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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/1533/2024

ACPR/696/2024 du 27.09.2024 sur ONMMP/512/2024 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE;ESCROQUERIE;ASTUCE;TROMPERIE;INVESTISSEMENT
Normes : CPP.310; CPP.146

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/1533/2024 ACPR/696/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du vendredi 27 septembre 2024

 

Entre

 

A______, représenté par Me Basile CASONI, avocat, Bonnard Lawson Rolle SA, route de Gilly 30, case postale 1201, 1180 Rolle,

recourant,

 

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 2 février 2024 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 8 février 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 2 précédent, notifiée le 5 suivant, par laquelle le Ministère public a renoncé à entrer en matière sur sa plainte.

Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de cette ordonnance et à l'ouverture d'une instruction.

b. Il a versé les sûretés en CHF 1'000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 15 janvier 2024, A______ a déposé plainte pour escroquerie contre toutes "les personnes physiques et morales animant la plateforme B______".

Se présentant comme n'étant "pas un spécialiste de la finance" et disposant de "connaissances très basiques" en matière de crypto-monnaies, A______ explique avoir, dans le courant 2022, investi des jetons C______ [cryptomonnaie] via la plateforme en ligne B______. À la suite de quoi, un dénommé D______, soi-disant employé de ladite plateforme, lui avait proposé des conseils pour développer son compte et maximiser ses profits. Le précité, qui se disait expert dans le domaine, l'avait relancé à plusieurs reprises, lui suggérant notamment, en lui impartissant un délai de réflexion très court, d'investir dans un programme sécurisé à "98%". D______ l'avait ainsi convaincu, en octobre 2022, de transférer 7 C______ dans ce programme. Puis, sur la base de nouvelles garanties données par l'intéressé, qui entretenait en parallèle un lien de confiance, il avait investi 57 C______ supplémentaires, soit 64 C______ en tout (d'une valeur totale au jour de dépôt de la plainte de CHF 143'359.35). Au moment de récupérer ses fonds, B______, soit en particulier E______, l'avait exhorté à transférer encore des "commissions", alléguant des nécessités liées aux règlementations applicables au Royaume-Uni. Finalement, il n'avait plus reçu aucune nouvelle de la plateforme, ni de D______, et n'avait jamais récupéré l'intégralité de son capital investi, ni les profits promis.

La plateforme B______, animée par une société incorporée à Saint-Vincent et les Grenadines, avait été placée sur liste d'alerte, le 23 septembre 2022, par l'Autorité de surveillance des marchés financiers (ci-après: FINMA), ce qu'il avait découvert postérieurement. À titre d'actes d'enquête, il sollicitait en particulier, si nécessaire via l'entraide internationale en matière pénale, le séquestre des comptes et portefeuilles où avait transité son argent et l'audition des animateurs (directs ou indirects) de B______.

b. Selon le rapport de renseignements de la police du 26 janvier 2024, la plateforme B______ a été signalée non seulement par les autorités britanniques et la FINMA, mais aussi par de nombreux internautes. Sept occurrences de procédures pénales en Suisse la concernent et "aucune percée significative n'a été réalisée". Rien ne permettait de conclure que les noms donnés dans la plainte de A______ correspondaient à des identités réelles.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public constate l'impossibilité d'identifier les auteurs des faits dénoncés, malgré les investigations policières. Il existait ainsi un empêchement de procéder, qui serait levé "dans l'hypothèse où la police découvrait des éléments nouveaux propre à identifier ceux-ci".

D. a. Dans son recours, A______ reproche au Ministère public d'avoir retenu que les personnes potentiellement impliquées par sa plainte ne pouvaient pas être identifiées. L'autorité intimée n'avait pas donné suite à ses réquisitions de preuve et s'était contentée du rapport de renseignements de la police pour rendre son ordonnance. Celle-ci était susceptible de lui causer un préjudice irréparable, lui faisant perdre toute possibilité de recouvrer ses avoirs. Enfin, la motivation du Ministère public, tenant sur quelques lignes, était contraire à son droit d'être entendu car insuffisamment motivée.

b. À réception des sûretés, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du plaignant qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant – a priori – un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             Dans un grief formel qu'il convient de traiter en premier, le recourant se plaint d'une motivation insuffisante de la décision attaquée.

2.1. L'obligation de motiver, telle qu'elle découle du droit d'être entendu (art. 29 al. 2 Cst.; cf. aussi art. 3 al. 2 let. c et 107 CPP), est respectée lorsque le juge mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels il a fondé sa décision (ATF 147 IV 409 consid. 5.3.4; 146 II 335 consid. 5.1), de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause (ATF 143 IV 40 consid. 3.4.3; 141 IV 249 consid. 1.3.1; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1127/2023 du 10 juin 2024 consid. 1.1). Il n'a toutefois pas l'obligation d'exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties, mais peut au contraire se limiter à ceux qui lui paraissent pertinents (ATF 147 IV 249 consid. 2.4; 142 II 154 consid. 4.2). La motivation peut être implicite et résulter des différents considérants de la décision (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1).  

2.2. En l'espèce, la motivation de l'ordonnance querellée, bien que succincte, expose les raisons qui ont conduit le Ministère public à retenir un empêchement de procéder, à savoir l'impossibilité d'identifier les auteurs des faits dénoncés.

Une telle motivation permettait au recourant de contester la décision dans le cadre de son recours, ce qu'il a fait au demeurant.

Le grief sera dès lors rejeté.

