Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/731/2024 du 11.10.2024 sur OMP/19160/2024 ( MP ) , REJETE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/5452/2023 ACPR/731/2024 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du vendredi 11 octobre 2024 |
Entre
A______, représenté par Me B______, avocat,
recourant,
contre l'ordonnance de reprise de la procédure préliminaire rendue le 13 septembre 2024 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. Par acte déposé le 27 septembre 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 13 septembre précédent, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a ordonné la reprise de la procédure préliminaire ouverte à son encontre, préalablement classée.
Le recourant conclut à l'annulation de ladite ordonnance et subsidiairement, cela fait, au renvoi de la procédure au Ministère public pour nouvelle décision dans le sens des considérants, frais de la procédure laissés à la charge de l'État.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
Procédure P/5452/2023
a. C______, née le ______ 1967, a porté plainte pénale à la police le 24 janvier 2023 à l'encontre de son mari depuis le ______ 1990, A______, né le ______ 1963. Les tensions avaient commencé dans leur couple après six mois de mariage. Ils étaient séparés depuis le début de l'année 2020, car son époux jouait au casino et fréquentait d'autres femmes. Il l'avait battue régulièrement, avec plus ou moins d'intensité selon les périodes, au Kosovo et en Suisse, à coups de poing, de pied et de ceinture sur tout le corps, y compris la tête. Il l'avait frappée avec un bâton alors qu'ils vivaient dans un foyer à D______. En 2019, il avait placé un duvet sur son visage pour lui couper la respiration et avait serré sa gorge. Il s'était arrêté lorsqu'elle n'était plus arrivée à respirer. Le 22 mai 2022, il l'avait menacée de mort en lui courant après autour de son domicile. Des voisins avaient vu la scène. Il lui avait dit que lui vivant, il ne la laisserait pas vivre, ni en Suisse, ni au Kosovo. Le 31 décembre 2022 dans l'après-midi, il l'avait poursuivie dans la rue et lui avait demandé de s'arrêter, sinon il la tuerait. Il avait pris la fuite à cause de ses cris.
Il lui causait des problèmes car elle refusait qu'il s'accapare une maison qu'elle avait aussi financée. Elle ne se sentait plus en sécurité ni à la maison, ni dans la rue. Elle devait consulter un psychologue "à cause de lui" et ne pouvait travailler plus qu'à 50%.
b. A______ a contesté ces faits lors de son audition devant la police le 24 janvier 2023. Jamais il ne ferait du mal à son épouse. Il ne voulait "plus" répondre aux accusations de violences; cela lui faisait mal.
c. Entendue sur mandat d'actes d'enquête du Ministère public du 19 avril 2023, C______ a, le 24 mai suivant, indiqué qu'elle n'avait pas de photographies des lésions subies, car elle les avait perdues. Ses enfants E______, né le ______ 1991, et F______, né le ______ 1990, avaient été témoins des violences, surtout le premier. Son médecin avait seulement pris des notes car elle ne l'avait pas autorisé à prendre des photos. Tout le monde avait vu ses blessures mais ces personnes, dont elle ne voulait pas donner l'identité, ne répondraient pas aux éventuelles convocations de la police. Elle risquait des problèmes si elle impliquait d'autres personnes, vu leurs traditions. Elle ne souhaitait pas délier son médecin et ses psychologues de leur secret médical et ne voulait pas aller plus loin dans ce processus. Elle avait peur que son époux se venge plus tard si la condamnation était trop sévère.
d. Le Ministère public a, le 28 août 2023, classé la plainte du 24 janvier 2023, considérant l'absence de soupçon qui justifierait une mise en accusation. C______ avait refusé de fournir des éléments de preuves des faits qu'elle avançait, en particulier l'identité de témoins, notamment de son médecin et de son psychologue, et avait refusé que ces derniers soient déliés de leur secret médical.
Dans ces circonstances, une condamnation de A______ était exclue et la maxime in dubio pro duriore ne s'opposait pas au classement.
Cette ordonnance a été notifiée à C______ le 8 septembre 2023.
