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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/6512/2020

ACPR/491/2024 du 02.07.2024 sur OMP/23401/2023 ( MP ) , IRRECEVABLE

Descripteurs : DÉCISION D'IRRECEVABILITÉ;DOMMAGE IRRÉPARABLE;EXPERTISE
Normes : CPP.394.letb

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/6512/2020 ACPR/491/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 2 juillet 2024

 

Entre

A______ SA, représentée par Me Daniel KINZER, avocat, Esplanade de Pont-Rouge 9, case postale 1875, 1211 Genève 26,

recourante,

 

contre l'ordonnance de refus d'administration de preuves rendue le 12 décembre 2023 par le Ministère public,

et

B______, représentée par Me Vanja MEGEVAND, avocate, chemin de Kermély, case
postale 473, 1211 Genève 12,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.

 


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 26 décembre 2023, complété le même jour, A______ SA recourt contre l'ordonnance rendue le 12 précédent, notifiée le lendemain, à teneur de laquelle le Ministère public a rejeté ses réquisitions de preuves.

Elle conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de cette ordonnance et, cela fait, principalement, au renvoi de la cause au Procureur pour nouvelle décision dans le sens des considérants, subsidiairement, à la mise en œuvre d'un complément d'expertise.

b. La recourante a versé les sûretés en CHF 1'000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.a. À la suite d'une plainte pénale déposée le 15 avril 2020 par A______ SA, le Ministère public instruit une procédure contre B______ des chefs de faux dans les titres (art. 251 CP) et tentative d'escroquerie (art. 22 cum 146 CP).

Il soupçonne la prénommée, d’une part, d'avoir établi un faux contrat de mandat, modifiant la teneur de celui, original, l’ayant lié à la plaignante entre juillet 2016 et novembre 2018, en particulier la clause afférente à sa rémunération, cela afin de se procurer un enrichissement illégitime, et, d’autre part, d’avoir produit ce document devant la justice civile en 2019, à l'appui d'une requête formée par ses soins contre la société précitée.

a.b. Entendue en qualité de prévenue, B______ a contesté toute infraction, le contrat litigieux étant authentique.

b.a. Le 3 novembre 2022, le Procureur a ordonné une expertise tendant à l'analyse, sur les plans technique et graphique, du document potentiellement faux.

b.b. Dans son rapport du 27 avril 2023, l'expert, après avoir présenté la méthodologie utilisée par ses soins, a répondu comme suit à certaines des questions qui lui étaient posées : les signatures des représentants de A______ SA figurant sur le contrat examiné correspondaient à celles des intéressés, d'après les "échantillons" de signatures dont il disposait; elles étaient manuscrites et originales; la probabilité qu'elles soient "de la main" des intéressés, plutôt que d'un tiers, était (très) forte.

b.c. Nantie de ce rapport, A______ SA l’a qualifié, dans une missive détaillée du 23 juin 2023, de peu clair, respectivement d’incomplet.

Elle a requis du Ministère public, tout d'abord, qu’il invite l'expert à "produire les différentes méthodes (…) qui exist[ai]ent en matière d'analyse d'écriture[s] (…) et [à] indiquer laquelle il a[vait] suivie", puis qu’il ordonne un complément d'expertise, destiné à répondre aux différentes questions listées dans son pli, un autre spécialiste devant être désigné à cette fin.

C. Dans sa décision déférée, le Procureur a considéré qu’un complément de l'expertise au sens de l'art. 189 CPP n'avait pas lieu d'être. En effet, le rapport se fondait sur l'ensemble des pièces pertinentes, exposait en détail les "techniques" utilisées et répondait, de façon univoque, à toutes les questions posées.

D. a. À l'appui de ses recours et réplique, A______ SA s'estime habilitée à quereller l’ordonnance susvisée, au motif que le refus du Ministère public portait, non sur une nouvelle réquisition de preuve (cf. art. 394 let. b CPP), mais sur les "modalités d’administration d'une preuve (…) déjà décidée dans son principe". Une partie de la doctrine admettait d’ailleurs que le refus de réaliser une nouvelle expertise puisse faire l'objet d'une contestation immédiate; il en allait de même de la Chambre de céans (cf. ACPR/519/2020 du 29 juillet 2020).

Sur le fond, le renvoi de la cause au Procureur s'imposait, ladite ordonnance consacrant une violation aussi bien de l'art. 189 CPP – norme dont les réquisits étaient réunis – que de l'art. 29 al. 2 Cst féd. – faute, pour l’autorité intimée, de s'être (suffisamment) exprimée sur les griefs, circonstanciés, soulevés dans sa missive du 23 juin 2023 –.

b. Invités à se déterminer, le Ministère public et B______ concluent au rejet du recours.

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours et son complément ont été déposés selon la forme (art. 385 al. 1 CPP) et dans le délai (art. 90 al. 2 et 396 al. 1 CPP) prescrits, par la plaignante, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP).

1.2. Il convient de déterminer s’ils sont dirigés contre une décision sujette à contestation auprès de la Chambre de céans.

