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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/24846/2019

ACPR/363/2024 du 16.05.2024 sur OMP/24093/2023 ( MP ) , ADMIS/PARTIEL

Descripteurs : SÉQUESTRE(LP);IMMEUBLE;EXÉCUTION DU SÉQUESTRE;EXÉCUTION FORCÉE
Normes : CPP.197; CPP.263; CPP.266; OPI.2

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/24846/2019 ACPR/363/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 16 mai 2024

 

Entre

A______, représenté par Mes Guglielmo PALUMBO et Matthias BOURQUI, avocats, HABEAS AVOCATS SÀRL, rue du Général-Dufour 20, case postale 556, 1211 Genève 4,

recourant,

contre l'ordonnance rendue le 20 décembre 2023 par le Ministère public,

et

B______, C______, D______, représentés par Me Jacques ROULET, avocat, ROULET Avocats, rond-Point de Plainpalais 2, 1205 Genève,

E______, représenté par Mes Olivier NICOD et Théo BRÜHLMANN, avocats, WALDER WYSS SA, avenue du Théâtre 1, case postale 6069, 1002 Lausanne,

F______, G______, H______, représentés par Me Raphaël QUINODOZ, avocat, BANNA & QUINODOZ, rue Verdaine 15, case postale 3015, 1211 Genève 3,

I______, représenté par Me Nicolas BEGUIN, avocat, AEGIS PARTNERS SÀRL, rue du Général-Dufour 20, case postale, 1211 Genève 4,

J______ LTD, représenté par Me Hervé CRAUSAZ, avocat, CHABRIER AVOCATS SA, rue du Rhône 40, case postale 1363, 1211 Genève 1,

K______, L______, M______, représentés par MAurélie GANDOY, avocate, ETUDE SWISS LAWYERS SNC, boulevard de Pérolles 21, case postale, 1701 Fribourg,

N______, domiciliée ______ [GE], agissant en personne,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. a. Par acte déposé le 2 janvier 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 20 décembre 2023, notifiée le lendemain, par laquelle le Ministère public a:

- refusé d'utiliser le produit de la vente du chalet sis rue 1______ no. ______, [code postal] O______ [VS] (ci-après: le Chalet), pour éteindre la dette hypothécaire de [la banque] P______ (ci-après: P______);

- ordonné à l'Office cantonal des poursuites de Genève (ci-après: OP) de procéder à la vente forcée de l'immeuble n° 2______/3______, sis rue 4______ no. ______, [code postal] Genève (ci-après: l'Immeuble);

- dit que cette vente devra se faire de gré à gré et qu'elle sera subordonnée à l'accord préalable du Ministère public;

- ordonné le maintien du séquestre sur l'Immeuble jusqu'à ce qu'une proposition de vente ait été soumise au Ministère public et acceptée;

- dit que le produit de cette vente devra être utilisé pour rembourser la créance hypothécaire de P______;

- ordonné, après le désintéressement de P______, le séquestre du produit de la vente.

Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de cette ordonnance, à la levée partielle du séquestre sur le produit de la vente du Chalet, à concurrence de sa dette hypothécaire actualisée (capital et intérêts, y compris moratoires) à l'encontre de P______ et à ce qu'il soit dit, et ordonné, que ce produit soit utilisé pour éteindre ladite dette et que le montant nécessaire soit transféré à la banque par les Services financiers du pouvoir judiciaire.

b. Par ordonnance du 3 janvier 2024 (OCPR/1/2024), la Direction de la procédure a accordé l'effet suspensif au recours.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

Contexte général

a. A______ était propriétaire du Chalet jusqu'à sa vente, en 2022 (cf. infra B, e-h).

Il détient également l'Immeuble, constitué de cinq lots en propriété par étages:

- une arcade au rez-de-chaussée avec un dépôt au sous-sol, louée par le fils de A______;

- trois appartements inoccupés de trois pièces (dont deux disposent de caves);

- un appartement triplex en attique (avec deux caves), occupé par A______ et sa famille.

b. Entre mars 2019 et mai 2020, A______ a conclu avec P______ trois contrats de crédits hypothécaires en lien avec l'Immeuble, portant respectivement sur CHF 2'389'000.-, CHF 3 millions et CHF 750'000.-.

Ces crédits ont été garantis par deux cédules hypothécaires au porteur, de CHF 3'750'000.- (1er rang) et CHF 2'500'000.- (2ème rang).

c. Entre le 6 décembre 2019 et le 19 avril 2022, dix plaintes ont été déposées contre A______, personnellement ou en sa qualité d'administrateur des sociétés Q______ SA et R______ SA, pour diverses infractions contre le patrimoine, pour un dommage total allégué de EUR 14'024'286.85, CHF 11'461'240.- et USD 2'497'491.-.

Les plaignants sont C______ et B______, la société D______, E______, I______, G______ et F______, H______, J______ LTD, S______ et T______, K______, L______ et M______, la N______ et la Commune de O______.

d. Le 4 septembre 2020, le Ministère public a ordonné le séquestre du Chalet et de l'Immeuble.

Ces mesures apparaissaient comme les seules susceptibles de mettre les biens immobiliers en sûretés. Rien ne permettait d'exclure que les fonds investis par les plaignants n'avaient pas servi, ne serait-ce que partiellement, à financer et/ou à éponger des dettes en lien avec ces biens immobiliers. Il était donc probable que ceux-ci soient utilisés comme moyen de preuve, que l'éventuel produit de leur vente pouvait être utilisé pour garantir le paiement des frais de procédure, des peines pécuniaires, des amendes et des indemnités ou être restitué aux lésés ou alors qu'ils puissent être confisqués.

