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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/6318/2024

ACPR/571/2024 du 05.08.2024 sur ONMMP/1110/2024 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE;UTILISATION ABUSIVE D'UNE INSTALLATION DE TÉLÉCOMMUNICATION
Normes : CPP.310; CP.179septies

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/6318/2024 ACPR/571/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du lundi 5 août 2024

 

Entre

A______, domicilié ______ [GE], agissant en personne,

recourant,

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 8 mars 2024 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte déposé le 18 mars 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 8 mars 2024, notifiée le 11 suivant, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur sa plainte du 7 mars 2024.

Le recourant conclut, sous suite de frais, à l'annulation de l'ordonnance querellée et au renvoi de la cause au Ministère public pour instruction.

b. Le recourant a versé les sûretés en CHF 1'000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. B______ SA est une société dont le but est notamment la prise et transmission de messages pour le compte de tiers par l'organisation de permanences téléphoniques, ainsi que tous services s'y rapportant.

C______ en est administratrice avec signature individuelle depuis le 18 novembre 2016.

b. Par pli du 7 mars 2024, A______ a déposé plainte contre C______ pour "harcèlement" au sens de l'art. 179septies CP.

En substance, il expose avoir été prestataire de services pour B______ SA depuis 2012 à travers diverses sociétés, notamment D______ SARL, dont il était l'associé.

Par contrat du 30 janvier 2019, il avait été engagé par C______ au sein de la société E______ SA, laquelle appartenait au "groupe B______". Durant sa mission, il avait notamment mis en place un "système d'alertes permettant une surveillance des systèmes informatiques" des sociétés précitées.

Les rapports de travail avaient pris fin le 31 mai 2019. Puis, par courriel du 2 août 2019, C______ lui avait demandé de ne plus accéder à "[leur] infrastructure technique, que ce soit à distance ou physiquement sur place". S'agissant des alarmes, elle demandait au prénommé de ne pas s'en préoccuper. En effet, "dès cet instant, [ils] repren[aient] la responsabilité de [leur] matériel". Elle sollicitait donc la transmission par ce dernier des accès en sa possession.

À la fin de l'été 2019, A______ avait toutefois reçu une "hémorragie" de courriels lorsque B______ SA remettait en fonction certains systèmes d'installation. Par courriel du 1er septembre 2019, il avait expliqué à un informaticien de la société précitée la marche à suivre afin de rediriger les alertes au sein de B______ SA, ne voulant pas être tenu pour responsable des informations reçues par ce biais. Plusieurs personnes, dont C______ et F______, directeur de B______ GROUP, étaient en copie. Pourtant, malgré plusieurs relances, demandant notamment au précité de "cesser ce spam" (courriel du 19 février 2021), et bien que ce dernier ait affirmé que "de [leur] côté, le nécessaire a[vait] déjà été fait" (courriel du 30 avril 2021), il avait continué à recevoir lesdites alertes. Ainsi, au 9 décembre 2023, il avait reçu 6434 courriels, dont 4668 depuis le 2 septembre 2019.

Il considérait que cette situation avait pour seul but de l'importuner quotidiennement, dès lors que C______ n'avait eu de cesse de "dépréci[er]" les installations concernées. Selon lui, la "tactique" de cette dernière consistait à "harceler" ses anciens employés pour les plonger dans des situations difficiles, voire la dépression. Il en voulait pour preuve les témoignages de deux anciens employés ayant démissionné ou ayant été licenciés, qu'il a joint à sa plainte.

À l'appui, il a notamment produit les échanges et documents dont il a fait mention dans sa plainte ainsi que deux attestations médicales, l'une établie le 29 juin 2022 par le Dr G______ mentionnant un suivi depuis septembre 2020 pour des douleurs abdominales et lombaires dans le contexte d'un stress chronique et la seconde, établie le 1er mars 2024 par la Dre H______, faisant état d'un suivi en lien avec une affection psychique consécutive à des conflits professionnels ainsi que divers arrêts de travail entre le 14 août 2019 et le 15 juillet 2022.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public a relevé que, jusqu'au 1er juillet 2023, l'infraction à l'art. 179septies CP relevait d'une contravention se prescrivant par trois ans, de sorte qu'une partie des faits était prescrite. En outre, le délai de plainte n'avait pas été respecté s'agissant d'une partie des faits dénoncés, de sorte qu'il existait un empêchement de procéder. Enfin, il n'apparaissait pas que C______ ait eu la conscience et la volonté d'utiliser abusivement une installation de télécommunication pour inquiéter A______ ou l'importuner, dès lors que ce dernier avait lui-même mis en place le système d'alertes, auquel la société avait tenté de mettre fin.

