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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/8757/2022

ACPR/469/2024 du 24.06.2024 sur OTDP/906/2024 ( TDP ) , REJETE

Descripteurs : DÉFENSE OBLIGATOIRE;DÉFENSE D'OFFICE;COMPLEXITÉ DE LA PROCÉDURE;ÉTAT DE SANTÉ;AFFECTION PSYCHIQUE;PARTICIPATION À LA PROCÉDURE;APTITUDE
Normes : CPP.130; CPP.132

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/8757/2022 ACPR/469/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du lundi 24 juin 2024

 

Entre

A______, domiciliée ______ [GE], agissant en personne,

recourante

contre l'ordonnance de refus de nomination d'avocat d'office rendue le 22 avril 2024 par le Tribunal de police

et

LE TRIBUNAL DE POLICE, rue des Chaudronniers 9, 1204 Genève - case postale 3715, 1211 Genève 3,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés

 


EN FAIT :

A. Par acte déposé au greffe universel le 29 avril 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 22 précédent, par laquelle le Tribunal de police a refusé d'ordonner une défense d'office en sa faveur.

La recourante, sans prendre de conclusions formelles, déclare contester cette décision.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.             Sous curatelle de représentation depuis 2018 (afin, notamment, d’être représentée en matière « d’affaires juridiques »), A______ a été poursuivie pénalement pour un problème survenu avec son voisinage, le 11 janvier 2022, à B______ [GE]. Le 22 juillet 2022, le Ministère public a rendu contre elle une ordonnance pénale la déclarant coupable de calomnie, qu’elle a frappée d’opposition.

b.             Lors d’une audience à laquelle elle a comparu seule, A______ a demandé la désignation d’un défenseur d’office, refusant de s’exprimer. Elle a comparu – et déposé – à l’audience suivante avec un avocat de son choix et avec sa curatrice. Par la suite, le Ministère public a refusé de faire droit à sa demande de défense d’office, motif pris notamment du peu de complexité juridique de l’affaire.

c.              En raison du maintien de l’ordonnance pénale, la cause a été transmise au Tribunal de police. Son avocat ayant déclaré cesser d’occuper, A______ a personnellement demandé à être assistée d’un « pénaliste, pour avoir à maintenir [s]es dires », ainsi qu’à avoir le temps nécessaire pour se choisir un nouvel avocat. Le 4 octobre 2023, le nouveau défenseur qu’elle avait constitué sur ces entrefaites a demandé au Tribunal de police à être nommé d’office, sur le fondement de l’art. 130 let. c CPP, faisant valoir que, selon la décision de curatelle, sa cliente présentait des signes psychiques pathologiques affectant son rapport à la réalité dans le domaine relationnel. Le tribunal lui a répondu que les conditions légales n’étaient pas réunies. L’avocat a renoncé à son mandat.

d.             Le 24 novembre 2023, la curatrice a fait part au tribunal de ses inquiétudes sur l’état psychique de A______, sur la capacité de celle-ci de prendre part aux débats, comprendre les enjeux de la procédure et prendre les décisions pour sa défense. Elle demandait simultanément au Tribunal de protection de l’adulte et de l’enfant (ci-après, TPAE) qu’une évaluation psychiatrique fût ordonnée.

Le Tribunal de police s’est tourné vers cette autorité, qui lui a répondu, le 29 novembre 2023, qu’il se réunirait prochainement et qu’il n’avait, « en l’état », pas ordonné d’expertise psychiatrique.

e.              Il résulte de l’ordonnance prise le 7 décembre suivant par le TPAE (et dont les motifs ne sont pas connus) que la curatelle de représentation est maintenue, et élargie « au domaine médical ».

f.               Le 12 avril 2024, A______, citée à comparaître pour le 7 mai 2024, a personnellement demandé, derechef, la désignation d’un avocat d’office, estimant qu’il lui était impossible de se « débrouiller » seule, faute de connaissances juridiques.

g.             Le 22 avril 2024, le Tribunal de police a rendu l’ordonnance querellée.

h.             À l’audience du 7 mai 2024, A______ a comparu avec le concours de sa curatrice.

La curatrice a déposé copie d’une lettre du 24 novembre 2023 qu’elle avait reçue du TPAE, aux termes de laquelle cette autorité estimait « judicieux » qu’une expertise psychiatrique fût ordonnée dans le cadre de la procédure pénale. La curatrice a soutenu ce point de vue.

Le Tribunal de police a refusé sur le siège d’ordonner une expertise psychiatrique, au motif qu’aucun élément ne lui permettait de douter de l’aptitude de A______ à prendre part aux débats, un certificat médical du 26 janvier 2022 (au dossier) ne mettant pas non plus en doute la capacité de discernement de l’intéressée.

