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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/23690/2021

ACPR/245/2024 du 15.04.2024 sur OMP/151/2024 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : PROTECTION DES DONNÉES;VIDÉOSURVEILLANCE
Normes : CPP.118; CPP.141; LPD.4

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/23690/2021 ACPR/245/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du lundi 15 avril 2024

 

Entre

A______, domicilié ______, représenté par Me B______, avocat,

recourant,

contre l'ordonnance de refus de retrait de pièces rendue le 4 janvier 2024 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 17 janvier 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 4 janvier 2024, notifiée le 8 janvier 2024, par laquelle le Ministère public a refusé sa requête tendant à retirer du dossier de la procédures des images de vidéosurveillance du centre commercial de C______.

Le recourant conclut, sous suite de frais, au constat d'une violation de son droit à la sphère privée, ainsi que de l'illicéité et de l'inexploitabilité des vidéos et des photographies versées au dossier par D______ SA, à l'annulation de l'ordonnance querellée, au retrait des photographies précitées et au renvoi du dossier au Ministère public afin qu'il se prononce sur la demande de retrait de pièces obtenues comme conséquence de la preuve illicite.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 3 décembre 2021, une plainte pénale a été déposée par des représentants du centre commercial de C______ à Genève du chef de dommages à la propriété, soit des graffitis apposés sur la façade dudit centre commercial, dont le texte est : "E______ COLLABO / GENEVE ANTIFA".

Étaient jointes à cette plainte pénale, des images de vidéosurveillance montrant deux personnes, dont l'une peignant le texte susévoqué et l'autre se tenant à proximité. Le visionnage de ces images permet d'en déduire qu'elles émanent d'une caméra de vidéosurveillance située en hauteur filmant l'extérieur du bâtiment soit : une partie de la façade, une porte d'accès (vraisemblablement pour véhicules au vu du signal d'interdiction de circuler apposé sur le mur jouxtant la porte), un trottoir, un marquage "stop" au sol, un passage pour piétons et la route se trouvant à proximité. La façade et la porte d'accès remplissent environ un tiers du champ de l'image, la route et le trottoir les deux tiers restant.

b. Les deux personnes figurant sur les images en question ont été identifiées comme étant F______ (peignant le graffiti) et A______ (se tenant à proximité). Une instruction pénale a été ouverte contre eux pour ces faits.

c. Parallèlement, A______ est prévenu d'incendie intentionnel, violation de domicile et dommages à la propriété considérables au préjudice de G______ SA.

d. En mai 2023, F______ et A______ ont requis du Ministère public qu'il retire du dossier dites images de vidéosurveillance.

Le refus du Ministère public a été attaqué par un recours des deux intéressés. La Chambre de céans a admis ce recours et renvoyé la cause au Ministère public (ACPR/685/2023 du 1er septembre 2023).

En substance, il a été retenu que l'examen de la licéité des mesures de surveillance était impossible en raison de contradictions dans les preuves figurant au dossier. Tant la localisation des caméras que l'objet de leur surveillance étaient incertains. Il s'agissait ainsi d'expliciter le but de la vidéosurveillance (le but sécuritaire invoqué n'étant pas suffisamment précisé), ainsi que la configuration des lieux. Cas échéant, il fallait déterminer si la vidéosurveillance était reconnaissable et quels étaient la durée de conservation et les droits d'accès aux images applicables.

Il ressort notamment de photographies produites par F______, que l'entrée piétonne du centre commercial ne comportait aucun panneau bleu sur chacun de ses côtés.

e.a. Le 8 septembre 2023, le Ministère public a décerné un mandat d'actes d'enquête à la police. Il a chargé celle-ci, notamment, de prendre connaissance de l'arrêt susmentionné, de se rendre au centre commercial concerné, de situer le lieu où se trouvaient les caméras et vérifier si une mention de leur présence se trouvait à proximité, cas échéant à quel endroit, déterminer quel lieu ou quel accès était filmé (entrée du personnelle, porte de garage, façade ou autre), déterminer la fonction de l'accès filmé et établir un plan et des photographies. En parallèle, la police devait prendre contact avec D______ SA, qui gérait lesdites caméras, et déterminer leur but sécuritaire, pour quelle raison elles étaient placées à cet endroit, ce qui était filmé, si elles étaient mentionnées et/ou visibles, cas échéant à quelle distance de la mention elles se trouvaient, enfin, si d'autres mesures (par exemple verrouillage supplémentaire, renforcement des portes, système d'alarme) étaient ou auraient pu être mises en place pour sécuriser l'endroit, cas échéant pourquoi de telles mesures ne pouvaient pas être prises.