1.2.1. Selon l'art. 394 let. b CPP, le recours est irrecevable lorsque le ministère public rejette une réquisition de preuves qui peut être réitérée sans préjudice juridique devant le tribunal de première instance.

i. La demande d'une partie tendant à voir compléter une expertise constitue une telle réquisition (arrêt du Tribunal fédéral 7B_223/2023 du 3 août 2023 consid. 2.5.1 in limine).

ii. La notion de préjudice juridique correspond à celle de préjudice irréparable ancrée à l'art. 93 al. 1 let. a LTF (ATF 149 IV 205 consid. 3.3).

Un dommage de ce type est admis quand le refus d'instruire porte sur des moyens de preuves qui risquent de disparaître (ibidem).

Le Tribunal fédéral et la Chambre de céans examinent, d’ordinaire, à l'aune d'un tel préjudice, la recevabilité des recours formés contre les refus, soit d'ordonner un complément d'expertise (notamment : arrêts du Tribunal fédéral 7B_223/2023 précité et 1B_370/2013 du 2 avril 2014 consid. 1.1.1 et 1.1.2; ACPR/541/2014 du 19 novembre 2014, consid. 1.1 et 1.2), soit d’en réaliser une nouvelle (ainsi : ATF 149 IV 205 précité, consid. 3.5 et arrêt du Tribunal fédéral 1B_92/2013 du 7 mars 2013 consid. 2.4; ACPR/543/2013 du 12 décembre 2013, consid. 2).

1.2.2. Dans l'arrêt ACPR/519/2020 du 29 juillet 2020 cité par la recourante, la juridiction de céans a déclaré recevable – sans aborder la question de l'existence d'un préjudice juridique – le recours interjeté par un adolescent, placé en observation, contre la décision du Juge des mineurs rejetant sa demande de contre-expertise; les normes et décisions citées à cet appui font toutes référence à la mise en observation de mineurs en milieu fermé (cf. art. 26 al. 1 let. d et 39 al. 2 let. b PPMin; ACPR/93/2018 du 19 février 2018, ACPR/635/2015 du 24 novembre 2015 et ACPR/428/2014 du 24 septembre 2014).

1.2.3. En l'espèce, la recourante a sollicité, le 23 juin 2023, la réalisation d'un complément d'expertise – sous la forme de questions à poser tant au spécialiste mandaté le 3 novembre 2022, au sujet des "différentes méthodes [existant] en matière d'analyse d'écriture[s]", qu'à un autre expert à désigner –.

Cette demande constitue une réquisition de preuve.

Aussi le refus du Ministère public d'y donner suite ne peut-il être attaqué qu'aux conditions posées par l'art. 394 let. b CPP.

Cette disposition – n'en déplaise à certains auteurs de doctrine – suppose l'existence d'un préjudice juridique/irréparable, réquisit dont il n’y a pas lieu de s’écarter ici, au vu de la jurisprudence citée supra (cf. consid. 1.2.1.ii). L'arrêt ACPR/519/2020 ne modifie nullement cette appréciation, dès lors que la problématique du risque d’un dommage imminent n’y est pas abordée, ni a fortiori exclue.

Il convient donc de déterminer si la plaignante subit un tel préjudice.

L'intéressée ne soutient pas que le complément d'expertise litigieux devrait être mis en œuvre sans délai parce qu'il ne pourrait plus l'être ultérieurement.

Le refus querellé ne lui cause, objectivement, aucun dommage, en l'état, puisqu'elle sera à même de renouveler sa requête au moment de la clôture de l'instruction (art. 318 al. 2 CPP), puis, alternativement, devant le(s) juge(s) du fond appelé(s) à statuer sur les infractions imputées à la prévenue (art. 331 al. 2 et 3 CPP) ou devant la Chambre de céans si la procédure devait être classée (en sollicitant le renvoi de la cause au Procureur pour qu'il administre ce moyen de preuve [art. 397 al. 3 CPP]).

Il s'ensuit que les conditions de l'art. 394 let. b CPP ne sont pas réunies.

1.3. À cette aune, la décision entreprise ne peut faire l'objet d'une contestation immédiate.

Partant, le recours est irrecevable.

2. La recourante succombe (art. 428 al. 1, 2ème phrase, CPP).

Elle supportera, en conséquence, les frais de la cause, fixés en totalité à CHF 1'000.- (art. 3 cum 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03), somme qui sera prélevée sur les sûretés versées.

3. 3.1. Conformément à l'art. 436 al. 2 CPP, le prévenu qui obtient gain de cause dans la procédure de recours a droit à une juste indemnité pour ses frais d’avocat (art. 429 al. 1 let. a CPP).

3.2. In casu, l'intimée s’est opposée à l’annulation du prononcé attaqué, sans toutefois conclure à l'allocation, ni a fortiori chiffrer, de dépens.

Compte tenu du caractère ciblé du litige, circonscrit à la recevabilité du recours, elle se verra allouer, d'office et en équité, une indemnité de CHF 500.- TTC, à la charge de l'État.

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Déclare le recours irrecevable.

Condamne A______ SA aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'000.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Alloue à B______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 500.- TTC pour ses frais de défense dans la procédure de recours (art. 429 al. 1 let. a CPP).

Notifie le présent arrêt, en copie, à A______ SA et B______, soit pour elles leurs conseils, ainsi qu'au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/6512/2020

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

20.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

905.00

Total

CHF

1'000.00