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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/9515/2018

ACPR/916/2024 du 06.12.2024 sur OCL/1166/2024 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : ORDONNANCE DE CLASSEMENT;DOMMAGES À LA PROPRIÉTÉ(DROIT PÉNAL);NÉGLIGENCE;VIOLATION DE DOMICILE;ÉTAT DE NÉCESSITÉ
Normes : CPP.319.al1.letb; CP.144.al1; CP.12; CP.186; CP.17

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/9515/2018 ACPR/916/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du vendredi 6 décembre 2024

 

Entre

A______, représentée par Me Ndaté DIENG, avocate, DIENG & STUDER LAW, avenue Henri-Dunant 2, 1205 Genève,

recourante,

contre l'ordonnance de classement et de refus de réquisition de preuves rendue le 16 août 2024 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 2 septembre 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 16 août 2024, notifiée le 21 août suivant, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur sa plainte contre B______ et C______.

La recourante conclut, sous suite de frais et dépens, principalement, à l'annulation de l'ordonnance querellée, en tant qu'elle ordonne le classement de sa plainte pour dommage à la propriété et violation de domicile, et au renvoi de la cause au Ministère public pour "rendre un acte d'accusation ou une ordonnance pénale" ; subsidiairement, au renvoi de la cause au Ministère public pour "nouvelle décision dans le sens des considérants".

b. La recourante a versé les sûretés en CHF 1'200.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.             Dans la nuit du 10 au 11 mai 2018, une altercation a eu lieu entre A______, domiciliée à D______ [GE], et ses voisins de palier, B______ et C______.

b.             Ces deniers ont déposé plainte en mai 2018 contre A______, notamment pour lésions corporelles, dommages à la propriété et menaces.

c.              Le 9 août 2018, A______ a déposé plainte contre B______ et C______, notamment pour dommages à la propriété et violation de domicile. Elle a également déposé plainte contre l'épouse de C______, E______, pour d'autres infractions.

Le 10 mai 2018, vers 23h00, elle avait mis de la musique dans son appartement et était allée prendre une douche. Après quelques minutes, elle avait entendu un bruit assourdissant et s'était précipitée hors de la douche, nue. Elle s'était alors retrouvée face à B______ et C______, qui se trouvaient dans le hall de son appartement ; elle avait compris qu'ils avaient forcé sa porte d'entrée. Ces voisins s'étaient montrés agressifs et l'avaient insultée. Effrayée, elle s'était dirigée dans sa cuisine et avait saisi tous les couverts qui se trouvaient sur l'égouttoir, avant de les pointer dans leur direction pour se défendre. Elle leur avait ordonné de sortir immédiatement de son appartement, ce qu'ils avaient fait. Ils étaient toutefois restés devant sa portée d'entrée, l'avait insultée et menacée de mort. E______ était sortie de son propre appartement et l'avait insultée à son tour. En état de panique, elle avait notamment appelé son beau-frère, F______, et la police, laquelle était arrivée sur les lieux et avait pris leurs témoignages. Une fois la police partie, elle avait constaté que le verrou de sa porte d'entrée était endommagé et que celle-ci ne se fermait plus. Elle avait ensuite attendu l'arrivée de son beau-frère.

Elle restait traumatisée par ces événements encore à ce jour.