Vente du Chalet

e. Le 22 avril 2022, sous la proposition de A______ et avec l'accord des parties plaignantes et du Ministère public, le Chalet a été vendu pour la somme de CHF 20'520'000.-. Ce prix a été versé sur le compte fiduciaire de Me U______, notaire.

Le contrat de vente prévoyait la déduction, du prix de vente, de la commission de courtage, du solde de la dette, de l'impôt sur les gains immobiliers et tous les impôts et taxes encore dus en Suisse par A______, ainsi que des réparations à effectuer.

f. Par ordonnances du 29 juin 2022, le Ministère public a, concomitamment, ordonné le séquestre du produit de cette vente et levé celui prononcé le 4 septembre 2020.

g. Plusieurs paiements, correspondant à des factures relatives au Chalet et/ou sa vente parmi lesquelles figurent le remboursement de la dette hypothécaire le grevant, ont ensuite été autorisés par le Ministère public, au débit des avoirs séquestrés en main de Me U______.

h. Le 17 août 2023, le Ministère public a levé le séquestre portant sur le solde du produit de la vente et invité la notaire à transférer la somme concernée sur le compte du Pouvoir judiciaire, où le séquestre serait dorénavant prononcé.

Me U______ a ainsi transféré la somme de CHF 4'416'361.41, étant précisé qu'elle avait auparavant déjà viré la somme de CHF 6 millions.

Le solde issu de la vente du Chalet saisi, en main du Pouvoir judiciaire, s'élève ainsi à CHF 10'416'361.41.

Situation de l'Immeuble

i.a. Le 18 janvier 2021, P______ a résilié les trois contrats de crédits hypothécaires, en raison de défauts de paiements des intérêts.

Un délai au 31 août 2021 a été imparti à A______ pour s'acquitter des créances hypothécaires, faute de quoi un intérêt moratoire de 5% l'an net serait appliqué.

i.b. A______ a sollicité – et obtenu – une prolongation de cette échéance, à l'issue de laquelle il n'a pas remboursé les montants dus.

i.c. Dans une attestation du 31 août 2023 à l'attention du Ministère public, P______ a expliqué que sa créance hypothécaire à l'encontre de A______, intérêts et frais compris, s'élevait au total à CHF 6'822'590.20.

j.a. Le 23 juin 2022, A______ a fait part au Ministère public de sa volonté d'utiliser l'argent issu de la vente du Chalet pour solder la créance hypothécaire de P______ sur l'Immeuble.

j.b. Par courrier du 4 juillet 2022, il a réitéré sa requête et sollicité du Ministère public qu'il rende une décision à ce sujet.

j.c. Le 29 suivant, il a expliqué qu'il était dorénavant trop tard pour essayer de réaffecter une part du produit de la vente sur l'hypothèque de l'Immeuble, celle-ci ayant été résiliée par P______. Le séquestre sur l'Immeuble devait être levé car il ne se justifiait plus et risquait de le conduire à sa "ruine économique". Sans revenu, il risquait de perdre "à vil prix, aux enchères", le seul actif dont il disposait encore.

k. Au cours de l'instruction, des pistes ont été examinées pour vendre l'Immeuble.

Les parties plaignantes ont refusé les conditions proposées par un projet d'acte de vente au prix de CHF 12'100'000.-, à teneur duquel A______ et sa famille pouvaient occuper gratuitement le triplex (d'un loyer mensuel estimé à CHF 15'000.-) durant un an.

E______ a également soumis au Ministère public une offre pour CHF 12'050'000.-, stipulant que l'Immeuble devait être livré vide d'habitant et de locataire, offre à laquelle A______ n'a pas donné suite.

l. Le 1er décembre 2022, A______ a informé le Ministère public avoir reçu une décision de l'Office des poursuites de Genève (ci-après: OP), à teneur de laquelle "la procédure de vente suivra[it] son cours, soit en particulier les opérations de vente proprement dites comme si « aucun séquestre n'avait été prononcé »".

À la suite de quoi, le Ministère public a informé l'OP qu'aucune vente de l'Immeuble ne pouvait avoir lieu sans son accord préalable.

m. Par courrier du 16 janvier 2023, A______ s'est opposé à toute éventuelle levée du séquestre frappant l'Immeuble visant à permettre sa vente aux enchères forcée.

Les conditions de l'art. 266 al. 5 CPP n'étaient pas remplies. La vente aux enchères forcée, sollicitée par l'OP, ne permettrait pas de désintéresser les créanciers puisque le produit resterait séquestré au pénal. Ladite vente ne répondait à aucun intérêt public puisqu'elle aurait pour conséquence de réduire le prix de revient de l'actif. Cette solution était, en outre, "le pire moyen envisageable pour empêcher l'accroissement des dettes" le grevant, en particulier la dette hypothécaire. Il fallait y préférer, par exemple, le rachat de l'hypothèque de l'Immeuble à l'aide du solde du produit de la vente du Chalet; une vente de gré à gré de certains locaux, lui permettant de continuer à vivre dans son logement; ou alors la mise en location d'appartements pour générer un revenu couvrant les charges hypothécaires.

n. Le 13 mars 2023, A______ a fait suivre au Ministère public une expertise du 1er précédent, évaluant l'ensemble de l'Immeuble à CHF 13.1 millions et illustrant, selon lui, le dommage causé par une éventuelle vente forcée, dont la conséquence serait une perte de 10% de sa valeur.

Il a également transmis deux contrats de courtage portant sur l'ensemble des lots, à l'exclusion de ceux relatifs à la surface commerciale. Le prix fixé par l'agence était de CHF 15 millions, comprenant une commission de courtage (3%) et la TVA.

o. Le 24 mars 2023, le Ministère public a tenu une audience au cours de laquelle les parties ont pu faire connaître leur point de vue.

