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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/12813/2023

ACPR/439/2024 du 12.06.2024 sur OTDP/829/2024 ( TDP ) , ADMIS

Descripteurs : ORDONNANCE PÉNALE;OPPOSITION TARDIVE;DOMICILE ÉLU;DÉLAI DE GARDE
Normes : CPP.85.al2; CPP.85.al4.leta; CPP.87; CPP.3.al2.leta

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/12813/2023 ACPR/439/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 12 juin 2024

 

Entre

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

recourant,

contre l'ordonnance rendue le 9 avril 2024 par le Tribunal de police,

et

A______, représenté par Me Jacques ROULET, avocat, Roulet Avocats, Rond-Point de Plainpalais 2, 1205 Genève,

LE TRIBUNAL DE POLICE, rue des Chaudronniers 9, case postale 3715, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 25 avril 2024 par messagerie sécurisée, le Ministère public recourt contre l'ordonnance du Tribunal de police datée du 9 avril 2024, notifiée le 17 suivant, par laquelle cette autorité a déclaré valable l'opposition formée par A______ à l'encontre de l'ordonnance pénale du 8 novembre 2023 et renvoyé le dossier au Ministère public pour statuer sur l'opposition.

Le recourant conclut, sous suite de frais à la charge de l'État, à l'annulation de ladite ordonnance et à ce que l'opposition de A______ soit déclarée irrecevable pour cause de tardiveté.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.a. Le 22 avril 2023, A______ a été entendu par la police en qualité de prévenu, étant soupçonné d'avoir, le même jour, vers 21h01, sur la route 1______ à B______/GE, circulé au volant de son véhicule automobile sous l'emprise de cannabis, les résultats de la prise de sang ayant mis en évidence une concentration de THC récente et élevée, supérieure à la valeur limite définie par l'OFROU, suggérant une consommation répétée de cette substance.

Il a indiqué avoir une résidence secondaire à B______.

a.b. Le procès-verbal d'audition, signé par l'intéressé, mentionne son adresse principale à la rue 2______ no. ______, [code postal] C______ [GE].

C'est également cette adresse qui figure sur le rapport de renseignements de police du 20 mai 2023.

a.c. Le formulaire de situation personnelle et financière, signé par l'intéressé, mentionne également ladite adresse.

a.d. L'avis d'arrestation/de libération du Ministère public du 22 avril 2023 indique toutefois comme adresse principale du prévenu la route 3______ no. ______, [code postal] B______.

b.a. Par ordonnance pénale du 8 novembre 2023, le Ministère public a déclaré A______ coupable des infractions susmentionnées.

b.b. Cette décision a été expédiée le 15 novembre 2023 par pli recommandé à l'adresse de l'intéressé à la rue 2______ no. ______, [code postal] C______.

b.c. Avisé pour retrait le 16 novembre 2023, le pli a été retourné à l'expéditeur avec la mention "non réclamé", le 24 novembre 2023.

c. Le 23 janvier 2024, A______ a, sous la plume de son conseil, formé opposition à ladite ordonnance, alléguant ne l'avoir jamais reçue. Il en avait eu connaissance à réception du bordereau après jugement daté du 14 janvier 2024 qui lui avait été communiqué par le Service des contraventions, dont il joignait la copie, à son adresse à C______.

d. Par ordonnance sur opposition tardive du 6 février 2024, le Ministère public a transmis la cause au Tribunal de police afin qu'il statue sur la validité de l'opposition, n'étant pas en mesure de statuer sur une éventuelle restitution du délai avant droit jugé sur la validité de l'opposition.

e. Invité à se déterminer par la juridiction précitée sur l'apparente irrecevabilité de son opposition, A______, par l'intermédiaire de son conseil, a indiqué avoir quitté le domicile familial sis rue 2______ no. ______, [code postal] C______, peu avant son interpellation pour s'installer seul à la route 3______ no. ______, [code postal] B______. Lors de son audition par la police, il avait informé le policier de son souhait de se voir notifier les actes de procédure à sa nouvelle adresse à B______. Il relevait au demeurant que c'était cette adresse de B______ qui figurait sur l'avis d'arrestation/de libération du Ministère public. En outre, il avait indiqué lors de son audition qu'il se trouvait, au moment de son interpellation, à proximité de son domicile, tout en précisant que celle-ci avait eu lieu à la route 1______ no. ______ à B______. L'Office cantonal des véhicules, qui disposait des mêmes informations que le Ministère public, avait par ailleurs été en mesure de lui adresser, le 6 novembre 2023, un pli en lien avec l'évènement du 22 avril 2023 à son adresse correcte de B______. Il en résultait que la notification de l'ordonnance pénale du 8 novembre 2023 était irrégulière et donc non valable.

