Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/897/2024 du 04.12.2024 ( MP ) , REJETE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/15735/2024 ACPR/897/2024 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du mercredi 4 décembre 2024 |
Entre
A______, représenté par Me B______, avocat,
recourant,
contre la décision rendue le 10 juillet 2024 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. Par acte expédié sous messagerie sécurisée le 24 juillet 2024, A______ recourt contre la décision du 10 précédent, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a refusé de retrancher du dossier les pièces désignées par ses soins.
Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, préalablement, à la production par le Ministère public de l'intégralité du dossier et à ce qu'il soit ordonné des mesures de protection en sa faveur, en restreignant l'accès à C______ aux pièces qu'il énumère; principalement, à l'annulation de la décision déférée et au retranchement du dossier de la procédure du rapport de police du 20 juin 2024, "ainsi que tout autres informations concernant la procédure pénale P/1______/2021" (sic), incluant son procès-verbal d'audition du 19 juin 2024, le jugement du Tribunal administratif de première instance du 21 juin 2024 (ci-après: TAPI) et l'ordonnance de classement du 20 octobre 2021.
Il sollicite également l'octroi de l'assistance juridique.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. Le 19 juin 2024, C______ a déposé plainte contre A______ pour des violences physiques et verbales, dans le cadre conjugal.
b. Le même jour, A______, assisté de son conseil, a été entendu par la police sur les faits reprochés.
L'une des questions posées avait la teneur suivante: "Nous avons constaté dans nos bases de données que vous avez déjà été l'auteur de violences conjugales en 2021. Qu'avez-vous à dire à ce sujet ?". Ce à quoi il a répondu qu'il avait été auditionné pour des faits de violences conjugales mais que sa compagne de l'époque avait finalement retiré sa plainte. Il n'avait pas fait l'objet d'une condamnation.
c. Le rapport de renseignements de la police du 20 juin 2024 comporte, outre les éléments relatifs aux premières investigations, le passage suivant:
"Il sied de préciser que M. A______ est déjà connu de nos services, notamment pour des violences conjugales en date du 15.02.2021, avec une ex-compagne. À ce propos, il confirme avoir été auditionné pour des faits de violences conjugales et précise que son ex-compagne avait finalement retiré sa plainte et qu'il n'avait pas eu de condamnation suite à cette affaire".
d. Figurent encore au dossier:
- copie d'une ordonnance de classement rendue, le 20 octobre 2021, par le Ministère public en faveur de A______, dans le cadre de la procédure P/1______/2021, aujourd'hui entrée en force;
- copie du jugement du TAPI du 21 juin 2024 (JTAPI/608/2024), rejetant l'opposition de A______ contre la mesure d'éloignement prononcée à son encontre vis-à-vis de C______. La partie "en fait" comporte le paragraphe suivant:
"Il ressort en outre de ce rapport que M. A______ est déjà connu des services de police notamment pour des violences conjugales en date du 15 février 2021, avec une ex-compagne. À ce propos, il a confirmé avoir été auditionné pour des faits de violence conjugale. Il a précisé que son ex-compagne avait finalement retiré sa plainte et qu'il n'avait pas été condamné suite à cette affaire".
e. Le 27 juin 2024, A______ a sollicité du Ministère public que le rapport de renseignements du 20 juin 2024, son procès-verbal d'audition du 19 juin 2024, le jugement du TAPI du 21 juin 2021 et tous les autres éléments concernant la procédure pénale P/1______/2021, soient retranchés du dossier.
Ledit rapport laissait "penser que le retrait de plainte et son classement [étaient] de simples allégations" de sa part et qu'il était "coupable". La police et le TAPI lui avaient, par la suite, posé des questions liées à cette ancienne procédure et ces informations ne devaient pas apparaître au dossier, ni peser dans l'appréciation du litige, en vertu de la présomption d'innocence.
f. Le 10 juillet 2024, le Ministère public a ouvert une instruction contre A______, dont le conseil est nommé d'office depuis le 4 précédent.
