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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/13602/2024

ACPR/813/2024 du 05.11.2024 sur ONMMP/2699/2024 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE;FAUX INTELLECTUEL DANS LES TITRES;VENTE;ACTION(PAPIER-VALEUR);ANNULABILITÉ;REGISTRE DES ACTIONS
Normes : CPP.310; CP.251; CO.23; CO.28; CO.31; CO.686

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/13602/2024 ACPR/813/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 5 novembre 2024

 

Entre

A______ SA, représentée par Mes Benjamin BORSODI et Vanessa LIBORIO, avocats, rue des Alpes 15bis, case postale 2088, 1211 Genève 1,

recourante,

 

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 19 juin 2024 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.

 


EN FAIT :

A. a. Par acte déposé le 1er juillet 2024, A______ SA recourt contre l'ordonnance du 19 juin précédent, notifiée le 21 du même mois, à teneur de laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur sa plainte pénale déposée contre B______ du chef de faux dans les titres (art. 251 CP).

Elle conclut, sous suite de frais et dépens non chiffrés, à l'annulation de cette décision, la cause devant être retournée au Procureur afin qu'il ouvre une instruction.

b. La recourante a versé les sûretés en CHF 2'000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.a. En été 2022, les sociétés A______ SA et C______ SA ont entamé des négociations, la première étant intéressée à acheter à la seconde 50% des actions nominatives de sa filiale, D______ SA.

a.b. À cette occasion, C______ SA a remis à A______ SA un extrait du registre des actionnaires de D______ SA, signé par B______, administrateur unique de cette dernière.

Ce document, intitulé "Share Register N° 2", daté du 17 mars 2022, légalisé par un notaire, attestait que C______ SA détenait l'intégralité des parts de sa filiale.

b.a. Le contrat de vente – soumis au droit suisse et comprenant une élection de for en faveur des tribunaux genevois – a été signé le 30 juillet 2022.

b.b. Le même jour, A______ SA s'est vu remettre un extrait actualisé du registre des actionnaires de D______ SA ("Share Register N° 3"), signé par B______, à teneur duquel les parts de cette dernière société appartenaient désormais à la venderesse et à l'acheteuse, à concurrence de 50% chacune.

c.a. Des dissensions sont progressivement apparues entre les actionnaires de D______ SA, liées, notamment, à la gestion de celle-ci.

c.b.a. Le 10 mai 2023, C______ SA a déclaré à A______ SA invalider le contrat de vente susmentionné, pour erreur essentielle (art. 23 s. CO) et dol (art. 28 CO).

c.b.b. À cette même date, B______ a modifié le registre des actionnaires de D______ SA, établissant un nouveau document, intitulé "Share Register N° 2", légalisé par un notaire (autre que celui évoqué à la lettre B.a.b ci-dessus), attestant que C______ SA était dorénavant seule détentrice des parts de la société.

c.c. Par missive du 12 mai 2023 adressée à C______ SA, A______ SA a contesté l’existence d’un quelconque vice du consentement, ajoutant que l'invalidation du 10 précédent était sans portée.

d. Le 8 mai 2024, A______ SA a saisi le Tribunal de première instance d'une requête tendant à la constatation de la nullité de ladite invalidation.

e. Le 3 juin suivant, A______ SA a déposé une plainte contre B______ du chef d'infraction à l'art. 251 CP.

En substance, elle lui reproche d'avoir élaboré, le 10 mai 2023, le "Share Register N° 2". Ce document, qui constatait un fait ayant une portée juridique – à savoir le sociétariat de D______ SA – et était doté d'une valeur probante accrue – puisqu'il permettait de légitimer les personnes qui y étaient inscrites à l'égard de la société –, était inexact à un double titre.

Tout d'abord, il omettait de mentionner la détention, par ses soins, de la moitié des parts sociales de D______ SA. Or, à la date précitée, elle était toujours actionnaire de celle-là. En effet, l’invalidation d’un contrat devait reposer, pour être valable, sur un vice du consentement ayant réellement existé, hypothèse qui n’était, ici, pas réalisée; le fait que C______ SA n'avait nullement explicité, dans sa missive du 10 mai 2023, en quoi auraient consisté les prétendus erreur et dol invoqués "en di[sai]t [d’ailleurs] long sur le caractère artificiel et fallacieux de [ladite] invalidation". B______, qui était de connivence avec C______ SA, savait qu'une telle invalidation était infondée, elle-même l'ayant soutenu dans un pli le 12 mai suivant; ce nonobstant, il avait laissé le document concerné dans sa teneur fallacieuse. À cela s'ajoutait qu'il n'avait point respecté les prescriptions des art. 686 et ss CO relatives à la modification du registre des actionnaires. Les deux derniers cités avaient agi dans le dessein de lui nuire, cherchant à la priver de l'exercice de ses droits sociaux (participation aux assemblées générales) et patrimoniaux (octroi de dividendes) attachés à sa qualité d'actionnaire, au profit de C______ SA.