d. a. B______ a expliqué que le jour en question, A______ avait écouté de la musique "à fond" dès 22 heures. Très énervé et fatigué, il avait toqué à la porte de sa voisine pour lui demander poliment de baisser le volume, mais n'avait pas obtenu de réponse. Il avait donc frappé plus fort en lui demandant d'ouvrir pour qu'ils puissent discuter, toujours en vain. Il était retourné chez lui afin d'y chercher un objet qui lui permettrait de faire plus de bruit en frappant contre sa porte. Il avait donc pris un tournevis et frappé, par mégarde, avec la pointe plutôt qu'avec le manche, et avait transpercé la porte, très fragile, de sa voisine, qui s'était mise à hurler et à l'insulter. Il n'avait pas remarqué que C______ se trouvait déjà derrière lui à ce moment-là. Il s'était énervé face aux provocations de sa voisine, avait donné un fort coup de poing dans la porte et fait céder celle-ci, ce qui l'avait surpris. Il avait alors vu A______ se tenant face à lui avec un couteau dans le dos. Il avait tenté de régler la situation par le dialogue, mais elle avait brandi son couteau de cuisine et s'était approché de lui. Il avait alors passé le seuil de sa porte pour lui saisir la main qui tenait le couteau pointé vers lui. C______ avait aussi mis le pied à l'intérieur de l'appartement et avait attrapé le drap que portait A______, laquelle s'était retrouvée complètement nue. Elle était partie chercher un nouveau drap et avait pris au passage un bac à ustensiles de cuisine qu'elle avait posé vers la porte. Elle leur avait lancé des couteaux, atteignant et blessant C______ à la poitrine. Elle avait également insulté et craché sur ce dernier, avant de s'enfermer chez elle. C______ et lui étaient restés devant sa porte en attendant l'arrivée de la police.

Il a produit, à l'appui de ses déclarations, des images vidéos des événements.

d. b. C______ a expliqué que dans la nuit du 10 au 11 mai 2018, vers 23h30, il avait entendu quelqu'un frapper quelque chose dans le couloir. Il s'était dit que c'était A______ qui "devait faire des siennes" car elle avait mis de la musique "à fond" toute la soirée. Il était sorti dans le couloir et avait vu B______ frapper contre la porte de cette dernière pour lui dire de baisser le volume. Celle-ci n'avait pas baissé la musique, mais avait ri en disant qu'elle n'ouvrait pas sa porte à des inconnus. B______, qui avait dit à plusieurs reprises qu'elle devait ouvrir la porte "sinon il allait l'ouvrir lui-même", était retourné chez lui pour prendre un objet pour faire plus de bruit contre la porte de leur voisine et était revenu avec un tournevis. Malheureusement, il s'était trompé de côté sous le coup de l'énervement et le tournevis s'était retrouvé planté dans la porte. Comme A______ ne baissait toujours pas le volume, très élevé, de la musique, B______ avait encore donné un "simple coup de poing dans la porte" qui avait, "à leur plus grand étonnement", cédé. A______ était arrivée en criant sur B______ et lui-même, avant de partir à la cuisine et revenir avec un grand couteau pointu. Elle avait appelé quelqu'un avec son téléphone portable, tout en se montrant menaçante avec son couteau. Elle les avait insultés et leur avait craché dessus. Ils avaient réussi à récupérer ce couteau et repoussé leur voisine à l'intérieur de son appartement en lui tenant les bras. Elle avait alors essayé à plusieurs reprises de lui planter le couteau dans le bras. Le drap qu'elle portait autour d'elle était tombé dans la lutte. Elle était revenue après quelques secondes vers la porte avec un tiroir rempli de services de cuisine qu'elle leur avait progressivement jetés dessus, le blessant à la poitrine avec un couteau. Ils avaient retenu sa porte pour l'empêcher de sortir jusqu'à l'arrivée de la police.

d. c. Entendue en qualité de prévenue [par suite des plaintes de ses voisins], A______ a expliqué que le soir en question, elle avait mis de la musique "en adéquation avec le matériel de qualité dont elle disposait et de son état d'ébriété". Elle avait entendu sa porte craquer alors qu'elle se trouvait sous la douche. Elle en était immédiatement sortie et avait constaté qu'il y avait un trou à travers la porte, avant de voir que le cadre de celle-ci était abîmé. Elle avait aperçu ses voisins à travers le trou qui se trouvait dans la porte et réalisé qu'ils essayaient de pénétrer chez elle. Elle était "devenue tarée et très agressive car elle avait eu peur" et s'était immédiatement saisie de couteaux et de fourchettes qui se trouvaient à proximité. Elle n'était pas sortie de chez elle et avait uniquement lancé ces objets pour se défendre et éviter que ses voisins n'entrent chez elle. C______ "avait ensuite essayé de véritablement pénétrer chez elle" mais elle l'avait "planté" avec un couteau de cuisine, peut-être dans le pied, "pour l'empêcher de rentrer". En attendant l'arrivée de la police, elle n'avait pas arrêté de les insulter et de vociférer. Elle pensait que cela leur avait fait peur et "les avait tenus à distance". Elle admettait avoir fait beaucoup trop de bruit, mais cela ne justifiait pas que B______ "défonce" sa porte. Son beau-frère F______ était arrivé chez elle après le départ de la police.

