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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/3044/2020

ACPR/652/2024 du 03.09.2024 sur OMP/11135/2024 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : OBJET DU RECOURS;MANDAT DE PERQUISITION;DOCUMENTATION
Normes : CPP.393; CPP.197; CPP.246; CPP.263

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/3044/2020 ACPR/652/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 3 septembre 2024

 

Entre

A______, représenté par Me B______, avocat,

recourant,

contre la décision rendue le 27 mai 2024 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 6 juin 2024, A______ recourt contre la décision du 27 mai 2024, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a refusé ses réquisitions de preuves.

Le recourant conclut, sous suite de frais et indemnité, à l'annulation de la décision entreprise et à ce que l'autorité intimée ordonne la perquisition et le séquestre de tous les documents contenus dans la cave sise à C______ [GE] détenue par D______ et/ou l'une de ses sociétés.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.a. Le 10 février 2020, D______, agissant en son propre nom, ainsi qu'en qualité d'administrateur unique de la société E______ SA Genève (ci-après: E______ SA GE), a déposé plainte contre A______ pour abus de confiance, vol, escroquerie et faux dans les titres.

a.b. Par courrier du 3 août 2023, D______ a complété sa plainte des chefs d'abus de confiance, vol, accès indu à un système informatique, escroquerie, et blanchiment d'argent, confirmant se constituer partie plaignante, au civil et au pénal, aux côtés de E______ SA GE et E______ SA Costa Rica (ci-après: E______ SA CR) dont il était l'unique actionnaire.

a.c. A______ avait travaillé au sein de E______ SA GE de 2005 à janvier 2016, date à laquelle l'activité de la société avait pris fin. Les tâches confiées au précité se limitaient essentiellement à du classement et au paiement de factures pour son compte, ainsi que pour celui de E______ SA (GE et CR). Or, il apparaissait qu'entre 2005 et 2019, A______ avait détourné près de CHF 1'400'000.- destinés au paiement de factures diverses en effectuant notamment des retraits d'espèces, des virements sur ses propres comptes bancaires et en s'acquittant de factures personnelles. Il en résultait un préjudice patrimonial tant pour lui personnellement que pour E______ SA (GE et CR). Il n'avait toutefois pas été en mesure de procéder à des vérifications comptables ou bancaires des comptes des sociétés précitées dans la mesure où il n'avait accès ni aux factures ni aux décomptes de paiements. A______ se trouvait en effet toujours en possession de son ordinateur, ne lui avait pas rendu les accès e-banking relatifs au compte bancaire de E______ SA GE et avait "systématiquement" détruit tous les documents relatifs aux opérations effectuées depuis les comptes de E______ SA CR et de ses clients.

b. Entendu par la police le 15 septembre 2020, A______ a contesté les faits qui lui étaient reprochés. Il avait travaillé 13 ans pour D______ comme assistant et sous-directeur de sa société. Après une brève période de chômage entre 2016 et 2017, il avait à nouveau été employé par le précité, jusqu'en 2019. Il était son unique employé et s'occupait notamment des factures. À cet effet, il était au bénéfice d'une procuration générale sur le compte de E______ SA GE auprès de [la banque] F______ et disposait des accès e-banking correspondants. Quant à D______, il lui accordait ponctuellement l'accès à son compte bancaire pour payer ses factures ou le remboursait lorsqu'il s'en acquittait directement. Lorsqu'ils avaient quitté les locaux de la société, en 2016, D______ avait conservé les archives et les dossiers des clients, à l'exception de quelques classeurs et de l'ordinateur fixe de la société qu'il avait lui-même gardés.

c.a. Entendu par le Ministère public le 26 mars 2024, A______ a précisé qu'à réception des factures, D______ lui versait de l'argent sur son compte bancaire personnel, afin qu'il s'acquitte, en espèces, des montants dus. Il classait ensuite les récépissés dans des classeurs. Après le déménagement de la société, la documentation avait été stockée dans une cave à C______ [GE] louée par D______. Il n'avait, pour sa part, rien jeté.

c.b. Également entendu par le Ministère public, D______ a expliqué que le classement et l'archivage relevaient des tâches de A______, mais que ce dernier avait "systématiquement détruit" les documents, de sorte qu'il n'existait pas de trace de ce qu'il avait fait. Il s'engageait toutefois à produire les pièces qui concernaient la procédure, soit notamment les BVR tamponnés qui figuraient dans les classeurs.

c.c. À l'issue de l'audience, A______ a sollicité le séquestre de "tous les documents d'archive" se trouvant dans la cave de C______ "ou ailleurs".

d. Par courrier du 2 mai 2024, le conseil de D______ et de E______ SA (GE et CR) a notamment informé le Ministère public que les classeurs retrouvés dans la cave de C______ étaient "en cours d'examen".

e. Entendu une seconde fois par le Ministère public le 7 mai 2024, D______ a réitéré son explication selon laquelle A______ avait détruit des documents durant son activité au sein de E______ SA (GE et CR): "(…) l'avocate de Monsieur A______ dit que l'on va retrouver tous les documents à la cave, mais Monsieur A______ a détruit tous les documents. Il détruisait tout systématiquement". Il s'engageait néanmoins à produire les "pièces pertinentes" stockées dans la cave de C______.

f. Par courrier du 15 mai 2024, A______ a renouvelé sa requête de perquisition et de séquestre. Dans la mesure où les documents qui se trouvaient dans la cave de C______ étaient propres à corroborer sa version des faits et que le plaignant avait varié dans ses déclarations quant au contenu dudit local, l'autorité intimée ne pouvait croire en la bonne foi du précité de produire l'intégralité de ces pièces.