C. Dans la décision déférée, le Ministère public retient que les informations contenues dans le rapport de police du 20 juin 2024 n'étaient pas erronées. En outre, A______ avait eu l'occasion de se déterminer à ce sujet lors de son audition. Enfin, la procédure P/1______/2021 avait fait l'objet d'un classement à la suite d'une suspension de la procédure conformément à l'art. 55a al. 1 CP et à une évaluation postérieure de la situation. Il n'existait aucune violation du principe de la présomption d'innocence.
D. a. Dans son recours, A______ fonde son intérêt juridiquement protégé à agir sur la nature des éléments de la procédure P/1______/2021, susceptibles de porter atteinte à sa sphère privée et contraires à son droit à l'oubli. La présence de ces éléments au dossier était contraire à la présomption d'innocence et le TAPI les avait repris tels quels, pour les admettre "sans distance, ni nuance". Le Ministère public et la police avaient, en outre, un accès direct aux informations de cette autre procédure et les utilisaient sans restriction, en violation des principes de la proportionnalité, de la nécessité, du droit à l'oubli, de l'art. 194 CPP et de la LIPAD. Des mesures "moins radicales" n'avaient pas été envisagées, comme le caviardage de certains passages et noms figurant dans les documents. L'ordonnance de classement mentionnait ainsi le nom complet de son ancienne compagne, portant ainsi atteinte à la personnalité de cette dernière.
b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.
EN DROIT :
1. 1.1. En tant que le recourant se plaint d'atteintes à des droits le touchant pour solliciter le retranchement des pièces en cause, le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et – les réquisits de l'art. 85 al. 2 CPP n'ayant pas été respectés – dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une décision sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP;
ATF 144 IV 81 consid. 2.3.1) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP; arrêt du Tribunal fédéral 1B_485/2021 du 26 novembre 2021 consid. 2.4.3).
1.2. En revanche, en tant que le recourant évoque l'atteinte à la personnalité de son ancienne compagne, son recours est irrecevable, l'intéressée étant seule en droit de s'en plaindre.
2. Le recourant sollicite le retranchement au dossier des pièces qu'il énumère.
2.1. Les autorités pénales mettent en œuvre tous les moyens de preuves licites, qui, selon l'état des connaissances scientifiques et l'expérience, sont propres à établir la vérité (art. 139 al. 1 CPP).
2.2. Les autorités pénales versent au dossier les pièces à conviction originales dans leur intégralité (art. 192 al. 1 CPP).
2.3. Conformément à l'art. 194 CPP, le ministère public et les tribunaux requièrent les dossiers d’autres procédures lorsque cela est nécessaire pour établir les faits ou pour juger le prévenu (al. 1). Les autorités administratives et judiciaires autorisent la consultation de leurs dossiers lorsqu’aucun intérêt public ou privé prépondérant au maintien du secret ne s’y oppose (al. 2).
2.4.1. Toute personne est présumée innocente tant qu'elle n'est pas condamnée par un jugement entré en force (art. 10 al. 1 CPP). Le tribunal apprécie librement les preuves recueillies selon l'intime conviction qu'il retire de l'ensemble de la procédure (art. 10 al. 2 CPP).
2.4.2. Une ordonnance de classement entrée en force équivaut à un acquittement (art. 320 al. 1 CPP).
2.5. En l'espèce, il est exposé à titre liminaire que le recourant ne prétend pas que les pièces dont il requiert le retranchement du dossier seraient des preuves obtenues en violation des art. 139 ss CPP et, partant, inexploitables. En cela, les principes jurisprudentiels découlant de l'ATF 143 IV 475 ne lui sont d'aucun secours et il ne les invoque d'ailleurs pas.
Pour le recourant, les pièces en question seraient de nature à porter atteinte à sa sphère privée et à sa personnalité et violeraient son droit à l'oubli.