e.              Selon le rapport de police du 20 mai 2018, les images vidéos fournies par B______ ont permis de constater que, le soir des faits, à un certain moment, A______ se tenait nue sur le seuil de son appartement, lançait des couteaux sur ses voisins, les menaçait et les injuriait.

f.               À nouveau auditionné par la police, le 29 juin 2018, B______ a confirmé être entré dans l'appartement de A______ le 10 mai 2018 pour saisir le couteau que celle-ci tenait dans sa main, dès lors qu'elle avait refusé de le poser et avait tenté de les poignarder, lui et C______. Il n'avait fait qu'un pas. C'était de la légitime défense.

g.             Entendus par le Ministère public le 27 février 2019, les prévenus ont confirmé leurs précédentes déclarations. B______ a précisé que A______ s'était approchée de lui au moment où il lui avait demandé de lâcher son couteau ; il avait alors mis le pied contre la porte, mais n'était pas entré chez elle.

A______ a quant à elle confirmé le déroulement des faits tel que décrit dans sa plainte du 9 août 2018. Si B______ avait mis le pied contre sa porte, c'était pour rester dans son domicile. Elle avait tenté de le repousser, mais il avait voulu l'empêcher de refermer la porte.

h.             Par avis de prochaine clôture de l'instruction du 16 novembre 2021, le Ministère public a informé les parties qu'une ordonnance de classement allait prochainement être rendue en faveur de B______, C______ et E______. Un délai leur était imparti pour faire valoir leurs éventuelles réquisitions de preuve et demandes d'indemnisation.

A______ a sollicité l'audition de F______, "témoin des faits qui n'était pas partie à la procédure et qui n'avait malheureusement jamais été interrogé à la suite des événements".

C. Dans son ordonnance querellée, le Ministère public a constaté que F______ n'avait pas été directement témoin des faits reprochés aux prévenus dans la mesure où il n'était arrivé qu'après le départ de la police, de sorte que son audition ne permettait pas de contribuer à leur établissement.

L'élément subjectif de l'infraction de dommages à la propriété n'était pas réalisé. Il ressortait en effet des déclarations de B______, corroborées par celles de C______, qu'il avait endommagé la porte "par mégarde", s'était trompé en utilisant la pointe du tournevis plutôt que le manche et avait été surpris lorsque la porte s'était ouverte suite à son coup de poing. Il était par ailleurs établi que C______ n'était pas l'auteur des dommages causés involontairement à la porte de A______.

Il ressortait aussi des déclarations concordantes de B______ et de C______ qu'ils avaient passé le pas de la porte dans le seul but de désarmer A______, qui les menaçait avec un couteau de cuisine et tentait de les blesser. Ils s'étaient en outre immédiatement exécutés lorsque leur voisine leur avait demandé de sortir de son appartement. B______ et C______ avaient ainsi agi en état de nécessité licite et n'étaient donc pas punissables.

Il a donc rejeté la réquisition de preuve sollicitée par A______ et ordonné le classement de la procédure pour le surplus.

D. a. Dans son recours, A______ reproche au Ministère public d'avoir écarté sa plainte pour dommages à la propriété et violation de domicile à l'encontre de B______ et C______.