Subsidiairement, il considérait que c'était de manière non fautive qu'il n'avait pas pu prendre connaissance de l'ordonnance pénale qui lui avait été adressée au domicile de ses parents, ceux-ci lui ayant assuré ne s'être jamais vu remettre de quelconque pli recommandé à lui destiné ni d'avis de passage de la poste. Le cas échéant, ils le lui auraient transmis, tout comme ils lui avaient transmis le bordereau de paiement.

C. Dans sa décision querellée, le Tribunal de police a considéré que l'ordonnance pénale avait été notifiée le 24 novembre 2023 au prévenu, de manière fictive, au terme du délai de garde, à l'adresse rue 2______ no. ______, [code postal] C______, correspondant au domicile familial que le prévenu avait quitté. Il ressortait du dossier que le prévenu avait communiqué lors de son audition à la police l'adresse sise route 3______ no. ______, [code postal] B______, de sorte qu'il s'agissait de la seule adresse à laquelle il devait s'attendre à recevoir une communication des autorités pénales. C'était en effet cette adresse qui figurait sur l'avis d'arrestation/de libération adressé en application de l'art. 219 al. 1 CPP par la brigade de sécurité routière au Ministère public le 22 avril 2023. Il appartenait dès lors à ce dernier de s'assurer que la notification de l'ordonnance pénale intervienne à l'adresse indiquée par le prévenu. En vertu du principe de la bonne foi auquel étaient tenues les autorités pénales, il ne pouvait être reproché au prévenu d'avoir tardé à former opposition. Partant, celle-ci était valable.

D. a. Renseignements pris par le Ministère public auprès de l'Office cantonal des véhicules le 17 avril 2024, A______ était venu remplir une demande de permis de conduire pour la catégorie BE, le 3 août 2023, en indiquant comme adresse route 3______ no. ______, [code postal] B______, de sorte que c'était à ce lieu qu'il lui avait envoyé son pli du 6 novembre 2023 (cf. note au dossier du 17 avril 2024).

b. À teneur du registre de l'Office cantonal de la population et des migrations figurant au dossier, à la date du 17 avril 2024, A______ était domicilié à la rue 2______ no. ______ à C______ jusqu'au 1er février 2024, date à laquelle son changement d'adresse à la route 3______ no. ______ à B______ avait été annoncé.

E. a. À l'appui de son recours, le Ministère public reproche à la juridiction intimée une constatation erronée et incomplète des faits ainsi qu'une violation des art. 85 al. 4 et 87 al. 1 CPP. Lors de son audition à la police le 22 avril 2023, le prévenu n'avait aucunement indiqué avoir déménagé à B______, précisant seulement y avoir une résidence secondaire. Quand bien même l'adresse de B______ était mentionnée sur l'avis d'arrestation/de libération, le rapport de renseignements de la police, le procès-verbal d'audition et le formulaire de situation personnelle et financière – ces deux derniers documents étant signés par le prévenu – indiquaient son adresse à la rue 2______ no. ______ à C______. En outre, le changement de domicile avait été opéré le 1er février 2024, selon le registre cantonal des habitants. Enfin, que l'Office cantonal des véhicules ait adressé un courrier à l'intéressé antérieurement au prononcé de l'ordonnance pénale du 8 novembre 2023 à l'adresse de B______ résultait uniquement du fait que le prévenu s'y était rendu, bien après son interpellation par la police, pour remplir une demande de permis de conduire, de sorte que seule cette autorité avait eu connaissance de cette adresse. Il ne pouvait donc pas savoir que le prévenu avait quitté le domicile familial de [la commune de] C______ pour s'installer à B______, lorsqu'il avait rendu son ordonnance pénale. Celle-ci avait ainsi été valablement notifiée.