A______ a maintenu son souhait d'utiliser le produit de la vente du Chalet pour solder la créance hypothécaire de P______ relative à l'Immeuble. Il contestait les faits reprochés et, se prévalant de la présomption d'innocence, refusait de quitter son logement – dans lequel il vivait avec sa famille, dont deux enfants en bas âge – tant qu'un éventuel verdict de culpabilité n'était pas prononcé. La vente de l'Immeuble devait se faire par l'intermédiaire d'un courtier, appartement par appartement, méthode qui devait permettre d'obtenir un prix avoisinant CHF 15 millions.

En substance, les parties plaignantes ont reproché à A______ sa gestion de l'Immeuble. Ce dernier n'en avait tiré aucun revenu, par le biais de loyers, qui aurait permis de payer les intérêts hypothécaires. Elles voulaient trouver une solution, laquelle ne devait néanmoins pas être soumise aux seules conditions de A______, ni signifier que les autres créanciers de ce dernier auraient la priorité. Elles s'opposaient à l'option consistant à utiliser le solde du produit de la vente du Chalet pour éteindre la dette hypothécaire et également à la levée du séquestre pénal sur l'Immeuble.

Le conseil de I______ a précisé que la position de A______ rendait une vente de gré à gré inenvisageable.

p. Le 8 septembre 2023, le Ministère public a informé les parties qu'il allait prochainement rendre une décision relative à l'affectation éventuelle du produit de la vente du Chalet et à l'application potentielle de l'art. 266 al. 5 CPP concernant l'Immeuble. Les parties étaient invitées à se déterminer à propos de ces deux sujets.

q. En substance, C______ et B______, D______, T______ et S______, J______ LTD, G______ et F______, H______, K______, L______ et M______ et, enfin, E______ se sont tous opposés à l'affectation du produit de la vente du Chalet pour solder la créance de A______ auprès de P______.

Ils ne s'opposaient pas à une application de l'art. 266 al. 5 CPP, pour autant que les conditions soient réalisées.

r. A______ a maintenu sa position et invité le Ministère public à agir dans le respect de sa présomption d'innocence, sans autoriser une quelconque réalisation forcée de ses biens avant une décision sur le fond. L'affectation du produit de la vente du Chalet était la seule solution satisfaisante pour toutes les parties et pour lui éviter de subir un dommage à cause des blocages de la procédure pénale. Comme l'Immeuble avait été acquis avant les faits dénoncés, les plaignants ne pouvaient pas prétendre à l'allocation d'une créance compensatrice. Dès lors, en raison du droit de gage préférentiel de P______, celle-ci serait désintéressée en priorité en cas de réalisation forcée. Il était donc dans l'intérêt des parties plaignantes que sa dette à l'égard de la banque cessât de générer des charges hypothécaires.

Au vu de l'évolution du marché de l'immobilier "de luxe" et la qualité de "valeur refuge" de cette classe d'actifs, il apparaissait "manifeste que l'utilisation des fonds issus de la vente de O______ [VS] pour racheter l'hypothèque de l'immeuble de la rue 4______ [GE] constitu[ait] un excellent investissement, ne présentant de surcroît aucun risque". La vente de l'Immeuble risquait de lui causer un préjudice irréparable dans l'éventualité de son acquittement et constituerait, en outre, une violation inacceptable de ses droits fondamentaux, dès lors qu'il y vivait avec sa famille et qu'il risquait donc de se retrouver "à la rue".

s. Il ressort du dossier obtenu par le Ministère public de l'OP que A______ fait l'objet de nombreuses poursuites, pour lesquelles des saisies des cinq lots de l'Immeuble ont été opérées et leur réalisation a été requise par des créanciers saisissants.

Les dettes du précité (celles de P______ comprises) s'élevaient, au 7 décembre 2022, à CHF 27'515'214.10.

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public examine séparément les deux problématiques en jeu.

Affectation du produit de la vente du Chalet

Le produit de la vente du Chalet était séquestré et ne pouvait être utilisé que pour les motifs énumérés dans l'ordonnance du 4 septembre 2020, à savoir pour servir de moyen de preuve, pour garantir le paiement des frais de procédure, de peines pécuniaires, des amendes et des indemnités, afin d'être restitué aux lésés, d'être confisqué ou pour garantir le prononcé futur d'une créance compensatrice. Il n'avait ainsi jamais été prévu que le séquestre du Chalet, respectivement le produit de sa vente, ne servît à éteindre la dette hypothécaire de A______ à l'encontre de P______, détentrice d'un droit de gage sur l'Immeuble. Une telle affectation n'était pas non plus prévue par la loi. Pour ces motifs, il ne pouvait être donné une suite favorable à la demande du prévenu.

Application de l'art. 266 al. 5 CPP sur l'Immeuble

La possibilité de vendre l'Immeuble reposerait sur la norme légale en question. Une telle vente évitait le cumul des intérêts moratoires et, partant, la diminution de la valeur de l'Immeuble. Il existait ainsi un intérêt public prépondérant à y procéder, dès lors que la somme totale des prétentions des parties plaignantes dépassait le produit de la réalisation du Chalet et la valeur de l'Immeuble. Vendre l'Immeuble permettait également à A______ de ne pas voir son bien se déprécier.