Ensuite, le document litigieux, bien que postérieur à l'extrait du registre des actionnaires du 30 juillet 2022 – établi le jour de la vente des actions et intitulé "Share Register N° 3" – portait un numéro de version antérieur, soit le "N° 2", laissant ainsi entendre que ses actions auraient toujours été détenues par C______ SA. Comme le numéro apposé sur le document du 10 mai 2023 était identique à celui figurant sur l'extrait du 17 mars 2022 – remis lors des négociations ayant précédé la vente –, B______ avait pris le soin de faire légaliser ceux-ci par des notaires différents (dès lors que le premier de ces notaires, mandaté en mars 2022, aurait pu se rendre compte du caractère insolite d'un extrait du registre portant le même numéro ("N° 2") mais établi à une date ultérieure [i.e. en mai 2023]).

C. À l’appui de sa décision déférée, le Ministère public a considéré que l'invalidation, par C______ SA, du contrat de vente des actions de D______ SA, avait déployé des effets ex tunc; elle avait donc enlevé au transfert de propriété sa cause et rétabli la situation antérieure à la conclusion de la convention. Étant donné que le registre des actionnaires, dans sa teneur au 10 mai 2023, reflétait une telle situation, son contenu était exact.

L’extrait litigieux portait un numéro antérieur à celui du 30 juillet 2022 et identique à celui du 17 mars 2022, respectivement que B______ avait fait appel à des notaires différents pour légaliser deux d'entre eux, n'était pas pertinent sous l'angle de l'art. 251 CP.

À cette aune, le prononcé d'une non-entrée en matière s'imposait.

D. a. Dans son recours, A______ SA reproche au Procureur d'avoir violé la norme pénale précitée. L’infraction de faux dans les titres était réalisée, pour les motifs préalablement exposés par ses soins.

b. À réception des sûretés, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT :

1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à contestation auprès de la Chambre de céans (art. 310 al. 2 et 322 al. 2 cum 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la plaignante, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP) qui a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé (art. 382 al. 1 CPP) à voir poursuivre l'infraction dénoncée (art. 251 CP), le faux allégué étant susceptible de prétériter l'exercice des droits attachés à son éventuelle qualité d’actionnaire (art. 115 CPP; arrêt du Tribunal fédéral 6B_588/2022 du 8 mai 2023 consid. 2.1.2).

2. La juridiction de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les actes manifestement mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

3. 3.1. Le prononcé d'une non-entrée en matière s'impose lorsque les conditions d'une infraction ne sont manifestement pas réunies (art. 310 al. 1 let. a CPP).

Il suffit, pour rendre une telle décision, qu'une seule desdites conditions ne soit pas réalisée (Y. JEANNERET/ A. KUHN/ C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 8 ad art. 310).

3.2. L’art. 251 CP sanctionne quiconque crée un titre faux ou constate faussement dans un titre un fait ayant une portée juridique, dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un avantage illicite.

3.2.1. Sur le plan objectif, le caractère mensonger d'un écrit (faux intellectuel) résulte aussi bien de la consignation d'éléments inexacts que de l'absence de mention de faits importants, donnant ainsi une image trompeuse de la réalité (ATF 115 IV 225 consid. 2d; arrêt du Tribunal fédéral 6B_987/2015 du 7 mars 2016 consid. 3).

Cet écrit doit, en outre, revêtir une crédibilité accrue (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1381/2021 du 24 janvier 2022 consid. 3.1.2).

3.2.2. Du point de vue subjectif, l'auteur doit agir intentionnellement – ce qui implique qu'il sache/accepte que le contenu du titre ne correspond pas à la vérité –, afin de tromper autrui (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1381/2021 du 24 janvier 2022 consid. 3.1.2).

3.3. Quand une partie conclut un contrat sous l'empire d'une erreur essentielle (art. 23 s. CO) ou d'un dol (art. 28 CO), elle peut l'invalider dans le délai d'une année (art. 31 CO).

