Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/880/2024 du 27.11.2024 sur OCL/1036/2024 ( MP ) , REJETE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/6502/2020 ACPR/880/2024 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du mercredi 27 novembre 2024 |
Entre
A______, représenté par Me Robert ASSAËL, avocat, MENTHA Avocats, rue de l'Athénée 4, case postale 330, 1211 Genève 12,
recourant,
contre l'ordonnance de classement rendue le 19 juillet 2024 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. Par acte expédié le 2 août 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 19 juillet précédent, notifiée le 22 suivant, par laquelle le Ministère public, après avoir ordonné le classement de la procédure en sa faveur, l'a condamné au frais de la procédure, arrêtés à CHF 865.- (chiffre 3 du dispositif) et refusé de lui allouer une indemnité (ch. 4).
Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à "l'annulation de cette ordonnance" et à ce que les frais de procédure de l'instance précédente soient mis à la charge de l'État.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. A______, policier, a été prévenu d'abus d'autorité, entrave à l'action pénale et infractions à la LCR.
Alors qu'il circulait, le 20 mars 2020, au volant d'une voiture de service banalisée, il avait suivi le motocycle conduit par B______, alors que celui-ci se rendait coupable de plusieurs manœuvres interdites soit:
- sur les ponts de l'Île, obliqué à droite en direction de la Tour-de-l'Île, malgré l'interdiction d'y circuler dans les deux sens, puis circulé sur la voie réservée aux bus et aux taxis jusqu'au feu de circulation;
- circulé sur la rue de Coutance, en direction de la rue de Cornavin, alors que la circulation y était interdite aux véhicules automobiles et aux motocycles;
- circulé sur la rue des Étuves, omettant de respecter le signal de prescription "zone piétonne" sur laquelle seule la circulation des cycles, cyclomoteurs et des services communaux était autorisée.
Une fois le motocycle intercepté, il avait renoncé à verbaliser B______, lequel avait toutefois prétendu, dans une plainte déposée le jour-même, avoir été menacé d'une probable "vendetta" dans un but d'intimidation.
b. Le 11 février 2022, le Ministère public a tenu une audience en présence de A______, qui a confirmé avoir suivi la moto dans le but d'admonester son conducteur; il pensait être en droit de commettre des infractions à cette fin.
c. Par ordonnance du 16 février 2023, le Ministère public a classé partiellement la procédure à l'égard de A______ s'agissant des infractions d'abus d'autorité (les éléments constitutifs n'étant pas réalisés) et d'entrave à l'action pénale (en application de l'art. 52 CP), tout en condamnant le précité aux frais de l'ordonnance et de notification de celle-ci (CHF 310.-).
A______ a contesté sans succès la mise à sa charge des frais de procédure devant la Chambre de céans (ACPR/301/2023 du 28 avril 2023) puis devant le Tribunal fédéral (arrêt 7B_853/2023 du 21 février 2024).
En substance, ces juridictions ont retenu, respectivement confirmé, qu'en renonçant à verbaliser B______, A______ avait réalisé les éléments constitutifs de l'infraction visée à l'art. 305 CP, sans pouvoir se prévaloir d'aucun motif justificatif. Il avait ainsi commis un acte illicite, justifiant la mise d'une partie des frais de la procédure à sa charge.
d. Par ordonnance pénale du 16 février 2023, le Ministère public a déclaré A______ coupable de violation simple des règles de la circulation routière, commise à six reprises.
A______ y a formé opposition.
C. Dans l'ordonnance querellée, par suite de l'opposition susmentionnée, le Ministère public constate qu'en raison d'une nouvelle teneur, depuis le 29 avril 2023, de l'art. 8B LaLCR et de l'application du principe de la lex mitior, une partie du comportement de A______, soit d'avoir circulé sur la rue de Coutance sans aucune nécessité liée à ses fonctions, était devenu pénalement atypique. Pour les deux autres volets des faits reprochés, lesquels réalisaient l'infraction visée à l'art. 90 al. 1 LCR et étaient passibles d'une amende, la prescription de l'action pénale était atteinte. La procédure devait donc être classée. Il n'en demeurait pas moins que A______ avait volontairement omis de se conformer aux signaux et marques qu'il devait observer au sens de l'art. 27 al. 1 LCR. En contrevenant à cette norme, de droit administratif, le précité avait provoqué l'ouverture de la procédure de manière illicite et fautive, en violant une norme de comportement.
D. a. Dans son recours, A______ reproche au Ministère public de n'avoir pas respecté la présomption d'innocence. L'autorité intimée avait d'abord retenu que les faits prescrits réalisaient l'infraction de violation simple des règles de la circulation. En outre, elle se fondait sur l'art. 27 al. 1 LCR, norme qui ne pouvait pas être "détachée" de l'art. 90 al. 1 LCR et, par extension, du volet pénal. Enfin, il ne pouvait lui être reproché d'avoir prolongé la procédure.
b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.
EN DROIT :
1. 1.1. Le recours a été interjeté selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerne une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP).
1.2. Pour les motifs qui lui ont déjà été exposés – ainsi qu'à son conseil – dans l'ACPR/301/2023 (consid. 2.2.3), sa conclusion visant à l'annulation de l'ordonnance querellée dans son entier est, en tant que telle, irrecevable. Un intérêt juridiquement protégé peut uniquement lui être reconnu au sujet de la mise à sa charge des frais de la procédure devant l'instance précédente (ch. 3 du dispositif), seul point contesté de l'ordonnance litigieuse.