L'estimation de l'Immeuble à CHF 13.1 millions et le prix de CHF 15 millions ressortant des contrats de courtage n'étaient pas certains, ni définitifs. S'agissant du coût de la dette hypothécaire, les intérêts moratoires de 5%, qui avaient commencé à courir le 1er janvier 2022 sur le capital des trois crédits hypothécaires (CHF 6'139'000.- au total), se chiffrait à CHF 306'950.- par an. Dans une première hypothèse, ces intérêts cesseraient avec une décision fondée sur l'art. 266 al. 5 CPP entrée en force et la vente de l'Immeuble par l'OP afin de désintéresser P______. Ces étapes étaient complexes et susceptibles d'être contestées, si bien qu'une échéance pouvait être envisagée à la fin de l'année 2024. Sur trois ans (2022 à 2024), l'intérêt moratoire s'élèverait à CHF 920'850.- (3 x CHF 306'950.-), soit 7.029% de la valeur de l'Immeuble. Ce pourcentage se situait à la limite de ce qui restait proportionné au sens de la jurisprudence.

Sans application de l'art. 266 al. 5 CPP, les intérêts moratoires continueraient de courir jusqu'à la clôture de la procédure. Ils ne cesseraient de s'accumuler qu'avec un verdict de culpabilité prononcé à l'encontre de A______, la réalisation de l'Immeuble et le désintéressement de P______ avec le produit de la vente. Cette hypothèse pourrait se concrétiser en 2025, ce qui représentait quatre ans (2022 à 2025) d'intérêts moratoires à 5% pour un total de CHF 1'227'800, soit 9.37% de la valeur de l'Immeuble. Ce pourcentage, conséquent, réduirait de manière importante le produit net de réalisation et porterait préjudice aux prétentions des parties plaignantes. Ainsi, l'application de l'art. 266 al. 5 CPP était proportionnée et il n'existait aucune autre mesure légale pour aboutir au même résultat.

D. a. Dans son recours, A______ conteste d'abord la position du Ministère public selon laquelle il était impossible d'ordonner le désintéressement de P______ à partir des fonds issus de la vente du Chalet.

Sa requête en ce sens était conforme au but du séquestre ordonné le 4 septembre 2020.

La valeur des avoirs saisis dans la procédure pouvait être calculée à CHF 16'609'233.30. Dans l'hypothèse ("neutre") où aucune mesure ne serait prise, les intérêts moratoires de CHF 306'950.- continueraient de s'accumuler chaque année. Il appartenait au Ministère public d'assurer une bonne gestion des actifs séquestrés. En refusant d'agir dans le sens sollicité, l'autorité laissait s'agrandir une dette qu'il devait assumer personnellement, alors que des fonds saisis pouvaient permettre de rembourser la banque, tout en garantissant la préservation de la substance économique de l'Immeuble. La solution adoptée par le Ministère public, visant à ordonner la réalisation forcée du bien via une vente de gré à gré conduite par l'OP n'était pas apte à remplir l'objectif poursuivi par le séquestre pénal. Premièrement, l'autorité intimée n'était pas compétente pour décider du mode de réalisation de l'Immeuble, ce choix revenant à l'OP. Deuxièmement, le processus risquait de durer, ce qui impliquait une augmentation de la dette hypothécaire de CHF 306'950.- par an et, par la suite, un solde disponible moins important pour des éventuelles créances compensatrices. Troisièmement, après la vente forcée de l'Immeuble, il serait dans l'obligation de solliciter des levées de séquestre fréquentes et importantes pour pouvoir se reloger et assurer son minimum vital, ce dont le Ministère public était obligé de tenir compte. Par ailleurs, s'il devait être acquitté ou si la procédure devait être classée, il serait définitivement privé de son droit de propriété et aurait été expulsé de son domicile en vain.

Avec la solution qu'il proposait, les liquidités saisies seraient, certes, réduites, mais l'Immeuble serait libre de tout gage, l'augmentation de la créance de P______ serait stoppée et la valeur totale des actifs séquestrés resterait inchangée. En outre, une fois la banque désintéressée, il n'y aurait plus d'urgence à vendre l'Immeuble, permettant ainsi d'en obtenir un prix qui ne serait pas "bradé"; d'autant qu'une augmentation de sa valeur était fortement probable. En définitive, la solution choisie par le Ministère public était "la pire des options envisageables" pour toutes les parties, tandis que la sienne constituait le moyen le plus sûr de garantir la substance du patrimoine séquestré et d'assurer ainsi l'objectif poursuivi par l'ordonnance du 4 septembre 2020.

Sa solution était, en outre, conforme au cadre légal applicable.

De par la loi, le Ministère public était tenu de gérer "de manière directe ou indirecte" les actifs sous séquestre, ce qui impliquait de prendre des décisions d'investissement et de donner des ordres de placement pour préserver leur intégrité. En pratique, les autorités pénales effectuaient de telles opérations par le biais de "n'empêches", visant à régler des factures en cours de procédure. Le Ministère public avait d'ailleurs procédé de la sorte avec les fonds issus de la vente du Chalet, utilisés pour de nombreux paiements – dont certains en remboursement de la dette hypothécaire – sans que la question de l'existence d'une base légale ne fût évoquée. Il était fait, en réalité, application des art. 197, 266 et 267 CPP, ainsi que de l'art. 1 de l'Ordonnance sur le placement des valeurs patrimoniales séquestrées (O-PI; RS 312.057). La position du Ministère public était d'ailleurs contradictoire puisque ce dernier avait accepté de payer de nombreuses factures à l'aide du solde issu de la vente du Chalet, alors que de tels paiements n'étaient pas prévus par l'ordonnance de séquestre et que certains de ces versements avaient éteint la dette hypothécaire du bien.

S'agissant de l'autre volet de l'ordonnance querellée, les conditions de l'art. 266 al. 5 CPP n'étaient pas remplies.

