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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/14433/2022

ACPR/192/2024 du 14.03.2024 sur OCL/1658/2023 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : ORDONNANCE DE CLASSEMENT;CITATION À COMPARAÎTRE;DÉFAUT(CONTUMACE);NOTIFICATION ÉCRITE
Normes : CPP.319; CPP.85.al2; CPP.87.al4; CPP.201

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/14433/2022 ACPR/192/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 14 mars 2024

 

Entre

A______, domicilié ______ [GE], représenté par Me Reynald BRUTTIN, avocat, rue du Mont-de-Sion 8, 1206 Genève,

recourant,

 

contre l'ordonnance de classement rendue le 30 novembre 2022 par le Ministère public,

 

et

B______, domicilié ______ [GE], représenté par Me Eric BEAUMONT, avocat, Eardley Avocats, rue De-Candolle 16, 1205 Genève,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. a. Par acte déposé le 14 décembre 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 30 novembre 2023, notifiée le 4 décembre suivant, par laquelle le Ministère public a notamment rejeté ses réquisitions de preuve (ch. 1 du dispositif querellé) et classé la procédure dirigée contre B______ (ch. 2).

Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de l'ordonnance querellée et au renvoi de la cause au Ministère public pour instruction puis mise en accusation.

b. Le recourant a versé les sûretés en CHF 1'000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 11 mars 2022, une altercation impliquant plusieurs individus est survenue à l'intersection de la rue 1______ et celle [de la rue] 2______ à Genève. Lorsque la police est intervenue, la situation s'était calmée.

b. Le 14 mars 2022, à la police, A______ a déposé plainte contre C______ et B______ pour lésions corporelles simples, menaces et dommages à la propriété, en lien avec l'altercation précitée.

Il ressort du procès-verbal d'audition que l'intéressé était domicilié au no. ______, rue 2______ à Genève.

d. C______ a été entendu par la police le 27 avril 2022 en qualité de prévenu.

À l'issue de son audition, il a déposé plainte contre A______ pour voies de fait, injure et lésions corporelles simples, en lien avec les faits précités.

e. Entendu le 14 mai 2022 par la police en qualité de personne appelée à donner des renseignements, B______ a contesté les faits reprochés, expliquant avoir tenté de calmer la situation entre les prénommés.

f. Une audience de confrontation entre A______ et C______ s'est tenue le 27 octobre 2022 par-devant le Ministère public.

À teneur du procès-verbal, A______ était domicilié no. ______, chemin 3______ à D______.

g. Le Ministère public a tenu une audience le 19 janvier 2023 à laquelle B______ a comparu. Il était précisé sur le procès-verbal que A______, partie plaignante, était absent et non excusé.

Figure au dossier la "feuille d'audience (cabinet)" pour le 19 janvier 2023. Il en ressort qu'un mandat de comparution a été envoyé par pli simple à A______ ("PLA A______ libre MC"), sans toutefois mentioner à quelle adresse. Aucune copie dudit mandat n'est toutefois présente au dossier.

h. Par courriel du 2 février 2023, A______ a écrit au Ministère public en ces termes: "Bonjour, je viens de voir le mandat de comparution du 28 décembre 2022 pour le 19 décembre [recte: janvier] 2023. Malheureusement, ayant déménagé et changé d'adresse en mai 2022 je ne m'attendais pas à recevoir un courrier important à mon ancienne adresse. Mon adresse actuelle est le Chemin 3______ no. ______, [code postal] D______. Est-ce possible d'être convoqué une nouvelle fois s'il vous plaît? Je tiens à m'excuser de cette confusion. Bien cordialement".

i. Après avoir ouvert une instruction contre les trois protagonistes, le Ministère public a, par avis de prochaine clôture du 13 février 2023, informé ces derniers qu'il entendait rendre une ordonnance de classement en faveur de B______ et des ordonnances pénales contre A______ et C______.

j. A______, sous la plume de son conseil, a sollicité l'audition de son amie intime, laquelle avait assisté aux faits, ainsi qu'une audience de confrontation avec B______, dès lors qu'il n'avait pas été valablement convoqué à celle précédemment convoquée, pour les raisons précitées.

k. Le 30 novembre 2023, le Ministère public a rendu des ordonnances pénales contre C______ et A______.