Procédure P/27590/2023 (jointe à la P/5452/2023 le 13 septembre 2024)
e. Le 8 septembre 2023, C______, entendue sur convocation orale de la police du 31 août 2023, a déposé une nouvelle plainte contre A______. Elle est revenue sur des violences subies au Kosovo dans les années 1990, puis à leur arrivée en Suisse en 1995. À cette époque, il l'avait frappée jusqu'au sang, lui avait arraché ses habits, avait pris un rasoir et menacé de lui couper les seins. Des membres de sa famille à elle étaient intervenus pour l'en empêcher. Durant les trois premières années à compter de leur arrivée en Suisse, son époux l'enfermait dans l'appartement avec leurs enfants, sans téléphone, alors qu'il s'en allait de 19h00 à 7h30 le lendemain. Une fois qu'elle était très malade, ses voisins avaient dû faire appel à un serrurier pour ouvrir la porte et permettre qu'elle soit conduite à l'hôpital en ambulance.
Entre 2014 et 2018, comme elle était fatiguée en raison du travail – alors que son époux dilapidait leur argent au casino – et ne voulait pas entretenir de relations sexuelles avec lui, il la forçait physiquement à en avoir. En 2019, il avait essayé de la forcer à entretenir une relation anale, mais elle avait réussi à le repousser, tout en criant, et il avait abandonné. Le 18 août 2023, alors qu'ils se trouvaient tous deux dans leur maison au Kosovo, avec leur fils E______, il lui avait saisi le poignet alors qu'elle voulait se réfugier dans sa chambre. Elle avait réussi à lui faire lâcher prise. Elle s'était sentie tellement mal qu'elle avait pratiquement perdu connaissance et s'était rendue à l'hôpital.
Elle avait conservé des violences subies de grosses douleurs au dos et à la nuque, car son époux la frappait avec une ceinture. Elle ne suivait aucun traitement médical mais consultait un psychologue.
Il était arrivé que son époux la frappe devant leurs deux enfants, surtout E______, ou encore devant sa famille et sa sœur à elle.
f. Devant la police le 14 septembre 2023, E______ a déclaré avoir, depuis les années 1994-1995 et pendant 20 ans, été témoin de plusieurs altercations entre ses parents, lesquelles avaient pris fin lorsque F______ s'était énervé et avait donné un coup de poing à leur père, ce qui l'avait calmé. Il avait notamment vu son père gifler sa mère, la jeter au sol, lui donner des coups de ceinture. Les violences étaient quasiment quotidiennes et il avait vu à maintes reprises le visage de sa mère tuméfié. Alors qu'il était petit, son père les enfermait à clé dans l'appartement lorsqu'il s'en allait. Sa mère lui avait parlé environ deux ans plus tôt de contrainte sexuelle, mas il n'avait pas envie d'en dire plus, car il ne voulait pas y penser.
Il avait, durant son enfance, reçu des corrections "plus que nécessaires et à maintes reprises sans raison", notamment des coups de ceinture ou avec des branches fines, ainsi que de grosses gifles.
g. Il ressort du rapport de police du 14 décembre 2023 que F______ ne s'est pas présenté à la police malgré l'envoi de deux convocations et de nombreuses tentatives de le contacter par téléphone.
h. Entendu par la police le 19 novembre 2023, A______ a évoqué des disputes d'un couple normal pendant la vie commune avec son épouse. Il lui était peut-être arrivé de la pousser et de la gifler, alors qu'ils venaient de perdre leur troisième enfant et que ça l'avait rendu nerveux. Il n'avait jamais enfermé son épouse à l'intérieur de l'appartement. Il ne l'avait jamais forcée à avoir des relations sexuelles. Il ignorait pourquoi E______ avait déclaré qu'il l'avait violenté et l'avait vu asséner des gifles et des coups de ceinture à son épouse.
i. Entendue une nouvelle fois le 12 janvier 2024 sur mandat du Ministère public, C______ a précisé que son époux voulait, à leur domicile à Genève, entretenir des relations sexuelles tous les soirs, mais qu'elle n'y arrivait pas en raison de sa fatigue. Il criait alors et la forçait. Il n'avait à ces occasions jamais usé de violences physiques, mais jeté des objets.
Elle avait vraiment très peur de son mari, qu'il la tue même, et demandait à être protégée, tout comme ses enfants et toute sa famille. Elle avait de gros problèmes de santé "à cause de toute cette histoire", soit cardiaques et à l'estomac.
j. Selon une attestation de la directrice adjointe du foyer G______ du 10 décembre 2023, C______, qui y avait séjourné du 18 février au 11 novembre 2020 (en foyer d'urgence puis dans un appartement) avait mentionné à plusieurs reprises être harcelée par son époux, par téléphone et par des présences physiques. Il se montrait très agressif, la menaçait de mort, allant jusqu'à la bloquer conte le mur. Elle en avait très peur.
k. Il ressort d'un rapport médical établi le 22 janvier 2024 par la Dre H______ qu'elle avait été le médecin traitant de C______ du 15 juin 1996 au 6 décembre 2018. Elle l'avait – notamment – consultée pour des contusions "suite à des chutes (?)". Ce n'était que le 15 novembre 2022 que sa patiente avait osé aborder les violences subies de la part de son époux, qui la frappait, l'enfermait à clé avec ses enfants, l'insultait et l'humiliait. Il la forçait également à avoir des relations sexuelles non désirées.