Le Ministère public semblait considérer que le bien était sujet à une dépréciation; tel n'était pas le cas. L'accroissement de la dette hypothécaire se rapportait uniquement à l'entretien dispendieux et, à ce sujet, les intérêts moratoires, représentant 2.3% de la valeur de l'actif, ne permettaient pas de retenir cette condition au regard de la jurisprudence. Les intérêts d'ores et déjà dus, soit ceux pour 2022 et 2023, ne devaient pas être pris en compte dans le calcul, d'autant qu'il avait déjà essayé en juin 2022 de trouver une solution afin de préserver la substance de l'Immeuble. La vente forcée était également contraire au respect de la garantie de la propriété, puisqu'elle ne répondait à aucun intérêt public. Il était d'abord essentiel de préserver au mieux les biens séquestrés, surtout lorsqu'il était question d'un logement occupé par sa famille, dont deux enfants en bas âge, scolarisés à proximité. Ensuite, la vente forcée aurait pour conséquence de réduire le prix de revient de l'actif, de l'ordre de 10%. Au niveau de la proportionnalité, les deux hypothèses retenues par le Ministère public permettaient d'éviter le cumul d'intérêts moratoires pour un an seulement, soit CHF 306'950.-, ce qui était bien inférieur à ceux déjà écoulés depuis le moment où il avait soulevé la problématique, le 23 juin 2022. La vente forcée n'était pas non plus nécessaire puisque, comme il l'avait démontré, l'affectation du solde du produit de la vente du Chalet était possible. Enfin, le Ministère public n'avait pas tenu compte, dans son examen, de toutes les conséquences "catastrophiques et irréversibles" qu'entrainerait une telle vente, l'obligeant notamment à quitter son domicile avec sa famille.

Enfin, en donnant mandat à l'OP de vendre l'Immeuble, le Ministère public perdait tout contrôle sur le processus de réalisation, créant un risque grave et sérieux de voir la valeur des actifs sous séquestre se déprécier, par exemple s'il était procédé à une vente aux enchères.

b. Par ses observations, le Ministère public conclut au rejet du recours.

A______ n'avait jamais cherché à mettre en œuvre une solution permettant "d'initier un dédommagement des parties plaignantes", comme le fait de se reloger et de louer les appartements de l'Immeuble. Les parties plaignantes ayant toutes rejetées la proposition de A______, celle-ci ne pouvait être considérée comme servant l'intérêt commun. En outre, pour affirmer que l'O-PI était une base légale suffisante pour ordonner l'affectation du produit de la vente du Chalet aux fins de désintéressement de P______, le précité se fondait sur de la doctrine en lien avec la gestion des actifs bancaires, inapplicable au cas d'espèce et qui ne laissait transparaître aucune "obligation positive" de procéder tel que souhaité. En outre, il ne perdrait pas tout contrôle sur le moyen de réaliser l'Immeuble, la vente de gré à gré étant prévue dans le cadre de l'art. 266 al. 5 CPP.

c.G______ et F______ et H______ soulèvent que les paiements autorisés par le Ministère public sur les fonds issus de la vente du Chalet concernaient des factures afférentes à cette propriété immobilière. Or, la proposition de A______ consistait à remployer des valeurs séquestrées pour investir dans un autre bien, soit l'Immeuble. Les deux situations n'étaient donc pas comparables. La lecture de l'O-PI permettait de constater la limite du pouvoir d'appréciation des autorités pénales. Sous l'angle de l'art. 266 al. 5 CPP, A______ affirmait que les intérêts moratoires annuels devaient être impérativement réglés, les qualifiant de "conséquents"; mais soutenait ensuite que l'Immeuble n'était pas sujet à un entretien dispendieux. Il existait enfin un intérêt public prépondérant puisque la vente forcée de l'Immeuble devait permettre d'éteindre la dette hypothécaire et ainsi conserver la valeur de l'actif séquestré. Au sujet de la proportionnalité, A______ refusait de quitter "le luxueux appartement" dans lequel il résidait "gratuitement", alors que celui-ci pourrait être vendu, ou même loué. De même, le précité refusait de louer les autres logements, alors que cela lui permettrait de tirer des revenus de sa propriété, susceptibles de payer les dettes auprès de P______.

d. Dans ses observations, E______ explique que les parties plaignantes ont refusé le projet d'acte de vente à CHF 12.1 millions en raison de clauses "insolites". De son côté, A______ avait refusé l'offre à CHF 12'050'000.-, démontrant ainsi sa "mauvaise foi", puisqu'il souhaitait uniquement continuer à occuper gratuitement son appartement.

e. Les observations de C______ et B______, la société D______, I______, J______ LTD, S______ et T______, ainsi que K______, L______ et M______, reprennent, en substance, les mêmes arguments.

f. La N______ n'a pas formulé d'observations et la commune de O______ ne s'est pas déterminée.

g. Dans sa réplique, A______ reproche au Ministère public et aux parties plaignantes de considérer que les biens séquestrés leur appartiendraient d'ores et déjà et que, par conséquent, il serait tenu de trouver une solution susceptible d'initier leur dédommagement. Les fonds issus de la vente du Chalet constituaient désormais des actifs bancaires sous séquestre, si bien que le Ministère public jouait sur les mots pour écarter ses raisonnements juridiques. L'autorité intimée prétendait dorénavant n'avoir aucune obligation positive d'agir dans le sens sollicité, alors qu'elle soutenait avant être dans l'incapacité de le faire. Cette argumentation "à géométrie variable" était contraire au droit. La possibilité d'imposer la vente de gré à gré relevait de la spéculation et le risque demeurait de voir l'OP réaliser l'Immeuble par d'autres moyens. Quant aux parties plaignantes, elles n'avaient pas remis en cause que sa proposition était "objectivement sensée", ni qu'elle servait leurs intérêts; elles se limitaient à contester ses griefs. En soulignant la "prétendue contradiction de [s]a démarche", elles évitaient de se prononcer sur ses développements selon lesquels la dette d'intérêts moratoires en faveur de P______ ne constituait pas un entretien dispendieux.