Il était enfin expressément mentionné que les prévenus, les parties plaignantes et les avocats devaient être avisés de l'audition requise et de leur droit à y participer.

e.b. La police a rendu un rapport daté du 16 novembre 2023 après s'être déplacée sur les lieux.

Il en résulte que le bâtiment concerné était situé entre le H______ et une zone industrielle et comportait trois étages et deux sous-sols, ces derniers dévolus à des parkings. Il existait deux accès (une entrée et une sortie) pour le parking, ainsi que deux entrées pour le public piéton, l'une donnant sur la route 1______ (comme les accès au parking) et l'autre en face du H______. Des croquis étaient joints.

Les déprédations objet de la présente procédure avaient été commises sur la façade donnant sur la route 1______ à côté de la sortie du parking.

Le cahier photographique joint comporte notamment des schémas dont il résulte que la porte d'accès visible sur les images de vidéosurveillance était la sortie du parking souterrain. Deux caméras étaient fixées à la structure inférieure d'un auvent publicitaire formant un demi-cercle et braquées en direction de la façade, des issues de secours et la porte du parking. Elles se situaient approximativement à trois mètres du sol.

Les policiers s'étaient entretenus avec un certain "M. I______, manager du centre commercial de C______" qui avait déclaré, selon le résumé contenu dans le rapport, que "les deux caméras situées sous l'auvent côté route 1______ filment la sortie du parking et ce dans des buts de sécurité".

Quant à la mention des caméras, "des signaux ont été apposés à toutes les entrées piétonnes du centre commercial" selon les constatations policières. La mention la plus proche des caméras était celle figurant à l'entrée piétonne de la route 1______, à environ 50 ou 60 mètres, selon l'estimation des policiers.

Les mentions relevées par les policiers et photographiées sont des panneaux bleus situés de part et d'autre des entrées piétonnes affichant le texte suivant : "Vidéo surveillance 24h/24 - Cet immeuble fait l'objet d'une vidéosurveillance 24h/24. La surveillance a pour but de prévenir les incidents de sécurité et les délits, d'identifier les auteurs d'un délit ou en cas d'alarme, de garantir que seules les personnes autorisées se trouvent dans les installations critiques de l'immeuble, de prévenir et de constater les accès non autorisés, d'effectuer des rondes virtuelles de surveillance aux fins mentionnées. La société J______ AG, [à l'adresse] ______ [ZH] est responsable de la vidéosurveillance. Pour des plus amples informations, veuillez consulter : https:www.J______.ch".

f. Le 7 décembre 2023, à la suite d'un accord entre les parties concernées, la société propriétaire du centre commercial de C______ a retiré sa plainte pénale à l'encontre de F______ et A______.

g. Par pli du 20 décembre 2023, A______ a requis le classement de la procédure ouverte contre lui pour les graffitis susmentionnés et maintenu sa demande de retrait de la procédure des images de vidéosurveillance.

C. À l'appui de son ordonnance querellée, le Ministère public s'est référé au rapport de police susmentionné pour retenir que les caméras étaient dirigées contre la façade et ne filmaient qu'une portion réduite du domaine public, que le but sécuritaire était légitime puisqu'il s'agissait de filmer la sortie du parking souterrain d'un centre commercial de grande taille et drainant un flux important de visiteurs, ainsi que pour prévenir tout délit ou incident. Au vu de la configuration du parking, aucune autre solution moins incisive ne permettrait de remplir la même fonction, sauf à engager des moyens disproportionnés. Il en allait de même pour prévenir les éventuels délits sur le bâtiment. La vidéosurveillance était proportionnée. Les caméras étaient en outre visibles et il était fait mention devant l'entrée du centre commercial que les lieux étaient filmés. La pesée des intérêts plaidait en faveur de l'utilisation des images au vu de la gravité des faits reprochés, soit des dommages à la propriété. Le retrait de la plainte pénale ne jouait aucun rôle dans cette issue.