b. Invité à se déterminer, A______ conclut au rejet du recours, sous suite de frais et dépens. Il avait quitté le domicile familial au début 2023 mais n'en avait pas immédiatement informé l'Office cantonal de la population et des migrations. Lors de son audition par la police, il avait plusieurs fois informé celle-ci que les actes de procédure devaient être envoyés à son adresse de B______. Il sollicitait le cas échéant l'audition du gendarme D______, lequel avait pris note de ladite adresse sur le document d'avis d'arrestation/de libération au Ministère public. La question de son déménagement ou non à B______, ainsi que la date d'inscription de son changement d'adresse dans les registres du contrôle de l'habitant ne revêtaient aucune importance, dès lors qu'il avait désigné à la police l'adresse de B______ comme domicile de notification. C'était ainsi à cette adresse que l'ordonnance pénale du 8 novembre 2023 aurait dû lui être notifiée.

c. Pour sa part, le Tribunal de police persiste dans les termes de sa décision.

EN DROIT :

1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à contestation auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. b CPP) et émaner du Ministère public qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. c CPP), a qualité pour agir (art. 38 al. 2 LaCP cum art. 381 al. 3 CPP).

2. Le recourant se prévaut d’une constatation inexacte de certains faits par le Tribunal de police.

Dès lors que la juridiction de recours jouit d'un plein pouvoir de cognition (art. 393 al. 2 let. b CPP), d'éventuelles inexactitudes entachant la décision querellée auront été corrigées dans l’état de fait établi ci-avant.

Partant, le grief sera rejeté.

3. Le recourant soutient que l'opposition formée le 23 janvier 2024 par l'intimé est tardive.

3.1. Le prévenu peut contester l'ordonnance pénale devant le ministère public dans le délai de dix jours; si aucune opposition n'est valablement intervenue, cette ordonnance est assimilée à un jugement entré en force (art. 354 al. 1 let. a et al. 3 CPP).

3.2. En vertu de l'art. 87 al. 1 CPP, toute communication doit être notifiée au domicile du destinataire.

Cette disposition n'empêche pas les parties de communiquer à l'autorité pénale une autre adresse de notification que celle indiquée par cette norme. Si elles le font, la notification doit, en principe, être effectuée en cet autre endroit, sous peine d'être jugée irrégulière (arrêt du Tribunal fédéral 6B_730/2021 du 20 août 2021 consid. 1.1).

3.3.1. Les autorités pénales notifient leurs prononcés par lettre signature ou par tout autre mode de communication impliquant un accusé de réception, notamment par l'entremise de la police (art. 85 al. 2 CPP). Le prononcé est réputé notifié si son destinataire ne l'a pas retiré dans les sept jours à compter d'une tentative de remise infructueuse, à condition qu'il ait dû s'attendre à une telle remise (art. 85 al. 4 let. a CPP).

3.3.2. Il existe une présomption de fait – réfragable – selon laquelle, pour les envois recommandés, la date de remise d'un pli, telle qu'elle figure sur la liste des notifications, est exacte. Cette présomption entraîne un renversement du fardeau de la preuve au détriment du destinataire. Si ce dernier ne parvient pas à établir l'absence de dépôt dans sa boîte ou sa case postale au jour attesté par le facteur, la remise est censée avoir eu lieu en ces lieu et date. Du fait notamment que l'absence de remise constitue un fait négatif, le destinataire ne doit cependant pas en apporter la preuve stricte. Il suffit d'établir qu'il existe une vraisemblance prépondérante que des erreurs se soient produites lors de la notification (arrêts du Tribunal fédéral 6B_314/2012 du 18 février 2013 consid. 1.4.1; 6B_281/2012 du 9 octobre 2012 consid. 2.1).

3.3.3. Le prévenu qui a été entendu par la police et informé des charges pesant contre lui doit s'attendre à recevoir des communications de la part de l'autorité pénale; il est donc tenu de relever son courrier ou de prendre des dispositions pour que celui-ci lui parvienne néanmoins (arrêt du Tribunal fédéral 6B_880/2022 du 30 janvier 2023 consid. 2.1).

