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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/8576/2024

ACPR/949/2024 du 18.12.2024 sur OTDP/2158/2024 ( TDP ) , REJETE

Descripteurs : NOTIFICATION IRRÉGULIÈRE;DOMICILE À L'ÉTRANGER
Normes : CPP.87; CPP.354

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/8576/2024 ACPR/949/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 18 décembre 2024

 

Entre

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

recourant,

contre l'ordonnance rendue le 25 septembre 2024 par le Tribunal de police,

et

A______, domicilié ______, France, agissant en personne,

LE TRIBUNAL DE POLICE, rue des Chaudronniers 9, 1204 Genève, case postale 3715, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 3 octobre 2024, le Ministère public recourt contre l'ordonnance rendue le 25 septembre 2024, par laquelle le Tribunal de police a constaté la validité de l'opposition formée par A______ contre l'ordonnance pénale du 9 juillet 2024 et lui a renvoyé la cause pour qu'il statue sur l'opposition.

Le recourant conclut à l'annulation de l'ordonnance litigieuse et à ce que l'opposition soit déclarée tardive et donc irrecevable.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. A______ a été entendu comme prévenu par la police le 7 octobre 2023. Un témoin l'avait vu prendre la fuite après qu'il eut renversé un scooter avec sa voiture, en effectuant une marche arrière.

Lors de cette audition, la police lui a indiqué qu'il devait désigner une adresse de notification en Suisse pour recevoir toutes les correspondances en lien avec la procédure. A______, qui est domicilié en France, a ainsi fourni l'adresse professionnelle de son père chez B______, rue 1______ no. ______, [code postal] Genève. Cette même adresse figure dans le formulaire "Mesures d'éloignement – droit d'être entendu", signé par ses soins. Sur le formulaire "Situation personnelle et financière" signé par lui ainsi que sur la page de garde du procès-verbal d'audition, figure par contre son adresse sise rue 2______ no. ______, [code postal] C______, France.

b. Par ordonnance pénale du 9 juillet 2024 envoyée à l'adresse de A______ c/o B______, rue 1______ no. ______, [code postal] Genève, le Ministère public a condamné l'intéressé à une amende de CHF 2'140.- et un émolument de CHF 510.- pour infraction simple à la LCR.

c. Selon le suivi de la Poste, l'enveloppe contenant l'ordonnance pénale en question a été notifiée au destinataire le 11 juillet 2024 au guichet de la poste (l'envoi ayant été distribué dans la case postale). Le pli (ouvert et refermé avec du scotch) a ensuite été retourné par la Poste au Ministère public le 12 juillet 2024, avec la mention sur l'enveloppe "parti le 31.01.2019".

d. Par courrier du 25 août 2024, le Service des contraventions a notifié à A______, à son adresse française, le bordereau de paiement de l'amende désormais exécutoire.

e. Par courrier du 3 septembre 2024 au Ministère public, A______ a fait opposition à l'ordonnance pénale, qui avait été envoyée à l'adresse de l'entreprise de son père, mais qu'il n'avait jamais reçue selon lui.

f. Le 17 septembre 2024, le Ministère public a rendu une ordonnance constatant que l'opposition était tardive et l'a transmise au Tribunal de police, pour qu’il statue.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Tribunal de police estime que, selon la page de garde du procès-verbal d'audition du 7 octobre 2023, l'adresse connue de A______ était rue 2______ no. ______, [code postal] C______, France. Ce n'était qu'à la demande expresse de la police de désigner une adresse en Suisse qu'il avait fourni celle de l'entreprise de son père.

Au vu des engagements internationaux existant avec la France, c'était de manière erronée que la police lui avait indiqué que, s'il n'élisait pas domicile en Suisse, les décisions pouvaient lui être valablement notifiées par la voie de la Feuille d'avis officielle.

En effet, A______ n'était pas dans l'obligation de fournir une adresse en Suisse et la notification de l'ordonnance litigieuse aurait dû intervenir à son domicile en France, celle intervenue en Suisse étant contraire au droit. A______ n'avait de plus pas pris connaissance de l'ordonnance, puisque le courrier avait été retourné sans avoir été ouvert au Ministère public. L'opposition était ainsi valable.

