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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/21156/2022

ACPR/806/2024 du 04.11.2024 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : RETARD INJUSTIFIÉ
Normes : CPP.5

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/21156/2022 ACPR/806/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du lundi 4 novembre 2024

 

Entre

A______, représentée par Me Laurence PIQUEREZ, avocate, IUSTOPIA Law Firm, rue de Chantepoulet 10, 1201 Genève,

recourante

 

en déni de justice

 

contre

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé

 


EN FAIT :

A. a. Par acte déposé le 4 septembre 2024, A______ recourt en déni de justice contre le Ministère public.

Elle conclut à la constatation d’un retard injustifié à instruire et à ce qu’il soit enjoint au Ministère public de « reprendre » l’instruction de sa plainte du 16 septembre 2022 et de procéder, sous trente jours, à la mise en œuvre de deux expertises, l’une, psychiatrique, du prévenu et l’autre, médicale, de l’acte chirurgical pratiqué par celui-ci sur elle, tels que ces actes ont été demandés le 7 mars 2024.

b. La recourante a payé les sûretés, en CHF 1'000.-, qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.             A______ a été opérée de la hanche, à Genève, le 18 novembre 2021. Par la suite, elle a été suivie en mode post-opératoire, puis convalescent, par le chirurgien, qui s’est rapproché d’elle et l’aurait contrainte à subir des actes sexuels ou analogues à l’acte sexuel jusqu’au mois de février 2022. Par ailleurs, l’opération n’aurait pas été une réussite, et elle en subissait des séquelles.

b.             Le 16 septembre 2022, elle a déposé plainte à la police pour « abus sexuels de nature émotionnelle » et « lésions corporelles graves ».

c.              Quelques jours plus tard, par avocate, elle a adressé à la police un long courriel comportant les noms de personnes dont elle demandait l’audition, ainsi que les noms de deux médecins, l’un « auquel il conviendrait de s’adresser pour désigner un expert compétent et impartial » et l’autre, un orthopédiste qui aurait été le seul à Genève à pouvoir l’opérer selon le diagnostic posé.

d.             Le 16 novembre 2022, le Ministère public a ouvert une instruction des chefs d’infraction aux art. 125, 191 et 193 CP et décerné un mandat d’enquête à la police (auditionner le prévenu et perquisitionner son cabinet). La police a rendu un rapport d’exécution, le 14 février 2023.

e.              Dans l’intervalle (2 décembre 2022), A______, par avocat, s’était enquise de toute avancée, aussi minime fût-elle, de l’instruction ; à quoi le Ministère public a répondu qu’elle serait informée de tout développement issu du mandat du 16 novembre 2022.

f.               Par la suite, A______ a multiplié une correspondance analogue avec le Ministère public (les 8 mars, 16 mars, 29 août, 17 octobre, 9 novembre et 14 novembre 2023), cas échéant en lui faisant parvenir des rapports médicaux.

g.             Après avoir été ajournée, la confrontation qu’elle avait demandée le 17 octobre 2023 avec le chirurgien s’est tenue le 21 décembre 2023, puis poursuivie le 31 janvier 2024, date à laquelle les parties ont demandé et obtenu l’accès au dossier.

h.             Après avoir produit une nouvelle pièce, le 7 février 2024, A______ a demandé, le 9 février 2024, un délai (qui lui sera accordé) pour produire des conversations WhatsApp qu’elle avait eues avec le prévenu.

i.               Le 21 février 2024, elle a annoncé qu’elle différait le dépôt desdites conversations (qu’elle enverra le 1er mars suivant) et a versé au dossier sept documents, dont quatre rapports médicaux.

j.               Le 6 mars 2024, l’avocat du chirurgien a demandé le versement à la procédure de deux dossiers médicaux en mains de deux médecins mentionnés par la plaignante lors de l’audience du 31 janvier précédent, tout en s’opposant à ce que le médecin suggéré par celle-ci à la police soit désigné comme expert.

k.             Le 7 mars 2024, conjointement à la production de cinq documents inédits, A______ a requis une expertise médicale (répétant le nom du médecin fourni à la police), trois auditions, ainsi que l’expertise psychiatrique du prévenu.

l.               Elle a encore produit des pièces à caractère médical les 22 et 28 mars, 21 mai, 14 juin, 18 juillet et 16 août 2024.