3.4. Une notification irrégulière ne doit entraîner aucun préjudice pour son destinataire (arrêt du Tribunal fédéral 6B_552/2015 du 3 août 2016 consid. 2.5).

L'on déduit du principe de la bonne foi (art. 5 al. 3 Cst féd. et 3 al. 2 let. a CPP) l'interdiction des comportements contradictoires, celle-ci concernant en particulier les autorités pénales (arrêt du Tribunal fédéral 7B_101_2023 du 12 février 2024 consid. 2.2.2).

3.5. En l'espèce, si l'intimé a, lors de son audition par la police le 22 avril 2023, indiqué avoir sa résidence secondaire à B______, soit près du lieu où il avait été interpellé, il n'apparaît pas qu'il ait désigné l'adresse sise route 3______ no. ______, [code postal] B______ comme domicile de notification des actes de la procédure.

Tant le procès-verbal d'audition que le formulaire de situation personnelle et financière, qu'il a dûment signés, mentionnent son adresse à la rue 2______ no. ______, [code postal] C______. Or, le recourant n'expose nullement pour quel motif il a signé ces documents si ceux-ci n'indiquaient pas l'adresse de notification qu'il voulait voir désignée.

Peu importe dès lors que l'avis d'arrestation/de libération du Ministère public du 22 avril 2023 mentionne l'adresse de B______.

Partant, l'audition du gendarme D______ s'avère non pertinente.

L'adresse de B______ ne saurait davantage valoir domicile de notification au motif que l'Office cantonal des véhicules y aurait envoyé son pli du 6 novembre 2023. Il ressort en effet du dossier que c'est à l'occasion d'une demande de permis de conduire formulée le 3 août 2023 auprès de cette autorité administrative – ce qui est ainsi sans lien avec l'évènement du 22 avril 2023 – que le prévenu avait mentionné cette adresse. On ne voit dès lors pas comment le Ministère public aurait pu en avoir connaissance au moment de la notification de son ordonnance pénale, quelques jours plus tard.

À relever encore que si le Ministère public, auprès duquel le pli contenant ladite ordonnance avait été retourné comme non réclamé, avait alors consulté les registres du contrôle de l'habitant, il aurait constaté que l'adresse du prévenu était bien celle de [la commune de] C______, le changement d'adresse n'ayant été effectué que le 1er février 2024, l'intéressé ayant admis ne pas l'avoir immédiatement annoncé.

Il en résulte que c'est à bon droit que le Ministère public a envoyé son ordonnance pénale du 8 novembre 2023 par pli recommandé au prévenu à son adresse à C______.

Les éléments du dossier ne permettent pas de douter que l’avis de retrait postal lui soit bien parvenu, le 16 novembre 2023. Cela est d'autant plus vrai que le bordereau après jugement du 14 janvier 2024 a bien pu être réceptionné à l'adresse de C______.

L'intéressé n'ayant pas retiré le pli à l'échéance du délai de garde, le 23 novembre 2023, celui-ci a été retourné à son expéditeur le lendemain.

Le précité devait s'attendre à recevoir une décision judiciaire puisqu'il avait été interpellé par la police le 22 avril 2023 et auditionné par elle le même jour comme prévenu.

Au vu de ce qui précède, la fiction de la notification à l'échéance du délai de garde de l'art. 85 al. 4 let. a CPP lui est donc opposable.

On ne décèle ainsi aucune violation du principe de la bonne foi par le Ministère public.

Formée le 23 janvier 2024, l'opposition est par conséquent tardive.

Partant, le recours se révèle fondé et doit être admis. La décision querellée sera dès lors annulée et il sera constaté que l'ordonnance pénale du 8 novembre 2023 est assimilée à un jugement entré en force.

4. L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP).

5. L'intimé, succombant, ne peut prétendre à des dépens.

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours.

Annule, en conséquence, la décision attaquée et dit que l'ordonnance pénale du 8 novembre 2023 est assimilée à un jugement entré en force.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt, en copie, au Ministère public, à A______, soit pour lui son conseil, et au Tribunal de police.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Valérie LAUBER, juges; Monsieur Selim AMMANN, greffier.

 

Le greffier :

Selim AMMANN

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).