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public considère la requête comme disproportionnée et non pertinente, d'une part au vu du temps écoulé depuis l'engagement pris par le plaignant de produire toutes les pièces en lien avec la procédure, et, d'autre part, du fait que les documents archivés se trouvaient vraisemblablement d'ores et déjà en l'Étude de son conseil pour satisfaire à cet engagement.

D. a. Dans son recours, A______ fait tout d'abord valoir qu'aucun élément au dossier ne permettait au Ministère public d'affirmer que les pièces dont la production était requise se trouvaient déjà en l'Étude du conseil de D______. L'écoulement du temps depuis l'engagement pris par le précité de produire les pièces requises augmentait le risque concret de leur destruction. Or, les documents dont il était question étaient décisifs pour la procédure en tant qu'ils permettaient de confirmer sa version des faits. Le Ministère public était d'ailleurs d'avis que ces documents étaient utiles à la procédure, puisqu'il avait formulé une requête de production de pièces en ce sens auprès de D______. Malgré cela, l'autorité intimée avait restreint son étendue aux "pièces pertinentes" – notion qui allait pourtant nécessairement diverger entre les parties. Dans ces circonstances, seuls un séquestre portant sur l'entier du contenu de la cave et son tri subséquent pouvaient permettre au Ministère public d'évaluer la pertinence des pièces pour la procédure. Qui plus est, les différentes déclarations de D______ relatives au contenu de la cave auraient dû amener le Ministère public à ordonner une mesure plus incisive, afin de protéger les pièces – auxquelles seul D______ avait accès – d'une éventuelle destruction et d'assurer leur production. Cela était d'autant plus important qu'il n'avait conservé aucune trace des paiements effectués pour le compte de son employeur, de sorte que l'ensemble des moyens de preuve utiles à sa défense se trouvait en main du plaignant.

b. Par courrier du 17 juillet 2024 adressé au Ministère public, qui l'a fait suivre à la Chambre de céans, D______ a produit, conformément à son engagement et dans le délai fixé – puis prolongé – par l'autorité intimée, les classeurs relatifs aux années 2007, 2009, 2014, 2015 et 2018, stockés dans la cave de C______ en "version originale". Ces classeurs contenaient divers documents, dont des factures accompagnées, soit de preuves de paiement par e-banking, soit de récépissés postaux. À l'appui de son courrier, D______ a également produit plusieurs tableaux reportant les factures se trouvant dans les classeurs et payées en espèces par A______. Le choix des années avait été effectué sur la base des faits reprochés au précité, ainsi que pour limiter le volume des pièces versées à la procédure. D______ se tenait toutefois prêt, sur demande de l'autorité, à verser à la procédure l'ensemble (disponible) de la documentation.

c. A______, à qui le courrier du 17 juillet 2024 a été transmis pour déterminations, persiste dans les conclusions de son recours. D______ avait procédé à un tri des pièces garnissant la cave de C______ et n'avait, de ce fait, produit que celles qui appuyaient sa version des faits, au détriment de celles qui viendraient l'infirmer. Au demeurant, le plaignant admettait n'avoir produit que les pièces qu'il avait estimé "pertinentes", ce alors même que cette notion était subjective et qu'il s'était engagé, lors de l'audience du 26 mars 2024, à produire l'ensemble des documents concernant la procédure. Dans ces circonstances, la perquisition et le séquestre du contenu de la cave se justifiaient, en conformité avec l'art. 6 al. 2 CPP.

d. À réception du recours et des déterminations subséquentes du recourant, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT :

1.             Le recours a été déposé selon la forme et – faute de notification conforme à
l'art. 85 al. 2 CPP – dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerne a priori une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans – en tant qu'elle porte sur un refus de procéder à un séquestre probatoire de documents susceptibles, selon le recourant, d'être détruits (art. 393 al. 1 let. a et 394 let. b a contrario CPP; cf. aussi Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 12 ad art. 393) – et émane du prévenu, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP) qui a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2. La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement irrecevables ou mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

3. Le recourant fait grief au Ministère public de ne pas avoir ordonné la perquisition et le séquestre des documents contenus dans la cave du plaignant qui pourraient, selon lui, attester de son innocence des faits reprochés.

