Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/873/2024 du 26.11.2024 sur ONMMP/1885/2024 ( MP ) , REJETE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/2153/2023 ACPR/873/2024 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du mardi 26 novembre 2024 |
Entre
A______, représenté par Me Patrick SPINEDI, avocat, AUBERT SPINEDI STREET Associés, rue Saint-Léger 2, case postale 107, 1211 Genève 4,
recourant,
contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 30 avril 2024 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. a. Par acte expédié le 16 mai 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 30 avril 2024, notifiée le 6 mai suivant, par laquelle le Ministère public a renoncé à entrer en matière sur sa plainte.
Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de cette ordonnance et à la "réouverture" de l'instruction.
b. Le recourant a versé les sûretés en CHF 1'000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. Le 26 janvier 2023, A______, né le ______ 1976, a déposé plainte contre inconnu pour lésions corporelles.
Alors qu'il se trouvait à B______ le 1er novembre 2022, il avait croisé un groupe de douze jeunes garçons, dont trois s'étaient dirigés vers lui avant de l'agresser, à coups de poing et de bâton. Il avait perdu connaissance. S'il ignorait l'identité de ses agresseurs, il estimait être capable de les reconnaître sur des planches photographiques car il s'agissait de "personnes jeunes vivant dans le quartier […] issus des Balkans".
b. Le dossier médical du 2 novembre 2022 produit avec la plainte mentionne comme motif d'admission aux Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après: HUG): "Traumatisme crânien + perte de connaissance / Amnésie circonstancielle". L'anamnèse fait état d'une "imprégnation éthylique évidente établie à l'éthylomètre" et de "propos revendicateurs confinant à la paranoïa".
À teneur du constat médical du même jour, l'intéressé a rapporté avoir été agressé "le 01.11.2022 par la police après avoir demandé justice quant à une situation personnelle". L'examen avait notamment mis en évidence une plaie avec décollement cutané au niveau du visage et une fracture de la prothèse dentaire supérieure.
c. Selon le rapport de renseignements du 23 avril 2024, la police était intervenue le 1er novembre 2022 à B______ [GE], sur les lieux de l'agression dénoncée par A______, lequel avait été pris en charge par une ambulance. Le lendemain, le précité avait appelé pour affirmer qu'il avait été agressé par un agent de la police municipale, avant d'accuser un jeune de son quartier. Les investigations menées n'avaient pas permis d'identifier les agresseurs.
Le 21 juin 2023, une nouvelle intervention avait eu lieu, au cours de laquelle A______ avait indiqué avoir été agressé sans raison par trois jeunes, les mêmes que la dernière fois. Interrogé à ce sujet, le concierge de l'immeuble avait expliqué avoir vu C______ être pourchassé par A______, lequel menaçait et injuriait le mineur. Entendu sur place pour des explications, C______ avait expliqué qu'il se trouvait assis sur un banc avec un ami, D______, lorsque A______ lui avait asséné un coup de poing. Il avait déjà été agressé par ce dernier au mois de novembre 2022, alors qu'il se trouvait avec E______.
Entendus derechef en qualité de prévenus dans le cadre de la procédure ouverte pour les événements du 21 juin 2023, C______ et E______ avaient confirmé la version donnée par le premier au sujet des faits du 1er novembre 2022.
C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public retient l'absence d'élément permettant d'orienter les soupçons sur un ou des auteurs pour les faits du 1er novembre 2022. En particulier, A______ avait perdu tout souvenir de cette agression et n'avait pas été en mesure de fournir un signalement pour aiguiller les recherches. Il ne pouvait dès lors pas procéder.
D. a. Dans son recours, A______ reproche au Ministère public une constatation erronée des faits, retenant qu'il avait perdu tout souvenir de son agression du 1er novembre 2022 alors qu'il ressortait de sa plainte plusieurs informations à ce propos. Il avait même appelé la police le lendemain pour déclarer – malgré une certaine confusion s'expliquant par son amnésie et le traumatisme subi – avoir été agressé par un jeune de son quartier. Les documents médicaux produits attestaient, en outre, de la gravité de ses lésions, lesquelles justifiaient un examen plus approfondi du dossier. C______ et E______ avaient, tous les deux, confirmé lors de leur audition qu'une altercation avait éclaté avec lui le 1er novembre 2022, ce qui permettait aisément d'orienter les soupçons vers des auteurs probables. Il n'existait donc pas d'empêchement de procéder permettant de prononcer une non-entrée en matière. Il fallait encore tenir compte de l'amitié liant C______ et E______, ce qui avait pu leur permettre de s'accorder sur une version à donner. Le Ministère public s'était ainsi fondé sur des "déclarations douteuses" plutôt que sur les indices à sa disposition. Une audience de confrontation devait être organisée entre les protagonistes.
A______ produit les procès-verbaux à la police de C______ et E______, entendus respectivement les 9 septembre et 2 octobre 2023.
Le premier a expliqué que le 1er novembre 2022, il avait été apostrophé par A______, qui avait commencé à l'insulter avant d'asséner un coup de poing à E______, lequel avait répondu en poussant l'intéressé avec les mains ouvertes, au niveau du torse, ce qui l'avait fait trébucher. Ce dernier avait alors commencé à leur courir après. Lorsqu'ils étaient partis, A______ était allongé sur le trottoir, dans un "endroit inapproprié pour s'allonger volontairement". Les blessures présentées par le précité provenaient vraisemblablement d'une chute, soit après le geste de E______, soit lors de la course-poursuite.
E______ a confirmé avoir été hélé par A______ le 1er novembre 2022 avant de recevoir un coup de poing de ce dernier. Il l'avait poussé juste après mais ne l'avait pas frappé, ni touché au visage.
b. À réception des sûretés, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.