Lors d'un entretien avec le couple le 7 octobre 2008, le mari de sa patiente s'était montré menaçant à son égard, outré de devoir lui parler. Il minimisait les soucis financiers et ignorait les violences exprimées par son épouse. Le 1er novembre 2011, il avait fait une crise violente contre son épouse et leurs enfants. Le 21 juin 2016, sa patiente avait fait état de violences physiques et sexuelles toujours importantes. Le 4 octobre 2023, elle lui avait rappelé la tentative d'étranglement par son mari. Elle lui avait dit avoir discuté avec son fils E______ qui se souvenait des violences de son père. Elle lui avait demandé de témoigner des violences subies à répétition de la part de son mari et en raison desquelles elle l'avait consultée.
l. Lors d'une audience de confrontation devant le Ministère public le 18 mars 2024, A______, mis en prévention pour viol et tentative de contrainte sexuelle, a contesté les dires de son épouse. Il n'était pas un monstre.
m. La Dre H______ a confirmé en substance la teneur de son attestation lors de son audition devant le Ministère public le 29 août 2024 et a déposé ses notes de consultations. Elle a précisé qu'elle n'avait pas constaté de lésions qu'elle aurait pu mettre en relation avec des coups.
n. Le 9 septembre 2024, C______, par son conseil, a requis la reprise de la procédure P/5452/2023 au regard des faits nouveaux recueillis, notamment lors de l'audition de la Dre H______.
Elle a produit à cette occasion un certificat médical émis le 12 décembre 2023 par le Dre I______, psychiatre et psychothérapeute FMH. Il ressort de ce document qu'elle avait suivi le couple A______/C______ pendant un an en 2002/2003, puis C______, seule, pendant six mois. Celle-ci lui avait alors fait part de violences constantes, psychiques, financières et même sexuelles de la part de son mari depuis des années. Elle avait relaté des viols très fréquents et même des tentatives de sodomie. À une reprise, son mari avait essayé de lui couper les seins avec une lame de rasoir. Les violences énoncées étaient "sidérantes" et s'étendaient sur des décennies.
o. Le 17 septembre 2024, le Ministère public a fait savoir aux conseils des parties qu'il entendait procéder aux auditions des deux fils du couple et au médecin psychiatre ayant suivi C______ avant la Dre I______.
p. Le conseil de A______ a consulté la procédure P/27590/2023 les 19 mars, 28 août et 18 septembre 2024.
C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public a retenu que les moyens de preuve découverts dans la procédure P/27590/2023 allaient dans le sens d'une responsabilité du prévenu qui ne ressortait pas du dossier antérieur.
D. a. À l'appui de son recours, A______ fait valoir une violation de son droit d'être entendu ainsi que de l'art. 323 al. 1 let. a et b CPP.
La motivation de la décision litigieuse était lacunaire, dans la mesure où elle n'indiquait pas, même sommairement, quels étaient les éléments probatoires découverts qui réaliseraient les conditions restrictives d'une reprise de la procédure préliminaire, précédemment classée. Il se trouvait dans l'impossibilité de comprendre et de critiquer ces prétendus motifs et d'attaquer la décision en connaissance de cause.
Dans son ordonnance de classement dans la procédure P/5452/2023, après audition des deux parties, le Ministère public n'avait pas accordé de poids décisif aux déclarations de C______. Le refus de celle-ci de fournir des moyens de preuve propres à démontrer ce qu'elle avançait justifiait également ce classement.
Les auditions des époux A______/C______ à la police et en audience de confrontation le 18 mars 2024, dans la P/27590/2023, à la suite de la plainte déposée le 8 septembre 2023 par C______, ne sauraient constituer des éléments nouveaux. Le dossier antérieur mentionnait en effet déjà des faits de violence.