B______ avait intentionnellement causé un dommage à la porte de son appartement, à tout le moins par dol éventuel. Il ne pouvait en effet pas ignorer qu'il risquait de l'endommager en frappant à plusieurs reprises avec force, en utilisant ensuite un outil tranchant pour frapper plus fort, et en donnant finalement un coup de poing violent sur une porte déjà fragilisée par les coups précédents. Il ressortait des déclarations de C______ que B______ l'avait menacée à plusieurs reprises d'ouvrir lui-même la porte de son appartement pour la contraindre à baisser le son de sa musique. Vu ses agissements, il apparaissait bien qu'il avait mis ses menaces à exécution. Elle ne s'était pas tenue derrière la porte pour l'insulter et le provoquer, puisque c'était justement son manque de réaction qui, comme relevé par C______, l'avait convaincu de donner un fort coup de poing sur sa porte.

Le Ministère public ne pouvait pas retenir que B______ et C______ avaient agi par état de nécessité, dans la mesure où ils venaient tout juste de fracturer sa porte d'entrée à coups de poing et de tournevis, en pleine nuit. Ils avaient admis avoir passé le seuil de son domicile et justifiaient ce comportement par la "soi-disant menace" qu'elle représentait, alors qu'elle venait d'être victime d'une grave intrusion chez elle. La violation de domicile était réalisée et le fait que ses voisins avaient finalement accepté de sortir de son appartement à sa demande n'y changeait rien. La condition de subsidiarité n'était au surplus pas réalisée puisque B______ et C______ avaient délibérément décidé de s'introduire chez elle en pleine nuit au lieu d'appeler la police, ce qu'ils auraient pourtant été en mesure de faire.

À l'appui de son recours, elle produit plusieurs documents, dont un certificat médical daté du 9 décembre 2020 attestant qu'elle souffrait d'un syndrome de stress post-traumatique en lien avec son agression de mai 2018. Elle a précisé que ses symptômes persistaient à ce jour.

b. À réception des sûretés, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.


 

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement irrecevables ou mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

3.             La recourante limite son recours aux infractions de dommages à la propriété et de violation de domicile reprochées à B______ et C______. Le classement des autres infractions évoquées dans l'ordonnance querellée et mettant notamment en cause E______ n'apparaissant plus litigieux, celles-ci ne seront pas examinées plus avant dans le présent arrêt (art. 385 al. 1 let. a CPP).

4.             Aux termes de l'art. 319 al. 1 let. b CPP, le ministère public ordonne le classement de tout ou partie de la procédure lorsque les éléments constitutifs d'une infraction ne sont pas réunis.

La décision de classer la procédure doit être prise en application du principe "in dubio pro duriore". Ce principe vaut également pour l'autorité judiciaire chargée de l'examen d'une décision de classement. Il signifie qu'en règle générale, un classement ou une non-entrée en matière ne peut être prononcé par le ministère public que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions à la poursuite pénale ne sont pas remplies. La procédure doit se poursuivre lorsqu'une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou lorsque les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'une infraction grave. En effet, en cas de doute s'agissant de la situation factuelle ou juridique, ce n'est pas à l'autorité d'instruction ou d'accusation mais au juge matériellement compétent qu'il appartient de se prononcer (ATF 146 IV 68 consid. 2.1 ; 143 IV 241 consid. 2.2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 7B_630/2023 du 20 août 2024 consid. 3.2.1).

5.             La recourante reproche au Ministère public d'avoir considéré que B______ ne s'était pas rendu coupable de dommages à la propriété.

5.1.       L'art. 144 al. 1 CP punit quiconque, sans droit, endommage, détruit ou met hors d'usage une chose appartenant à autrui ou frappé d'un droit d'usage ou d'usufruit au bénéfice d'autrui.

Le dommage à la propriété est une infraction intentionnelle, en ce sens que l'auteur doit avoir conscience, au moins sous la forme du dol éventuel, de porter atteinte à une chose appartenant à autrui, une erreur sur les faits étant cependant concevable (ATF 116 IV 143 consid. 2.b ; 115 IV 26 consid. 3a). Les dommages causés par négligence ne sont pas punissables.