Au fond, il a confirmé l’ordonnance pénale (30 jours-amende à CHF 30.- le jour, sursis trois ans).

i.               Le 17 mai 2024, A______ a envoyé au greffe du Tribunal de police des pièces médicales (notamment). Selon un certificat daté du jour même (et émanant du même auteur que celui daté du 26 janvier 2022), elle souffrait psychologiquement des années de combat passées à se défendre, mais se montrait actuellement stable psychiquement, avec un discours pertinent, cohérent et non fluctuant par rapport à l’événement du 11 janvier 2022 [retenu dans l’ordonnance pénale], « ainsi que tout » ce qui s’était passé depuis lors.

C. Dans la décision querellée, le Tribunal de police considère que A______ ne se trouvait pas en situation de défense obligatoire, au sens de l’art. 130 let. c CPP. Le certificat médical du 26 janvier 2022 ne comportait aucun argument qui eût pu le conduire à douter de la capacité de discernement de la prévenue.

D. a. Dans son recours, A______ demande à savoir pourquoi le tribunal lui avait refusé l’assistance juridique, alors que sa curatrice lui avait trouvé un avocat. Elle estime que ses mécomptes avec ses voisins justifiaient qu’un défenseur d’office lui fût nommé. Des témoins avaient vu qu’elle avait été agressée. Elle serait prête à déménager, mais sa curatrice s’y opposait.

b. À réception, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 90 al. 1, 384 let. a, 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP). Il porte sur une ordonnance rendue par la Direction de la procédure du Tribunal de police (section du tribunal de première instance, au sens des art. 19 CPP et 95 LOJ, dont le président est investi de cette compétence, conformément à l'art. 61 let. c CPP) et sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP ; ACPR/284/2021 du 30 avril 2021 consid. 1).

1.2. Il émane de la prévenue qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

1.3. Les pièces produites au Tribunal de police postérieurement au jugement font partie du dossier et peuvent être prises en considération, la jurisprudence admettant la production de faits et de moyens de preuve nouveaux en deuxième instance (arrêt du Tribunal fédéral 1B_550/2022 du 17 novembre 2022 consid. 2.2).

2.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement irrecevables ou mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

3.             Sans l’exprimer explicitement, la recourante semble soutenir qu’elle aurait eu des témoins à faire entendre et que la nomination d’office de l’avocat qu’elle avait au mois d’octobre 2023 était nécessaire à ces fins. Le Tribunal de police a traité la demande sous l’angle de la défense obligatoire (art. 130 let. c CPP). L’autorité de recours n’est pas liée par les motifs invoqués par les parties (art. 391 al. 1 let. a CPP).

3.1.       Selon l'art. 130 let. c CPP, le prévenu doit avoir un défenseur notamment lorsqu'en raison de son état physique ou psychique ou pour d'autres motifs, il ne peut suffisamment défendre ses intérêts dans la procédure et si ses représentants légaux ne sont pas en mesure de le faire.

La question de la capacité de procéder doit être examinée d'office (ATF 131 I 350 consid. 2.1 53; arrêt du Tribunal fédéral 1B_318/2014 du 27 octobre 2014 consid. 2.2). Cependant, des indices de limitation ou d'absence d'une telle capacité doivent exister pour qu'il puisse être attendu de l'autorité qu'elle obtienne des éclaircissements à ce sujet. Une incapacité de procéder n'est ainsi reconnue que très exceptionnellement, soit en particulier lorsque le prévenu se trouve dans l'incapacité de suivre la procédure, de comprendre les accusations portées à son encontre et/ou de prendre raisonnablement position à cet égard (arrêts du Tribunal fédéral 1B_279/2014 du 3 novembre 2014 consid. 2.1.1 = SJ 2015 I p. 172; 1B_318/2014 du 27 octobre 2014 consid. 2.1 ; 1B_332/2012 du 15 août 2012 consid. 2.4).

En doctrine, l'hypothèse prévue à l'art. 130 let. c CPP est notamment retenue lorsque le prévenu n'est plus à même d'assurer, intellectuellement ou physiquement, sa participation à la procédure, à l'image des cas visés par l'art. 114 al. 2 et 3 CPP (L. MOREILLION / A. PAREIN-REYMOND, Code de procédure pénale – Petit commentaire, 2e éd. Bâle 2016, n. 15 ad art. 130). À titre d'incapacités personnelles, il peut s'agir de dépendances à l'alcool, aux stupéfiants, à des médicaments susceptibles d'altérer les capacités psychiques (L. MOREILLON / A. PAREIN-REYMOND, op. cit., n. 17 ad art. 130; M. NIGGLI / M. HEER / H. WIPRÄCHTIGER (éds), Strafprozessordnung - Jugendstrafprozessordnung, Basler Kommentar StPO/JStPO, 3e éd., Bâle 2023, n. 30 ad art. 130). La direction de la procédure dispose d'une marge d'appréciation pour déterminer si le prévenu frappé d'une incapacité personnelle peut suffisamment se défendre ou non ; au vu du but de protection visé par le cas de défense obligatoire, l'autorité devra cependant se prononcer en faveur de la désignation d'un défenseur d'office en cas de doute ou lorsqu'une expertise psychiatrique constate l'irresponsabilité du prévenu, respectivement une responsabilité restreinte de celui-ci (arrêt du Tribunal fédéral 1B_318/2014 du 27 octobre 2014 consid. 2.1).