EN DROIT :
1. 1.1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du plaignant qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).
1.2. Les pièces nouvelles produites devant la juridiction de céans sont également recevables, la jurisprudence admettant la production de faits et de moyens de preuve nouveaux en deuxième instance (arrêt du Tribunal fédéral 1B_550/2022 du 17 novembre 2022 consid. 2.2).
2. Le recourant déplore une constatation erronée des faits.
Dès lors que la Chambre de céans jouit d'un plein pouvoir de cognition en droit et en fait (art. 393 al. 2 CPP; ATF 137 I 195 consid. 2.3.2), les éventuelles constatations incomplètes ou inexactes du Ministère public auront été corrigées dans l'état de fait établi ci-devant.
3. Le recourant reproche au Ministère public de n'être pas entré en matière sur sa plainte.
3.1. À teneur de l'art. 310 al. 1 let. a CPP, une ordonnance de non-entrée en matière est immédiatement rendue s’il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs d’une infraction ou les conditions à l’ouverture de l’action pénale ne sont manifestement pas réunis.
Au moment de statuer sur l'ouverture éventuelle de l'instruction, le ministère public doit examiner si les conditions d'exercice de l'action publique sont réunies, c'est-à-dire si les faits qui sont portés à sa connaissance sont constitutifs d'une infraction pénale et si la poursuite est recevable. Il suffit que l'un des éléments constitutifs de l'infraction ne soit manifestement pas réalisé pour que la non-entrée en matière se justifie (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 8 ad art. 310).
Des motifs de fait peuvent justifier la non-entrée en matière. Il s'agit des cas où la preuve d'une infraction, soit de la réalisation en fait de ses éléments constitutifs, n'est pas apportée par les pièces dont dispose le ministère public. Il faut que l'insuffisance de charges soit manifeste. De plus, le ministère public doit examiner si une enquête, sous une forme ou sous une autre, serait en mesure d'apporter des éléments susceptibles de renforcer les charges contre la personne visée. Ce n'est que si aucun acte d'enquête ne paraît pouvoir amener des éléments susceptibles de renforcer les charges contre la personne visée que le ministère public peut rendre une ordonnance de non-entrée en matière. En cas de doute sur la possibilité d'apporter ultérieurement la preuve des faits en question, la non-entrée en matière est exclue (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 9 ad art. 310).
3.2. Aux termes de l'art. 123 al. 1 CP est punissable quiconque, intentionnellement, fait subir à une personne une atteinte à l'intégrité corporelle ou à la santé, tels que des blessures, meurtrissures, hématomes, écorchures ou des griffures, sauf si ces lésions n'ont pas d'autres conséquences qu'un trouble passager et sans importance du sentiment de bien-être (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1283/2018 du 14 février 2019 consid. 2.1).
3.3. En l'espèce, il ressort du dossier qu'une altercation est survenue le 1er novembre 2022 entre le recourant, d'un côté, et C______ et E______, de l'autre.
Cela ne signifie pas encore que les deux précités peuvent être considérés comme à l'origine des lésions présentées par le recourant.
Il n'existe, en effet, aucun élément objectif permettant de l'établir.
Pour rappel, si le recourant allègue, dans sa plainte, avoir croisé une dizaine de jeunes avant d'être agressé par trois d'entre eux, il a d'abord déclaré, tant à la police qu'au personnel hospitalier, que ses lésions provenaient d'une intervention d'agents municipaux à son domicile. S'il cherche, dans son recours, à mettre en cause C______ et E______, il ne donne aucune précision sur l'identité de la troisième personne, étant précisé que les deux précités ont affirmé qu'ils n'étaient pas accompagnés le jour des faits.
Sans négliger le risque d'une confusion qui pourrait, cas échéant, résulter d'un traumatisme crânien – lequel n'est, en tout état, pas avéré à teneur des documents médicaux produits, mais seulement mentionné comme suspicion au moment de l'admission sur la base des propos du patient –, la présence d'éléments contradictoires dans les déclarations du recourant nécessite néanmoins à une certaine circonspection.
Il ressort encore de son dossier médical qu'il était fortement alcoolisé lors de sa prise en charge aux HUG. Avec pour double conséquence d'affaiblir, encore un peu plus, la plausibilité de sa version d'une part, et, d'autre part, de rendre tout aussi plausible la thèse d'une chute comme évoquée par C______.
Partant, sans même tenir compte des déclarations du précité et de E______, lesquelles contestent avoir asséné le moindre coup au recourant, le dossier n'offre pas d'assise suffisante pour retenir la réalisation d'une infraction de lésions corporelles intentionnelles ou par négligence. Une audience de confrontation n'apparaît pas susceptible de renverser ce constat, la version des protagonistes étant déjà connue et peu susceptible de varier.
4. Justifiée, à tout le moins par substitution de motifs, l'ordonnance querellée sera donc confirmée. Le recours, qui s'avère mal fondé, pouvait être d'emblée traité sans échange d'écritures ni débats (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP).
5. Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en intégralité à CHF 1'000.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette le recours.
Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'000.-.
Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.
Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.
Siégeant :
Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.
La greffière : Arbenita VESELI |
| La présidente : Daniela CHIABUDINI |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).
P/2153/2023 | ÉTAT DE FRAIS |
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COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
Débours (art. 2) | | |
- frais postaux | CHF | 10.00 |
Émoluments généraux (art. 4) | | |
- délivrance de copies (let. a) | CHF | |
- délivrance de copies (let. b) | CHF | |
- état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
- décision sur recours (let. c) | CHF | 915.00 |
Total | CHF | 1'000.00 |