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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/11060/2024

ACPR/635/2024 du 28.08.2024 sur ONMMP/2089/2024 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : DIFFAMATION;PROCÉDURE CIVILE;TIERS
Normes : CPP.310; CP.173; CP.174; CP.14

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/11060/2024 ACPR/635/2024

COUR DE35 JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 28 août 2024

 

Entre

A______, représenté par Me Cyrielle FRIEDRICH, avocate, rue de la Fontaine 7,
1204 Genève,

recourant,

 

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 14 mai 2024 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte déposé le 27 mai 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 14 mai 2024, notifiée le 16 suivant, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur sa plainte contre B______.

Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de cette ordonnance et au renvoi de la cause au Ministère public pour l'ouverture d'une instruction.

b. Le recourant a versé les sûretés en CHF 1'200.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

Le 3 mai 2024, A______ a déposé plainte pénale contre son épouse, B______, pour calomnie, voire diffamation. Ils s'étaient mariés le ______ 2020 et avaient eu deux enfants. Le 20 janvier 2023, elle avait décidé de quitter définitivement le domicile conjugal et le 3 février 2023, elle avait déposé une requête en mesures protectrices de l'union conjugale devant le Tribunal de première instance. Lors de l'audience du 2 mai 2024 qui s'était tenue devant le Président C______, assisté de sa greffière, D______, et en présence de l'avocate de B______, de lui-même, de sa propre avocate et d'un huissier, B______ avait déclaré qu'elle avait quitté le domicile conjugal car il l'avait "violée", ce qui était faux.

Le Président avait eu la décence de traduire les propos de l'intéressée comme suit au procès-verbal (p. 4) : "La situation s'est faite dans un contexte extrêmement délicat qui a été évoqué oralement lors des différentes audiences et je ne supporte pas que Monsieur s'apitoie en disant que c'est moi qui l'ai mis devant le fait accompli".

Il ne pouvait accepter d'être traité de "violeur" alors que tel n'était pas le cas. Sauf erreur, leur dernière relation sexuelle remontait à la nuit du 8 au 9 janvier 2023 et elle avait été entièrement consentie.

Il sollicitait une confrontation avec son épouse ainsi que l'audition de C______ et de sa greffière.

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public relève que le procès-verbal de l'audience ne comporte aucun propos de B______ qui serait constitutif d'une atteinte à l'honneur. Les accusations de viol n'y étaient pas mentionnées. Or, à supposer que ces propos aient été tenus, B______, assistée d'un conseil, n'avait pas exigé qu'ils soient protocolés, ce qui semblait déjà exclure toute intention de porter atteinte à l'honneur de son conjoint. De plus, même si ces propos avaient été tenus, ils l'avaient été au cours d'une procédure civile, devant un cercle restreint de personnes soumises au secret de fonction, et rien ne permettait d'affirmer que B______ aurait intentionnellement agi dans le but de porter atteinte à l'honneur du plaignant.

D. a. À l'appui de son recours, A______ excipe que c'était le Président du tribunal civil qui avait refusé de protocoler les propos litigieux et non B______. Ceux-ci avaient été adressés à des tiers, quand bien même ils étaient soumis au secret de fonction ou au secret professionnel. B______ n'avait pas tenu les propos incriminés de bonne foi. Selon la jurisprudence, l'art. 14 CP ne permettait en outre pas de justifier n'importe quelle allégation attentatoire à l'honneur.

Il ajoute enfin avoir, le 22 mai 2024, déposé une plainte complémentaire contre la précitée pour calomnie, voire diffamation, toujours en lien avec l'audience civile du 2 mai 2024. En effet, lors de celle-ci, B______ avait indiqué au tribunal qu'il entendait "empoisonner son nouveau compagnon". Il avait omis ce fait dans sa première plainte. Ces allégations étaient non seulement fausses, mais également non pertinentes dans le cadre de la procédure civile en cours.

b. Dans ses observations, le Ministère public conclut au rejet du recours. Les allégations en lien avec la nouvelle plainte étaient exorbitantes à la présente procédure. Pour le surplus, il maintenait les développements de son ordonnance.

c. Le recourant n'a pas répliqué.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 90 al. 2, 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du plaignant qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             Le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis (art. 310 al. 1 let. a CPP).

Conformément à cette disposition, la non-entrée en matière est justifiée lorsque la situation est claire sur le plan factuel et juridique. Tel est le cas lorsque les faits visés ne sont manifestement pas punissables, faute, de manière certaine, de réaliser les éléments constitutifs d'une infraction, ou encore lorsque les conditions à l'ouverture de l'action pénale font clairement défaut. Au stade de la non-entrée en matière, on ne peut admettre que les éléments constitutifs d'une infraction ne sont manifestement pas réalisés que lorsqu'il n'existe pas de soupçon suffisant conduisant à considérer un comportement punissable ou lorsqu'un éventuel soupçon initial s'est entièrement dissipé. En revanche, si le rapport de police, la dénonciation ou les propres constatations du ministère public amènent à retenir l'existence d'un soupçon suffisant, il incombe en principe à ce dernier d'ouvrir une instruction (art. 309 al. 1 let. a CPP). Cela implique que les indices de la commission d'une infraction soient importants et de nature concrète, ce qui n'est pas le cas de rumeurs ou de suppositions. Le soupçon initial doit reposer sur une base factuelle plausible, laissant apparaître la possibilité concrète qu'une infraction ait été commise (ATF 141 IV 87 consid. 1.3.1). Dans le doute, lorsque les conditions d'une non-entrée en matière ne sont pas réalisées avec une certitude absolue, l'instruction doit être ouverte
(ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1 ; 138 IV 86 consid. 4.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_212/2020 du 21 avril 2021 consid. 2.2 ; 6B_196/2020 du 14 octobre 2020 consid. 3.1).