Les prénommés y ont formé opposition.

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public considère que les versions des parties sont contradictoires et qu'aucun élément de preuve objectif ne permettait d'établir la culpabilité de B______. Au contraire, il ressortait de leurs déclarations, en particulier de celles de C______, que B______ avait essayé de calmer la situation avant de le séparer de A______. C______ avait au surplus admis avoir frappé A______ au visage.

Le Ministère public a rejeté les réquisitions de preuve de A______. Au vu des éléments du dossier, les faits étaient suffisamment établis et l'audition de l'amie intime du prénommé n'apporterait pas d'élément pertinent à l'issue du litige. Au surplus, A______ avait été "valablement" convoqué à son domicile de D______ à l'audience du 19 janvier 2023, à laquelle il n'avait pas comparu.

D. a. À l'appui de son recours, A______ soutient que la décision querellée avait été rendue en violation du principe in dubio pro duriore dès lors que le Ministère public n'avait pas procédé à l'administration des preuves "indispensables". En présence de soupçons suffisants, comme c'était le cas en l'espèce, et de versions contradictoires, il appartenait au juge du fond, et non au Ministère public, de les apprécier.

Il contestait le rejet de ses réquisitions de preuve. Il n'avait pas été informé de l'audience de confrontation du 19 janvier 2023, le domicile mentionné correspondant à son ancienne adresse; ceci était d'autant plus incompréhensible que le Ministère public l'avait valablement convoqué pour l'audience du 27 octobre 2022.

b. Le Ministère public conclut au rejet du recours, avec suite de frais.

Le droit d'être entendu de A______ avait été respecté même s'il n'avait pas comparu à l'audience du 19 janvier 2023, à laquelle il avait été valablement convoqué, étant rappelé qu'il avait déjà été convoqué à son nouveau domicile de D______ pour l'audience du 27 octobre 2022. Il prétendait, sans le prouver, que la convocation lui avait été adressée à son ancien domicile, alors que celle-ci n'était pas parvenue en retour au Ministère public.

c. B______ conclut au rejet du recours et à la confirmation de l'ordonnance querellée.

d. A______ réplique.

Il maintenait avoir été convoqué à une mauvaise adresse. Son droit d'être entendu et de participer à l'administration des preuves avait été violé, ce qui devait entrainer l'inexploitabilité des moyens de preuve obtenus.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du plaignant qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             Le recourant invoque une violation de son droit d'être entendu.

2.1. Le droit d'être entendu, garanti par l'art. 29 al. 2 Cst., comprend notamment le droit pour le justiciable de s'expliquer avant qu'une décision ne soit prise à son détriment, celui de fournir des preuves quant aux faits de nature à influer sur le sort de la décision, celui de participer à l'administration des preuves, d'en prendre connaissance et de se déterminer à leur propos (ATF 146 IV 218 consid. 3.1.1).

2.2. Le droit d'être entendu est un grief d'ordre formel, dont la violation entraîne l'annulation de la décision attaquée indépendamment des chances de succès de recours sur le fond. Une violation du droit d'être entendu peut toutefois être considérée comme réparée lorsque l'intéressé jouit de la possibilité de s'exprimer librement devant une autorité de recours disposant du même pouvoir d'examen que l'autorité inférieure et pouvant ainsi contrôler librement l'état de fait et les considérations juridiques de la décision attaquée (ATF 137 I 195 consid. 2.2 et 2.3.2), ce qui est le cas pour l'autorité de recours (art. 391 al. 1 CPP; arrêt du Tribunal fédéral 1B_574/2020 du 3 décembre 2020 consid. 4.1). Une telle réparation dépend de la gravité et de l'étendue de l'atteinte portée au droit d'être entendu et doit rester l'exception (ATF 135 I 276 consid. 2.6.1).