5.2.       Selon l'art. 12 al. 2 CP, agit intentionnellement quiconque commet un crime ou un délit avec conscience et volonté ; l'auteur agit déjà avec intention, sous la forme du dol éventuel, lorsqu'il tient pour possible la réalisation de l'infraction et l'accepte pour le cas où celle-ci se produirait. Il y a dol éventuel lorsque l'auteur, qui ne veut pas le résultat dommageable pour lui-même, envisage le résultat de son acte comme possible et l'accepte au cas où il se produirait mais également lorsque le résultat dommageable s'impose à l'auteur de manière si vraisemblable que son comportement ne peut raisonnablement être interprété que comme l'acceptation de ce résultat (ATF 137 IV 1 consid. 4.2.3 ; 133 IV 9 consid. 4.1 ; 131 IV 1 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_718/2017 du 17 janvier 2018 consid. 2.1). Le dol éventuel est une forme d'intention, qui se distingue de la négligence consciente sur le plan volitif, non pas cognitif. En d'autres termes, la différence entre le dol éventuel et la négligence consciente réside dans la volonté de l'auteur et non dans la conscience. Dans les deux cas, l'auteur est conscient que le résultat illicite pourrait se produire, mais, alors que celui qui agit par négligence consciente escompte qu'il ne se produira pas, celui qui agit par dol éventuel l'accepte pour le cas où il se produirait (ATF 133 IV 9 consid. 4.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1189/2014 du 23 décembre 2015 consid. 5.2). Savoir si l'auteur s'accommode de la concrétisation du risque dépend des circonstances. Doivent être pris en compte le degré de probabilité de la réalisation du risque, la gravité de la violation du devoir de diligence, les mobiles de l'auteur, ainsi que sa façon d'agir. Plus le risque que le danger se réalise est grand, plus la violation du devoir de diligence est grave, plus il se justifiera de retenir que l'auteur s'est accommodé de la survenance du résultat. Il n'est cependant pas nécessaire que le risque de voir le danger se concrétiser soit particulièrement élevé pour admettre le dol éventuel. La simple conscience du résultat potentiel n'est toutefois pas suffisante (ATF 133 IV 9 consid. 4.1 et 4.4).

5.3.       En l'espèce, bien qu'il soit admis que B______ a endommagé la porte d'entrée de la recourante, rien au dossier ne permet d'affirmer qu'il l'aurait fait intentionnellement, y compris sous la forme du dol éventuel.

En effet, les déclarations concordantes de C______ et de B______ révèlent que ce dernier, par frustration, a frappé contre la porte à coups de poing et de tournevis dans le seul but d'attirer l'attention de la recourante, sans intention délibérée de l'endommager. Rien ne permet en particulier de supposer qu'il aurait sciemment utilisé la pointe du tournevis plutôt que le manche afin de percer la porte, ni qu'il aurait volontairement donné un ultime coup de poing avec l'intention de la faire céder. La surprise exprimée tant par B______ que par C______ à cet égard laisse entrevoir qu'ils ne s'attendaient pas à un tel résultat, croyant plutôt que les coups de B______ resteraient sans conséquence dommageable. Le fait d'avoir indiqué à la recourante qu'il ouvrirait la porte lui-même si celle-ci refusait de le faire, ne suffit pas à retenir que le mis en cause envisageait sérieusement le dommage comme une éventualité qu'il était prêt à accepter.

On ne voit au surplus pas quel acte d'instruction pourrait infirmer cette analyse. Partant, l'acquittement du prévenu apparaît bien plus probable que sa condamnation.

Le recours doit donc être rejeté sur ce point.

6.             La recourante reproche également au Ministère public d'avoir écarté l'infraction de violation de domicile à l'égard de B______ et C______.

6.1.       Selon l'art. 186 CP, se rend coupable de violation de domicile quiconque, d'une manière illicite et contre la volonté de l'ayant droit notamment, pénètre dans une habitation.