EN DROIT :

1.             1.1.1. Les ordonnances ayant pour objet le séquestre, son exécution et sa levée sont sujettes à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP; Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 15 ad art. 393).

1.1.2. En l'occurrence, en renonçant à utiliser le produit de la vente du Chalet aux fins sollicitées par le recourant, la décision du Ministère public s'apparente à un refus de lever le séquestre. D'ailleurs, le recourant conclut à la levée partielle préalable de la mesure. Ensuite, l'ordre donné à l'OP de procéder à la vente forcée de l'Immeuble constitue une décision portant sur l'exécution du séquestre (ACPR/592/2022 du 25 août 2022 consid. 1).

1.2. Le recourant, prévenu (art. 104 al. 1 let. a CPP) mais également propriétaire de l'Immeuble séquestré et du solde issu de la vente de son ancien Chalet, dispose d'un intérêt juridiquement protégé à la modification ou l'annulation des décisions querellées (art. 382 al. 1 CPP).

1.3. Partant, le recours est recevable.

2.             2.1. Selon l'art. 197 al. 1 CPP, toute mesure de contrainte doit être prévue par la loi (let. a), doit répondre à l'existence de soupçons suffisants laissant présumer une infraction (let. b), doit respecter le principe de la proportionnalité (let. c) et doit apparaître justifiée au regard de la gravité de l'infraction (let. d).

Selon l'art. 263 al. 1 CPP, le séquestre d'objets et de valeurs patrimoniales appartenant au prévenu ou à des tiers peut être ordonné, notamment, lorsqu'il est probable qu'ils seront utilisés comme moyens de preuves (let. a; séquestre probatoire), pour garantir le paiement des frais de procédure, des peines pécuniaires, des amendes et des indemnités (let. a; séquestre en couverture de frais), qu'ils devront être restitués au lésé (let. c) ou qu'ils devront être confisqués ou utilisés en vue d'une créance compensatrice (let. d et art. 71 CP [actuellement art. 263 al. 1 let. e CPP]; séquestre conservatoire).

2.2. Dans le cadre de l'examen d'un séquestre, l'autorité statue sous l'angle de la vraisemblance, examinant des prétentions encore incertaines. Le séquestre pénal est en effet une mesure conservatoire provisoire destinée à préserver les objets ou valeurs qui peuvent servir de moyens de preuve, que le juge du fond pourrait être amené à confisquer ou à restituer au lésé, ou qui pourraient servir à l'exécution d'une créance compensatrice (art. 263 al. 1 CPP et 71 al. 3 CP).

L'autorité doit pouvoir statuer rapidement (cf. art. 263 al. 2 CPP), ce qui exclut qu'elle résolve des questions juridiques complexes ou qu'elle attende d'être renseignée de manière exacte et complète sur les faits avant d'agir (ATF 141 IV 360 consid. 3.2; arrêt du Tribunal fédéral 1B_123/2022 du 9 août 2022 consid. 2.1). L'intégralité des fonds doit demeurer à disposition de la justice aussi longtemps qu'il existe un doute sur la part de ceux-ci qui pourrait provenir d'une activité criminelle. Les probabilités d'une confiscation, respectivement du prononcé d'une créance compensatrice, doivent cependant se renforcer au cours de l'instruction (ATF 122 IV 91 consid. 4; arrêts 1B_356/2021 du 21 septembre 2021 consid. 3.1; 1B_269/2018 du 26 septembre 2018 consid. 4.1).

2.3. À teneur de l'art. 267 al. 1 CPP, si le motif du séquestre disparaît, le ministère public ou le tribunal a l'obligation de lever la mesure et de restituer les objets et valeurs patrimoniales à l'ayant droit. Le séquestre ne peut être levé que dans l'hypothèse où il est d'emblée manifeste et indubitable que les conditions matérielles d'une confiscation ne sont pas réalisées, et ne pourront l'être (ATF 140 IV 133 consid. 4.2.1; 139 IV 250 consid. 2.1).

2.4.1. En cas de séquestre en couverture des frais, l'autorité pénale tient compte du revenu et de la fortune du prévenu et de sa famille (art. 268 al. 2 CPP) et les valeurs patrimoniales insalissables selon les art. 92 à 94 LP sont exclues de la mesure (art. 268 al. 3 CPP).

2.4.2. Tant que l’instruction n’est pas achevée, respectivement qu’une décision finale n’est pas exécutoire, et que subsiste une possibilité qu’une créance compensatrice soit ordonnée, la mesure conservatoire doit être maintenue (ATF 141 IV 360 consid. 3.2; 140 IV 57 consid. 4.1.2). L’étendue du séquestre ne doit cependant pas violer manifestement le principe de proportionnalité, notamment sous l’angle du respect des conditions minimales d’existence (ATF 141 IV 360 consid. 3.2).

2.5. L'art. 266 al. 2 CPP impose à l'autorité pénale de conserver les objets et valeurs séquestrés de manière appropriée. Le Conseil fédéral règle le placement des valeurs patrimoniales séquestrées (art. 266 al. 6 CPP).

