Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/881/2024 du 28.11.2024 sur ONMMP/4112/2024 ( MP ) , REJETE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/15407/2024 ACPR/881/2024 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du jeudi 28 novembre 2024 |
Entre
A______, domicilié ______, agissant en personne,
recourant,
contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 19 septembre 2024 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. a. Par acte déposé le 1er octobre 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 19 septembre 2024, notifiée le 23 suivant, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur sa plainte du 4 janvier 2024 contre inconnu.
Le recourant conclut à l'annulation de l'ordonnance querellée et au renvoi de la cause au Ministère public afin qu'il poursuive son investigation par le biais de l'entraide judiciaire internationale.
b. Le recourant a versé les sûretés en CHF 1'000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. A______ a déposé plainte pénale le 4 janvier 2024 contre inconnu pour escroquerie.
En substance, il avait reçu un appel en décembre 2021 provenant prétendument de la société B______, se disant active dans le rapatriement de fonds "perdus". Cette dernière avait retrouvé un "wallet" contenant des actifs en crypto-monnaie d'un montant équivalent à USD 83'000.- au nom de "C______". Il avait été invité à transmettre ses documents personnels à la société, puis à réaliser des paiements en crypto-monnaie pour débloquer ces fonds, ce qu'il avait fait.
b. Selon le rapport de police du 24 juin 2024, A______ avait effectué 24 transferts [18 en Etherum (ETH) et 8 en Bitcoin (BTC)], pour un montant total de 28.02 ETH et 0.51 BTC sur une période de deux ans, correspondant, au mois de juin 2024, à un préjudice estimé à CHF 110'631.-.
Les paiements en ETH avaient été réalisés depuis la plateforme www.E______.com. Quant à ceux en BTC, ils n'avaient pas pu être retrouvés, ne permettant ainsi pas de connaître la personne à l'origine des transactions, malgré les investigations de D______, société externe mandatée par le recourant.
Des demandes avaient été adressées aux "exchanges" [soit des plateformes d’échange centralisées] concernées par les transactions litigieuses, en vue d’identifier les détenteurs des adresses de "wallet" (Recipient Address). Seule la société F______ avait donné suite à cette demande et transmis des informations relatives à des personnes se trouvant au Kosovo, en Ukraine et au Ghana.
C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public retient que seul l'envoi d'une demande d'entraide internationale dans ces trois pays permettrait éventuellement de faire avancer les investigations. Or, au vu des intérêts en jeu et des faibles chances de succès, un tel acte serait disproportionné et il convenait d'y renoncer. Aucun élément n'était susceptible d'orienter des soupçons sur un ou des auteurs et il en résultait donc un empêchement de procéder.
D. a. Dans son recours, A______ considère que c'est à tort que le Ministère public avait refusé d'entrer en matière. La Suisse était partie à plusieurs conventions internationales, ce qui facilitait l'entraide judiciaire et rendait les actes d'enquête sollicités proportionnés. F______ ayant fourni des informations sur des individus en Ukraine, au Kosovo et au Ghana, il appartenait à la Suisse de solliciter de l'aide auprès de ces pays pour poursuivre son enquête.
Un refus d'instruire risquerait de porter atteinte à la réputation de la Suisse, qui devait prendre au sérieux les fraudes liées aux crypto-monnaies et empêcher qu'elles se répandent.
Ses droits en tant que victime au sens de la LAVI n'avaient de plus pas été pleinement respectés.
b. À réception des sûretés, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.
EN DROIT :
1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du plaignant qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).
2. La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP).
Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.
3. 3.1. Selon l'art. 310 al. 1 CPP, le Ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière lorsqu'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ne sont manifestement pas réunis (let. a), respectivement qu’il existe des empêchements de procéder (let. b).
Une telle décision peut se justifier même si les conditions du crime/délit sont réalisées, pour autant qu'aucun acte d'enquête raisonnable ne permette d’en découvrir l’auteur (arrêt du Tribunal fédéral 1B_67/2012 du 29 mai 2012 consid. 3.2).