D. a. À l'appui de son recours, A______ soutient que C______ avait agi de manière continue: il s'agissait d'une succession d'actes de même nature, procédant de la même intention. C'était donc à tort que le Ministère public avait retenu qu'une partie des faits était prescrite.

Les faits dénoncés étaient graves et constitutifs d'infraction à l'art. 179septies CP. C______ avait agi avec conscience et volonté. Cette dernière était coutumière de détruire psychologiquement les employés dont elle voulait se débarrasser. Les "chicaneries innombrables" dont C______ avait usé l'avaient d'ailleurs mené à une dépression grave et avaient affecté sa santé.

b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du plaignant qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement irrecevables ou mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

3.             Le recourant estime qu'il existe une prévention suffisante du chef d'infraction à
l'art. 179septies CP.

3.1. Selon l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis.

Conformément à cette disposition, la non-entrée en matière est justifiée lorsque la situation est claire sur le plan factuel et juridique. Tel est le cas lorsque les faits visés ne sont manifestement pas punissables, faute, de manière certaine, de réaliser les éléments constitutifs d'une infraction, ou encore lorsque les conditions à l'ouverture de l'action pénale font clairement défaut. Au stade de la non-entrée en matière, on ne peut admettre que les éléments constitutifs d'une infraction ne sont manifestement pas réalisés que lorsqu'il n'existe pas de soupçon suffisant conduisant à considérer un comportement punissable ou lorsqu'un éventuel soupçon initial s'est entièrement dissipé. En revanche, si le rapport de police, la dénonciation ou les propres constatations du ministère public amènent à retenir l'existence d'un soupçon suffisant, il incombe en principe à ce dernier d'ouvrir une instruction (art. 309 al. 1 let. a CPP). Cela implique que les indices de la commission d'une infraction soient importants et de nature concrète, ce qui n'est pas le cas de rumeurs ou de suppositions. Le soupçon initial doit reposer sur une base factuelle plausible, laissant apparaître la possibilité concrète qu'une infraction ait été commise (ATF 141 IV 87 consid. 1.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_196/2020 du 14 octobre 2020 consid. 3.1). Dans le doute, lorsque les conditions d'une non-entrée en matière ne sont pas réalisées avec une certitude absolue, l'instruction doit être ouverte (arrêt 6B_196/2020 précité ; ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1 ; ATF 138 IV 86 consid. 4.1 ; ATF 137 IV 219 consid. 7).

3.2. Une ordonnance de non-entrée en matière doit également être rendue lorsqu'il existe des empêchements de procéder (art. 310 al. 1 let. b CPP), tels la prescription de l'action publique (ACPR/493/2021 consid. 3.1) ou lorsque le délai pour déposer plainte prévu par l'art. 31 CP n'a pas été respecté (arrêt du Tribunal fédéral 6B_848/2018 du 4 décembre 2018 consid. 1.5)

3.3.1. L'art. 179septies CP, dans sa version antérieure au 1er juillet 2023, prévoit que celui qui, par méchanceté ou par espièglerie, aura utilisé abusivement une installation de télécommunication pour inquiéter un tiers ou pour l'importuner sera, sur plainte, puni d'une amende.

Cet article protège le droit de la personnalité des personnes concernées contre certaines atteintes (dérangements et désagréments) réalisées au moyen d’une installation de télécommunication. Le législateur voulait avant tout lutter contre des appels importuns nocturnes et contre des propos indécents au téléphone. D'une manière générale, l'utilisation est abusive lorsqu'il apparait que l'auteur n'a pas à l'esprit la communication d'informations ou de pensées, mais recourt à ce moyen d'entrer en contact avec autrui pour importuner ou inquiéter la personne appelée. Il appartient toutefois au juge d'apprécier cette notion (A. MACALUSO /
L. MOREILLON / N. QUELOZ (éds), Commentaire romand, Code pénal II, vol. II, Partie spéciale : art. 111-392 CP, Bâle 2017, n. 3 ss ad art. 179septies).