D. a. Dans son recours, A______ considère que les images de surveillance sont illicites, car les caméras n'étaient ni reconnaissables (comme en témoignait le cahier photographique joint au rapport de police), ni signalées (les panneaux mentionnés dans le rapport avaient été ajoutés récemment, étaient illisibles pour un piéton, n'étaient pas visibles depuis les lieux filmés et leur texte n'était pas clair). La police avait omis de déterminer la direction des caméras et la portion exacte de domaine public filmée. Le modèle des caméras laissait penser qu'elles pouvaient être orientées dans plusieurs directions. Elles étaient deux de surcroît. Enfin, le Ministère public n'avait établi ni le but sécuritaire ni les risques encourus ni les mesures de substitution qui pouvaient être envisagées. L'audition d'un quidam indéterminé à ce sujet hors la présence des défenseurs était inexploitable. La pesée des intérêts subsidiaire fondée sur la gravité des infractions poursuivies ne permettait pas de retenir qu'il fallait passer outre cette illicéité. Il aurait par ailleurs été impossible pour les autorités de collecter ces preuves.

b. Dans ses observations du 22 février 2024, le Ministère public conclut au rejet du recours et à la confirmation de l'ordonnance querellée.

Il produit de nouvelles pièces, soit un rapport de police du 15 février 2024 et ses annexes.

Selon ces documents, qui forment un complément au rapport du 10 novembre 2023, l'entretien des policiers le 9 novembre 2023 avec I______, "directeur du centre commercial", avait permis de recueillir des propos retranscrits ainsi : "[I______] nous a brièvement expliqué que le centre était pourvu de caméras de vidéosurveillance permettant principalement de gérer le flux des personnes et de garantir la sécurité des usagers. Il a également indiqué que des caméras filmaient les sorties du bâtiment que ce soit celles du parking ou celles de secours." Le 29 novembre 2023, faisant suite à l'ordre de dépôt du Ministère public, I______ avait communiqué à la police un courriel contenant trois documents : la "Procédure Vidéosurveillance Centre Commercial C______", non datée mais dont le nom de fichier contenait "2023", un plan du centre commercial avec l'emplacement des caméras et une vue prise par chacune d'elles et une "Procédure d'utilisation de la vidéosurveillance Date de Mise à jour : 31.08.2023". Tous ces documents étaient à l'en-tête "K______". Enfin, les policiers précisaient avoir reçu pour instruction de la procureure chargée du dossier "de ne pas procéder à l'audition du responsable du centre commercial ou d'un responsable de D______, comme requis dans le mandat d'actes d'enquête, mais uniquement d'établir un bref rapport à son attention, avec les documents remis […] par M. I______".

Se référant à ces documents, le Ministère public considère que le représentant de la régie gérant le centre commercial avait démontré que le but de la vidéosurveillance était d'assurer la sécurité des usagers et des zones de secours ou d'évacuation, ainsi que de prévenir des actes de vandalisme. Il existait donc un intérêt privé et prépondérant du propriétaire à filmer les abords de son bâtiment, aucune mesure moins incisive permettant d'atteindre ce but. La vidéosurveillance était donc licite et reconnaissable.

c. Le recourant réplique et invoque une violation de l'égalité des armes et de la compétence en matière d'administration des preuves, en ce que le Ministère public et la police avaient décidé, sans l'assentiment de la Chambre de céans, de procéder à l'administration de nouvelles preuves. Celles-ci étaient par ailleurs inexploitables car postérieures au prononcé attaqué. Les pièces nouvelles étaient donc irrecevables.

Quant à l'audition et à l'obtention de certaines pièces de I______, ces actes ne correspondaient pas à ceux prévus dans le mandat d'actes d'enquête. L'audition, informelle, était illicite. Les documents étaient sans pertinence, car tous vraisemblablement établis postérieurement à l'époque de la prise des images litigieuses.

EN DROIT :

1.                  1.1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP; ATF 143 IV 475 consid. 2.9 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_485/2021 du 26 novembre 2021 consid. 2.4.3).

1.2. La jurisprudence admet la production de faits et de moyens de preuve nouveaux en deuxième instance (arrêt du Tribunal fédéral 1B_550/2022 du 17 novembre 2022 consid. 2.1). L'autorité de recours doit ainsi par exemple prendre en considération des procès-verbaux d'auditions menées par le Ministère public pendant la procédure de recours, puisqu'ils figurent au dossier au moment où elle statue (Ibid., consid. 2.2).