6.2.       Selon l'art. 17 CP, quiconque commet un acte punissable pour préserver d'un danger imminent et impossible à détourner autrement un bien juridique lui appartenant ou appartenant à un tiers agit de manière licite s'il sauvegarde ainsi des intérêts prépondérants.

Cette disposition suppose que l'auteur ait commis un acte punissable pour préserver un bien juridique lui appartenant ou appartenant à un tiers d'un danger imminent et impossible à détourner autrement. Le danger est imminent lorsqu'il n'est ni passé ni futur, mais actuel et concret (ATF 129 IV 6 consid. 3.2 ; 122 IV 1 consid. 3a). Le danger est actuel lorsque l'on n'est pas encore véritablement confronté à une atteinte immédiate mais qu'il ne serait plus possible de se défendre plus tard ou seulement en prenant des risques beaucoup plus importants (ATF 122 IV 1 consid. 3b). L'impossibilité que le danger puisse être détourné autrement implique une subsidiarité absolue (ATF 146 IV 297 consid. 2.2.1). La question de savoir si cette condition est réalisée doit être examinée en fonction des circonstances concrètes du cas (ATF 147 IV 297 consid. 2.1 ; 122 IV 1 consid. 4 ; 101 IV 4 consid. 1 ; 94 IV 68 consid. 2).

6.3.       En l'espèce, la recourante soutient que la violation de domicile des mis en cause ne peut pas rester impunie sous prétexte qu'ils auraient agi par état de nécessité, alors qu'ils venaient de pénétrer sans droit chez elle au milieu de la nuit et qu'elle avait brandi un couteau dans la seule optique de se défendre face à leur intrusion.

Les déclarations de la recourante sur le moment précis auquel les mis en cause auraient effectivement pénétré dans son appartement ont largement fluctué au cours de la procédure. Elle a en effet d'abord affirmé qu'en sortant de la douche, elle avait aperçu ses voisins à travers sa porte perforée et que ceux-ci "tentaient de rentrer chez elle", tentatives qu'elle avait déjouées grâce à ses mécanismes de défense mis en place (agressivité, lancé de couteaux et de fourchettes, assénement d'un coup de couteau, insultes, vociférations). Elle a ensuite indiqué, de manière contradictoire, qu'à sa sortie de la douche, elle s'était retrouvée face à ses voisins qui avaient pénétré de force dans son hall d'entrée, de sorte qu'elle avait saisi et pointé des couverts dans leur direction avant qu'ils n'acceptent de sortir de son appartement, à sa demande. Les mis en cause ont quant à eux exposé, de manière constante et concordante, qu'ils avaient franchi le seuil de la porte uniquement après que la recourante fut munie d'un couteau pour les menacer. Dans cette hypothèse, les mis en cause n'auraient pas délibérément pénétré dans l'appartement pour nuire à la recourante, comme celle-ci le prétend, mais agi en réaction directe et proportionnée au comportement hostile que celle-ci présentait.

Ce comportement des mis en cause serait pleinement justifié par l'état de nécessité. Le fait que la recourante présenterait à cet égard une symptomatologie persistante de stress post-traumatique – le certificat médical produit datant d'il y a presque 4 ans – n'y change rien.

Dans la mesure où les déclarations de la recourante d'une part, et celles, concordantes, des prévenus d'autre part, divergent sans qu'aucun acte d'instruction ne soit propre à les départager, un renvoi en jugement des mis en cause apparaît vain, leur acquittement semblant bien plus probable que leur condamnation. L'audition de F______, qui n'a pas assisté aux faits, n'apparaissait notamment pas utile pour cette raison.

Partant, l'ordonnance querellée est fondée sur ce point également et le recours sera rejeté.

7.             La recourante, qui succombe, supportera les frais envers l'État, qui seront fixés en totalité à CHF 1'200.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'200.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.

 

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON et Monsieur Vincent DELALOYE, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/9515/2018

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'115.00

Total

CHF

1'200.00