3. 3.1. Se rend coupable de diffamation au sens de l'art. 173 ch. 1 CP quiconque, en s'adressant à un tiers, accuse une personne ou jette sur elle le soupçon de tenir une conduite contraire à l'honneur, ou de tout autre fait propre à porter atteinte à sa considération, de même que celui qui propage une telle accusation ou un tel soupçon.

La calomnie (art. 174 CP) est une forme qualifiée de diffamation, dont elle se distingue par le fait que les allégations propagées sont fausses (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1215/2020 du 22 avril 2021 consid. 3.1).

3.2. L'honneur protégé par ces dispositions est conçu de façon générale comme un droit au respect, qui est lésé par toute assertion propre à exposer la personne visée au mépris en sa qualité d'homme. Tel est le cas lorsqu'on évoque une infraction pénale ou un comportement clairement réprouvé par les conceptions morales généralement admises (ATF 145 IV 462 consid. 4.2.2). Pour apprécier si une déclaration est attentatoire à l'honneur, il faut se fonder non pas sur le sens que lui donne la personne visée, mais sur une interprétation objective selon la signification qu'un destinataire non prévenu doit, dans les circonstances d'espèce, lui attribuer. S'agissant d'un texte, l'analyse ne doit pas s'opérer exclusivement en fonction des expressions utilisées, prises séparément, mais selon le sens général qui se dégage du texte pris dans son ensemble (ATF 137 IV 313 consid. 2.1.3).

3.3. Pour qu'il y ait diffamation ou calomnie, il faut encore que le prévenu s'adresse à un tiers. Est en principe considérée comme telle toute personne autre que l'auteur et l'individu visé par les propos litigieux (ATF 145 IV 462 consid. 4.3.3).

Le fait que des propos attentatoires à l'honneur aient été adressés à des personnes astreintes au secret professionnel ou au secret de fonction ne permet pas de nier la qualité de tiers de celles-ci (ACPR/384/2021 du 10 juin 2021 consid. 2.3).

3.4. Conformément à l'art. 173 ch. 2 CP, même si le caractère diffamatoire des propos ou des écrits litigieux est établi, l'inculpé n'encourra aucune peine s'il prouve que les allégations qu'il a articulées ou propagées sont conformes à la vérité ou qu'il avait des raisons sérieuses de les tenir de bonne foi pour vraies.

Selon l'art. 173 ch. 3 CP, l'inculpé ne sera pas admis à faire ces preuves et il sera punissable si ses allégations ont été articulées ou propagées sans égard à l'intérêt public ou sans autre motif suffisant, principalement dans le dessein de dire du mal d'autrui, notamment lorsqu'elles ont trait à la vie privée ou à la vie de famille.

3.5. Selon la jurisprudence, des déclarations objectivement attentatoires à l'honneur peuvent également être justifiées par le devoir d'alléguer des faits dans le cadre d'une procédure judiciaire (art. 55 al. 1 CPC notamment). Tant la partie que son avocat peuvent se prévaloir de l'art. 14 CP – qui prévoit que quiconque agit comme la loi l'ordonne ou l'autorise se comporte de manière licite, même si l'acte est punissable en vertu du code pénal ou d'une loi – à condition de s'être exprimé de bonne foi, de s'être limité à ce qui est nécessaire et pertinent et d'avoir présenté comme telles de simples suppositions (ATF 131 IV 154 consid. 1.3.1; 123 IV 97 consid. 2c/aa; 118 IV 248 consid. 2c et d; 116 IV 211 consid. 4a; arrêts du Tribunal fédéral 6B_541/2019 du 15 juillet 2019 consid. 2.2 et 6B_175/2007 du 24 août 2007 consid 5.1 et 5.2.).

4. En l'espèce, le recourant prétend que la mise en cause l'aurait, lors de l'audience civile du 2 mai 2024, accusé oralement de viol.

Que ces faits n'aient pas été protocolés en ces termes au procès-verbal n'enlève rien à leur caractère manifestement attentatoire à l'honneur.

Si ces faits sont avérés, ils ont été adressés à tout le moins au Président du Tribunal et sa greffière, qui sont, nonobstant le secret de fonction auquel ils sont soumis, des tiers, à rigueur de la jurisprudence.

On peine en outre à voir en quoi les propos litigieux seraient justifiés par le devoir d'alléguer en procédure civile, ceux-ci apparaissant exorbitants à la cause.

La mise en cause n'ayant pas été entendue sur les faits dénoncés, la décision querellée apparaît, déjà pour ce motif, prématurée. Il serait en outre utile de savoir si elle avait déposé une plainte pénale pour viol.

La cause sera ainsi renvoyée au Ministère public pour qu'il procède à son audition ou y fasse procéder. Il procèdera également à tout autre acte d'instruction utile, le cas échéant, aux fins de vérifier si l'art. 173 ch. 2 et/ou 3 CP trouve application.

5. Fondé, le recours doit être admis. Partant, l'ordonnance querellée sera annulée et la cause renvoyée au Ministère public qu'il procède dans le sens des considérants.

6. L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP).

7. Le recourant, partie plaignante, qui a gain de cause, a chiffré ses prétentions en indemnité à CHF 2'000.- mais ne les a pas détaillées (art. 433 al. 2 cum 436 al. 1 CPP), de sorte qu'il ne lui en sera point alloué (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1345/2016 du 30 novembre 2017 consid. 7.2).

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours.

Annule l'ordonnance de non-entrée en matière et renvoie la cause au Ministère public pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Dit que le montant des sûretés versé par A______ (CHF 1'200.-) lui sera restitué.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Valérie LAUBER, juges; Monsieur Selim AMMANN, greffier.

 

Le greffier :

Selim AMMANN

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).