Les certificats médicaux et le procès-verbal d'audition de la Dre H______, consignés dans la P/27590/2023, ne traitaient pas spécifiquement des faits de violence visés par la P/5452/2023, en particulier tels qu'ils lui avaient été exhaustivement reprochés – à savoir d'avoir régulièrement battu son épouse entre 1995 et 2020, de lui avoir placé un duvet sur son visage et serré la gorge pour l'empêcher de respirer en 2019 et de lui avoir dit le 31 décembre 2022 qu'elle devait s'arrêter, sinon il allait la tuer – et avaient été fournis à l'appui d'infractions reprochées à l'intégrité sexuelle. Ces éléments ne constituaient donc pas un moyen de preuve nouveau et pertinent susceptible de révéler sa responsabilité pénale. La Dre H______ avait de plus déclaré ne pas avoir constaté de blessure ni d'hématome sur C______, ce qui contredisait les déclarations de cette dernière à la police le 24 mai 2023.
Par ailleurs, le Ministère public avait fait le choix, dans la P/5452/2023, de ne pas confronter les parties, alors qu'une telle démarche aurait certainement eu pour effet de faire émerger des moyens de preuve qui existaient déjà à l'époque et "dont le Procureur avait connaissance dans leur principe". Même si C______ avait refusé de donner l'identité d'éventuels témoins – qu'elle aurait éventuellement pu donner en audience de confrontation, de même que délier ses médecins de leur secret – le Ministère public aurait pu acquérir la connaissance d'un tel moyen de preuve par une simple enquête de voisinage, voire l'audition de leurs deux fils, étant relevé que leur mère avait expressément indiqué le 24 mai 2023 que E______ avait "vu directement plusieurs fois ces violences". Le Ministère public avait au demeurant annoncé vouloir procéder à de telles auditions. Cette autorité avait ainsi connaissance de moyens de preuves qu'il n'avait pas cherché à administrer, alors même qu'une approche diligente les aurait mis à sa portée.
Le refus de collaborer de C______ devait s'appréhender à l'aune du principe de la bonne foi ou de l'interdiction de l'abus de droit. Il relevait de son choix selon l'ordonnance de classement qui ne retenait pas que son refus de fournir des éléments de preuve aurait été induit par des pressions ou la peur de représailles. Cette posture pourrait, elle aussi, constituer un obstacle dirimant à la reprise de la procédure P/5452/2023.
b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.
EN DROIT :
1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).
2. La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement irrecevables ou mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.
3. Dans un grief formel qu'il convient de traiter en premier, le recourant se plaint d'une motivation insuffisante de la décision attaquée.
3.1. L'obligation de motiver, telle qu'elle découle du droit d'être entendu (art. 29 al. 2 Cst.; cf. aussi art. 3 al. 2 let. c et 107 CPP), est respectée lorsque le juge mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels il a fondé sa décision (ATF 147 IV 409 consid. 5.3.4; 146 II 335 consid. 5.1), de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause (ATF 143 IV 40 consid. 3.4.3; 141 IV 249 consid. 1.3.1; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1127/2023 du 10 juin 2024 consid. 1.1). Il n'a toutefois pas l'obligation d'exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties, mais peut au contraire se limiter à ceux qui lui paraissent pertinents (ATF 147 IV 249 consid. 2.4; 142 II 154 consid. 4.2). La motivation peut être implicite et résulter des différents considérants de la décision (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1).
3.2. En l'espèce, la motivation de l'ordonnance querellée, bien que très succincte, expose les raisons qui ont conduit le Ministère public à retenir que les conditions d'une reprise de la procédure classée le 28 août 2023 étaient réunies, à savoir la découverte de moyens de preuves dans le cadre de la P/27590/2023.
Le recourant ne s'y trompe au demeurant pas puisque, ayant eu accès au dossier les 19 mars, 28 août et 18 septembre 2024, il se réfère précisément dans son recours aux documents médicaux produits par la plaignante dans le cadre de la procédure P/27590/2023 et les déclarations de son médecin traitant devant le Ministère public le 29 août 2024. Il s'attarde également sur l'audition de leur fils E______ à la police le 14 septembre 2023.
La motivation du Ministère public a donc permis au recourant de contester la décision dans le cadre de son recours en toute connaissance de cause.
Le grief sera dès lors rejeté.
4. Le recourant conteste la réalisation des conditions de l'art. 323 al. 1 CPP.
4.1. Cette dernière norme stipule que le ministère public ordonne la reprise d'une procédure classée s'il a connaissance de faits et/ou moyens de preuves nouveaux qui, d'une part, ne ressortent pas du dossier antérieur et, d'autre part, révèlent une responsabilité pénale du prévenu.
