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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/10653/2023

ACPR/250/2024 du 17.04.2024 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : SÉQUESTRE(LP);TIERS;SOUPÇON;CONNEXITÉ
Normes : CPP.263

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/10653/2023 ACPR/250/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 17 avril 2024

 

Entre

A______, domiciliée ______ [GE], représentée par Me B______, avocat,

recourante,

 

contre l'ordonnance de perquisition et de séquestre rendue le 16 mai 2023 par le Ministère public,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte déposé le 5 janvier 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 16 mai 2023, notifiée à son conseil le 26 décembre 2023, par laquelle le Ministère public a ordonné la perquisition et le séquestre du coffre-fort saisi à son domicile par la police.

La recourante conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de cette ordonnance et à la restitution de l'argent, soit EUR 73'000.- et CHF 23'000.- environ, contenu dans le coffre-fort.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. A______, mère de C______, loue un appartement sis route 1______ no. ______, [code postal] G______ [GE], dans lequel elle vit avec son fils, né le ______ 2003.

b. Dans la soirée du 16 mai 2023, la police a contrôlé un véhicule dans lequel se trouvait C______, ainsi que deux autres personnes, soit D______ et E______. Plus tard dans la nuit, la centrale d'engagement a requis l'intervention de patrouilles pour deux individus en possession d'armes à feu dans le coffre de leur voiture. Il s'est avéré que C______ et D______ étaient les deux individus en question.

La police s'est ainsi rendue au domicile de E______, où la mère de ce dernier a expliqué que C______ et D______ l'avaient intimidée plus tôt dans la soirée, en lien avec de l'argent que son fils leur devait.

Entendu à son tour, E______, qui a porté plainte, a, en substance, déclaré que les deux précités l'avait obligé à monter dans la voiture avec eux, avaient proféré des menaces contre sa vie et l'avait confronté à des armes à feu, dans le but de se faire remettre la somme de CHF 12'000.- ainsi que CHF 85'000.- en bijoux. Alors que C______ et D______ attendaient en bas de chez lui pour récupérer l'argent, il avait appelé la police et celle-ci était arrivée pour les interpeller.

c. À teneur du rapport d'arrestation du 16 mai 2023, au vu de la présence de stupéfiants dans la chambre de C______, il avait été fait appel à un chien, lequel avait marqué un fort intérêt pour un coffre-fort se trouvant dans la chambre de A______, laquelle en était la propriétaire selon son fils. Comme il avait été impossible de l'ouvrir, il avait été saisi et emporté.

d. Ledit coffre-fort contenait notamment, en différentes liasses, l'équivalent de CHF 22'910.-, EUR 73'410.- et USD 100.-. D'autres objets s'y trouvaient également, comme une clé de scooter.

e. Lors de sa première audition, C______ a contesté les faits et déclaré que le coffre-fort et l'argent ne lui appartenaient pas.

f. Le 17 mai 2023, le Ministère public a ouvert une instruction contre C______, des chefs de tentative d'extorsion, de menaces et de contrainte.

g. Concomitamment, le Ministère public a rendu l'ordonnance querellée, remise en main propre à C______ à l'issue de son audition du même jour.

h. Le 19 septembre 2023, A______, sous la plume de son conseil, a avisé le Ministère public que le contenu du coffre-fort saisi lui appartenait, soit une importante somme d'argent en espèces, CHF 23'000.- et EUR 73'000.- selon ses souvenirs, reliquat de ses économies. Elle en demandait la restitution.

i. Le Ministère public lui a répondu que des investigations complémentaires étaient en cours et qu'il ne pouvait pas accéder à la requête.

j. Le 20 octobre 2023, A______ a, derechef, sollicité la restitution des espèces, ainsi que l'établissement d'un inventaire des "valeurs patrimoniales et objets saisis dans son coffre" ou, à défaut, l'envoi des "ordonnances de séquestre" correspondantes.

k. Le 1er novembre 2023, le Ministère public a imparti un délai à A______ pour fournir tous les documents utiles à prouver ses droits de propriété sur l'argent saisi.

l. Le 20 suivant, A______ a expliqué que le coffre-fort avait été saisi dans sa chambre, dans l'appartement dont elle était la locataire. Entre 2014 et 2016, elle avait vendu plusieurs biens immobiliers, obtenant pour le dernier CHF 667'714.90. En outre, elle procédait régulièrement à d'importants retraits en espèces afin de payer ses charges courantes au guichet et d'aider sa famille. Elle déposait ainsi le solde des liquidités dans son coffre-fort. Les euros provenaient d'opérations de change qu'elle effectuait lorsqu'elle voyageait au Maroc, notamment.