En l'espèce, le recourant soutient que les pièces nouvelles produites par le Ministère public avec ses observations sur recours seraient irrecevables. Tel n'est cependant pas le cas, dès lors que la Chambre de céans, en qualité d'autorité de recours, doit prendre en compte toutes les pièces versées au dossier jusqu'au moment où elle statue. Les pièces en question ayant été transmises au recourant, qui a pu se prononcer à leur sujet, elles sont donc recevables sans restriction.

Ce grief formel sera donc rejeté.

2.             Le recourant fait grief au Ministère public d'avoir refusé d'écarter les images de vidéosurveillance litigieuses et de s'être fondé dans sa décision sur un rapport de police incomplet. Son droit d'être entendu avait été violé lors de l'audition du directeur du centre commercial.

2.1. L'art. 141 CPP règle la question de l'exploitation des moyens de preuve obtenus illégalement. Selon l'art. 141 al. 2 CPP, les preuves qui ont été administrées d'une manière illicite ou en violation de règles de validité par les autorités pénales ne sont pas exploitables, à moins que leur exploitation soit indispensable pour élucider des infractions graves.

Le Code de procédure pénale ne réglemente pas explicitement l'hypothèse des preuves illicites recueillies par des particuliers. De jurisprudence constante, de telles preuves ne sont exploitables que si elles pouvaient être recueillies licitement par des autorités de poursuite pénale et, en outre, qu'une pesée des intérêts plaide en faveur de leur utilisation dans la procédure (ATF 147 IV 16 consid. 1.1; 146 IV 226 consid. 2.1; arrêt du Tribunal fédéral 6B_734/2023 du 20 octobre 2023 consid. 3.1 et les références citées).

Au stade de l'instruction, il convient de ne constater l'inexploitabilité de moyens de preuve que dans des cas manifestes (arrêt du Tribunal fédéral 7B_102/2024 du 11 mars 2024 consid. 2.3.5 et les références citées).

2.2.1. L'utilisation, par des particuliers, de caméras à des fins de protection des personnes ou de prévention d'actes de vandalisme tombe sous la loi fédérale du 19 juin 1992 sur la protection des données (LPD; RS 235.1) lorsque les images tournées montrent des personnes qui peuvent être identifiées. Selon l'art. 4 al. 2 LPD, le traitement de données doit être effectué conformément aux principes de la bonne foi et de la proportionnalité. La collecte de données personnelles et en particulier les finalités du traitement doivent être reconnaissables pour la personne concernée (art. 4 al. 4 LPD). La violation de ces principes constitue une atteinte à la personnalité (art. 12 al. 2 let. a LPD).

2.2.2. En principe, les particuliers ne peuvent installer des systèmes de vidéosurveillance que pour surveiller les biens-fonds dont ils sont propriétaires (Fiche informative du préposé fédéral à la protection des données et à la transparence (PFPDT) "Vidéosurveillance effectuée par des particuliers", consultable sur le site https://www.edoeb.admin.ch/edoeb/fr/home/datenschutz/ueberwachung_sicherheit/videoueberwachung-private.html).

Un système de vidéosurveillance privé qui filme l'espace public sera généralement jugé disproportionné et, donc, illicite. En effet, les particuliers ne pourront pas invoquer leurs intérêts en matière de sécurité pour surveiller l'espace public, dès lors que la tâche d'assurer la sécurité et l'ordre publics relève de la compétence des autorités (ATF 147 IV 16 consid. 3.1 au sujet de la sécurité du trafic). Pour des raisons de praticabilité, le préposé fédéral à la protection des données considère toutefois que les particuliers peuvent étendre leur surveillance sur une portion du domaine public lorsque celle-ci est petite et que la surveillance du terrain privé ne peut pas se faire par d'autres moyens (Fiche informative du PFPDT "Vidéosurveillance de l'espace public effectuée par des particuliers" précitée; arrêt du Tribunal fédéral 6B_768/2022 du 13 avril 2023 consid. 1.3).