4.1.1. Un moyen de preuve est nouveau s'il était inconnu au moment du prononcé du classement (arrêt du Tribunal fédéral 6B_764/2022 du 17 avril 2023 consid. 5.2).
Tel n'est pas le cas quand ce moyen a été cité, voire administré, lors de la procédure antérieure sans être toutefois complètement exploité (ibidem).
En revanche, la preuve est qualifiée de nouvelle lorsque le procureur ne pouvait en avoir connaissance précédemment, même en faisant montre de la plus grande diligence; une procédure préliminaire peut ainsi être reprise en cas d'aveux faits ultérieurement par un prévenu (arrêt du Tribunal fédéral 6B_353/2016 du 30 mars 2017 consid. 2.2.2).
4.1.2. Le nouvel élément doit, en sus, permettre d’envisager une modification de la décision de classement (arrêt du Tribunal fédéral 6B_764/2022 précité, consid. 5.2).
4.2.1. En l'espèce, la plaignante a déposé une première plainte pénale auprès de la police le 24 janvier 2023 à l'encontre du recourant en lien avec des violences physiques dont elle disait avoir été régulièrement victime, avec plus ou moins d'intensité selon les périodes, tant au Kosovo qu'en Suisse. Elle a évoqué notamment des coups de poing, de pied et de ceinture sur tout le corps, en 2019, un épisode avec un duvet placé sur son visage et le fait que le recourant aurait serré sa gorge jusqu'à ce qu'elle n'arrive plus à respirer, et, les 22 mai et 31 décembre 2022, des menaces de mort. Dans la mesure où le recourant, entendu par la police le même jour, a intégralement contesté ces faits, le Ministère public a demandé à la police d'entendre une nouvelle fois l'intimée pour qu'elle donne des précisions sur ses reproches. Ainsi, le 24 mai 2023, celle-ci a indiqué à la police ne plus avoir de photographies des lésions subies, que ses deux enfants avaient été témoins des violences, surtout E______, que son médecin avait pris des notes et que les personnes qui avaient vu ses blessures, dont elle ne souhaitait pas révéler l'identité, ne répondraient pas aux éventuelles convocations de la police. Elle risquait des problèmes si elle les impliquait, vu les traditions culturelles. Elle avait peur que son époux ne se venge plus tard si la condamnation était trop sévère.
C'est en présence de ces éléments que le Ministère public a décidé, le 28 août 2023, de classer la plainte, considérant que la plaignante avait refusé de fournir des éléments de preuve des faits qu'elle avançait, notamment de délier son médecin et son psychologue de leur secret médical. Il ne saurait, dans ces circonstances, être fait grief au Ministère public, quand bien même les violences corporelles simples entre époux se poursuivent d'office pendant le mariage (art. 123 ch. 2 CP), de ne pas avoir par exemple convoqué les parties en audience de confrontation pour obtenir que la plaignante délie ses thérapeutes de leur secret, respectivement donne le nom de possibles témoins. Quant aux auditions de ses deux fils, on comprend de la position de la plaignante qu'elle n'entendait pas, pour des raisons de culture, les impliquer dans le conflit l'opposant à leur père. Si elle en a parlé à la police, elle n'a pas pour autant requis leur audition.
En tout état, le classement de cette première plainte était motivé par le refus de la plaignante d'aller plus loin et non l'absence de soupçons suffisants.
La plaignante a reçu l'ordonnance de classement le 8 septembre 2023 et, à cette même date, hasard du calendrier, elle a été entendue sur une convocation orale de la police remontant au 31 août 2023, pour déposer une nouvelle plainte contre le recourant. Cette deuxième plainte, complémentaire à la première, s'est donc croisée avec le classement. Elle est alors revenue sur les violences dont elle disait avoir été victime au Kosovo durant les années 1990 puis dès l'arrivée du couple en Suisse en 1995. Elle a ajouté à ses précédentes doléances les épisodes où le recourant l'enfermait à clé avec leurs enfants dans l'appartement, sans téléphone, alors qu'il s'en allait de 19h00 à 7h30 le lendemain, ainsi que des relations sexuelles entretenues sous la contrainte, entre 2014 et 2019. S'y ajoutait un épisode dans leur maison au Kosovo, le 18 août 2023, où il lui avait saisi le poignet. Elle a alors répété qu'il arrivait à son époux de la frapper devant leurs enfants.
