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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/20984/2020

ACPR/671/2024 du 17.09.2024 ( MP ) , ADMIS

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/20984/2020 ACPR/671/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 17 septembre 2024

 

Entre

A______ et B______, tous deux représentés par Me C______, avocat,

recourants,

 

contre la décision rendue le 5 août 2024 par le Ministère public,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par le même acte expédié le 15 août 2024, A______ et son entreprise individuelle B______ recourent contre la décision du 5 précédent, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a refusé de lever les séquestres portant sur les comptes ouverts à leurs noms et au nom de D______ Sàrl, ainsi que sur le véhicule [de marque] E______ appartenant au premier cité.

Les recourants concluent, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de cette décision et à la levée des séquestres visés.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. À la suite d'une dénonciation du Bureau de communication en matière de blanchiment d'argent (ci-après, MROS), le Ministère public a ouvert, le 18 novembre 2020, une procédure pénale contre A______ des chefs d'abus de confiance (art. 138 CP) et de blanchiment d'argent (art. 305bis CP) pour avoir, "sans droit, employé à son profit, ainsi qu'au profit de tierces personnes, la somme d'USD 1'253'993.31, qui avait été créditée le 2 septembre 2020 sur le compte IBAN CH 1______ ouvert au nom de l'entreprise individuelle B______, dont il est le seul titulaire.

Il lui est subsidiairement reproché "d'avoir commis un acte propre à empêcher la confiscation des valeurs patrimoniales, en transférant à diverses personnes la somme d'USD 1'253'993.31, qui avait été créditée le 2 septembre 2020 sur le compte IBAN CH 1______, et dont il savait ou devait présumer qu'elle provenait d'un crime, à savoir d'une escroquerie commise au préjudice de la société F______ LTD", actuellement nommée G______, LTD.

Le prévenu a contesté les faits.

b. Dans ce contexte, les séquestres de plusieurs comptes ouverts au nom de A______, B______ et D______ Sàrl, auprès [des banques] H______ et I______ ont été ordonnés entre le 18 novembre 2020 et le 9 juillet 2021. Le Ministère public a également prononcé le séquestre du véhicule E______ appartenant à A______.

c. Par plis des 3 avril et 2 mai 2024, A______ s'est enquis de l'avancée de la procédure, en particulier si la provenance des fonds déposés sur le compte de B______ avait pu être établie. Il sollicitait, en outre, divers actes d'instruction et la levée des séquestres.

d. Sans nouvelle du Ministère public, A______ a réitéré sa demande le 10 juillet 2024. Il n'existait aucun élément de preuve à sa charge. En outre, la qualité de partie plaignante de G______, LTD. faisait défaut. La levée des séquestres prononcés sur "tous les comptes bancaires ouverts au nom de A______, B______, D______ Sàrl, ainsi que sur la voiture E______" devait donc être ordonnée.

C. Dans sa décision querellée – rédigée sous forme de lettre –, le Procureur refuse, "à ce stade", de lever les séquestres ordonnés sur les comptes de A______, B______, D______ Sàrl, ainsi que sur le véhicule E______; il entendait procéder à des auditions, visant à déterminer la qualité de lésée de G______, LTD.

Ce courrier n'indique aucune voie de recours.

D. a. À l'appui de leur recours, A______ et B______ reprochent au Ministère public une violation du droit. Des soupçons concrets et objectivement fondés d'infractions, justifiant les séquestres litigieux, faisaient défaut. Ils en contestent dès lors, également, la proportionnalité, notamment sous l'angle de leur durée (plus de trois ans). Les conditions posées par l’art. 263 CPP n'étaient ainsi plus réunies, ce qui justifiait la levée des séquestres en cause.

b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et – les formalités de notification (art. 85 al. 2 CPP) n'ayant pas été observées – dans le délai prescrits (385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une décision sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu et de sa raison individuelle également visée par les séquestres en cause qui, parties à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), ont qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2. Les recourants reprochent au Ministère public d'avoir refusé de lever les séquestres litigieux.