La conservation des actifs séquestrés est régie par l'O-PI. Dans toute la mesure du possible, les valeurs patrimoniales séquestrées sont placées de manière que le placement soit sûr, qu’elles ne se déprécient pas et qu’elles produisent un rendement (art. 1) et, si le montant des espèces séquestrées excède CHF 5'000.- ou que le séquestre dure plus de trois mois, la direction de la procédure dépose la somme auprès de la caisse d’État ou elle la place au nom de l’autorité pénale sur un compte d’épargne ou un compte courant auprès d’une banque soumise à la loi du 8 novembre 1934 sur les banques (art. 2).

Le pouvoir de contrôle qu'exerce l'État sur les actifs séquestrés a pour corollaire une certaine responsabilité quant au maintien de la substance économique des valeurs saisies; comme le titulaire des actifs – qui sont désormais sous contrôle étatique – ne peut plus en disposer librement, il reviendra respectivement au ministère public ou au tribunal du fond de procéder, de façon directe ou indirecte, à la gestion des actifs. Il s'agira de limiter autant que faire se peut le dommage causé par la mesure de contrainte. En principe, les espèces détenues sur le compte d'un établissement bancaire présentant des garanties de sécurité suffisantes constitueront un investissement sûr, sous réserve d'un placement dans une monnaie exotique et de l'insolvabilité de l'institut financier auprès duquel les avoirs sont placés
(C. REMUND / D. WYSS, La gestion d'actifs bancaires séquestrés dans la procédure pénale, RPS 133/2015 1 ss, p. 9 et 12, et les références citées).

2.6. En l'espèce, le recourant sollicite la levée du séquestre sur le solde du produit de la vente du Chalet afin qu'il soit utilisé pour éteindre sa dette hypothécaire auprès de P______ relative à l'Immeuble. Cela lui permettrait de rembourser ce créancier gagiste et de planifier ainsi plus sereinement l'éventuelle future vente du bien immobilier, qu'il occupe pour partie avec sa famille.

À titre liminaire, il sied de relever que le recourant ne conteste pas la réalisation des conditions matérielles du séquestre ni les motifs invoqués à l'appui par le Ministère public. Il plaide, certes, son innocence mais sans remettre en cause l'existence de soupçons suffisants. Il s'ensuit que la levée partielle de la mesure sollicitée ne peut se fonder sur l'art. 267 al. 1 CPP.

En tant qu'il allègue que l'opération sollicitée doit lui permettre avant tout de conserver son logement, d'éviter que son Immeuble ne soit bradé aux enchères et qu'il ne soit obligé de requérir la libération du produit de la vente pour subvenir à ses besoins vitaux, sa requête conjecture uniquement que la vente du bien immobilier le placerait dans le dénuement. En d'autres termes, sa demande ne porte pas encore sur un besoin impérieux, actuel et concret, qui justifierait, sur la base du principe de la proportionnalité, de lever partiellement le séquestre, mais reflète sa propre conviction de ce qui serait la meilleure solution selon lui.

Or, ce raisonnement tombe à faux.

Sa solution – outre son caractère conjecturel – viserait à favoriser un créancier gagiste, P______, au détriment de ses autres créanciers et des parties plaignantes, ce qui ne se peut. Le parallèle opéré par le recourant avec la libération, autorisée par le Ministère public, des fonds saisis sur le produit de la vente du Chalet pour régler des factures en souffrance, y compris des intérêts bancaires, n'est pas fondé. D'une part, ces paiements ont été acceptés tant par le recourant que les parties plaignantes, via l'acte de vente, et, d'autre part, ils étaient tous liés intrinsèquement au Chalet.

Le refus du Ministère public d'affecter le produit de la vente du Chalet à l'extinction de la dette hypothécaire du recourant sur un autre immeuble est ainsi fondé.

3.             Le recourant s'oppose à la réalisation forcée de l'Immeuble.

3.1. L'art. 266 al. 5 CPP prévoit que les objets sujets à une dépréciation rapide ou à un entretien dispendieux ainsi que les papiers-valeurs et autres valeurs cotées en bourse ou sur le marché peuvent être réalisés immédiatement selon les dispositions de la LP. Le produit de cette réalisation est lui-même frappé de séquestre.

3.2. Pour être conforme à l'art. 26 Cst., la vente anticipée, qui repose sur une base légale claire, doit en outre se justifier par un intérêt public suffisant et respecter le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 1 à 3 Cst.; ATF 129 I 337 consid. 4.1). La réalisation anticipée de valeurs et d'objets présentant un risque de déprédation tend, dans l'intérêt du prévenu comme dans celui de l'autorité, à obtenir une valeur de remplacement qui, le moment venu, pourra être restituée ou confisquée (ATF 130 I 360 consid. 14.2). Le but est de préserver au mieux les intérêts du propriétaire en réalisant le meilleur profit possible, objectif qui est plutôt rempli par une vente de gré à gré que par une vente aux enchères. L'art. 266 al. 5 CPP doit être appliqué restrictivement, vu l'atteinte grave à la garantie de la propriété que représente la réalisation anticipée d'un bien séquestré (arrêt du Tribunal fédéral 1B_461/2017 du 8 janvier 2018 consid. 2.1). 

3.3.1. La vente peut s'effectuer aux enchères ou de gré à gré, selon les dispositions de la LP. La réalisation des biens, en particulier d'immeubles, par vente de gré à gré, nécessitera en règle générale le consentement du propriétaire (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 23 ad art. 266).

3.3.2. Selon l'art. 130 LP, la vente peut avoir lieu de gré à gré en lieu et place des enchères lorsque tous les intéressés y consentent expressément (ch. 1) ou encore dans les cas prévus par l'art. 124 al. 2 LP (ch. 4). Ainsi, selon cette dernière disposition, le préposé peut procéder en tout temps à la réalisation des objets d'une dépréciation rapide, dispendieux à conserver ou dont le dépôt occasionne des frais disproportionnés.