À propos de ce dernier volet, le recourant anticipe – à tort – une appréciation défavorable des preuves.
S'il est vrai que les autorités pénales doivent éviter des formulations pouvant donner le sentiment, sans établissement légal préalable de la culpabilité, qu'un prévenu est coupable, dans le cadre d'une décision judiciaire (cf. ATF 147 I 386), le rapport de renseignements litigieux ne revêt pas une telle nature formelle. En tout état, sa teneur se limite à énoncer des faits vérifiés et vérifiables, matérialisés par l'existence de la P/1______/2021 et confirmés par le recourant lors de son audition en présence de son conseil, précisant n'avoir pas fait l'objet d'une condamnation. Ces explications sont reprises tant dans ledit rapport que dans le jugement du TAPI, qui ne fonde d'ailleurs nullement sa décision sur ces éléments, même s'il les mentionne dans sa partie en fait.
Par ailleurs, en versant au dossier l'ordonnance de classement du 20 octobre 2021, valant acquittement, le Ministère public a, d'une part, entériné les explications du recourant et, d'autre part, scellé la présomption d'innocence en faveur de ce dernier au regard des faits visés par la procédure P/1______/2021.
Concernant la protection de la sphère privée et de la personnalité du prévenu, il est rappelé que l'accès au dossier – et par conséquent celui à des données personnelles – constitue un inconvénient potentiel inhérent à l'existence d'une procédure pénale (arrêts du Tribunal fédéral 1B_344/2019 du 16 janvier 2020 consid. 2.1; 1B_112/2019 du 15 octobre 2019 consid. 3.2.3). Au regard de ce principe, le recourant a déclaré à la police avoir été interrogé sur des faits de violences conjugales mais que son ancienne compagne avait retiré sa plainte. Les pièces dont il demande le retranchement ne font que reprendre ses déclarations, si bien qu'il ne peut pas opposer un secret – prépondérant à l'intérêt collectif – à leur présence au dossier.
En définitive, le recourant échoue à démontrer la violation d'une quelconque règle juridique, si bien que c'est à raison que le Ministère public a refusé de retrancher les pièces en cause du dossier.
3. Justifiée, la décision déférée sera donc confirmée. Le recours, qui s'avère mal fondé, pouvait être traité d'emblée, sans échange d'écritures ni débats (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP).
Point n'est donc besoin d'examiner la conclusion préalable du recourant en limitation de l'accès de la plaignante au dossier. À titre superfétatoire, il lui appartenait de demander, s'il le souhaitait, à pouvoir consulter l'intégralité du dossier produit par le Ministère public à la Chambre de céans, ce qu'il n'a pas fait.
4. Le recourant, qui succombe intégralement, supportera les frais de la procédure de recours, fixés en totalité à CHF 500.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03). L'autorité de recours est en effet tenue de dresser un état de frais pour la procédure de deuxième instance, sans égard à l'obtention de l'assistance judiciaire (arrêts du Tribunal fédéral 1B_372/2014 du 8 avril 2015 consid. 4.6 et 1B_203/2011 du 18 mai 2011 consid. 4).
5. L'indemnité du défenseur d'office sera fixée à la fin de la procédure (art. 135 al. 2 CPP).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette le recours, dans la mesure de sa recevabilité.
Met à la charge de A______ les frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 500.-.
Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.
Siégeant :
Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Valérie LAUBER et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Xavier VALDES TOP, greffier.
Le greffier : Xavier VALDES TOP |
| La présidente : Daniela CHIABUDINI |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).
P/15735/2024 | ÉTAT DE FRAIS |
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COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
Débours (art. 2) | | |
- frais postaux | CHF | 10.00 |
Émoluments généraux (art. 4) | | |
- délivrance de copies (let. a) | CHF | |
- délivrance de copies (let. b) | CHF | |
- état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
- décision sur recours (let. c) | CHF | 415.00 |
Total | CHF | 500.00 |