2.2.3 La vidéosurveillance doit être transparente, c'est-à-dire clairement reconnaissable (art. 4 al. 4 LPD). Pour que cette disposition soit respectée, il faut que la personne concernée puisse compter avec le traitement des données et son but ou qu'elle soit concrètement informée (arrêt du Tribunal 6B_1133/2021 du 1er février 2023 consid. 2.4.1 non publié aux ATF 149 IV 153). Les personnes doivent être informées qu'elles sont filmées avant qu'elles ne pénètrent dans le champ de la caméra. Tant la grandeur des informations données (par exemple des autocollants) que le champ de la caméra sont des éléments déterminants pour juger si les personnes peuvent voir la caméra avant d'entrer dans son champ et donc déterminer si la collecte de données est reconnaissable (arrêt du Tribunal fédéral 6B_768/2022 du 13 avril 2023 consid. 1.6.1).

Cela étant, la question du caractère reconnaissable peut être laissée ouverte s'il existe un intérêt privé prépondérant (arrêt du Tribunal 6B_1133/2021 du 1er février 2023 consid. 2.4.1 non publié aux ATF 149 IV 153).

2.2.4. La vidéosurveillance doit respecter le principe de la proportionnalité (art. 4 al. 2 LPD). Ce principe exige tout d'abord que la mesure envisagée soit apte à produire les résultats escomptés (règle de l'aptitude). Il faut aussi que le but visé ne puisse pas être atteint par une mesure moins incisive (règle de la nécessité). Enfin, le principe de la proportionnalité interdit toute limitation allant au-delà du but visé et postule un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (proportionnalité au sens étroit) (ATF 149 III 193 consid. 5.2 ; 146 I 70 consid. 6.4). Ainsi, la vidéosurveillance doit être pratiquée que si d'autres mesures moins attentatoires à la vie privée, comme un verrouillage supplémentaire, le renforcement des portes d'entrées ou un système d'alarme, s'avèrent insuffisantes ou impraticables (cf. Fiche informative du PFPDT "Vidéosurveillance effectuée par des particuliers" précitée ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_768/2022 du 13 avril 2023 consid. 1.6.2).

2.2.5. L'art. 13 al. 1 LPD prévoit qu'une atteinte à la personnalité au sens de l'art. 12 LPD est illicite s'il n'existe pas de motif justificatif, à savoir le consentement de la victime ou un intérêt prépondérant privé ou public. Ces motifs justificatifs, dans le cadre pénal, doivent toutefois être retenus avec une grande prudence, notamment lorsque les atteintes à la personnalité concernent un grand nombre de personnes ou un nombre indéterminé de personnes (ATF 147 IV 16 consid. 2.3; 138 II 346 consid. 7.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_768/2022 du 13 avril 2023 consid. 1.3).

Il s'agit ainsi de procéder à une pesée des intérêts entre l'intérêt privé au traitement des données et l'intérêt à la protection des données de la personne visée. L'intérêt de la personne qui traite les données englobe aussi celui des tiers et dépend du but du traitement des données. Le traitement de données pour assurer sa propre sécurité ou pour éviter la commission d'infractions peut représenter un intérêt digne de protection (arrêt du Tribunal fédéral 6B_536/2009 du 12 novembre 2009 consid. 3.7). Un but sécuritaire est donné lorsqu'il tend à la protection de personnes ou de biens (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1133/2021 du 1er février 2023 consid. 2.4.2 non publié aux ATF 149 IV 153). Selon la jurisprudence, un tel but existe lorsqu'il s'agit d'assurer la sécurité et de prévenir ou élucider des infractions dans un parking public d'un aéroport international (arrêt du Tribunal 6B_1133/2021 du 1er février 2023 consid. 2.4.3 non publié aux ATF 149 IV 153).

2.3. Le droit d'être entendu, garanti par les art. 3 al. 2 let. c CPP et 29 al. 2 Cst., comprend notamment le droit pour le justiciable de s'exprimer sur les éléments pertinents avant qu'une décision ne soit prise touchant sa situation juridique, d'obtenir l'administration des preuves pertinentes et valablement offertes, de participer à l'administration des preuves essentielles et de se déterminer sur son résultat lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 142 II 218 consid. 2.3; 140 I 285 consid. 6.3.1).

Suivant la jurisprudence, une violation du droit d'être entendu entraîne en principe l'annulation de la décision attaquée, indépendamment des chances de succès du recours sur le fond (ATF 144 I 11 consid. 5.3). Le droit d'être entendu n'est toutefois pas une fin en soi ; il constitue un moyen d'éviter qu'une procédure judiciaire ne débouche sur un jugement vicié en raison de la violation du droit des parties de participer à la procédure, notamment à l'administration des preuves. Lorsqu'on ne voit pas quelle influence la violation du droit d'être entendu a pu avoir sur la procédure, il n'y a pas lieu d'annuler la décision attaquée (ATF 143 IV 380 consid. 1.4.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_550/2022 du 17 novembre 2022 consid. 2.2).

