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Décisions | Chambre pénale de recours

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PS/89/2024

ACPR/934/2024 du 12.12.2024 ( RECUSE ) , ADMIS

Descripteurs : RÉCUSATION
Normes : CPP.56.letf

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

PS/89/2024 ACPR/934/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 12 décembre 2024

 

Entre

A______, représentée par Me Mevlon ALIU, avocat, ALIU WANNIER Avocats, rue des Bains 33, 1205 Genève,

requérante,

 

et

B______, Procureur, p.a. MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

cité.


EN FAIT :

A. Par acte expédié au Ministère public le 13 novembre 2024 et transmis à la Chambre de céans, A______ requiert la récusation du Procureur B______.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. A______ a déposé plainte pénale à la police le 27 juin 2024 à l'encontre de C______, son ex-petit ami, pour une agression sexuelle subie le 30 mars 2024 à son domicile, à la suite de laquelle elle était tombée enceinte.

La plainte a été enregistrée sous la procédure P/1______/2024, conduite par le Procureur B______.

b. Entendu par la police le 27 août 2024, C______ a contesté ces faits. Il n'avait rien à se reprocher. Le rapport était consenti. Il avait, deux mois et demi plus tard, eu une discussion avec A______ sur le bébé à venir. Celle-ci avait appris à cette même époque qu'il avait une petite amie.

c. Une amie de A______, à laquelle celle-ci disait s'être confiée après les faits, a encore été entendue par la police, en qualité de personne appelée à donner des renseignements.

d. Le 1er novembre 2024, le conseil de A______ a adressé au Procureur B______ une attestation de suivi de sa mandante, à compter du 27 septembre 2024, auprès de l'Unité interdisciplinaire de médecine et de prévention de la violence des Hôpitaux universitaires de Genève.

e. Le 8 novembre 2024, le procureur B______ a adressé un courriel aux conseils de A______ et de C______, faisant suite à un entretien téléphonique qu'il avait eu avec chacun d'entre eux. Il confirmait avoir effectué son stage d'avocat au sein de l'étude D______ entre 2002 et 2004 et que le bâtonnier E______ avait défendu ses intérêts dans le cadre d'une procédure administrative en 2016 – 2017. Il "se présent[ait] ainsi un possible cas de récusation du Procureur". Il tenait à les en informer, en toute transparence. Il était disposé, si toutes les parties donnaient leur feu vert, à instruire lui-même ce dossier, sans le réattribuer à un collègue. Il les invitait à lui faire part, à leur meilleure convenance, de leur détermination. Dans l'intervalle, le dossier était mis à leur disposition pour consultation.

C. a. Par courrier du 13 novembre 2024, le conseil de A______ a requis la récusation de B______, au regard des deux éléments qu'il avait portés à leur connaissance le 8 novembre 2024. Ces deux éléments, bien que parfaitement respectables et compréhensibles, justifiaient une récusation en vertu de l'art. 56 let. f CPP. Elle souhaitait donc que le dossier soit confié à un autre procureur.

b. Appelé par la Chambre de céans à se déterminer sur cette demande, B______ a indiqué le 22 novembre 2024 qu'il n'avait pas d'observations à déposer. Il conclut au rejet de la demande de récusation, précisant qu'il n'existait aucun rapport d'amitié ou tout autre rapport étroit avec le conseil du prévenu, collaborateur en l'étude D______.

c. Dans sa réplique du 2 décembre 2024, A______ ajoute que les années de formation au sein d'une étude d'avocats étaient souvent marquantes dans le parcours d'un avocat, car elles établissaient une relation durable de mentorat et d'estime professionnelle. Il était donc compréhensible qu'un ancien avocat stagiaire conserve un attachement émotionnel et professionnel envers ses formateurs, ce qui pourrait inconsciemment influencer ses décisions futures. Ce doute était renforcé en l'occurrence par le fait que, 12 ans après son stage, le procureur B______ avait fait appel à l'étude D______ pour défendre ses intérêts, ce qui démontrait un tel lien, suffisamment durable pour amener un citoyen lambda à se demander si l'impartialité du procureur était garantie dans une affaire impliquant cette même étude. Ledit procureur reconnaissait d'ailleurs la sensibilité de ces relations et leur impact potentiel sur la perception d'impartialité.