3.             Le recourant conteste l'existence d'un empêchement de procéder.

3.1. Le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police qu'il existe des empêchements de procéder (art. 310 al. 1 let. b CPP) ou que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis (art. 310 al. 1 let. a CPP).

Conformément à cette disposition, une procédure pénale peut être liquidée par ordonnance de non-entrée en matière lorsque la situation est claire sur le plan factuel et juridique. Tel est le cas lorsque les faits visés ne sont manifestement pas punissables, faute, de manière certaine, de réaliser les éléments constitutifs d'une infraction, ou encore lorsque les conditions à l'ouverture de l'action pénale font clairement défaut. Au stade de la non-entrée en matière, on ne peut admettre l'absence manifeste des éléments constitutifs d'une infraction que lorsqu'il n'existe pas de soupçon suffisant conduisant à considérer un comportement punissable ou lorsqu'un éventuel soupçon initial s'est entièrement dissipé (arrêts du Tribunal fédéral 6B_488/2021 du 22 décembre 2021 consid. 5.3; 6B_212/2020 du 21 avril 2021 consid. 2.2; 6B_196/2020 du 14 octobre 2020 consid. 3.1).

3.2. Aux termes de l'art. 146 al. 1 CP, se rend coupable d'escroquerie quiconque, dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un enrichissement illégitime, induit astucieusement en erreur une personne par des affirmations fallacieuses ou par la dissimulation de faits vrais ou la conforte astucieusement dans son erreur et détermine de la sorte la victime à des actes préjudiciables à ses intérêts pécuniaires ou à ceux d’un tiers.

3.3. Cette disposition ne punit pas les tromperies qui peuvent être déjouées avec un minimum d'attention. La tromperie doit ainsi être astucieuse. L'astuce est réalisée lorsque l'auteur recourt à un édifice de mensonges, à des manœuvres frauduleuses ou à une mise en scène, mais aussi lorsqu'il donne simplement de fausses informations, si leur vérification n'est pas possible, ne l'est que difficilement ou ne peut raisonnablement être exigée, de même que si l'auteur dissuade la dupe de vérifier ou prévoit, en fonction des circonstances, qu'elle renoncera à le faire (ATF 135 IV 76 consid. 5.2; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1196/2014 du 4 novembre 2015 consid. 3.1).

L'astuce n'est toutefois pas réalisée si la dupe pouvait se protéger avec un minimum d'attention ou éviter l'erreur avec le minimum de prudence que l'on pouvait attendre d'elle. Il n'est cependant pas nécessaire qu'elle ait fait preuve de la plus grande diligence ou qu'elle ait recouru à toutes les mesures possibles pour éviter d'être trompée. La conclusion d'un contrat suppose en effet qu'on prête à son cocontractant un minimum d'honnêteté et qu'on ne le traite pas avec une méfiance de principe (ATF 147 IV 73 consid. 3.2). L'astuce n'est exclue que si la dupe n'a pas procédé aux vérifications élémentaires que l'on pouvait attendre d'elle au vu des circonstances, notamment compte tenu de son degré d'expérience dans le domaine concerné (ATF 135 IV 76 consid. 5.2; arrêt du Tribunal fédéral 6B_977/2018 du 27 décembre 2018 consid. 1.1). Une coresponsabilité de la dupe n'exclut toutefois l'astuce que dans des cas exceptionnels, soit lorsque son imprudence fait passer le comportement frauduleux de l'auteur au second plan (ATF 147 IV 73 consid. 3.2; 142 IV 153 consid. 2.2.2; 135 IV 76 consid. 5.2; arrêt du Tribunal fédéral 6B_212/2020 du 21 avril 2021 consid. 2.4).

3.4. En l'espèce, le Ministère public considère dans sa décision que, les auteurs ne pouvant pas, en l'état, être identifiés, il se justifiait de ne pas entrer en matière, ce que le recourant conteste.

Or, se pose la question préalable de la réalisation des éléments constitutifs de l'infraction d'escroquerie.

Dans sa plainte, le recourant, qui reconnait son inexpérience dans le domaine de la finance et de la crypto-monnaie, admet avoir investi ses jetons C______ sans avoir effectué la moindre vérification préalable sur la plateforme utilisée, ni sur son interlocuteur. Pourtant, il ressort du rapport de renseignements du 26 janvier 2024 que ladite plateforme avait déjà été signalée par plusieurs internautes. Par ailleurs et surtout, dans un avis auquel le recourant se réfère dans sa plainte, elle a été mise sur liste d'alerte par la FINMA le 23 septembre 2022, soit avant qu'il décide d'investir dans le programme proposé par le dénommé D______. Compte tenu des circonstances et de son inexpérience, on pouvait attendre du recourant qu'il fasse montre du minimum de prudence avant d'agir, qui plus est au vu des informations facilement accessibles sur internet qui auraient pu le mettre en garde et des relances pressantes dont il a fait l'objet pour investir dans ledit programme.

Partant, même si l'intention des mis en cause était de tromper le recourant, ce dernier n'a pas procédé aux vérifications – simples – qu'il lui incombait d'effectuer. Les conditions de l'art. 146 CP ne sont dès lors pas remplies.

4.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée par substitution de motifs. Le recours, qui s'avère mal fondé, pouvait d'emblée être traité sans échange d'écritures ni débats (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP).

5.             Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en intégralité à CHF 1'000.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'000.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Xavier VALDES TOP, greffier.

 

Le greffier :

Xavier VALDES TOP

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/1533/2024

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

915.00

Total

CHF

1'000.00