E______ a été entendu par la police le 14 septembre 2023 et a confirmé avoir été témoin de violences de son père sur sa mère depuis les années 1994-1995, pendant une vingtaine d'années, dont des gifles, des coups de ceinture, outre l'avoir projetée au sol. Son frère n'a pas répondu aux convocations de la police. Le recourant, entendu le 19 novembre 2023, a évoqué des "disputes d'un couple normal" pendant la vie commune avec son épouse. Il lui était peut-être arrivé de pousser cette dernière et de la gifler, alors qu'ils venaient de perdre leur troisième enfant.
La plaignante, assistée d'un conseil à compter du 1er novembre 2023, a versé à la procédure une attestation du 10 décembre 2023 d'une association l'ayant hébergée en foyer d'urgence du 18 février au 11 novembre 2020, faisant état de harcèlement et de menaces de mort de la part du recourant, dont elle disait avoir très peur. Son médecin généraliste, pendant les années 1995 à 2018, a établi un rapport médical le 22 janvier 2024 dont il ressort nombre de consultations, notamment pour des contusions "suite à des chutes (?)" et, dès le 15 novembre 2022, des propos de sa patiente quant à des violences subies de la part de son époux, qui la frappait, l'enfermait à clé avec ses enfants, l'insultait et l'humiliait, ainsi que des relations sexuelles non désirées. S'y ajoutent l'audition de cette thérapeute devant le Ministère public le 29 août 2024 et le certificat médical émis le 12 décembre 2023 par le Dre I______, psychiatre et psychothérapeute FMH relatant, en 2002/2003, des violences constantes, psychiques, financières et sexuelles – des viols très fréquents et "même" des tentatives de sodomie – alléguées par sa patiente, de la part de son mari, depuis des années, ajoutant que les violences énoncées étaient "sidérantes" et s'étendaient sur des décennies.
Aussi, la nouvelle plainte déposée, complémentaire à la première à laquelle s'ajoutent, l'audition de l'un des fils de la plaignante et les documents, notamment médicaux, versés à cette suite, enregistrée sous la procédure P/27590/2023, permettent de retenir que le recourant pourrait avoir (a priori) menti lors de l’instruction de la cause P/5452/2023, sans qu'aucun manque de diligence ne puisse être reproché au Ministère public.
Il s’agit donc d’autant d'éléments nouveaux aptes à révéler désormais une (éventuelle) responsabilité pénale du prévenu.
En effet, les violences conjugales évoquées par l'un des fils de la plaignante, à l'attention de la directrice adjointe d'un foyer ayant hébergé celle-ci pendant quelques mois en 2020 et les constats médicaux fondent un soupçon d'infractions commises par le recourant à son encontre pouvant tomber sous le coup des art 123, 189 et 190 CP.
4.2.2. À cette aune, les réquisits de l'art. 323 al. 1 CPP sont réunis.
La reprise de la procédure P/5452/2023 est donc pleinement justifiée.
Il appartiendra au recourant de faire valoir ses autres griefs (qui semblent se rapporter au caractère probant des pièces figurant à la procédure), lors de l’instruction de cette cause.
Infondé, le recours doit être rejeté.
5. Le prévenu succombe (art. 428 al. 1, 1ère et 2ème phrases, CPP).
Il supportera, en conséquence, les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 1'000.- (art. 3 cum 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03), étant rappelé que la Chambre de céans est tenue de dresser un état de frais sans égard à l'obtention de l'assistance judiciaire (arrêt du Tribunal fédéral 1B_517/2022 du 22 novembre 2022 consid. 1.3.2).
6. L'indemnité du défenseur d'office sera fixée à la fin de la procédure (art. 135 al. 2 CPP).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette le recours.
Met à la charge de A______ les frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'000.-.
Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil et au Ministère public.
Le communique pour information à C______, soit pour elle son conseil.
Siégeant :
Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Madame Valérie LAUBER et Monsieur Vincent DELALOYE, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.
La greffière : Arbenita VESELI |
| La présidente : Corinne CHAPPUIS BUGNON |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).
P/5452/2023 | ÉTAT DE FRAIS |
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COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
Débours (art. 2) | | |
- frais postaux | CHF | 10.00 |
Émoluments généraux (art. 4) | | |
- délivrance de copies (let. a) | CHF | |
- délivrance de copies (let. b) | CHF | |
- état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
- décision sur recours (let. c) | CHF | 915.00 |
Total | CHF | 1'000.00 |