2.3.1. Sauf dispositions contraires du CPP, les communications des autorités pénales sont notifiées en la forme écrite (art. 85 al. 1 CPP), par lettre signature ou par tout autre mode de communication doté d'un accusé de réception (art. 85 al. 2 CPP).

2.3.2. Lorsqu'une partie est tenue de comparaître personnellement à l'audience ou d'accomplir elle-même un acte de procédure, la communication doit lui être notifiée directement (art. 87 al. 4 CPP).

La demande de comparution doit respecter les formes des art. 201 ss CPP, en particulier, être décernée par écrit (art. 201 al. 1 CPP).

2.3.3. De jurisprudence constante, le fardeau de la preuve de la notification et de la date de celle-ci incombe en principe à l'autorité qui entend en tirer une conséquence juridique. L'autorité supporte donc les conséquences de l'absence de preuve en ce sens que si la notification ou sa date sont contestées et qu'il existe effectivement un doute à ce sujet, il y a lieu de se fonder sur les déclarations du destinataire de l'envoi. La preuve de la notification peut néanmoins résulter d'autres indices ou de l'ensemble des circonstances, par exemple un échange de correspondance ultérieur ou le comportement du destinataire (ATF 142 IV 125 consid. 4.3; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1212/2020 du 9 février 2021 consid. 1.1).

2.4. En l'espèce, le recourant conteste avoir reçu le mandat de comparution pour l'audience du 19 janvier 2023, celui-ci lui ayant été envoyé à son ancienne adresse.

Le Ministère public, à qui incombe la charge de la preuve de la notification, n'est pas en mesure, faute d'avoir respecté les réquisitis de l'art. 85 al. 2 CPP, d'établir si, et cas échéant à quelle date, le recourant aurait reçu le mandat de comparution, dit document ayant au demeurant été envoyé par pli simple.

On ne peut dès lors affirmer que le recourant a eu connaissance de la tenue de l'audience du 19 janvier 2023. Le fait qu'il ait été convoqué à l'audience du 27 octobre 2022 à sa nouvelle adresse ne permet pas de lui imputer la connaissance effective d'une audience ayant été fixée à une date ultérieure, sans preuve de notification du mandat de comparution en question, ce d'autant qu'aucune copie de ce document ne figure à la procédure. Il en va de même du fait que ledit pli n'ait pas été retourné au Ministère public.

Dans ces circonstances, le recourant ne saurait se voir opposer les conséquences de son absence. Ce manquement ne saurait être réparé par la procédure de recours.

Par ailleurs, il ressort du dossier que le recourant a interpellé le Ministère public au sujet de cette problématique dès qu'il en a eu connaissance. Il a, de surcroit, réitéré sa demande de tenue d'une nouvelle audience de confrontation dans le cadre de ses réquisitions de preuve. En tout état, l'acte envisagé et jugé nécessaire par le Ministère public n'apparait pas inutile à ce stade, ce d'autant qu'aucun autre acte d'instruction n'a été mis en œuvre avant la reddition de la décision querellée, laquelle est fondée sur les déclarations contradictoires des parties.

Partant, en l'absence de la confrontation effective des parties, la décision de classement apparait prématurée.

3. Cela conduit à l'annulation de l'ordonnance querellée et à l'admission du recours.

4.             Les frais de recours seront laissés à la charge de l'État (art. 428 al. 1 CPP).

5.             Le recourant n'a pas chiffré ni justifié de prétentions en indemnité (art. 433 al. 2 cum 436 al. 1 CPP), de sorte qu'il ne lui en sera point alloué (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1345/2016 du 30 novembre 2017 consid. 7.2).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours.

Annule l'ordonnance querellée et renvoie la cause au Ministère public pour qu'il procède au sens des considérants.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Invite les services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer à A______ l'avance de frais (CHF 1'000.-).

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant et à l'intimé, soit pour eux leurs conseils, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Madame Séverine CONSTANS, greffière.

 

La greffière :

Séverine CONSTANS

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).