3.4. Savoir si un entretien est onéreux ou dispendieux dépend du rapport entre la valeur des biens séquestrés et le montant des dépenses d'entretien, en tenant compte de la durée probable de celui-ci, soit en l'occurrence de la durée de la procédure de réalisation, respectivement celle de la procédure pénale. Les frais d'entretien ou de dépôt sont qualifiés de dispendieux s'ils apparaissent disproportionnés par rapport à la valeur des biens saisis, à laquelle s'ajoute éventuellement celle de leurs revenus (ATF 111 IV 41 consid. 3; arrêt du Tribunal fédéral 1B_586/2020 du 2 février 2020 consid. 4.1). S'agissant d'un immeuble, l'autorité comparera le montant annuel des intérêts hypothécaires en cours avec la valeur estimée de l'immeuble (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 26a ad art. 266).

3.5. Dans un arrêt du 9 juin 2011 (arrêt 1B_95/2011), le Tribunal fédéral a estimé, face à des intérêts hypothécaires qui s'élevaient au total à CHF 210'000.- environ (à raison de CHF 15'000.- entre juin 2009 et août 2010) et à une valeur des biens séquestrés estimée à CHF 7.9 millions, que la charge de la dette (2.6%) était "minime". Même en considérant le temps écoulé jusqu'au prononcé de l'arrêt, augmentant la charge de la dette hypothécaire à CHF 360'000.-, celle-ci ne pouvait pas être qualifiée de coûteuse (4.5% de la valeur des biens séquestrés).

Plus généralement, des frais d'entretien correspondant à 18% de la valeur des biens séquestrés sont exagérément élevés (ATF 111 IV 41 consid. 3).

3.6. En l'espèce, les intérêts moratoires annuels de la dette hypothécaire sur l'Immeuble s'élèvent à CHF 306'950.-. Depuis la résiliation des trois contrats de crédits hypothécaires, avec effet au 31 décembre 2021, les intérêts en cours se chiffrent, depuis 2022 et jusqu'à ce jour, à CHF 920'850.-. Quant à l'Immeuble, il a été évalué, le 1er mars 2023, à CHF 13.1 millions.

La charge de la dette équivaut dès lors – a minima – à 7.03% de la valeur du bien séquestré, avec une augmentation de 2.34% par an.

Si ce pourcentage se trouve certes à la limite de ce qui pourrait être considéré comme un entretien coûteux, l'autorité a situé la fin de la procédure à 2025, ce qui laisse augurer que l'instruction arrive à son terme et, partant, ne laisserait encore en souffrance qu'une seule annuité supplémentaire.

Compte tenu des principes jurisprudentiels susmentionnés, le caractère dispendieux de l'entretien n'apparaît pas donné.

Les conditions de l'art. 266 al. 5 CPP n'étant ainsi pas réalisées, en l'état, la décision du Ministère public de procéder à une vente forcée de l'Immeuble est infondée.

Le recours sera admis sur ce point.

4.             En résumé, le recours est partiellement admis.

Le refus du Ministère public de lever partiellement le séquestre touchant le solde du produit de la vente du Chalet est confirmé. En revanche, sa décision de faire procéder à la vente forcée de l'Immeuble – au sens de l'art. 266 al. 5 CPP – est annulée et le séquestre de l'Immeuble, maintenu en l'état.

5.             Le recourant, qui n'obtient que partiellement gain de cause, supportera la moitié des frais de procédure, fixés en totalité à CHF 2'000.- (art. 428 al. 1 CPP; art. 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03), soit CHF 1'000.-, le solde étant laissé à la charge de l'État.

6.             Le recourant a sollicité une équitable indemnité, non chiffrée, pour ses frais d'avocat dans la procédure de recours.

6.1. En tenant compte de son écriture de recours (quarante pages, pages de garde, table des matières et conclusions comprises), lequel comprend neuf pages consacrées aux faits alors que ceux-ci n'étaient pas contestés, des observations (onze pages) et de l'issue réservée au recours, une indemnité de CHF 2'500.- (TVA à 8.1% incluse), fixée ex aequo bono, lui sera allouée.

6.2. Conformément à l'art. 442 al. 4 CPP, la créance de l'État fondée sur les frais de procédure (consid. 5. supra) sera compensée à due concurrence avec le montant alloué au recourant à titre d'indemnité.

7.             Aucune des parties plaignantes, intimées ayant partiellement obtenu gain de cause, n'a chiffré et justifié l'éventuelle indemnité réclamée. Il n'y a pas lieu de leur en allouer (art. 433 al. 2 cum art. 436 al. 1 CPP).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Admet partiellement le recours.

Annule l'ordonnance du Ministère public du 20 décembre 2023 en tant qu'elle ordonne la vente forcée de l'immeuble n° 2______/3______, sis rue 4______ no. ______, [code postal] Genève, par l'Office des poursuites de Genève.

La confirme pour le surplus et dit que le séquestre sur ledit immeuble est maintenu.

Condamne A______ à la moitié des frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 2'000.-, soit au paiement de CHF 1'000.-, l'autre moitié étant laissée à la charge de l'État.

Alloue à A______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 2'500.- TTC pour la procédure de recours.

Dit que le montant mis à la charge de A______ (CHF 1'000.-) sera compensé à due concurrence avec l'indemnité qui lui est allouée (CHF 2'500.-).

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant (soit, pour lui, ses défenseurs), au Ministère public et aux autres parties (soit, pour elles, leurs éventuels conseils respectifs).

Le communique, pour information, à l’Office des poursuites de Genève.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Valérie LAUBER, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/24846/2019

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

80.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'845.00

-

CHF

Total

CHF

2'000.00