3.2.       En l'espèce, la recourante ne prétend pas avoir été incapable de prendre part aux débats du 7 mai 2024, et sa curatrice, à tout le moins sur le fondement de la position relativement incitative du TPAE, s’est focalisée sur la nécessité d’une expertise psychiatrique. Le dernier avocat qu’elle a consulté s’est fondé sur la décision de curatelle, à teneur de laquelle elle présentait des signes psychiques pathologiques affectant son rapport à la réalité dans le domaine relationnel.

Or, les éléments ainsi mis en exergue – outre qu’ils remontent à 2018, date de la décision de curatelle – paraissent surtout contribuer à expliquer le contexte général dans lequel la recourante se rendra coupable, en 2022, de calomnies. Ils ne montrent en tout cas pas que celle-ci se serait trouvée incapable de se défendre seule pour des raisons intellectuelles, psychologiques ou psychiatriques. C’est au demeurant sous sa propre plume qu’elle a demandé, à réitérées reprises, à être pourvue d’un avocat d’office, signe qu’elle n’était pas entravée dans sa perception de la réalité de la procédure alors en cours, avec ses enjeux.

Par ailleurs, le Tribunal de police s’est référé dans la décision querellée à un certificat médical du 26 janvier 2022 qui conclut à la capacité de discernement de la recourante. Or, selon le certificat médical délivré le 17 mai 2024 – date presque immédiatement postérieure à l’audience –, le même médecin estime que la recourante se montrait « actuellement » stable psychiquement, avec un discours pertinent, cohérent et non fluctuant par rapport aux événements du 11 janvier 2022, « ainsi que tout » ce qui s’était passé depuis lors. En d’autres termes, toute altération du discernement et / ou de la capacité de la recourante de prendre part aux débats est niée, et ce, depuis un certain temps, quelle qu’ait été l’inquiétude de la curatrice.

Le procès-verbal de l’audience du 7 mai 2024 ne laisse pas deviner de trouble à ce sujet. La recourante a clairement exprimé qu’elle contestait les faits dont elle était accusée et a répondu sans incohérence aux questions qui lui étaient posées.

Partant, une défense obligatoire en vertu de l'art. 130 let. c CPP ne se justifiait pas.

4.             Pour les mêmes motifs, et indépendamment de la condition d’indigence posée à l'art. 132 al. 1 let. b CPP, la sauvegarde d’autres intérêts de la recourante n’appelait pas non plus la désignation d’un avocat d’office.

L’accusation contre laquelle la recourante devait se défendre tenait sur des événements brefs, survenus à quelques heures d’intervalle dans la même journée. On ne voit pas quelle difficulté, de fait ou de droit, la cause présentait, au sens de la seconde condition posée par la disposition légale susmentionnée. Du reste, la recourante n’a rien prétendu de tel lorsqu’elle a demandé à être assistée par un « pénaliste » : elle souhaitait tout au plus disposer du temps nécessaire à le choisir.

Quant à la peine concrètement encourue – qui est déterminante (ATF 143 I 164 consid. 2.4.3 et 3) et dont l’ordonnance pénale donnait déjà une indication –, elle a été avalisée sous tous ses aspects par le Tribunal de police (30 jours-amende à CHF 30.- le jour, sursis trois ans). Or, cette sanction se situe en-deçà du seuil de 120 jours-amende fixé par la loi (art. 132 al. 3 CPP).

Certes, la recourante sous-entend avoir souhaité faire entendre des témoins au procès et n’avoir pas pu le faire, faute d’avocat. Elle ne peut cependant pas être suivie. En effet, elle était – et n’a cessé d’être, pendant la durée de la procédure – pourvue d’une curatrice, soit une représentante légale, expressément désignée pour la représenter dans les « affaires juridiques ». Du reste, elle a comparu en sa compagnie, le 7 mai 2024, comme déjà lors du traitement de son opposition par le Ministère public, à l’occasion duquel elle avait demandé l’audition de deux témoins.

De la même façon qu’elle a su demander par elle-même un avocat d’office, elle aurait pu simplement solliciter la comparution de ces personnes, y compris le jour de l’audience, cas échéant par la voix de sa curatrice, d’autant que celle-ci a été en mesure de présenter l’autre réquisition de preuve que constituait l’aménagement d’une expertise psychiatrique.

5.             Les conditions n'étant pas réalisées, c'est ainsi à juste titre qu’une défense d'office a été refusée par le Tribunal de police. Justifiée, l'ordonnance querellée sera confirmée, et le recours rejeté.

6.             La procédure de recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 20 RAJ).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt, en copie, à A______, au Tribunal de police et au Ministère public.

Le communique, pour information, au Service de protection de l’adulte (réf. : Adulte-Secteur C/1______/C______).

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et
Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, juges; Selim AMMANN, greffier.

 

Le greffier :

Selim AMMANN

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).