D. a. À l'appui de son recours, le Ministère public considère que le Tribunal de police avait constaté les faits de façon erronée, puisque l'enveloppe contenant l'ordonnance querellée avait été ouverte, puis refermée avec du ruban adhésif, avant de lui être retournée. L'entreprise avait accusé réception du pli le 11 juillet 2024 (son tampon figurant sur l'enveloppe), ce qui était au demeurant corroboré par le suivi de la Poste.

L'ordonnance violait de plus l'art. 87 CP, puisque A______, qui avait son domicile à l'étranger, avait désigné, comme adresse de notification, l'adresse professionnelle de son père, sans émettre de réserve. L'ordonnance pénale ayant été notifiée le 11 juillet 2024 à ladite adresse, l'opposition formée le 3 septembre 2024 était tardive.

b. Dans ses observations, le Tribunal de police persiste dans les termes de sa décision.

Dans le document intitulé "situation personnelle et financière", A______ avait indiqué son adresse française et n'avait pas rempli le champ prévu pour une élection de domicile. Il avait communiqué l'adresse de l'entreprise de son père en Suisse à la suite de l'invitation expresse de la police de le faire, à la fin de son audition.

L'ordonnance pénale avait de plus été retournée au Ministère public le lendemain de sa notification à l'entreprise, soit très rapidement, et comportait une signature, accusant de sa réception, qui n'était pas celle de A______. Ainsi, rien n'indiquait qu'il en eût pris connaissance.

La France et la Suisse étaient liées par un accord de notification directe, de sorte que la condition de l'art. 87 al. 2 CPP n'était pas réalisée. La police avait ainsi indiqué à tort à A______ qu'il devait communiquer une adresse en Suisse et qu'à défaut, il pourrait se voir notifier tout acte à travers la Feuille d'avis officielle. En effet, il vivait en France voisine et son adresse était connue depuis le début de la procédure. La notification en France était dès lors matériellement et légalement possible. La formulation utilisée par le prévenu, ne pouvait être interprétée comme une intention d'élire domicile au siège de l'entreprise de son père.

c. Dans ses observations du 16 octobre 2024, A______ a persisté dans ses explications. L'ordonnance litigieuse ne lui avait pas été remise et c'était sur demande de la police, qui lui avait indiqué que, faute d'adresse en Suisse, il pourrait "finir en détention provisoire", qu'il avait fourni l'adresse de l'entreprise de son père. D'autres documents lui avaient été envoyés à son adresse en France par le Ministère public, de sorte que ce dernier ne pouvait ignorer son domicile.

d. Le Ministère public a renoncé à répliquer.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. b CPP) et émaner du Ministère public qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. c CPP), a qualité pour agir (art. 381 al. 1 CPP).

2.             Le recourant se prévaut d’une constatation inexacte de certains faits par le Tribunal de police.

Dès lors que la juridiction de recours jouit d'un plein pouvoir de cognition (art. 393 al. 2 let. b CPP), d'éventuelles inexactitudes entachant la décision querellée auront été corrigées dans l’état de fait établi ci-avant.

Partant, le grief sera rejeté.

3.             Le recourant soutient que l'opposition formée le 3 septembre 2024 par l'intimé est tardive.

3.1.       Le prévenu peut contester l'ordonnance pénale devant le ministère public dans le délai de dix jours; si aucune opposition n'est valablement intervenue, cette ordonnance est assimilée à un jugement entré en force (art. 354 al. 1 let. a et al. 3 CPP).

3.2.       En vertu de l'art. 87 CPP, toute communication doit être notifiée au domicile du destinataire (al. 1). Les parties qui ont leur résidence à l'étranger sont tenues de désigner une adresse de notification en Suisse; les instruments internationaux prévoyant la possibilité d'une notification directe sont réservés (al. 2).

3.2.1. L'art. 87 al. 1 CPP n'empêche pas les parties de communiquer à l'autorité pénale une autre adresse de notification que celle indiquée par cette norme. Si elles le font, la notification doit, en principe, être effectuée en cet autre endroit, sous peine d'être jugée irrégulière (arrêt du Tribunal fédéral 6B_730/2021 du 20 août 2021 consid. 1.1).

