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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/6140/2024

ACPR/915/2024 du 05.12.2024 sur ONMMP/1047/2024 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE;DIFFAMATION;CALOMNIE;FARDEAU DE LA PREUVE;PROCÉDURE CIVILE
Normes : CPP.310; CP.173; CP.147

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/6140/2024 ACPR/915/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 5 décembre 2024

 

Entre

A______,

B______ SA et

C______ SA, tous représentés par Me Gaspard COUCHEPIN, avocat, rue du Grand-Chêne 1-3, case postale 6868, 1002 Lausanne,

recourants,

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 6 mars 2024 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par un acte expédié le 18 mars 2024, A______, C______ SA et B______ SA recourent contre l'ordonnance du 6 précédent, notifiée le lendemain, par laquelle le Ministère public a décidé de ne pas entrer en matière sur leur plainte.

Les recourants concluent, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de cette ordonnance et à l'ouverture d'une instruction contre D______.

b. Les recourants ont versé les sûretés en CHF 1'200.- qui leur étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. A______ est administrateur président, avec signature individuelle, de C______ SA et B______ SA.

Ces sociétés sont opposées à D______ dans le cadre d'un litige prud'homal. Ce dernier a déposé contre elles une requête en conciliation, le 26 juin 2023, et une demande en paiement, le 15 décembre 2023. À teneur de ces deux actes, il allègue notamment avoir subi un licenciement abusif, car il "avait trop souvent essayé de revendiquer ses droits, que ce soit concernant une réelle annotation de ses heures supplémentaires, ou un salaire en adéquation avec son poste et son cahier des charges".

b. Le 5 mars 2024, A______, C______ SA et B______ SA ont porté plainte contre D______ pour calomnie, voire diffamation.

Les deux écritures judiciaires susmentionnées comportaient les passages suivants:

·         Requête en conciliation

- "Les employés vivent constamment sous la menace d'être licenciés";

- "L'ambiance générale serait désastreuse tant les directeurs [i.e. entre autres: A______] souhaitent faire naître la crainte auprès des collaborateurs";

- "Cette ambiance a été particulièrement pesante pour l'Employé [i.e.: D______] à qui l'on a fait comprendre qu'il devait faire ce qu'on lui demandait, quand bien même cela allait contre ses propres droits";

·         Demande en paiement

- "[S]on employeur a toujours refusé que Monsieur D______ note ses heures réelles dans les enregistrements du temps de travail et obligeait celui-ci à signer les saisies CCNT [i.e.: Convention collective de travail pour l'hôtellerie-restauration] qui ne correspondaient pas à la réalité";

- "En effet, la responsable des ressources humaines, […], préparait les feuilles d'heure au crayon gris avec les horaires conformes aux saisies CCNT et non pas les heures réellement effectuées par le Demandeur. Ensuite, Monsieur D______ devait recopier ce qui avait été noté par les ressources humaines, pour que cela coïncide avec les saisies CCNT fictives";

- "Ce processus était appliqué également pour les collègues du Demandeur";

- "Cette personne complétait alors la saisie du temps de travail CCNT sans pour autant indiquer les heures réellement effectuées par les employés, puis déchirait les relevés d'heures. Monsieur D______ a donc pu conserver uniquement les relevés de mars 2019 à mars 2020. Tous ses autres relevés sembleraient avoir été détruits par les Défenderesses [i.e.: C______ SA et B______ SA]";

- "Il était alors demandé au Demandeur, à l'instar du reste du personnel, de signer lesdites fiches malgré leur inexactitude, sous la menace d'un licenciement";

- "Les employés signaient ces feuilles, puisqu'en cas de refus, ils s'exposaient à un licenciement immédiat, tel que prévu dans l'avenant au contrat signé par Monsieur D______ à son embauche";

- "Ainsi, les employés vivaient constamment sous la menace d'être licenciés et ont été confrontés à des violations systématiques de leurs contrats de travail, sans pour autant avoir le courage de les contester";

- "L'ambiance générale était désastreuse tant les directeurs souhaitent faire naître la crainte auprès des collaborateurs";

- "Cette ambiance a été particulièrement pesante pour le Demandeur à qui l'on avait fait comprendre qu'il devait faire ce qu'on lui demandait, quand bien même cela allait contre ses propres droits".

Ces passages, soumis sous forme d'allégués et accompagnés d'offres de preuves, étaient contestés, mensongers et, par eux, D______ les accusait de tenir des comportements contraires à l'honneur.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public retient que des propos attentatoires à l'honneur ne sont pas punissables lorsqu'ils sont adressés à des personnes astreintes au secret professionnel. Or, les passages mis en exergue par A______, C______ SA et B______ SA dans leur plainte avaient été portés à la connaissance de leur conseil, soumis au secret professionnel, ainsi qu'à l'autorité de conciliation puis "le Tribunal de première instance" [recte: au Tribunal des prud'hommes], soit des juridictions soumises au secret de fonction.

D. a. Dans leur recours, A______, C______ SA et B______ SA soutiennent qu'à teneur de la jurisprudence récente, un avocat pouvait être un tiers susceptible de recevoir des propos attentatoires à l'honneur, tout comme un magistrat. Les témoins cités allaient également avoir connaissance de tels propos. En outre, "l'art. 14 CP, appliqué dans le cadre des affaires de calomnie ou diffamation, n'aurait plus de portée puisque l'infraction ne serait jamais réalisée en présence des avocats et magistrats". Enfin, D______, portant des accusations graves à leur encontre, avait agi intentionnellement.

b. À réception des sûretés, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner des plaignants qui, parties à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), ont qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             Les recourants reprochent au Ministère public de n'être pas entré en matière sur leur plainte.

