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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/17536/2023

ACPR/188/2024 du 13.03.2024 sur OTDP/1825/2023 ( TDP ) , ADMIS

Descripteurs : OPPOSITION TARDIVE;CONTRAVENTION;ORDONNANCE PÉNALE;PRINCIPE DE LA BONNE FOI
Normes : CPP.354; CPP.357; CPP.3

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/17536/2023 ACPR/188/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 13 mars 2024

 

Entre

A______, domicilié ______, représenté par Me Daniel TUNIK, avocat, Lenz & Staehelin, route de Chêne 30, case postale 615, 1211 Genève 6,

recourant,


contre l'ordonnance rendue le 18 août 2023 par le Tribunal de police,

et

LE SERVICE DES CONTRAVENTIONS, chemin de la Gravière 5, case postale 104, 1211 Genève 8,

LE TRIBUNAL DE POLICE, rue des Chaudronniers 9, 1204 Genève, case postale 3715, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. a. Par acte déposé le 30 août 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 18 précédent, notifiée le 22 suivant, par laquelle le Tribunal de police a constaté l'irrecevabilité de l'opposition formée par B______ et C______.

Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de cette ordonnance et au classement de la procédure.

b. Par ordonnance du 1er septembre 2023 (OCPR/54/2023), la Direction de la procédure a accordé l'effet suspensif au recours.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 1er novembre 2022, [la caisse de chômage] D______ a dénoncé auprès du Ministère public [la banque] E______, pour violation de l'obligation de renseigner (art. 106 LACI).

Par courriel du 28 septembre 2022, elle avait demandé "au responsable de l'entreprise E______" de compléter l'attestation de l'employeur pour une ancienne collaboratrice et de la lui transmettre avec d'autres documents. En l'absence de réponse, elle avait réitéré sa demande par courrier recommandé du 19 octobre 2022. Ayant constaté que le "responsable" n'avait pas réagi malgré les injonctions, elle déposait plainte.

Parmi les pièces annexées figuraient:

- le courriel du 28 septembre 2022, envoyé à l'adresse électronique "F______@E______.com";

- le courrier du 19 octobre 2022, adressé à E______, sans autre précision sur le destinataire;

- un extrait du Registre du commerce relatif à E______, duquel il ressort que A______ occupe le rôle de président du conseil d'administration;

- les informations tirées de la base de données de l'Office cantonal de la population et des migrations (CALVIN) concernant A______, y compris son adresse personnelle.

b. Le 12 juin 2023, après transmission par le Ministère public du dossier au Service des contraventions, celui-ci a rendu une ordonnance pénale au nom de A______, le déclarant coupable de violation de l'obligation de renseigner. Le précité était condamné à s'acquitter d'une amende de CHF 650.-, en sus d'émoluments de CHF 150.-, soit CHF 800.- en tout.

Ladite ordonnance a été adressée au domicile personnel de A______ et notifiée le lendemain de son envoi.

c. Par courrier du 20 juin 2023, E______ a formé opposition à l'ordonnance pénale précitée en son nom, ainsi qu'au nom de A______.

Le précité n'était nullement impliqué dans les faits reprochés, se trouvant "pas moins de quatre échelons hiérarchiques" au-dessus des collaborateurs concernés par la requête de D______. Cette dernière avait d'ailleurs erronément saisi l'adresse électronique du courriel du 28 septembre 2022, raison pour laquelle aucune réponse n'y avait été apportée, n'ayant jamais été reçu. Après la notification du courrier du 19 octobre 2022, D______ avait été contactée par téléphone et un délai supplémentaire avait été convenu pour lui permettre de s'acquitter de ses devoirs, ce à quoi elle s'était obligée le 1er novembre 2022, soit le même jour de la dénonciation.