m.           À l’occasion de ce dernier envoi, elle s’est plainte qu’aucune suite n’eût été donnée à ses réquisitions de preuve du 7 mars précédent, déplorant que l’instruction soit « une nouvelle fois » à l’arrêt. Si les démarches en vue des deux expertises sollicitées n’étaient pas entreprises avant la fin du mois d’août 2024, elle agirait en déni de justice.

n.             Le 9 septembre 2024, le Ministère public a requis les dossiers en mains des médecins évoqués par la plaignante (let. B. f. et i. supra), qu’il a simultanément convoqués en qualité de témoins.

o.             Le 18 septembre 2024, l’un d’eux a protesté que ses liens d’amitié avec le prévenu étaient un obstacle à son audition. Le 24 suivant, le Ministère public a avisé les parties qu’il annulait les auditions programmées et ordonnerait une expertise médicale.

C. a. À l'appui de son recours, A______ estime que l’instruction est au point mort depuis le 31 janvier 2024. Elle reproche au Ministère public de n’avoir rien fait, sinon d’autoriser l’accès au dossier. C’était la seconde période d’inactivité dans la procédure, la première s’étant étendue sur neuf mois, en 2023. Même si le Ministère public devait avoir agi après sa lettre du 16 août 2024, ces deux laps de temps consacraient un déni de justice.

b. Le Ministère public estime que les quelques temps morts qu’avait connus son instruction n’étaient pas choquants. L’expertise médicale serait lancée après réception des dossiers médicaux demandés. Quant à l’expertise psychiatrique du prévenu, une décision sur ce point était prématurée.

c. A______ réplique en persistant dans son recours. Rien ne justifiait de différer l’expertise psychiatrique, puisqu’elle porterait sur un aspect du dossier distinct de l’erreur médicale, soit l’atteinte à son intégrité sexuelle.

EN DROIT :

1.             Le recours pour déni de justice émane de la partie plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à obtenir une décision de l'autorité sollicitée (art. 382 al. 1 CPP). Aucun délai n’est requis (art. 396 al. 2 CPP).

2.             La recourante reproche au Ministère public un déni de justice et un retard injustifié dans l'instruction de la présente procédure.

2.1.       Les art. 29 al. 1 Cst. féd. et 5 CPP garantissent à toute personne le droit à ce que sa cause soit traitée dans un délai raisonnable; ils consacrent le principe de célérité et prohibent le retard injustifié à statuer. L'autorité viole cette garantie lorsqu'elle ne rend pas une décision qu'il lui incombe de prendre dans le délai prescrit par la loi ou celui que la nature de l'affaire et les circonstances font apparaître comme raisonnable.

Le caractère approprié de ce délai s'apprécie selon les circonstances particulières de la cause, eu égard notamment à la complexité de l'affaire, à l'enjeu du litige pour l'intéressé, à son comportement ainsi qu'à celui des autorités compétentes
(ATF 133 I 270 consid. 3.4.2). Des périodes d'activité intense peuvent compenser le fait que le dossier a été laissé momentanément de côté en raison d'autres affaires. L'on ne saurait reprocher à l'autorité quelques temps morts, qui sont inévitables dans une procédure (ATF 143 IV 373 consid. 1.3.1) ; lorsqu'aucun d'eux n'est d'une durée vraiment choquante, c'est l'appréciation d'ensemble qui prévaut. Selon la jurisprudence, apparaît comme une carence choquante une inactivité de treize ou quatorze mois au stade de l'instruction (arrêt du Tribunal fédéral 6B_172/2020 du 28 avril 2020 consid. 5.). Ainsi, seul un manquement particulièrement grave, faisant au surplus apparaître que l'autorité de poursuite n'est plus en mesure de conduire la procédure à chef dans un délai raisonnable, pourrait conduire à l'admission de la violation du principe de la célérité (ATF 140 IV 74 consid. 3.2).

Il appartient au justiciable d'entreprendre ce qui est en son pouvoir pour que l'autorité fasse diligence, par exemple en l'invitant à accélérer la procédure et à statuer à bref délai, s'il veut pouvoir ensuite soulever ce grief devant l'autorité de recours
(ATF 130 I 312 consid. 5.2 ; 126 V 244 consid. 2d). Il serait en effet contraire au principe de la bonne foi, qui doit présider aux relations entre organes de l'État et particuliers en vertu de l'art. 5 al. 3 Cst., qu'un justiciable se plaigne d'un déni de justice devant l'autorité de recours, alors qu'il n'a entrepris aucune démarche auprès de l'autorité concernée pour remédier à la situation (ATF 149 II 476 consid. 1.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_4/2023 du 27 février 2023 consid. 2.2).

