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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/3469/2024

ACPR/592/2024 du 12.08.2024 sur ONMMP/761/2024 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE;ABUS DE CONFIANCE;BLANCHIMENT D'ARGENT
Normes : CPP.310; CP.138; CP.305bis

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/3469/2024 ACPR/592/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du lundi 12 août 2024

 

Entre

A______, représenté par Me Christophe GAL, avocat, rue du Rhône 100, 1204 Genève,

recourant,

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 19 février 2024 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.

 


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 1er mars 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 19 février précédent, notifiée le lendemain, à teneur de laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur sa plainte pénale déposée contre B______ des chefs d'abus de confiance (art. 138 CP) et blanchiment d'argent (art. 305bis CP).

Il conclut, sous suite de frais et dépens non chiffrés, à l'annulation de cette décision, la cause devant être retournée au Procureur afin qu'il ouvre une instruction et ordonne diverses mesures de contrainte.

b. Le recourant a versé les sûretés en CHF 2'000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.a. A______ et B______, citoyens suisses résidant à Monaco, ont décidé, le 11 mars 2019, "d'associer le[ur]s compétences" pour développer des opérations immobilières sur le territoire de cette dernière principauté.

Dites opérations consistaient à identifier, acquérir, rénover, puis revendre des appartements.

a.b. À cet effet, ils ont signé un "protocole d'accord" (ci-après : le protocole), dont il résulte que chacun d’eux "apport[ait]" :

·        pour A______ : son expertise, les fonds propres nécessaires à la réalisation de projets immobiliers et "sa réputation professionnelle";

·         pour B______ : sa licence de marchand de biens [statut auquel la législation monégasque confère des avantages en matière de droits de mutation], son réseau, sa connaissance du marché immobilier ainsi que des établissements bancaires locaux et "son expérience passée".

Le bénéfice net issu de la revente des immeubles devait être réparti à raison de 60% en faveur du premier nommé et de 40% au profit du second.

b. Les associés ont initié quatre opérations en exécution de ce protocole.

b.a. Dans le cadre de l’une d’elles, intitulée "C______", B______ a acquis, en été 2019, à son seul nom, deux appartements au sein d'un même bâtiment, pour un prix total d'EUR 12.2 millions, destinés à être réunis, après travaux, en un seul logement.

Ce projet a été financé comme suit : paiement, par A______, de 10% de la somme précitée en mains du notaire chargé d'instrumenter la vente; conclusion, par B______, d'un prêt hypothécaire auprès d'une banque monégasque; souscription, par A______, d'un crédit lombard au sein de cette même banque; versement, par celui-ci, de diverses sommes à celui-là, au titre d'acomptes et avances de frais.

Aux dires de A______, ces dernières sommes ont servi à payer, d'une part, l'intégralité des travaux de rénovation et d'aménagement des deux habitations, décidés et supervisés par B______, et, d'autre part, les charges de copropriété y relatives. Il expose avoir également assumé les intérêts et amortissements des emprunts bancaires sus-évoqués.

b.b. Le 12 décembre 2023, B______ a revendu l'appartement "C______" au prix d'EUR 26 millions.

Il a instruit le notaire chargé de cette vente de rembourser, au moyen du montant précité, les prêts hypothécaire et lombard contractés, puis de transférer le solde disponible sur deux comptes lui appartenant, l'un auprès d'une institution à Monaco (relation qui a été créditée d'EUR 6'040'000.-) et l'autre de [la banque] D______, à Genève (compte sur lequel EUR 11'736'965.- ont été transférés).

b.c. Aucune somme d’argent n’a été (re)versée à A______ en lien avec le projet "C______".

c. Depuis fin 2023, les prénommés s'opposent dans le cadre de procédures civiles, à Monaco, à propos des opérations immobilières réalisées par leurs soins.

d.a. Le 2 février 2024, A______ a déposé, à Genève, une plainte pénale contre B______ pour infractions aux art. 138 et 305bis CP.

En substance, il reproche à ce dernier d'avoir conservé la quasi-intégralité du produit de la vente de l'appartement "C______", alors qu'il aurait dû, en application du protocole les liant, d'une part, lui rembourser les fonds avancés par ses soins et, d'autre part, lui remettre, entre autres montants, 60% des bénéfices résultant de l'opération.

Par ailleurs, le mis en cause avait cherché à dissimuler en Suisse une partie des sommes lui revenant.

d.b. Le 13 février suivant, B______ a spontanément écrit au Ministère public, sous la plume d'un conseil.

Il informait cette autorité avoir appris l'existence de la plainte précitée, sur laquelle il l'invitait à ne pas entrer en matière, aux motifs que les actes litigieux ne présentaient, ni un caractère pénal, ni un lien suffisant avec la Suisse pour y être instruits.

C. Dans sa décision déférée, le Procureur a considéré que les agissements dénoncés par A______ s'inscrivaient dans le cadre d'un litige purement civil, relatif à l'(in)exécution du protocole conclu avec le mis en cause, plus particulièrement à la répartition du bénéfice découlant de l’opération "C______".

D. a. À l'appui de ses recours et réplique, auxquels il joint des pièces nouvelles, le prénommé reproche au Ministère public d’avoir mal apprécié les faits de la cause et, par suite, violé l'art. 138 CP.

En effet, il "ne s'agi[ss]ait pas[,] ici[,] que du partage d'un bénéfice, mais bien de la restitution de[s] fonds avancés" par ses soins, fonds qu'il avait confiés à B______ "pour une utilisation spécifique avec l'obligation (…) de les [lui] restituer" une fois l'appartement "C______" revendu. En conservant indument le prix de cet appartement, le mis en cause s'était enrichi de plusieurs millions d'euros, à son détriment.