Le courrier est signé par B______ et C______, respectivement "Head of HR Legal" et "Head of HR Compliance", disposant chacun d'une signature collective à deux.

d. Par ordonnance du 9 août 2023, le Service des contraventions a transmis la procédure au Tribunal de police pour qu'il statue sur la validité de l'ordonnance pénale et, sur l'opposition, a conclu à son irrecevabilité.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Tribunal de police soutient qu'une opposition formée par un tiers n'était pas valable, seul le prévenu (ou un avocat le représentant) étant en mesure d'agir. Dès lors, l'opposition formée par B______ et C______, sans procuration, n'était pas valable.

D. a. Dans son recours, A______ estime que l'ordonnance entreprise aboutissait à un résultat "choquant" dans la mesure où il n'était pas concerné par les faits à l'origine de l'ordonnance pénale, que celle-ci était infondée puisque les réponses avaient été apportées à D______ et parce qu'il avait, en tout état, "chargé les services compétents de la Banque de former opposition pour son compte", ce qui avait été réalisé dans le délai légal de dix jours. Le courrier du 20 juin 2023, signé par B______ et C______, avait été préparé à sa demande et en son nom. Retenir une absence de procuration valable était contraire au principe de la bonne foi et consacrait un formalisme excessif. La jurisprudence du Tribunal fédéral imposait aux autorités d'impartir à l'intéressé un délai pour réparer les vices formels, notamment lorsqu'il manquait à l'acte la signature de la personne concernée, lorsqu'une procuration faisait défaut ou si elle était signée par une personne ne disposant pas des


pouvoirs à cet effet (ATF 120 V 413). La Directive du Procureur général C.6 prévoyait d'ailleurs l'obligation, sous réserve d'un éventuel abus de droit, d'accorder à l'auteur d'une opposition non valable à la forme un bref délai supplémentaire pour corriger le vice. Un formalisme excessif avait ainsi été retenu pour une décision cantonale déclarant irrecevable un recours en raison d'un vice affectant la procuration de l'avocat. Les circonstances du cas d'espèce se distinguaient des situations où les oppositions étaient tardives ou incorrectement adressées par voie électronique. Ici, le vice était aisément reconnaissable et aurait pu être redressé à temps.

Par ailleurs, il était manifeste que le Service des contraventions avait appliqué arbitrairement les art. 106 LACI et 6 et 7 DPA en lui imputant la responsabilité de l'infraction concernée, sachant que les obligations enfreintes ne relevaient aucunement de sa responsabilité. Au regard du sujet, soit une contravention commise dans la gestion d'une entreprise, E______ revêtait la qualité d'une "autre personne concernée" au sens de l'art. 354 al. 1 let. b CPP et l'opposition formée par celle-ci était valable.

En tout état, les conditions de l'infraction visée n'étaient pas réalisées. Un accord oral avec été convenu entre E______ et D______ une fois découvert le quiproquo consécutif à l'envoi des questions à une adresse électronique erronée; des réponses avaient été apportées par la banque en temps utile. Il appartenait ainsi à D______ de retirer sa dénonciation puisqu'aucune violation de l'obligation de renseigner ne pouvait être reprochée à E______.

b. Le Tribunal de police n'a pas formulé d'observations.

c. À l'appui de ses observations, le Service des contraventions souligne le monopole des avocats pour la représentation des prévenus, instauré par la loi. L'opposition, formée par des tiers, n'étaient donc pas valable.

d. A______ réplique.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. b CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             2.1. Le contrevenant peut former opposition contre l'ordonnance pénale devant le Service des contraventions, par écrit, dans les dix jours; si aucune opposition n'est valablement intervenue, cette ordonnance est assimilée à un jugement entré en force (art. 354 al. 1 let. a et al. 2 ainsi que 357 CPP). Le Tribunal de police statue d'office sur la validité d’une telle opposition (art. 356 al. 2 CPP).

2.2. Pour être valable, cette opposition doit être déposée, au plus tard, le dernier jour du délai à la Poste suisse (art. 91 al. 2 CPP). Elle doit également être signée (art. 110 al. 1 CPP).