2.1. Le séquestre est une mesure de contrainte qui ne peut être ordonnée, en vertu de l'art. 197 al. 1 CPP, que si elle est prévue par la loi (let. a), s'il existe des soupçons suffisants laissant présumer une infraction (let. b), si les buts poursuivis ne peuvent pas être atteints par des mesures moins sévères (let. c) et si elle apparaît justifiée au regard de la gravité de l'infraction (let. d).

Selon l'art. 263 al. 1 CPP, des objets et des valeurs patrimoniales appartenant au prévenu ou à des tiers peuvent être mis sous séquestre, lorsqu'il est probable qu'ils seront utilisés comme moyens de preuves (let. a), qu'ils seront utilisés pour garantir le paiement des frais de procédure, des peines pécuniaires, des amendes et des indemnités (let. b), qu'ils devront être restitués au lésé (let. c) ou qu'ils devront être confisqués (let. d).

2.2. La garantie du droit d'être entendu, déduite des art. 29 al. 2 Cst. et 3 al. 2 let. c CPP, impose à l'autorité de motiver ses décisions, afin que les parties puissent les comprendre et apprécier l'opportunité de les attaquer, et que les autorités de recours soient en mesure d'exercer leur contrôle. L'autorité doit ainsi mentionner, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidée et sur lesquels elle a fondé sa décision, de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause. Dès lors que l'on peut discerner les motifs qui ont guidé la décision de l'autorité, le droit à une décision motivée est respecté, même si la motivation présentée est erronée (ATF 146 II 355 consid. 5.1; 141 V 557 consid. 3.2.1; arrêt du Tribunal fédéral 6B_94/2021 du 29 septembre 2021 consid. 1.1). Le droit d'être entendu peut être violé lorsque l’acte attaqué n'est pas (suffisamment) intelligible (arrêt du Tribunal fédéral 5A_328/2023 du 15 février 2024 consid. 6.2.3 in fine).

2.3. La Chambre de céans est habilitée, quand l'absence de motivation (suffisante) d'une décision l'empêche de statuer, à renvoyer d'office la cause au Ministère public (cf. notamment, ACPR/349/2024 du 8 mai 2024 consid. 2.3; ACPR/950/2023 du 7 décembre 2023 consid. 2.3, ACPR/321/2022 du 5 mai 2022 consid. 2.3; voir aussi ACPR/752/2019 du 27 septembre 2019 consid. 2).

2.4. En l'espèce, la décision querellée ne motive pas le refus de levée des séquestres.

Si le Procureur fait allusion, dans cette décision, à des actes d'instruction qu'il compte entreprendre, afin semble-t-il de déterminer la qualité de lésée de la partie plaignante, question somme toute exorbitante au maintien des séquestres, il n’explique point pourquoi les éléments du dossier justifieraient, plus de trois ans après leur prononcé, le maintien des séquestres en cause.

Ainsi, faute de motivation suffisante de l'acte attaqué sur la réalisation des conditions des art. 197 et 263 CPP et d'explications ultérieures, la Chambre de céans – qui n’a pas à rechercher d’elle-même ce qu’il en est (cf. à cet égard l'arrêt ACPR/321/2022 précité) – ne peut exercer son contrôle.

3. Fondé, le recours doit être admis. Partant, l'ordonnance querellée sera annulée et la cause renvoyée au Ministère public pour nouvelle décision (art. 397 al. 2 CPP).

Compte tenu de la nature procédurale du vice constaté, il n'était pas nécessaire d'inviter préalablement le Ministère public à se prononcer, la Chambre de céans n'ayant pas traité la cause sur le fond, ni préjugé de l’issue du litige (cf. par analogie arrêt du Tribunal fédéral 7B_271/2023 du 1er février 2024 consid. 4.1 et les références citées, notamment ATF 133 IV 293 consid. 3.4.2).

4. L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP).

5. L'indemnité du défenseur d'office des recourants sera fixée à la fin de la procédure (art. 135 al. 2 CPP).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours et annule la décision du 5 août 2024 du Ministère public.

Renvoie la cause au Ministère public pour nouvelle décision au sens des considérants.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt, en copie, à A______ et B______, soit pour eux leur conseil, ainsi qu'au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Mesdames Valérie LAUBER et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

La Présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).