3.2.2. L'existence d'un instrument international prévoyant la possibilité d'une notification directe à l'étranger (art. 87 al. 2, 2ème phrase, CPP) n'exclut en effet nullement la désignation d'une adresse de notification en Suisse (art. 87 al. 2, 1ère phrase, CPP). Au contraire, des raisons pratiques évidentes, notamment en termes de célérité, conduisent à retenir que l’autorité conserve la faculté d'exiger une telle désignation y compris en présence d'un instrument international permettant une notification directe (arrêt du Tribunal fédéral 6B_730/2021 précité, consid. 1.4).

3.3.       Une notification irrégulière ne doit entraîner aucun préjudice pour son destinataire (arrêt du Tribunal fédéral 6B_552/2015 du 3 août 2016 consid. 2.5).

L'on déduit également du principe de la bonne foi (art. 5 al. 3 Cst féd. et 3 al. 2 let. a CPP) l'interdiction des comportements contradictoires, celle-ci concernant en particulier les autorités pénales (arrêt du Tribunal fédéral 7B_101_2023 du 12 février 2024 consid. 2.2.2).

4.             En l'espèce, l'intimé, résident français, a désigné une adresse à Genève, soit celle de l'entreprise de son père, lors de son audition par la police, le 7 octobre 2023, ainsi que dans le formulaire du même jour à l'attention de l'Office cantonal de la population et des migrations. Ces documents ont tous deux été signés par ses soins.

Il soutient cependant n'avoir fourni cette adresse qu'à la demande expresse de la police, cette dernière lui ayant indiqué que, dans le cas contraire, il pourrait se voir notifier toute décision par la voie de la Feuille d'avis officielle, ce qui était erroné.

Il ne ressort par ailleurs du formulaire " Situation personnelle et financière" ainsi que de la page de garde du procès-verbal d'audition du 7 octobre 2023, également signés par ses soins, qu'il était domicilié en France voisine, à une adresse ainsi connue des autorités de poursuite pénales.

Indépendamment de ces contradictions, l'adresse de l'entreprise de son père ne pouvait nullement constituer une adresse de notification valable, dès lors qu'il ne s'agissait pas de l'entreprise dans laquelle le prévenu travaillait et aurait pu être atteint. L'adresse sur l'ordonnance pénale ne mentionnait de surcroît pas le nom du père de l'intéressé. Quand bien même le pli contenant l'ordonnance pénale a été distribué à l'entreprise via sa case postale, le 11 juillet 2024, il apparaît que c'est un représentant de celle-ci qui en a accusé réception à la Poste, avant de retourner le pli au Ministère public avec la mention "parti le 31.01.2019", montrant ainsi que le prévenu ne travaillait plus pour l'entreprise. Cette mention signifiait donc que l'intéressé n'avait pas été atteint. Peu importe que le représentant de l'entreprise ait préalablement ouvert le pli avant de le refermer avec du scotch. Il n'avait aucune obligation d'informer le prévenu du contenu dudit pli, voire de le lui réacheminer, n'étant pas un représentant autorisé désigné par le prévenu lui-même.

Nanti de ce qui précède, le Ministère public aurait dû notifier l'ordonnance pénale à l'adresse connue du prévenu en France, comme l'a d'ailleurs fait le Service des contraventions en août 2024.

La notification à l'adresse professionnelle du père de l'intéressé à Genève n'était ainsi pas régulière.

Ce n'est vraisemblablement que le 25 août 2024, à la suite du courrier du Service des contraventions lui notifiant le bordereau de paiement de l'amende, que le prévenu a pu prendre connaissance de l'existence d'une condamnation pénale et y former opposition.

En effet, aucun élément au dossier ne laisse penser que l'intéressé aurait eu connaissance du pli avant cette date.

Partant, l'opposition ayant été formée le 3 septembre 2024, soit dans le délai de 10 jours depuis la connaissance effective de l'ordonnance pénale, aucun retard ne peut être reproché au recourant. L'opposition est donc recevable.

5.             Au vu de ce qui précède, le recours est rejeté.

6.             Les frais de l'instance de recours seront laissés à la charge de l'État.

 

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Rejette le recours.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt, en copie, au Ministère public, à A______ et au Tribunal de police.

 

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON et Monsieur Vincent DELALOYE, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).