2.1. Selon l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis.

2.2. Aux termes de l'art. 173 ch. 1 CP, se rend coupable de diffamation quiconque, en s'adressant à un tiers, accuse une personne ou jette sur elle le soupçon de tenir une conduite contraire à l'honneur, ou de tout autre fait propre à porter atteinte à sa considération, quiconque propage une telle accusation ou un tel soupçon.

2.3. La calomnie (art. 174 CP) est une forme qualifiée de diffamation, dont elle se distingue par le fait que les allégations attentatoires à l'honneur sont fausses, que l'auteur a connaissance de la fausseté de ses allégations et qu'il n'y a, dès lors, pas de place pour les preuves libératoires prévues par l'art. 173 CP (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1286/2016 du 15 août 2017 consid. 1.2).

2.4. Ces dispositions protègent la réputation d'être un individu honorable, c'est-à-dire de se comporter comme une personne digne a coutume de le faire selon les conceptions généralement reçues. Il faut donc que l'atteinte fasse apparaître la personne visée comme méprisable. L'honneur protégé par le droit pénal est conçu de façon générale comme un droit au respect, qui est lésé par toute assertion propre à exposer la personne visée au mépris en sa qualité d'être humain (ATF 148 IV 409 consid. 2.3; 145 IV 462 consid. 4.2; 137 IV 313 consid. 2.1.1; 132 IV 112 consid. 2.1).

2.5. Des déclarations objectivement attentatoires à l'honneur peuvent être justifiées par le devoir d'alléguer des faits dans le cadre d'une procédure judiciaire. Tant la partie que son avocat peuvent se prévaloir de l'art. 14 CP à condition de s'être exprimé de bonne foi, de s'être limité à ce qui est nécessaire et pertinent et d'avoir présenté comme telles de simples suppositions (ATF 131 IV 154 consid. 1.3.1; 123 IV 97 consid. 2c/aa; 118 IV 248 consid. 2c et d; 116 IV 211 consid. 4a; arrêt du Tribunal fédéral 6B_632/2022 du 6 mars 2023 consid. 2.5.1).  

Ce fait justificatif doit en principe être examiné avant la question des preuves libératoires prévues par l'art. 173 ch. 2 CP (ATF 135 IV 177 consid. 4; arrêt du Tribunal fédéral 6B_541/2019 du 15 juillet 2019 consid. 2.2).

2.6. En l'espèce, à titre liminaire, la plainte du 5 mars 2024 est tardive en tant qu'elle porte sur les propos contenus dans la requête en conciliation du 26 juin 2023, le délai de trois mois étant largement échu (art. 31 CP).

Ce point n'emporte toutefois pas de réelle conséquence. La demande en paiement, datée du 15 décembre 2023 et pour laquelle la plainte n'est donc pas tardive, reprend les mêmes allégués à l'identique.

2.7. Les propos litigieux sont contenus dans une demande en paiement, adressée au Tribunal des prud'hommes. Ils constituent des allégués, accompagnés d'offres de preuve, par lesquels le mis en cause cherche notamment à prouver le caractère abusif de son licenciement, supposément consécutif à ses revendications.

Sans même examiner s'ils sont attentatoires à l'honneur, les propos en cause sont, de toute manière, justifiés sur la base de l'art. 14 CP.

Par ses allégués, le mis en cause expose certes les recourants à la lumière d'âpres critiques, les accusant notamment de pressions envers leurs employés ou même de comportements qui pourraient s'avérer contraires au droit du travail, voire au droit pénal. Cela étant, sa démarche devant les juridictions prud'homales implique de prouver le bien fondé des revendications qu'il prétend être à l'origine de son licenciement. On ne saurait dès lors lui reprocher, en l'occurrence, de souligner les défaillances qu'il reproche à ses anciens employeurs, d'autant qu'il propose des offres de preuve à l'appui de ses allégués.

Par ailleurs, les propos litigieux, bien que catégoriques et réprobateurs, restent confinés au sujet et aux éléments utiles à l'action judiciaire, aussi déplaisant que cela puisse être pour les recourants. Leur nature affirmative, et non sous la forme de suppositions, se légitime par les preuves offertes, lesquelles permettent de considérer que le mis en cause tient pour établis les faits en question. Incriminer de tels allégués, énoncés dans le respect des conditions de forme, limiterait à l'excès les écritures judiciaires, surtout en matière civile, majoritairement gouvernées par le fardeau de l'allégation. Enfin, point n'est évidemment besoin d'examiner une éventuelle infraction future en lien avec les témoins cités.

Compte tenu de ce qui précède, les passages litigieux ne sauraient être poursuivis sur la base de l'art. 173 CP ni, a fortiori, l'art. 174 CP. C'est donc à bon droit que le Ministère public n'est pas entré en matière sur la plainte déposée par les recourantes.

3.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée. Le recours, qui s'avère mal fondé, pouvait être traité d'emblée sans échange d'écritures, ni débats (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP).

4.             Les recourants, qui succombent, supporteront les frais envers l'État, fixés en intégralité à CHF 1'200.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______, C______ SA et B______ SA aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'200.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt, en copie, aux recourants, soit pour eux leur conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière.

 

La greffière :

Olivia SOBRINO

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/6140/2024

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'115.00

- demande sur récusation (let. b)

CHF

Total

CHF

1'200.00