Sa déclaration – qui n'a pas à être détaillée (ATF 106 II 346 consid. 3a) – ne produit d'effet que pour autant que le vice invoqué ait réellement existé, ce qu'il lui appartient de prouver lorsque son cocontractant le conteste (ATF 128 III 70 consid. 1b).

Si elle est valablement invalidée, la convention est caduque ex tunc; frappée de nullité absolue, elle est réputée n'avoir jamais existé (arrêt du Tribunal fédéral 4A_39/2022 du 7 février 2023 consid. 4.2.2).

3.4. Lorsqu'une société émet des actions nominatives, son conseil d'administration doit tenir un registre des actionnaires (P. TERCIER/ M. AMSTUTZ/ R. TRIGO TRINDADE [éds], Commentaire Romand - Code des obligations II, 2ème éd., Bâle 2024, n. 1 et 6 ad art. 686 CO).

L'inscription à ce registre est purement déclarative, en ce sens qu'elle ne fonde pas l’(in)existence d’un droit de propriété sur les actions mentionnées. Elle sert, avant tout, de légitimation à l'égard de la société, les personnes désignées étant habilitées à exercer les prérogatives attachées à leur qualité (P. TERCIER/ M. AMSTUTZ/ R. TRIGO TRINDADE [éds], op. cit., n. 8, 10 et 14 ad art. 686).

Pour procéder à cette inscription [ou la modifier], le conseil d'administration se base sur les pièces attestant de l'acquisition du sociétariat (P. TERCIER/ M. AMSTUTZ/ R. TRIGO TRINDADE [éds], op. cit., n. 18 ad art. 686). Il ne lui appartient cependant pas d'examiner la validité de la relation contractuelle entre l'acquéreur et l'aliénateur des actions (ibidem; P. BÖCKLI, Schweizer Aktienrecht, 5ème éd., Zurich 2022, p. 564 n. 281).

3.5.1. En l'espèce, la recourante reproche au mis en cause de l’avoir radiée du registre des actionnaires de D______ SA, le 10 mai 2023.

À supposer que l’extrait de ce registre, signé à cette dernière date, constitue un titre au sens de l'art. 251 CP – aspect qui souffre de demeurer indécis –, le caractère (in)exact de son contenu ne pourrait être constaté, en l’état.

En effet, l’on ignore si, le 30 juillet 2022, jour de la vente de 50% des actions nominatives de la société précitée à la recourante, C______ SA était effectivement en proie à un vice du consentement.

Les allégations des parties à cet égard – formulées dans leurs missives des 10 et 12 mai 2023 – sont impropres à trancher cette question, seule la réalité dudit vice l'étant.

Or, il appartient aux juridictions civiles – et non à l’administrateur de D______ SA – de résoudre cette problématique, dont le Tribunal de première instance est du reste saisi.

Ce ne sera donc qu'au terme de la procédure menée devant ces juridictions que l'on saura si l’invalidation du 10 mai 2023 est : valable, auquel cas le contrat de vente est réputé n’avoir jamais existé, avec pour conséquence que la recourante n’est pas devenue l’actionnaire de la société précitée – de sorte qu’elle n’avait point à figurer sur le registre litigieux –; infondée, hypothèse dans laquelle cette dernière conserverait, aujourd’hui encore, une telle qualité – si bien que son inscription audit registre devait être maintenue –.

Face à cette incertitude, il ne peut être reproché au mis en cause – et ce, qu’il ait respecté ou non les réquisits des art. 686 et ss CO – d'avoir, à la date précitée, intentionnellement consigné une fausse indication dans le registre des actionnaires de D______ SA.

3.5.2. Les développements de la recourante quant à la numérotation des extraits de ce même registre datés des 17 mars et 30 juillet 2022 ainsi que 10 mai 2023, respectivement quant à la légalisation de deux d'entre eux par différents notaires, sont impropres à confirmer/infirmer son statut d'actionnaire.

Ils ne seront donc pas examinés, faute d’être aptes à modifier la conclusion précitée.

3.6. À cette aune, la décision entreprise est exempte de critique dans son résultat.

Il s’ensuit que le recours doit être rejeté.

4. La recourante succombe (art. 428 al. 1 CPP).

Elle supportera, en conséquence, les frais de la procédure, arrêtés à CHF 2'000.- (art. 3 cum 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP;
E 4 10.03), somme qui sera prélevée sur les sûretés versées.

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Rejette le recours.

Condamne A______ SA aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 2'000.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle ses conseils, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Valérie LAUBER, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

 

P/13602/2024

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'915.00

Total

CHF

2'000.00