3.1. Comme toutes les mesures de contrainte, la perquisition et le séquestre ne peuvent être ordonnés, en vertu de l'art. 197 al. 1 CPP, que s'ils sont prévus par la loi, que des soupçons suffisants laissent présumer une infraction, que les buts poursuivis ne puissent pas être atteints par des mesures moins sévères et qu'ils apparaissent justifiés au regard de la gravité de l'infraction.

3.2. L'art. 246 CPP prévoit que les documents et enregistrements ne peuvent être perquisitionnés que s’ils contiennent des informations susceptibles d’être séquestrées au sens des art. 263 et 264 CPP (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 2 et 3 ad art. 246).

L'art. 263 al. 1 let. a CPP dispose que pourront être séquestrés les documents et enregistrements notamment lorsqu'il est probable qu'ils seront utilisés comme moyens de preuves. Une telle utilité doit s’apprécier sur la base d’indices concrets, étant toutefois précisé qu’une utilité potentielle suffit (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 4 et 5 ad art. 246).

3.3. La perquisition (Hausdurchsuchung) est une mesure particulièrement incisive, qui porte, quand bien même elle est justifiée, une atteinte grave aux droits fondamentaux de l’ayant droit des lieux perquisitionnés et des personnes qui y vivent ou y travaillent. L’autorité de poursuite pénale qui la décide et l’exécute doit donc veiller au respect du principe de la proportionnalité. Or, ce principe commande que l’autorité de poursuite pénale renonce à se rendre sur les lieux pour perquisitionner si le but poursuivi par la perquisition peut être atteint par une mesure moins incisive. Lorsqu’elle entend mettre la main sur des objets ou des valeurs patrimoniales en vue de les séquestrer, l’autorité doit ainsi renoncer à perquisitionner les lieux dans lesquels ils se trouvent si la notification d’une obligation de dépôt (Herausgabeflicht) au sens de l'art. 265 CPP, soit d’un ordre adressé au possesseur d’un objet ou d’une valeur de le remettre à l’autorité, est juridiquement possible (cf. art. 265 al. 2 CPP) et s’avère être une mesure adéquate et suffisante pour obtenir ces objets ou valeurs
(art. 265 al. 4 CPP a contrario). Tel sera le cas en général lorsque les objets ou valeurs patrimoniales doivent être obtenus d’un tiers non prévenu (Y. JEANNERET /
A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 35 à 37 ad art. 244).

3.4. En l'espèce, le recourant prétend que les versements qu'il a effectués pour le compte du plaignant et de ses sociétés sont documentés par des récépissés se trouvant dans des classeurs entreposés par ce dernier dans une cave louée à C______. Le plaignant affirme au contraire que le prévenu a détruit tous les documents et s'est engagé à produire "les pièces pertinentes" stockées dans sa cave. Par pli du 17 juillet 2024, il a à cet égard communiqué à l'autorité intimée les classeurs relatifs aux années 2007, 2009, 2014, 2015 et 2018 ainsi que des tableaux listant les factures acquittées en espèces par le prévenu sur cette période. S'agissant du reste de la documentation, il s'est engagé à la produire sur demande. Le recourant, après avoir eu connaissance de ces pièces, excipe qu'elles ne sont pas complètes, le plaignant ayant procédé à un tri préalable.

Or, si le plaignant avait eu la volonté de soustraire certaines pièces à la justice, on ne voit pas ce qui l'aurait empêché de le faire avant le dépôt de sa plainte pénale déjà, voire à l'issue de l'audience du 26 mars 2024, lors de laquelle le prévenu a affirmé que la documentation probante pour lui se trouvait stockée dans la cave de C______.

Dans ces circonstances, la perquisition de la cave du plaignant apparaîtrait, à ce stade, vaine et disproportionnée.

Elle le serait d'autant plus que le plaignant s'est engagé à fournir au Ministère public l'ensemble des pièces disponibles sur simple réquisit de cette autorité.

Partant, la décision du Ministère public est justifiée et doit être confirmée. Dans la mesure toutefois où l'évaluation de la pertinence des pièces pour la procédure relève de la compétence des autorités pénales exclusivement – et non de l'avis du plaignant –, il appartiendra au Ministère public de s'assurer que D______ produise l'ensemble de la documentation disponible pour la période pénale en cause, le cas échéant par un ordre de dépôt.

4. Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, arrêtés à CHF 900.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03). En effet, l'autorité de recours est tenue de dresser un état de frais pour la procédure de deuxième instance, sans égard à l'obtention de l'assistance judiciaire (arrêts du Tribunal fédéral 1B_372/2014 du 8 avril 2015 consid. 4.6 et 1B_203/2011 du 18 mai 2011 consid. 4).

5. L'indemnité du défenseur d'office du recourant sera fixée à la fin de la procédure
(art. 135 al. 2 CPP).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Met à la charge de A______ les frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 900.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son défenseur, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, juges; Madame Séverine CONSTANS, greffière.

 

La greffière :

Séverine CONSTANS

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/3044/2020

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

815.00

Total

CHF

900.00