2.3. En cas de dépôt d'un acte non signé, la jurisprudence admet, au regard du principe interdisant le formalisme excessif, l'octroi d'un délai convenable à l'intéressé pour réparer ce vice, assorti de l'avertissement qu'à défaut, l'acte ne sera pas pris en considération (ATF 142 I 10 consid. 2.4; arrêt du Tribunal fédéral 6B_51/2015 du 28 octobre 2015 consid. 2.2).

Une telle pratique ne s'impose toutefois que lorsque le défaut de signature est le fait d'une omission involontaire. En revanche, si le recourant dépose un acte dont il connaît l'irrégularité, son comportement – qui tend à l'obtention d'une prolongation de délai pour corriger l'impossibilité de déposer en temps utile son recours – s'apparente à un abus de droit et il ne se justifie pas de le protéger (ATF 142 IV 299 consid. 1.3.4; 142 V 152 consid. 4.3; 121 II 252 consid. 4b p. 255; arrêt du Tribunal fédéral 6B_51/2015 du 28 octobre 2015 consid. 2.2).

2.4. En l'espèce, pour une raison indéterminée, le Service des contraventions a prononcé une ordonnance pénale à l'encontre du recourant personnellement, tout en lui notifiant l'acte à son domicile privé.

Pourtant, rien ne désignait le recourant comme responsable des faits reprochés. Dans son courrier du 1er novembre 2022, la dénonciatrice a uniquement évoqué "le responsable de l'entreprise" tandis que l'adresse électronique – vraisemblablement composée, en partie, avec le nom du collaborateur l'utilisant – avec qui elle était en liaison pour l'envoi des documents demandés ne faisait nullement référence au recourant.

Il appert que la qualité de président du conseil d'administration occupée par le recourant a mené le Services des contraventions à lui attribuer le rôle de prévenu, en tant que "responsable".

Il s'agit ainsi d'une erreur, que le recourant, sous la plume des collaborateurs de la banque, a cherché à corriger au moment de faire opposition. Il a expliqué n'être pas impliqué dans les discussions avec la dénonciatrice et que l'envoi des documents requis – relatifs au droit au chômage d'une ancienne employée – ne relevait pas de son autorité, se situant "quatre échelons hiérarchiques" au-dessus des personnes en charge de cette tâche. Il a également précisé qu'un accord avec la dénonciatrice avait finalement été trouvé, de sorte que les faits reprochés n'avaient plus lieu d'être.

Au vu de son erreur initiale, le Services des contraventions, et le Tribunal de police à sa suite, ne pouvaient pas, sans tomber dans le formalisme excessif, voire la violation du principe de la bonne foi (art. 3 al. 2 CPP; ACPR/14/2016 du 18 janvier 2016 par analogie), déclarer irrecevable l'opposition du recourant.

3.             Partant, le recours est admis. L'ordonnance entreprise sera dès lors annulée et la cause renvoyée au Tribunal de police pour qu'il examine le fond de la cause, notamment à la lumière des explications du recourant sur son implication et sur l'accord trouvé entre la banque et la dénonciatrice.

4.             L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP).

5.             Le recourant sollicite "une juste indemnité", qu'il n'a pas chiffrée ni justifiée, pour l'instance de recours.

Compte tenu de l'acte de recours (douze pages, y compris les pages de garde et de conclusions) et la réplique de trois pages, il se verra alloué ex aequo et bono une indemnité de CHF 900.- TTC.

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Admet le recours.

Annule l'ordonnance du Tribunal de police du 18 août 2023 et lui renvoie la cause pour suite de la procédure.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Alloue à A______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 900.- TTC, pour l'instance de recours.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, au Tribunal de police et au Service des contraventions.

Le communique, pour information, au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Alix FRANCOTTE CONUS et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Xavier VALDES, greffier.

 

Le greffier :

Xavier VALDES

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).