2.4. En l'espèce, dans son précédent arrêt, la Chambre de céans a souligné que des éléments manquaient pour pouvoir statuer sur la licéité des images de vidéosurveillance litigieuses, au motif que la localisation et l'objet de la surveillance par des caméras n'étaient pas clairement définis.

Prenant acte de ces considérants, le Ministère public a décerné un mandat d'actes d'enquête détaillé censés éclaircir ces éléments de faits.

Reste à déterminer si les actes d'enquête réalisés à la suite de cet arrêt permettent d'admettre la licéité de la vidéosurveillance, ce que nie le recourant.

2.5. Il est incontesté que la caméra ayant recueilli les images litigieuses filme une portion du domaine public, en sus de la façade du centre commercial et de la sortie d'un parking, et que les personnes filmées sont reconnaissables.

Le recourant se plaint de ce que la proportion respective de domaine privé et de domaine public filmée n'aurait pas été déterminée précisément par l'autorité précédente, qui s'était contentée de retenir que la portion de domaine public était "très réduite". Ce premier grief est sans consistance dans la mesure où les images de vidéosurveillance produites à la procédure, dont le recourant ne conteste pas qu'elles proviennent de la caméra identifiée par la police, permettent aisément d'estimer la part de domaine public filmée. Il serait donc superfétatoire d'exiger de l'autorité précédente de déterminer, mathématiquement, cette proportion, les parties, ainsi que la Chambre de céans, étant en mesure de se prononcer grâce aux images susmentionnées.

Dans le même ordre d'idée, la détermination du modèle de caméra de surveillance utilisé paraît être d'une importance secondaire, tout comme la question de savoir quelle est l'utilité de la seconde caméra de surveillance fixée sur l'auvent publicitaire. En effet, l'objet de la présente procédure est de déterminer in concreto si les images versées à la procédure ont été obtenues de manière licite. De surcroît, aucun indice ne permet de retenir qu'une fonction permettant de diriger la vidéosurveillance dans des directions multiples, par hypothèse, celle du domaine public uniquement, aurait été utilisée en l'occurrence.

Au contraire, il ressort des constatations policières que la caméra est braquée sur la sortie du parking et filme une portion du domaine public adjacente. Il n'en ressort pas une volonté de filmer le domaine public per se, comme le soutient, sans preuve, le recourant.

2.6. Dans un deuxième temps, le recourant remet en cause le but sécuritaire retenu par le Ministère public.

Celui-ci a, conformément à l'arrêt de renvoi et avec l'aide de la police, déterminé précisément l'accès filmé par la caméra visée, soit une sortie de parking public servant aux usagers du centre commercial.

La police a en outre recueilli plusieurs preuves quant au but de cette surveillance. Elle a ainsi procédé à l'audition du directeur du centre commercial et constaté la présence de panneaux explicatifs.

S'agissant de l'audition du directeur, le recourant soutient, à raison, que cette audition a eu lieu hors sa présence. Cela étant, de par les propos relativement vagues tenus par la personne interrogée, cette audition n'est pas déterminante pour trancher le présent litige, ainsi qu'il va être démontré ci-après. De surcroît, le recourant, qui se plaint d'une violation du droit d'être entendu, n'explicite pas quelles questions supplémentaires ou quels faits il aurait souhaité éclaircir en participant à l'audition du directeur. La violation du droit d'être entendu qu'il allègue n'a ainsi, pour peu qu'elle soit établie, pas d'incidence sur l'issue du litige et ne mérite pas d'être sanctionnée.

Comme le relève cependant à juste titre le recourant, les panneaux explicatifs paraissent avoir été apposés postérieurement aux faits objets de la procédure pénale. Ils ne figuraient en effet pas sur les photographies soumises lors de la précédente procédure de recours, de sorte qu'il est douteux qu'ils eussent été visibles à l'époque des faits litigieux. En tout état, comme un motif justificatif à la surveillance est retenu ci-après, le caractère reconnaissable de celle-ci peut être laissé indécis. Il n'en demeure pas moins, et le recourant ne le conteste pas, que le texte des panneaux visé éclaire l'utilité de la vidéosurveillance du point de vue du centre commercial et peut être pris en compte.