2.2.       En l’occurrence, la recourante amalgame, en les additionnant, deux périodes distinctes pendant lesquelles la procédure n’aurait connu aucune évolution.

À supposer que les premiers temps de l’instruction n’eussent pas reçu tout l’élan qu’elle souhaitait, force serait de constater que les deux audiences de confrontation tenues en fin 2023 et au début 2024 rendraient son grief sans objet. Du reste, si sa lettre du 8 mars 2023 demandait, certes, au Ministère public de « faire [son] possible » pour que l’instruction avance, son second pli cette année-là, du 17 octobre 2023, portait précisément sur la tenue d’une confrontation – qui eut lieu –.

Pour la période qui court de février 2024 (dernière audience d’instruction) à septembre 2024 (dépôt du recours), pendant laquelle le dossier s’est étoffé de multiples lettres et pièces versées principalement par la recourante, celle-ci met en exergue ses réquisitions en expertises du 7 mars 2024.

En premier lieu, quand bien même les parties et le Ministère public semblent tacitement partir de l’idée qu’une expertise en vue de trancher l’éventuelle existence d’une erreur médicale est incontournable, cette mesure d’instruction n’a été formellement requise que le 7 mars 2024. La recourante ne peut pas sérieusement prétendre que la suggestion d’un nom d’expert à la police (plus exactement, d’un médecin qui pourrait en proposer un) valait première demande dans ce sens ; qui plus est, le courriel parvenu à la police à ce sujet émanait de son avocat, professionnel du droit qui ne pouvait manquer de savoir que la police, faute d’assumer la direction de la procédure (cf. art. 61 CPP), n’a aucune compétence fonctionnelle pour s’y lancer (art. 182 et 184 al. 1 CPP). Les moyens de preuve évoqués ensuite en audience n’ont pas porté là-dessus. L’idée n’a pas été relancée avant le 7 mars 2024. Il est vrai que la lettre datée de ce jour-là n’a pas été honorée d’une réponse, alors que la courtoisie l’eût commandée, ne serait-ce qu’aux fins d’éviter des relances (ACPR/476/2013 du 17 octobre 2013 consid. 4.3.2.), voire le dépôt d’un recours pour déni de justice (ACPR/184/2023 du 14 mars 2023 consid. 2.1.).

Cela étant, après la mise en demeure formée par la recourante, le 16 août 2024, le Ministère public n’est pas resté inactif : le 9 septembre 2024, il a demandé à deux médecins de produire leurs dossiers et les a simultanément convoqués pour une audition contradictoire. Il est vrai, là aussi, qu’il ne s’est pas prononcé clairement sur une expertise médicale avant l’annulation de ces audiences. Mais la recourante ne saurait obtenir par la voie du recours en déni de justice une décision positive sur une réquisition de preuve à laquelle le Ministère public n’a pas répondu. À certaines conditions, le refus formel d’une telle réquisition peut être attaqué par la voie du recours (cf. art. 394 let. b CPP). De toute façon, dans son avis aux parties du 24 septembre 2024, le Ministère public a clairement laissé entendre qu’il acceptait de s’engager dans la voie de l’expertise médicale réclamée par la recourante.

Quant à soumettre le prévenu à une expertise psychiatrique, réquisition qui n’émerge que le 7 mars 2024, la recourante a obtenu une réponse, à tout le moins par le truchement des observations du Ministère public, à savoir qu’il serait prématuré d’envisager cette investigation. Pour les motifs qu’on vient d’exposer, elle ne saurait obtenir un autre avis de la Chambre de céans à l’occasion du présent recours.

Pour le surplus, le délai écoulé entre le 7 mars et le 16 août 2024 n’atteint pas le quantum des carences flétries en jurisprudence. Il en va ainsi, à plus forte raison, du bref délai pris par le Ministère public pour réagir après la mise en demeure du 16 août 2024.

Ces considérations scellent le sort du recours, qui doit être rejeté.

3. La recourante, qui n'obtient pas gain de cause, supportera les frais de la procédure, fixés en totalité à CHF 1'000.- (art. 428 al. 1 CPP; art. 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03).


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure, arrêtés à CHF 1'000.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante (soit pour elle son conseil) et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Valérie LAUBER et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière.

 

La greffière :

Olivia SOBRINO

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/21156/2022

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

915.00

Total

CHF

1'000.00