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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/15996/2021

ACPR/739/2024 du 15.10.2024 ( MP ) , ADMIS/PARTIEL

Descripteurs : SÛRETÉS;AVANCE DE FRAIS;INFRACTIONS CONTRE L'HONNEUR
Normes : CPP.303a; CP.173; CP.174

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/15996/2021 ACPR/739/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 15 octobre 2024

 

Entre

A______, domiciliée ______ [VD], agissant en personne,

recourante,

 

contre la demande de sûretés rendue par le Ministère public le 13 mai 2024,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,
1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 23 mai 2024, A______ recourt contre la décision du 13 précédent, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public l'a astreinte à verser la somme de CHF 2'000.- à titre de sûretés.

La recourante conclut, préalablement, à l'octroi de l'effet suspensif à son recours [accordé par ordonnance OCPR/28/2024 de la Direction de procédure du 28 mai 2024] et, sous suite de frais, à l'annulation de la décision querellée.

b. Elle a versé les sûretés en CHF 1'000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. B______ et C______ sont les parents d'une fille, née en 2011. Séparés depuis 2016, ils s'opposent depuis lors dans le cadre de diverses procédures civiles et pénales.

b. Par arrêts AARP/403/2020 du 26 novembre 2020 et AARP/93/2024 du 4 mars 2024 de la Chambre pénale d'appel et de révision (ci-après, CPAR) – entrés en force – , B______ a été condamnée, pour diffamation (art. 173 CP), calomnie (art. 174 CP), tentative de contrainte (art. 22 cum 181 CP) et insoumission à une décision de l'autorité (art. 292 CP), par suite de plaintes déposées par son ex-compagnon et les parents de celui-ci, A______ et D______.

Elle a également été condamnée, par jugement du Tribunal de police du 31 mai 2023 (P/1______/2020), pour ces mêmes infractions, procédure actuellement pendante devant la CPAR.

c. Par suite de plaintes pénales déposées notamment par C______ et ses parents entre les 8 avril 2021 et 9 février 2023, le Ministère public instruit depuis décembre 2021 une procédure pénale contre B______ des chefs de diffamation, calomnie, injure, menaces et contrainte (P/15996/2021).

Il lui est notamment reproché d'avoir publié, depuis 2021, sur les réseaux sociaux, des propos à caractère diffamatoires, voire calomnieux, envers les précités, les accusant de différentes infractions pénales en lien avec sa fille.

d. Entre les 11 avril 2022 et 3 juillet 2023, B______ a été arrêtée à quatre reprises, puis libérée sous mesures de substitution consistant notamment en l'interdiction de tenir par écrit ou par oral quelque propos que ce soit à l'encontre des plaignants, de nature à porter atteinte à leur honneur ou se rapportant aux faits faisant l'objet de la présente procédure.

e. Entendue plusieurs fois par le Ministère public – la dernière fois le 3 juillet 2023, à la suite de nouvelles plaintes déposées à son encontre entre les 3 avril et 26 juin 2023 par C______ et A______ pour notamment des infractions contre l'honneur – la prévenue a contesté les faits reprochés, précisant avoir dit la vérité.

f. Par courriers des 26 juillet 2023 et 7 mars 2024, A______ a déposé des plaintes complémentaires contre la précitée pour diffamation, calomnie, menaces et incitation à la haine. Elle lui reproche notamment d'avoir, en violation des mesures de substitution, porté atteinte à son honneur par de multiples publications en ligne et d'avoir incité une de ses "2'300 followers" à la menacer.

Ces dénonciations ont été jointes à la présente procédure.

g. Par ordonnance du 5 janvier 2024, le Tribunal des mesures de contrainte a prolongé jusqu'au 4 juillet 2024 les mesures de substitution à l'encontre de B______.

C. Dans la décision querellée, le Ministère public, se référant aux "plaintes pénales déposées [par A______] contre B______ pour des infractions contre l'honneur", impartit à la plaignante un délai au 14 juin 2024 pour verser la somme de CHF 2'000.-, à titre de sûretés. À défaut, "votre plainte pénale sera réputée retirée".