2.7. Il découle de ce qui précède que la caméra litigieuse a été apposée dans un but sécuritaire, comme cela ressort de manière constante des éléments de preuve recueillis. Un tel but peut constituer un intérêt privé prépondérant justifiant la mise en place d'une vidéosurveillance filmant partiellement le domaine public.

Dans l'optique de définir plus précisément ce but sécuritaire, l'audition du directeur est peu éclairante, dans la mesure où celui-ci s'est borné à confirmer ce but général. Quant aux panneaux d'information, ils contiennent des données plus précises à savoir que la vidéosurveillance a pour but la prévention des délits et la protection du public en cas d'alarme, ainsi que la protection contre les accès non autorisés.

Le positionnement de la caméra apparaît comme un indice déterminant. En effet, elle est principalement dirigée sur la sortie d'un parking public de ce grand centre commercial. À l'instar de la jurisprudence du Tribunal fédéral susévoquée concernant le parking d'un aéroport, il est dans l'intérêt légitime d'un exploitant de filmer un parking pour assurer la protection des personnes l'utilisant et des biens de l'exploitant lui-même. Il en va a fortiori ainsi des accès, en particulier de la sortie du parking. Cela est vrai tant sous l'angle de la prévention d'infractions et d'accès non autorisés au parking que sous celui de la sécurité des personnes et de biens, par exemple en cas d'évacuation, sans que ne soient nécessaires in casu d'autres mesures d'instruction.

Il est ainsi, à ce stade de la procédure, inutile de détailler ou d'instruire plus avant les risques auxquels serait exposé un centre commercial qui justifieraient le contrôle des entrées et des sorties. Il suffit de retenir que ces risques sont communs à tous les espaces hautement fréquentés par le public qui ont une surface importante, dont l'évacuation en cas de danger doit pouvoir être assurée en tout temps avec le maximum d'efficience et qui sont exposés à des actes de vandalisme, comme le démontre d'une certaine manière les images produites à la présente procédure. En tous les cas, la distinction entre la présente espèce et la jurisprudence fédérale concernant le parking public d'un aéroport n'est pas évidente, puisque les besoins de protection de ces deux types d'espace sont largement les mêmes.

Le recourant se limite à soutenir qu'il serait possible d'assurer le même but sécuritaire par des verrouillages supplémentaires, un renforcement des portes ou par un système d'alarme. Ces trois mesures n'apparaissent pas adéquates au vu de la nature du lieu surveillé : il est difficilement concevable de verrouiller une porte de parking public, tout comme il est inutile de la renforcer au vu des enjeux susdécrits. Il n'en va pas différemment d'un système d'alarme.

Enfin, le fait de filmer une portion de l'espace public extérieur apparaît inévitable en l'espèce, puisqu'il s'agit du seul moyen permettant de vérifier les entrées et les sorties à proximité immédiate de la porte du parking et de vérifier que celle-ci n'est pas obstruée de l'extérieur.

Il s'ensuit que la vidéosurveillance visée répond à un intérêt privé légitime et qu'elle est proportionnée à son but : au vu de la configuration des lieux, seule une portion très restreinte du domaine public est filmée, ce qui semble en l'occurrence inévitable.

Les aspects relatifs aux droits d'accès aux images et à leur conservation ne sont pour le surplus pas contestés par le recourant.

Au stade de l'instruction, les éléments qui précèdent sont suffisants pour retenir que l'illicéité du moyen de preuve n'est pas manifeste et que la surveillance est proportionnée au but qui lui est assigné et à l'atteinte qu'elle occasionne aux personnes filmées.

2.8. Dès lors qu'un intérêt privé à la sécurité a été retenu et qu'il constitue donc un motif justificatif à la vidéosurveillance, la question du caractère reconnaissable de celle-ci, point sur lequel le recourant concentre l'essentiel de ses griefs, peut être laissée ouverte, conformément à la jurisprudence la plus récente.

Il n'y a donc pas lieu de retirer du dossier les pièces en résultant.

3. Le recours sera donc rejeté.

4. Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, qui comprendront un émolument de CHF 900.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Rejette le recours.

Met à la charge de A______ les frais de la procédure de recours, qui comprennent un émolument de CHF 900.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Valérie LAUBER et
Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/23690/2021

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

900.00

-

CHF

Total

CHF

985.00