Il sied alors de mettre en balance les intérêts en jeu (ibidem), le principe de proportionnalité s'appliquant à toutes les activités étatiques (art. 5 al. 2 Cst féd.), y compris aux investigations pénales (ACPR/888/2021 du 16 décembre 2021, consid. 3.2 in fine; A. KUHN/ Y. JEANNERET/ C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd. Bâle 2019, n. 10d ad art. 310).
3.2. Lorsque, pour tenter d’identifier l'auteur de l’infraction, des actes d’instruction doivent se dérouler, sur commissions rogatoires, à l’étranger, les critères à prendre en compte dans la pesée des intérêts sont les suivants : la perspective que la demande d’entraide internationale aboutisse (ACPR/434/2023 du 9 juin 2023, consid. 3.3, ACPR/251/2023 du 6 avril 2023, consid. 2.3, ACPR/195/2023 du 16 mars 2023, consid. 2.4 ainsi qu’ACPR/888/2021 précité, consid. 3.3, tous rendus en matière de crypto-monnaies); l’utilité des informations susceptibles d’être obtenues pour découvrir l’auteur (ibidem) – ce qui implique, lorsqu’il est question de bitcoins, que l’intéressé ait échangé cette monnaie virtuelle en valeurs "réelles" sur une plateforme (une telle démarche nécessitant qu’il communique son identité, contrairement à ce qui prévaut quand il crée/utilise des adresses afin de percevoir, puis de transférer, les bitcoins illicitement soustraits [ACPR/888/2021 précité, lettre B.d.a de la partie EN FAIT et consid. 3.3]) –; la quotité du dommage subi par le plaignant – étant relevé que des préjudices de CHF 12'000.- (arrêt du Tribunal fédéral 1B_67/2012 précité) et CHF 61'450.- (ACPR/888/2021 précité, consid. 3.3) ont été jugés insuffisants pour justifier, à eux seuls, l’envoi de commissions rogatoires.
3.3. En l'espèce, il résulte du dossier que le recourant a été amené à effectuer des actes préjudiciables à ses intérêts pécuniaires, après avoir été induit en erreur par diverses tromperies. La question de savoir si celles-ci revêtent ou non un caractère astucieux souffre de demeurer indécise, au vu des considérations qui suivent.
En effet, l'enquête de police n'a pas permis d'identifier formellement les auteurs de l’infraction. Par conséquent, seules des commissions rogatoires au Kosovo, en Ukraine ou au Ghana pourraient, éventuellement, faire avancer la procédure. En effet, aucun autre acte d'instruction en Suisse ne semble susceptible de permettre la poursuite de l'instruction, ce que le recourant ne soutient au demeurant pas.
Des demandes d'entraide dans ces trois pays sont toutefois difficilement envisageables (cf. www.rhf.admin.ch/rhf/fr/home/rechtshilfefuehrer.html). En effet, la coopération avec le Ghana est considérée comme "très difficile" et celle avec l'Ukraine "difficile selon les territoires concernés". Pour le Kosovo, la durée pour obtenir les informations souhaitées, qui plus est sans certitude de succès, peut être particulièrement longue, allant jusqu'à 19 mois. Durant ce laps de temps, l'auteur des faits pourrait, s'il ne l'a pas déjà fait, transmettre les valeurs dérobées sur d'autres adresses ou même les utiliser dans le cadre d'échanges par le biais de divers services liés à ce commerce, de sorte que son identification resterait, au bout du compte, impossible.
Dès lors, rien ne garantit que de telles demandes y seraient reçues et encore moins traitées. Ces démarches n'ont donc guère de chance d'aboutir.
De plus, pour obtenir des informations potentiellement utiles, encore faudrait-il, au vu du fonctionnement des crypto-monnaies, que le ou les auteurs aient échangé la monnaie virtuelle en monnaie "réelle" sur une des plateformes listées dans le rapport de police et qu'ils aient communiqué, par ce biais, des informations permettant de les identifier. L'analyse du flux financier ne permet en effet pas, à elle seule, d'obtenir de tels renseignements, dès lors que l'utilisateur n'a pas à transmettre ces données.