D. a. À l'appui de son recours, A______ reproche au Ministère public d'avoir violé l'art. 303a CPP en l'ayant astreinte à fournir des sûretés. En effet, les faits reprochés à B______ étaient graves et, contrairement à ce que semblait considérer l'autorité précédente, ses plaintes n'étaient pas déposées "dans des situations chargées d'émotion", ni dans un esprit de revanche. Par ailleurs, de nombreuses procédures ouvertes à l'encontre de la précitée avaient fait l'objet de condamnations pour diffamation et calomnie. En tout état de cause, l'art. 303a CPP n'avait pas d'effet rétroactif et ne s'appliquait qu'aux délits contre l'honneur. Enfin, la décision querellée était inopportune.

b. Dans ses observations, le Ministère public conclut au rejet du recours. Les sûretés visaient à couvrir les frais de la procédure en lien avec les dernières plaintes déposées par la recourante. En cas de non versement, une ordonnance de non-entrée en matière serait prononcée "en lien avec les plaintes déposées depuis l'entrée en vigueur de l'art. 303a CPP".

c. Dans sa réplique, A______ persiste dans les termes de son recours. Contrairement à ce que soutenait le Ministère public, depuis l'entrée en vigueur de l'art. 303a CPP, elle n'avait déposé qu'une seule plainte à l'encontre de B______. Par ailleurs, cette dernière continuait "presque quotidiennement" de publier des messages attentatoires à son honneur.

 

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et – faute de notification conforme à l'art. 85 al. 2 CPP – dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une décision sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP; arrêt UH240059 de l'Obergericht Zurich du 4 avril 2024 consid. 1; M. NIGGLI / M. HEER / H. WIPRÄCHTIGER (éds), Basler Kommentar StPO / JStPO, 3ème éd., Bâle 2023, n. 20 ad art. 303a) et émaner de la plaignante, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), qui dispose d'un intérêt juridiquement protégé à la modification de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             La recourante reproche au Ministère public de l'avoir astreinte à fournir des sûretés.

2.1.       Aux termes de l'art. 303a CPP, entré en vigueur le 1er janvier 2024, en cas de délit contre l'honneur, le ministère public peut astreindre le plaignant à fournir des sûretés dans un délai déterminé pour couvrir les éventuels frais et indemnités (al. 1). Si les sûretés ne sont pas fournies dans le délai imparti, la plainte pénale est réputée retirée (al. 2).

Les sûretés prévues par cette disposition sont justifiées, dans la mesure où, dans les infractions contre l'honneur, la motivation du plaignant n'est bien souvent pas de dénoncer la violation d'un bien juridique, mais plutôt le désir de revanche. Si les motifs prépondérants de la plainte sont de cette nature, il paraît justifié de demander le versement d'une avance avant que la machine judiciaire ne se mette en mouvement. L'art. 303a CPP n'implique aucune obligation de requérir des sûretés. Au contraire, le ministère public disposera d'une marge discrétionnaire pour statuer tant sur la fourniture des sûretés en tant que telle, que sur leur montant. Ce faisant, il doit notamment tenir compte de la portée de la cause et de la situation financière du plaignant (Message du Conseil fédéral du 28 août 2019 [19.048] concernant la modification du code de procédure pénale [mise en œuvre de la motion 14.3383 de la Commission des affaires juridiques du Conseil des États « Adaptation du code de procédure pénale »], FF 2019 6351, pp. 6408 s.; Bulletin officiel de l'Assemblée fédérale, Conseil national [BO CN] 2021, pp. 625 s; N. SCHMID / D. JOSITSCH, Schweizerische Strafprozessordnung : Praxiskommentar, 4ème éd., Zurich 2023, n. 1 ad art. 303a).