Dans cette mesure, le recours est recevable.
2. 2.1. Conformément à l'art. 426 al. 2 CPP, lorsque la procédure fait l'objet d'une ordonnance de classement ou que le prévenu est acquitté, tout ou partie des frais de procédure peuvent être mis à sa charge s'il a, de manière illicite et fautive, provoqué l'ouverture de la procédure ou rendu plus difficile la conduite de celle-ci.
2.2. La condamnation d'un prévenu acquitté à supporter tout ou partie des frais doit respecter la présomption d'innocence, consacrée par les art. 31 al. 1 Cst. et 6 par. 2 CEDH, qui interdit de rendre une décision défavorable au prévenu libéré en laissant entendre que ce dernier serait néanmoins coupable des infractions qui lui étaient reprochées. Une condamnation aux frais n'est ainsi admissible que si le prévenu a provoqué l'ouverture de la procédure pénale dirigée contre lui ou s'il en a entravé le cours. À cet égard, seul un comportement fautif et contraire à une règle juridique, qui soit en relation de causalité avec les frais imputés, entre en ligne de compte (ATF 144 IV 202 consid. 2.2 et les références citées; arrêts du Tribunal fédéral 6B_672/2023 du 4 octobre 2023 consid. 3.1.1; 6B_1040/2022 du 23 août 2023 consid. 5.1.2).
2.3. La prescription, comme motif de libération, n'est pas incompatible avec la condamnation aux frais du prévenu, mais celle-ci ne doit pas se fonder sur le reproche pénal, sous peine sinon de violer la présomption d'innocence (arrêt du Tribunal fédéral 6B_650/2019 du 20 août 2019 consid. 3.4; ACPR/805/2022 du 15 novembre 2022 consid. 3.2).
2.4. Chacun est tenu de se conformer aux signaux et aux marques ainsi qu’aux ordres de la police. Les signaux et les marques priment les règles générales; les ordres de la police ont le pas sur les règles générales, les signaux et les marques (art. 27 al. 1 LCR).
2.5. En l'espèce, le recourant a admis qu'en suivant, au volant de sa voiture de service banalisée, le motard pour l'admonester, il n'avait pas respecté plusieurs signaux et marques régulant la circulation routière. Il n'a pas contesté, au demeurant, l'absence d'urgence liée à sa fonction.
S'il est libéré de ces faits sur le plan pénal, il le doit, en partie, à un changement de législation en sa faveur et, au surplus, à la prescription.
Or, ces motifs de classement, en particulier la prescription, soulèvent la question de la faute permettant, cas échéant, d'imputer les frais de la procédure au prévenu acquitté. Le Ministère public s'appuie, in casu, sur l'art. 27 al. 1 LCR, soit la même norme de comportement qui, en lien avec l'art. 90 LCR, fondait le reproche pénal qui pesait sur le recourant.
Cela ne constitue toutefois pas pour autant une violation de la présomption d'innocence.
En matière de circulation routière, le système de répression cumule la procédure pénale et administrative, sans heurter le principe ne bis in idem (ATF 137 I 363 consid. 2.3; arrêt du Tribunal fédéral 1C_140/2019 du 29 mars 2019 consid. 3). Ainsi, les mêmes faits peuvent entrainer des sanctions tant pénales (via l'art. 91 LCR) qu'administratives (via les art. 16 ss LCR), sur la base de la même règle de la circulation (art. 26 ss LCR). Ainsi, le classement d'une procédure pénale pour une violation de l'une des dispositions de la LCR n'empêche pas, si le comportement contraire à celles-ci est avéré, de condamner le prévenu aux frais de la procédure (cf. arrêts du Tribunal fédéral 7B_18/2023 du 24 août 2023 consid. 3.5 et 3.6, 6B_256/2016 du 20 juin 2016 consid. 3.2; AARP/44/2022 du 21 février 2022 consid. 5.5.1 non remis en cause dans l'arrêt du Tribunal fédéral 6B_619/2022 du 8 février 2023).
Partant, en contrevenant, hors de toute nécessité, à l'art. 27 al. 1 LCR, le recourant a fautivement et illicitement provoqué l'ouverture de la procédure pénale à son encontre.
Il s'ensuit que c'est à bon droit que le Ministère public a, compte tenu des circonstances, mis à la charge du recourant les frais de la procédure.
3. Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée. Le recours, qui s'avère infondé, pouvait être d'emblée traiter sans échange d'écritures ni débats (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP).
4. Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 800.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du règlement fixant le tarif des frais en matière pénale).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette le recours, dans la mesure de sa recevabilité.
Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 800.-.
Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.
Siégeant :
Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.
Le greffier : Julien CASEYS |
| La présidente : Daniela CHIABUDINI |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).
P/6502/2020 | ÉTAT DE FRAIS |
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COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
Débours (art. 2) | | |
- frais postaux | CHF | 10.00 |
Émoluments généraux (art. 4) | | |
- délivrance de copies (let. a) | CHF | |
- délivrance de copies (let. b) | CHF | |
- état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
- décision sur recours (let. c) | CHF | 715.00 |
Total | CHF | 800.00 |