EN DROIT :

1.             1.1. La Chambre pénale de recours de la Cour de justice (art. 59 al. 1 let. b CPP et 128 al. 2 let. a LOJ), siégeant dans la composition de trois juges (art. 127 LOJ), est l'autorité compétente pour statuer sur une requête de récusation visant un magistrat du Ministère public (art. 59 al. 1 let. b CPP).

1.2. En sa qualité de plaignante (art. 104 al. 1 let. b CPP), la requérante dispose de la qualité pour agir (art. 58 al. 1 CPP).

2.             2.1. Conformément à l'art. 58 al. 1 CPP, la récusation doit être demandée sans délai, dès que la partie a connaissance du motif de récusation, c’est-à-dire dans les jours qui suivent la connaissance de la cause de récusation, sous peine de déchéance (ATF 140 I 271 consid. 8.4.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 1B_430/2021 du 22 octobre 2021 consid. 2.1 et 1B_601/2011 du 22 décembre 2011 consid. 1.2.1).

2.2. En l'espèce, dans la mesure où la demande de récusation fait suite à un courriel du procureur visé par la demande de récusation aux conseils de la plaignante et du mis en cause, du 8 novembre 2024, et a été expédiée 5 jours plus tard, elle a été formée à temps, au sens qui vient d'être rappelé.

3.             La requérante considère que le procureur chargé de la procédure devrait se déporter, dans la mesure où, ce qu'il a d'emblée indiqué aux parties, il avait été stagiaire, entre 2002 et 2004, dans l'étude qui représente le mis en cause et avait eu recours aux conseils de l'un de ses associés en 2016-2017 pour la défense de ses intérêts dans une procédure administrative, ce qui suscitait des doutes sur son impartialité.

3.1. À teneur de l'art. 56 let. f CPP, toute personne exerçant une fonction au sein d'une autorité pénale est tenue de se récuser lorsque d'autres motifs que ceux évoqués aux lettres a à e de cette disposition, notamment un rapport d'amitié étroit ou d'inimitié avec une partie ou son conseil juridique, sont de nature à la rendre suspecte de prévention.

La procédure de récusation a pour but d'écarter un magistrat partial, respectivement d'apparence partiale afin d'assurer un procès équitable à chaque partie (ATF 126 I 68 consid. 3a p. 73; arrêt du Tribunal fédéral 1B_430/2021 du 22 octobre 2021 consid. 2.3.2). Elle vise notamment à éviter que des circonstances extérieures à la cause ne puissent influencer le jugement en faveur ou au détriment d'une partie. Elle n'impose pas la récusation seulement lorsqu'une prévention effective du magistrat est établie, car une disposition interne de sa part ne peut guère être prouvée. Il suffit que les circonstances donnent l'apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale du magistrat. Seules les circonstances constatées objectivement doivent être prises en considération. Les impressions purement individuelles d'une des parties au procès ne sont pas décisives (ATF 144 I 159 consid. 4.3 p. 162; 143 IV 69 consid. 3.2 p. 74; arrêt 1B_25/2022 du 18 mai 2022 consid. 2.2). L'impartialité subjective d'un magistrat se présume jusqu'à preuve du contraire (ATF 136 III 605 consid. 3.2.1 p. 608; arrêt du Tribunal fédéral 6B_621/2011 du 19 décembre 2011).

Il y a prévention lorsque le magistrat donne l'apparence que l'issue du litige est d'ores et déjà scellée, sans possibilité de revoir sa position et de reprendre la cause en faisant abstraction de l'opinion précédemment exprimée (arrêt du Tribunal fédéral 1C_425/2017 du 24 octobre 2017 consid. 3.4). Un seul comportement litigieux peut suffire à démontrer une apparence de prévention, ce qu'il faut apprécier en fonction des circonstances (cf. l'arrêt 1C_425/2017 précité, consid. 3.3).