L'art. 303a CPP est formulé comme une Kann-Vorschrift et confère au ministère public un large pouvoir d'appréciation (arrêt UH240059 précité consid. 3.2; M. NIGGLI / M. HEER / H. WIPRÄCHTIGER (éds), op. cit., n. 13 ad art. 303a). Son champ d'application n'est pas limité aux cas dûment justifiés, contrairement à l'art. 316 al. 4 2ème phrase CPP (M. NIGGLI / M. HEER / H. WIPRÄCHTIGER (éds), op. cit., n. 13 ad art. 303a). Plus particulièrement, la motivation du plaignant ne constitue pas une condition à examiner lors de la décision relative à la fourniture des sûretés (arrêt UH240059 précité consid. 4.2). Cela étant, l'autorité doit respecter les dispositions procédurales pertinentes et s'abstenir de tout arbitraire, discrimination ou inégalité de traitement, et user de son pouvoir d'appréciation de manière conforme à ses devoirs, en tenant compte du sens et du but de la disposition (ATF 140 III 159 consid. 4.2; 138 I 305 consid. 1.4.3; 137 V 71 consid. 5.2 et 129 I 232 consid. 3.3).

2.2. En l'espèce, sur le principe de la fourniture de sûretés, le Ministère public jouit d'un important pouvoir d'appréciation. Conformément aux principes sus-énoncés, cette autorité ne doit pas, avant de statuer sur les sûretés, se livrer à un examen des motifs prépondérants de la plainte, puisque l'art. 303a CPP n'est pas limité à certains cas dûment justifiés. Que la prévenue ait été condamnée dans des procédures parallèles ne prive par ailleurs pas le Ministère public de la possibilité de demander des sûretés. En outre, l'art. 303a CPP s'applique aux plaintes déposées dès l'entrée en vigueur de cette disposition, le 1er janvier 2024, quel que soit le stade d'avancement de la procédure dans laquelle ces plaintes sont déposées. Une demande de sûretés peut ainsi viser de nouvelles plaintes dans une procédure pénale déjà existante. La recourante ne saurait dès lors se fonder, ici, sur le principe de la non rétroactivité des lois.

On ne voit pas non plus en quoi assortir de sûretés le dépôt de nouvelles plaintes serait inopportun, au sens de l'art. 393 al. 2 let. c CPP, au contraire, puisque, dans ce cas, le plaignant pourrait d'autant plus avoir des prétentions civiles contre le mis en cause soupçonné d'être l'auteur d'atteintes à l'honneur (M. NIGGLI / M. HEER / H. WIPRÄCHTIGER (éds), op. cit., n. 13 ad art. 303a). L'art. 303a CPP n'a, au demeurant, nullement pour but d'empêcher l'accomplissement de nouvelles infractions, puisqu'il s'adresse au plaignant et non au mis en cause. Il suffit que les conditions d'application de cette disposition soient remplies, comme ici, pour justifier sa mise en œuvre.

Partant, dans son principe, la décision soumettant la recourante à la fourniture de sûretés pour sa nouvelle plainte contre l'honneur contre la prévenue ne prête pas le flanc à la critique. Cela étant, le montant réclamé de CHF 2'000.- doit être considéré comme disproportionné. En effet, à teneur des éléments du dossier remis à la Chambre de céans, la recourante a déposé une seule plainte en 2024, laquelle ne se limite de plus pas à des infractions contre l'honneur. Par ailleurs, cette plainte s'inscrit dans la continuité de celles faisant l'objet de l'instruction ouverte contre la prévenue.

Partant le montant des sûretés sera ramené à CHF 500.- pour tenir compte du contexte précité.

3. Le recours sera partiellement admis.

4. La recourante, qui n'obtient que partiellement gain de cause, supportera la moitié des frais de la procédure, fixés en totalité à CHF 600.- (art. 428 al. 1 CPP; art. 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03), soit CHF 300.-, le solde étant laissé à la charge de l'État.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet partiellement le recours.

Ramène le montant des sûretés demandées pour la plainte du 7 mars 2024 à CHF 500.-.

Condamne A______ à la moitié des frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 600.-, soit au paiement de CHF 300.-, l'autre moitié étant laissée à la charge de l'État.

Dit que ce montant (CHF 300.-) sera prélevé sur les sûretés versées (CHF 1'000.-).

Invite les services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer CHF 700.- à A______.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Valérie LAUBER, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

Le greffier :

Julien CASEYS

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).

P/15996/2021

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

515.00

Total

CHF

600.00