Les cas typiques sont les appels nocturnes (pour déranger dans le sommeil), les appels répétés (harcèlement), les bruits effrayants et les appels lors desquels l’auteur ne parle pas (A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ (éds), op cit. n. 11 ad art. 179septies). Selon la jurisprudence (ATF 126 IV 216 consid. 2b/aa), les téléphones inquiétants et importuns doivent atteindre une certaine gravité minimale sur le plan quantitatif et/ou qualificatif, pour constituer une atteinte à la sphère personnelle de la victime punissable pénalement au sens de l’art. 179septies CP, conditions laissées à l’appréciation du juge (ATF 121 IV 131 consid. 5b). En cas d’atteintes légères ou moyennes à la sphère personnelle causées par l’usage du téléphone, la limite de la punissabilité abusive d’une installation de communication, dépend des circonstances du cas d’espèce et ne peut être déterminée de façon abstraite (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1088/2015 du 6 juin 2016 consid. 2.1).

Le champ d’application n’est pas restreint au seul cas des téléphones, mais également au fax, au courrier électronique ou au SMS (A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ (éds), Commentaire romand, Code pénal II, vol. II, Partie spéciale : art. 111-392 CP, Bâle 2017, n. 6 et 7 ad art. 179septies).

L'art. 179septies CP est une infraction intentionnelle. L'auteur doit non seulement avoir conscience d'utiliser abusivement l'installation de télécommunications, mais également la volonté d'inquiéter ou d'importuner un tiers.

3.3.2. Depuis le 1er juillet 2023, l'art. 179septies CP punit d'une peine privative de liberté d'un an au plus ou d'une peine pécuniaire, sur plainte, quiconque utilise abusivement une installation de télécommunication pour inquiéter un tiers ou pour l’importuner.

La peine encourue a été modifiée et les éléments subjectifs, soit la méchanceté et l'espièglerie, ont été supprimés (cf. Message concernant la loi fédérale sur l'harmonisation des peines et la loi fédérale sur l'adaptation du droit pénal accessoire au droit des sanctions modifié, FF 2018 2889 spéc. p. 2929).

3.4. En l'espèce, les questions relatives à la prescription de l'action pénale et la tardiveté de la plainte, en lien avec la commission d'un éventuel délit continu, peuvent souffrir de demeurer indécises, compte tenu de ce qui suit.

Le recourant reproche à la mise en cause de ne pas avoir modifié le système informatique afin d'éviter que des messages d'alerte lui soient transmis, dans un but chicanier.

Or, hormis les convictions du recourant, aucun élément ne permet d'inférer que la mise en cause aurait eu pour volonté de l'inquiéter ou l'importuner.

Tout d'abord, il est établi que le recourant avait installé le système de surveillance informatique, lequel générait automatiquement les messages d'alerte litigieux. Aucun élément au dossier ne permet de considérer que la mise en cause serait à l'origine desdits envois.

À cela s'ajoute qu'à la suite de diverses relances du recourant, le directeur de B______ GROUP a confirmé au précité que "le nécessaire a[vait] déjà été fait", de sorte que des dispositions semblent avoir été prises pour que ces envois cessent.

En tout état, au vu du contexte dans lequel les faits dénoncés se sont produits, à savoir la fin des rapports de travail avec le recourant, l'on ne discerne pas quel intérêt aurait la mise en cause à ce que les alertes en lien avec la surveillance des systèmes informatiques de ses sociétés soient transmises au recourant puisqu'il n'opère plus pour celles-ci.

Que la mise en cause ait eu des désaccords avec ses collaborateurs ou qu'elle ait rencontré des difficultés avec d'anciens employés ensuite de licenciements ne change rien à ce qui précède.

Enfin, si à teneur des attestations médicales produites, la dégradation de l'état de santé du recourant semble être liée à sa situation professionnelle, il ne ressort pas de ces documents que ces problèmes découleraient des faits reprochés à la mise en cause ou que cette dernière en serait à l'origine, comme il le soutient.

Pour le surplus, bien que l'on puisse concevoir que la réception de nombreux courriels ait pu troubler la tranquillité du recourant, il n'apparait pas que l'intention du législateur ait été de protéger une situation telle que décrite par ce dernier.

Faute de réalisation des éléments constitutifs de l'infraction dénoncée, la décision de non-entrée en matière du Ministère public est donc justifiée. Aucun autre acte d'enquête ne parait dès lors propre à modifier les considérations qui précèdent. Le recourant n'en dit mot, d'ailleurs.

4.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.

5.             Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 1'000.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'000.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et
Madame Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Selim AMMANN, greffier.

 

Le greffier :

Selim AMMANN

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/6318/2024

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

915.00

Total

CHF

1'000.00