Le simple fait qu'un magistrat doit traiter le cas d'un ancien employeur ne constitue pas un motif de récusation, à moins que l'ancien employeur continue à exercer sur l'intéressé un ascendant exceptionnel (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand du Code de procédure pénale, Bâle 2019, n. 31 ad art. 56). Cela étant, sous l'angle de l'apparence, il convient d'apprécier la durée des relations professionnelles avec une partie et l'écoulement du temps entre la fin de ces dernières et la reprise d'un dossier. Le cas d'un procureur ayant repris un dossier seize mois après la fin d'une relation professionnelle de près de cinq ans en qualité de stagiaire, de collaborateur puis d'associé d'une étude d'avocat représentant l'une des parties est de nature à susciter, sous l'angle de l'apparence, un doute légitime de la part de l'autre partie au procès pénal (arrêt du Tribunal fédéral 1B_20/2014 et 1B_22/2014 du 24 janvier 2014 consid. 3). Par ailleurs, le fait pour un juge pénal d'avoir été le mandataire d'une des parties seize ans auparavant peut – dans la perspective d'une procédure pénale où la crédibilité des déclarations des protagonistes apparaît comme un élément essentiel – constituer une apparence susceptible de susciter des doutes légitimes quant à son impartialité (arrêt du Tribunal fédéral 1B_199/2012 du 13 juillet 2012 consid. 5.2). En revanche, la récusation d'un juge présidant une chambre du Tribunal des baux et loyers n'est pas justifiée par le seul motif qu'il a travaillé, quelque quinze ans auparavant, comme avocat d'une association de défense des locataires pour laquelle il avait cessé toute activité et n'avait pu connaître de la cause (ATF 138 I 1 consid. 2.3). De même, le fait pour un procureur d'avoir travaillé deux ans et dix mois dans l'étude du mandataire du prévenu n'est pas suffisant, en l'absence d'éléments concrets, pour retenir l'existence d'un rapport d'amitié justifiant la récusation (arrêt du Tribunal fédéral 1B_315/2020 du 23 septembre 2020 consid. 5.3.2).

3.2. En l'espèce, le cité a lui-même indiqué, avant d'entreprendre un quelconque acte, avoir été stagiaire entre 2002 et 2004 dans l'étude dont l'un des collaborateurs assure la défense du prévenu dans la procédure. Au vu de la jurisprudence sus-rappelée, cette seule circonstance ne suffirait a priori pas à fonder un motif de récusation tel qu'appréhendé par l'art. 56 let. f CPP. En revanche, il apparait que le magistrat en question a confié la défense de ses intérêts à l'un des associés de cette étude en 2016-2017, dans le cadre d'une procédure administrative. C'est un élément de nature à créer, sous l'angle de l'apparence, un doute raisonnable et fondé chez la partie plaignante. La façon dont l'instruction sera conduite importe d'autant plus que dans la procédure au fond, la crédibilité des déclarations des protagonistes apparaît comme un élément essentiel, s'agissant d'une plainte pour une agression sexuelle qui se serait déroulée "entre quatre yeux".

Dans ces conditions, la requête de récusation sera admise.

À titre superfétatoire, il est curieux que le procureur en question ait d'emblée laissé entendre qu'il se déporterait dans le cas où toutes les parties ne donneraient pas leur "feu vert" pour qu'il instruise la cause puis se soit ravisé dans l'intervalle.

4. Vu l'issue de la cause, les frais de la procédure seront laissés à la charge de l'État (art. 13 al. 1 let. b a contrario RTFMP [E 4 10.03]).

5. 5.1. Le requérant qui a gain de cause dans une procédure de récusation peut prétendre à une indemnité pour ses frais d'avocat par application analogique des art. 429 ss CPP (arrêt du Tribunal fédéral 1B_370/2018 du 10 décembre 2018 consid. 3.1).

Selon l'art. 433 al. 2 CPP, la partie plaignante adresse à l'autorité pénale ses prétentions, qu'elle doit chiffrer et justifier.

5.2. En l'espèce, la requérante, partie plaignante, n'a ni sollicité ni a fortiori justifié des dépens, de sorte qu'il ne lui en sera partant point alloués.

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet la demande de récusation.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la requérante, soit pour elle son conseil, et au cité.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Valérie LAUBER, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).