débats de lire des notes rédigées par le prévenu; reste longtemps inatteignable sans s’excuser ou se faire remplacer ; ne vient pas consulter le dossier durant de longues périodes ; ne consacre pas le temps nécessaire à la préparation de la défense (arrêt du Tribunal fédéral 1B_67/2009 du 14 juillet 2009 consid. 2.3); est absent lors des débats ou renonce à plaider ou plaide de façon manifestement insuffisante; laisse entendre qu’il est convaincu de la culpabilité de son mandant alors que celui-ci se dit innocent (ATF 138 IV 161 JdT 2013 IV 75 consid. 2.5.4); ne respecte pas un délai, laissant se périmer un droit procédural de son mandant (A. KUHN / Y. JEANNERET / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 20 ad art. 134).
3.4. Le simple fait que la partie assistée n'a pas confiance dans son conseil d'office ne lui donne pas le droit d'en demander le remplacement lorsque cette perte de confiance repose sur des motifs purement subjectifs et qu'il n'apparaît pas de manière patente que l'attitude de l'avocat d'office est gravement préjudiciable aux intérêts de la partie (ATF 138 IV 161 consid. 2.4; 114 Ia 101 consid. 3; arrêt du Tribunal fédéral 1B_375/2012 du 15 août 2012 consid. 1.1).
De simples divergences d'opinion quant à la manière d'assurer la défense des intérêts du prévenu dans le cadre de la procédure ne constituent à cet égard pas un motif justifiant un changement d'avocat. Il appartient en effet à l'avocat de décider de la conduite du procès; sa mission ne consiste donc pas simplement à endosser le rôle de porte-parole sans esprit critique de l'accusé, qui se limiterait à se faire l'interprète des sentiments et des arguments de son client (ATF 116 Ia 102 consid. 4b/bb; 105 Ia 296 consid. 1e). Sont en revanche dignes d'être pris en considération des griefs précis touchant à la personne du défenseur ou à un comportement de ce dernier qui montre à l'évidence que toute relation de confiance avec ce dernier est exclue (arrêt du Tribunal fédéral 1B_187/2013 du 4 juillet 2013 consid. 2.2 et 2.3; A. KUHN / Y. JEANNERET / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2e éd., Bâle 2019, n. 17 ad art. 134).
3.5. En l'espèce, le recourant allègue une rupture du lien de confiance avec son défenseur d'office.
Cette dernière n'a, quant à elle, pas manifesté le souhait d'être remplacée.
On comprend des griefs du recourant qu'il reproche à son conseil de ne pas assurer sa défense de manière efficace.
Or, au contraire, il ressort des éléments au dossier que le défenseur d'office a assisté et représenté le recourant lors des différentes audiences et actes d'enquête menés (notamment la perquisition du domicile de ce dernier), étudié et préparé le dossier de nombreuses heures, communiqué avec les autorités compétentes et déposé, en temps voulu, des réquisitions de preuve.
Au vu de ce qui précède, le grief du recourant selon lequel son défenseur n'avait pas infirmé des éléments "incohérents et discutables" qui lui étaient reprochés, ne saurait, sans autre précision, justifier un changement d'avocat. Il en va de même du dépôt, par lui-même, de réquisitions de preuve – en sus de celles déposées par son défenseur –, voire de celles suggérées par Me D______, sans autre explication les concernant.
Partant, aucun élément, à ce stade, ne permet de retenir qu'une défense efficace des intérêts du recourant ne serait pas assurée par le défenseur, qui assiste le recourant depuis décembre 2023.
Par ailleurs, comme relevé plus haut, de simples divergences d'opinions dans la manière d'assurer la défense du prévenu ne constituent pas un motif justifiant un changement d'avocat. La mission de ce dernier ne se limite pas à se faire l'interprète des sentiments et des arguments de son client. Ainsi, que la stratégie de défense de l'avocat d'office ne plaise pas au prévenu, comme cela semble être le cas ici, n'est pas de nature à gravement perturber la relation de confiance entre eux.
Il n'existe ainsi, en l'état, aucun motif objectif laissant entrevoir que Me C______ n'assurerait pas une défense efficace du recourant ou que la relation de confiance entre eux serait gravement perturbée, ce d'autant que l'instruction touche à sa fin, avec l'avis de prochaine clôture rendu.
Au regard des conditions strictes posées par l'art. 134 al. 2 CPP, le changement du défenseur d'office désigné ne se justifie donc pas.
4. Le recours sera dès lors rejeté.
5. Le recourant, bien qu'au bénéfice de l'assistance juridique, supportera les frais de la procédure de recours (art. 428 al. 1 CPP; arrêts du Tribunal fédéral 1B_203/2011 du 18 mai 2011 consid. 4 et 1B_372/2014 du 8 avril 2015 consid. 4.6), qui seront fixés en totalité à CHF 500.- (art. 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette le recours.
Met à la charge de A______ les frais de la procédure de recours arrêtés à CHF 500.‑.
Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant (en personne) et au Ministère public.
Le communique, pour information, à Me C______.
Siégeant :
Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.
Le greffier : Julien CASEYS |
| Le président : Christian COQUOZ |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse
(art. 48 al. 1 LTF).
P/3124/2023 | ÉTAT DE FRAIS |
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COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
Débours (art. 2) | | |
- frais postaux | CHF | 10.00 |
Émoluments généraux (art. 4) | | |
- délivrance de copies (let. a) | CHF | |
- délivrance de copies (let. b) | CHF | |
- état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
- décision sur recours (let. c) | CHF | 415.00 |
Total | CHF | 500.00 |