Les autorités helvétiques étaient compétentes pour connaître de ces agissements, l'enrichissement sus-évoqué étant partiellement survenu à Genève (via le transfert des EUR 11'736'965.- auprès de D______).

b. Invité à se déterminer, le Procureur conclut au rejet du recours, principalement pour les motifs exposés dans sa décision, subsidiairement en l’absence d’un for en Suisse pour juger les infractions dénoncées.

c. Le 6 mars 2024, B______ s'est spontanément adressé à la Chambre de céans, sollicitant de pouvoir se déterminer sur le recours.

Il n'a pas été donné suite à cette demande, pour les raisons qui seront exposées au considérant 2. ci-après.

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance de non-entrée en matière, sujette à contestation auprès de la Chambre de céans (art. 310 al. 2 et 322 al. 2 cum 393 al. 1 let. a CPP), et émaner du plaignant (art. 104 al. 1 let. b CPP), qui a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé (art. 382 CPP) à voir poursuivre les infractions alléguées aux art. 138 (art. 115 CPP) et 305bis CP (ATF 146 IV 211 consid. 4).

1.2. Il en va de même des pièces nouvelles produites à l’appui de cet acte (arrêt du Tribunal fédéral 1B_368/2014 du 5 février 2015 consid. 3.2. in fine).

2. B______ a demandé à pouvoir s’exprimer sur le recours.

Dès lorsqu’il revêt le statut de mis en cause – et non de prévenu (art. 111 al. 1 CPP), à défaut d'être objectivement soupçonné (cf. en ce sens ACPR/179/2024 du 12 mars 2024, consid. 4.1) de la violation des deux normes pénales précitées –, il n'est pas partie à la présente procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP a contrario).

Il n’y avait donc pas lieu de l'inviter à se déterminer sur cet acte, étant précisé que la Chambre de céans peut, dans les cas visés à l'art. 390 al. 2 CPP a contrario, statuer sans proposer au mis en cause de se déterminer sur le recours.

3. Le recourant estime qu’il existe une prévention pénale suffisante contre le prénommé.

3.1. Le prononcé d'une non-entrée en matière s'impose lorsque les conditions d'une infraction ne sont manifestement pas réunies (art. 310 al. 1 let. a CPP).

Il suffit, pour rendre une telle décision, qu'une seule desdites conditions ne soit pas réalisée (Y. JEANNERET/ A. KUHN/ C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 8 ad art. 310).

3.2. Commet un abus de confiance, au sens de l'art. 138 ch. 1 al. 2 CP, la personne qui, sans droit, emploie à son profit des valeurs patrimoniales qui lui ont été confiées.

Cette disposition protège le droit de celui qui a confié de telles valeurs – via le transfert du pouvoir d’en disposer à l’auteur – à ce qu’elles soient utilisées dans le but qu’il a assigné (arrêt du Tribunal fédéral 6B_972/2022 du 12 janvier 2024 consid. 3.1.1).

Le comportement délictueux consiste à employer lesdites valeurs contrairement aux instructions reçues, en s'écartant de la destination fixée (ibidem).

3.3. Se rend coupable de blanchiment d’argent quiconque commet un acte propre à entraver l'identification de l'origine, la découverte ou la confiscation de valeurs patrimoniales provenant d'un crime préalable (art. 305bis ch. 1 CP).

3.4.1. En l'espèce, il résulte du dossier que le recourant a partiellement financé l'acquisition et la rénovation de l'appartement "C______".

Ce financement a permis au mis en cause d’acheter ce logement, puis de le revendre avec une importante plus-value.

Le recourant considère que le fait, pour ce dernier, d’avoir conservé le prix de cette revente – sans lui rembourser les fonds avancés par ses soins, ni lui rétrocéder sa part des bénéfices – constituerait un abus de confiance.

Il se méprend toutefois sur la portée de l'art. 138 CP, à un double titre.

Tout d'abord, cette disposition ne réprime pas l’inexécution, par un associé, de son obligation de reverser une somme d’argent à son cocontractant, mais l’utilisation, par cet associé, de ladite somme (confiée par le cocontractant) à des fins étrangères à celles convenues.

Or, in casu, il n’apparaît pas que le mis en cause aurait affecté la part des fonds propres du recourant sur laquelle il jouissait d’un pouvoir de disposition, à un autre but que la réalisation du projet "C______". Le plaignant ne le soutient du reste pas.

Le mis en cause n'a donc, sous cet angle, pas abusé de la confiance de son associé.

Ensuite, l'art. 138 CP concerne exclusivement les valeurs confiées par le lésé à l'auteur.

Dans la présente affaire, le prix de revente de l’habitation "C______" a été versé au mis en cause, non par le recourant, mais par les acheteurs.

Aussi le plaignant ne peut-il se prévaloir, sur le plan pénal, d'un (éventuel) emploi illicite de cette somme.

Il s’ensuit que les réquisits de la norme précitée ne sont pas réalisés.

3.4.2. Il en va de même des conditions de l’art. 305bis CP, à défaut d'existence d'un crime préalable (art. 138 CP).

3.5. À cette aune, la décision déférée est pleinement justifiée.

Partant, le recours doit être rejeté – sans qu’il n’y ait lieu d'examiner la problématique du for de l'action pénale, l'ouverture d'une instruction venant d'être niée –.

4. Le plaignant succombe (art. 428 al. 1 CPP).

Il supportera, en conséquence, les frais de la procédure de recours, fixés en totalité à CHF 2'000.- (art. 3 cum 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03), somme qui sera prélevée sur les sûretés versées.

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 2'000.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, à A______, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Le communique, pour information, à B______, soit pour lui son conseil.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et
Madame Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Selim AMMANN, greffier.

 

Le greffier :

Selim AMMANN

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).

P/3469/2024

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'915.00

Total

CHF

2'000.00