Or, en l'occurrence, rien ne démontre que le ou les auteurs des faits auraient, à ce jour, échangé leur monnaie virtuelle et, le cas échéant, transmis des données pouvant mener à leur identification. Dans ces conditions, les chances de découvrir le ou les auteurs de l'infraction sont extrêmement restreintes, pour ne pas dire inexistantes, et doivent être mises en balance avec le coût, la durée et la complexité des démarches devant être entreprises.
Par ailleurs, certaines transactions se sont déroulées il y a près de trois ans. Aussi, les adresses concernées pourraient ne plus exister et les auteurs avoir continué de transmettre la crypto-monnaie dans d'autres contrées ou encore l’avoir utilisée, sans nécessairement la retirer, dans le cadre d'échanges par le biais de services liés à ce commerce.
Il s'ensuit que les chances de découvrir les personnes impliquées, moyennant de telles commissions rogatoires, sont particulièrement ténues.
Le dommage résultant de l’infraction est difficilement estimable, au vu de la fluctuation importante du taux des crypto-monnaies sur une période de plus de deux ans, mais pourrait être arrêté à environ CHF 110'000.-, valeur au mois de juin 2024. Ce montant est, certes, plus élevé que celui de l'affaire objet de l'ACPR/888/2021, arrêt dans lequel la Chambre de céans a estimé qu’un préjudice de CHF 61'450.- était impropre à justifier, à lui seul, l'envoi de commissions rogatoires à l'étranger. Il reste toutefois insuffisant pour justifier les démarches procédurales sus-évoquées, lesquelles, on l’a vu, n’ont que très peu de chances d’aboutir, respectivement de permettre l’obtention d’informations utiles.
À cette aune, les investigations envisageables, par le biais de demandes d'entraide internationale, dans trois pays différents, apparaissent disproportionnées et excessives au regard du complexe de faits, du dommage subi par le recourant ainsi que des chances de succès très limitées.
3.4. Le recourant se prévaut également d’un intérêt public – soit la réputation de la Suisse et la condamnation des auteurs de crimes en matière de crypto-monnaie, en général – à voir poursuivre la procédure.
S'il est habilité à se plaindre du préjudice causé à son patrimoine (art. 115 cum 382 CPP), il ne peut, en revanche, invoquer l’atteinte subie par des tiers, le choix de mettre ou non en œuvre l’action pénale les concernant appartenant exclusivement au Ministère public. Ce grief sera en conséquence rejeté.
3.5. Quant à la qualité de victime au sens de l'art. 1 LAVI, alléguée par le recourant, elle doit être exclue, faute d'atteinte directe à son intégrité physique, psychique ou sexuelle.
Il s’ensuit que la non-entrée en matière déférée est justifiée. La procédure pourra, le cas échéant, être reprise en cas de moyens de preuve ou de faits nouveaux (arrêt du Tribunal fédéral 1B_67/2012 précité).
Partant, le recours se révèle infondé.
4. Le plaignant succombe intégralement (art. 428 al. 1, 1ère et 2ème phrases, CPP).
Il assumera, en conséquence, les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 1'000.- (art. 3 cum 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03), somme qui sera prélevée sur les sûretés versées.
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette le recours.
Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'000.-.
Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.
Notifie le présent arrêt, en copie, à A______ et au Ministère public.
Siégeant :
Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Madame Valérie LAUBER et Monsieur Vincent DELALOYE, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.
La greffière : Arbenita VESELI |
| La présidente : Daniela CHIABUDINI |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).
P/15407/2024 | ÉTAT DE FRAIS |
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COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
Débours (art. 2) | | |
- frais postaux | CHF | 10.00 |
Émoluments généraux (art. 4) | | |
- délivrance de copies (let. a) | CHF | |
- délivrance de copies (let. b) | CHF | |
- état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
- décision sur recours (let. c) | CHF | 915.00 |
Total | CHF | 1'000.00 |