Parmi les pièces annexées par A______ figuraient:

- un courrier de notaire du 2 décembre 2016 l'informant d'un virement de CHF 667'714'90 sur son compte;

- un extrait de relevé de son compte bancaire, duquel il ressort six retraits d'espèces, d'un total de CHF 119'000.- (CHF 25'000.- + CHF 55'000.- + CHF 25'000.- + CHF 5'000.- + CHF 5'000.- + CHF 4'000.-), effectués entre le 16 décembre 2016 et le 10 janvier 2017.

m. Par pli recommandé du 19 décembre 2023, le Ministère public a remis à A______ copie de l'ordonnance querellée, à titre de "notification formelle", tout en précisant qu'il n'entendait pas revenir sur sa décision. La perquisition avait été autorisée par C______ et le coffre-fort avait été enlevé car la police n'avait pas réussi à l'ouvrir sur place.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public retient que C______ était prévenu de menaces voire de séquestration et qu'il y avait lieu de présumer que le coffre-fort saisi au domicile de ce dernier abritait des traces, objets, valeurs patrimoniales ou informations susceptibles d'être séquestrées.

D. a. Dans son recours, A______ estime qu'en lui remettant copie de l'ordonnance querellée, le Ministère public lui avait reconnu la qualité de tiers saisi. Son droit d'être entendue n'avait pas été respecté dès lors qu'elle ne s'était pas vue notifier les éléments indispensables pour apprécier la légalité de la mesure contestée. En particulier, elle devait recevoir copie de "l'ordonnance originelle", ainsi que l'inventaire de la perquisition portant sur les objets situés en dehors de la chambre de son fils et sur le contenu du coffre-fort. En outre, la motivation du Ministère public ne lui permettait pas de savoir si le choix de l'autorité de maintenir sa décision découlait d'un droit de propriété insuffisamment établi de sa part ou d'une autre raison. Le Ministère public n'exposait pas en quoi les infractions citées dans l'ordonnance querellée (contrainte voire séquestration) justifiaient un séquestre, alors qu'une restitution au lésé n'entrait pas en ligne de compte.

Sur le fond, les soupçons selon lesquels le coffre-fort – et son contenu – appartiendraient à C______ ne s'étaient pas renforcés. Au contraire, elle avait apporté des éléments tendant à démontrer, à tout le moins rendre vraisemblable, qu'elle était la propriétaire de l'argent, qui n'était ni le produit d'une infraction ni un moyen de preuve. Les conditions de l'art. 263 CPP n'étaient pas réunies.

b. Dans ses observations, le Ministère public conteste toute violation du droit d'être entendu. L'ordonnance querellée était suffisamment motivée et A______ avait été informée que son fils avait valablement accepté la perquisition du logement, dans lequel il résidait. La précitée ne s'opposait, en outre, qu'à la perquisition du coffre-fort et non de l'appartement et, par conséquent, toutes les pièces utiles lui avaient été remises. Sur le fond, A______ n'avait pas démontré à satisfaction de droit sa propriété sur l'argent découvert dans le coffre-fort et il se justifiait de maintenir la mesure afin de garantir le paiement des frais de procédure, des peines pécuniaires, des amendes et des indemnités éventuelles.

c. Dans sa réplique, A______ relève que le Ministère public ne lui avait pas communiqué l'inventaire du résultat de la perquisition, ni en quoi la mesure avait un rapport avec l'instruction, ni la qualification des faits reprochés à son fils. Elle n'était dès lors pas en mesure de se prononcer sur la pertinence de la saisie du coffre-fort et de son contenu. Sous l'angle de la vraisemblance, elle avait démontré que l'argent lui appartenait. S'agissant d'espèces, il était impossible de retracer avec une certitude absolue la provenance de chaque billet. Elle était, en outre, la propriétaire du coffre-fort et celui-ci avait été retrouvé dans sa chambre. Enfin, un séquestre en couverture des frais ne pouvait pas être prononcé sur de l'argent n'appartenant pas au prévenu.

EN DROIT :

1.             Le recours a été interjeté selon la forme et le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), étant précisé que même si l'ordonnance querellée date du 16 mai 2023, elle n'a été "formellement" notifiée à la recourante que le 26 décembre 2023 (cf. art. 85 al. 2 CPP).

Il concerne une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émane du tiers qui allègue être propriétaire des biens séquestrés, pouvant donc, a priori, être considéré comme une partie à la procédure (art. 105 al. 1 let. f CPP) disposant d'un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

Partant, le recours est recevable.

2.             La recourante requière la restitution de l'argent qui se trouvait dans le coffre-fort.

2.1. Le séquestre est une mesure de contrainte qui ne peut être ordonnée, en vertu de l'art. 197 al. 1 CPP, que si elle est prévue par la loi (let. a), s'il existe des soupçons suffisants laissant présumer une infraction (let. b), si les buts poursuivis ne peuvent pas être atteints par des mesures moins sévères (let. c) et si elle apparaît justifiée au regard de la gravité de l'infraction (let. d). 

2.2. Selon l'art. 263 al. 1 CPP, des objets et des valeurs patrimoniales appartenant au prévenu ou à des tiers peuvent être mis sous séquestre, lorsqu'il est probable qu'ils seront utilisés comme moyens de preuves (let. a), qu'ils seront utilisés pour garantir le paiement des frais de procédure, des peines pécuniaires, des amendes et des indemnités (let. b), qu'ils devront être confisqués (let. d).

Un séquestre – au sens de cette disposition – est une mesure fondée sur la vraisemblance (ATF 143 IV 357 consid. 1.2.3). Tant que l'instruction n'est pas achevée, une simple probabilité suffit car la saisie se rapporte à des prétentions encore incertaines. L'autorité pénale doit pouvoir décider rapidement du séquestre provisoire (cf. art. 263 al. 2 CPP), ce qui exclut qu'elle résolve des questions juridiques complexes ou qu'elle attende d'être renseignée de manière exacte et complète sur les faits avant d'agir (ATF 116 Ib 96 consid. 3a; arrêt du Tribunal fédéral 1B_162/2021 du 13 octobre 2021 consid. 2.1). 

2.3. Parmi les conditions matérielles, Il faut que l’autorité pénale puisse établir un lien de connexité entre l’objet ou les valeurs séquestrés et l’infraction poursuivie, à l’exception des cas où le séquestre est ordonné en couverture des frais ou en vue de l’exécution d’une créance compensatrice (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 24 ad art. 263).

2.4. En l'espèce, il ressort du rapport d'arrestation que c'est l'attitude du chien, sur la piste de stupéfiants, qui a porté l'attention des policiers vers le coffre-fort. Or, C______ n'est pas, à ce stade, poursuivi pour des infractions à la LStup. Plus particulièrement, le Ministère public ne retient, dans l'ordonnance querellée, que des soupçons de menaces, voire de séquestration, pour justifier sa mesure.

Par ailleurs, le plaignant a expliqué que la police était intervenue alors que C______ attendait de se faire remettre une certaine somme d'argent. En l'absence d'autres éléments, le Ministère public ne pouvait donc conclure, à ce stade, que le coffre-fort contenait le produit des infractions en cause. Ce même prévenu a également affirmé que ledit coffre-fort, et l'argent se trouvant à l'intérieur, ne lui appartenaient pas, étant précisé que le contenant a été retrouvé dans la chambre de la recourante.

Le séquestre du coffre-fort, et de l'argent, a ainsi été ordonné alors que rien ne permettait de les rattacher, directement ou indirectement, aux infractions retenues contre le prévenu, lequel, au demeurant, n'apparaissait pas d'emblée comme leur détenteur.

Il s'ensuit que les motifs – brièvement – invoqués par l'autorité intimée pour fonder initialement le séquestre tombent à faux.

Une fois le coffre-fort ouvert et même lorsque la recourante a fait savoir au Ministère public que l'objet et l'argent lui appartenaient, ce dernier n'a fourni aucun élément pour étayer l'utilité du séquestre pour la procédure, se limitant à maintenir sa décision. Ce n'est qu'avec ses observations qu'il a, sans explication particulière, nouvellement motivé sa mesure par le besoin en couverture des frais. Toutefois, ce revirement ne suffit pas à combler l'absence initiale d'un motif valable pour emporter les biens en question.

Dans ces circonstances, indépendamment de la crédibilité des explications données par la recourante pour prouver sa propriété sur les biens saisis, les conditions matérielles du séquestre n'apparaissent pas remplies.

3.             Justifié, le recours doit être admis.

L'ordonnance querellée sera annulée et l'argent qui se trouvait dans le coffre-fort –CHF 22'910.-, EUR 73'410.- et USD 100.- – restitué à la recourante. Celle-ci ne prend pas de conclusion en restitution du coffre-fort, ni pour les autres objets qui s'y trouvaient. Ils ne seront donc pas visés par ce qui précède et le séquestre pourra être maintenu à leur égard.

4.             L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP).

5.             La recourante, tiers saisi qui obtient gain de cause au sens des art. 428 al. 1 et 434 al. 1 CPP, sollicite le versement de dépens, qu'elle chiffre au total à CHF 2'189.- (TVA à 8.1% incluse).

5.1. Certes, aux termes de l'al. 2 de la seconde disposition précitée, pareille indemnité peut en principe être fixée – et allouée – exclusivement par le Ministère public pendant la procédure préliminaire, si le cas est clair. Toutefois, rien n'empêche qu'elle le soit aussi sur recours, selon l'art. 421 al. 2 let. c CPP, applicable aussi aux indemnités (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 1 ad art. 421). Il convient de faire usage de cette faculté, en l'espèce, puisque la situation rencontrée est claire et que la présente décision met définitivement hors de cause un tiers touché, au sens de l'art. 105 al. 1 let. f CPP.

5.2. Le conseil de la recourante allègue une activité de 3h30 pour la rédaction du recours (dix pages, pages de garde et conclusions incluses) et de 1h00 pour les observations (trois pages), au tarif horaire de CHF 450.- pour un chef d'étude, TVA à 8.1% incluse.

Cette durée totale n'apparaît pas excessive, si bien que l'indemnité requise sera allouée, à la charge de l'État.

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours.

Annule l'ordonnance du 16 mai 2023 en tant qu'elle prononce la mise sous séquestre de l'argent – CHF 22'910.-, EUR 73'410.- et USD 100.- – se trouvant dans le coffre-fort emporté de la chambre de A______.

Lève le séquestre dans cette mesure et ordonne la restitution de cet argent à A______.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Alloue à A______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 2'189.-, TVA (8.1%) incluse, pour ses frais de recours.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).