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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/13952/2020

ACPR/133/2024 du 21.02.2024 sur ONMMP/2269/2023 ( MP ) , REJETE

Recours TF déposé le 25.03.2024, 7B_373/2024
Descripteurs : ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE;ESCROQUERIE;FAUX MATÉRIEL DANS LES TITRES
Normes : CPP.310; CP.146

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/13952/2020 ACPR/133/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 21 février 2024

 

Entre

A______, domicilié ______ [GE], représenté par Me Yama SANGIN, avocat, LEXPRO, rue Rodolphe-Toepffer 8, 1206 Genève,

recourant,

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 8 juin 2023 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 22 juin 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 8 précédent, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur sa plainte, déposée le 23 janvier 2020 contre B______ et C______.

Il conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de cette ordonnance et au renvoi de la cause au Ministère public pour ouverture d'une instruction.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.a. Le 23 janvier 2020, A______ a déposé plainte contre les frères B______ et C______ pour escroquerie et faux dans les titres.

En 2013, il avait pour projet, d'une part, l'ouverture d'un bureau de change avec son fils, D______, d'autre part, le lancement d'une activité d'import-export de produits cosmétiques avec un dénommé E______, avec lequel il exploitait déjà un kiosque.

Il avait parlé de ses projets avec une connaissance, C______. Ce dernier lui avait conseillé, s'agissant du bureau de change, d'engager son frère, B______, D______ n'ayant aucune expérience dans le domaine. Il s'était par ailleurs déclaré intéressé par le projet d'import-export, pour lequel lui-même avait besoin d'un apport de CHF 110'000.- pour une durée de six mois.

Le 17 août 2013, en présence de E______, il avait rencontré C______ et B______ pour en discuter. Ceux-ci, qui étaient venus avec une reconnaissance de dette d'un montant de CHF 85'700.- datée du jour même, lui avaient proposé de lui remettre immédiatement un montant de EUR 70'000.- en espèces (soit la contrevaleur de CHF 85'700.-) et le solde de CHF 25'000.- ultérieurement.

Comme il avait refusé, préférant un virement bancaire, un nouveau rendez-vous avait été fixé le 30 août 2013. À cette occasion, les frères B______/C______ lui avaient dit qu'ils ne lui transféreraient pas l'argent s'il ne signait pas les deux reconnaissances de dette qui lui étaient soumises (soit celle du 17 août 2013 et une autre du 30 août 2013, portant sur CHF 25'000.-). Il s'était exécuté, persuadé que les fonds lui seraient virés immédiatement. Les frères B______/C______ avaient toutefois ensuite exigé que la société qui exploitait le bureau de change, F______ SA, se porte garante des emprunts et que le tampon de la société et la signature d'un de ses organes figurent sur les reconnaissances de dette.

Finalement, F______ SA avait refusé de se porter garante et lui-même n'avait pas cherché à récupérer les reconnaissances de dette qu'il avait confiées à cette société, sachant que, sans la signature de cette dernière, les frères B______/C______ ne donneraient pas suite à sa demande de prêt.

Le 17 septembre 2013, il avait signé une troisième reconnaissance de dette, d'un montant de CHF 15'000.- puis, quelques jours plus tard, une quittance de CHF 4'000.-, sommes que les frères B______/C______ lui avaient remises comptant.

Le 1er octobre 2013, B______, qui travaillait depuis un mois pour F______ SA, avait été arrêté en raison de soupçons de blanchiment d'argent. Ayant besoin d'argent pour payer les frais d'avocat, C______ lui avait demandé le remboursement immédiat de la somme de CHF 19'000.- remise quelques jours auparavant, de sorte qu'il avait restitué CHF 10'000.- en échange d'une quittance de même montant intitulée "reconnaissance de dette".

Au début du mois de novembre 2013, B______ lui avait réclamé le remboursement de la somme de CHF 15'000.-, ce qu'il avait fait grâce au prêt d'un ami. Ayant expliqué qu'il avait déjà remis CHF 10'000.- à C______, B______ lui avait dit "qu'il en discuterait avec son frère, afin que ce dernier [lui] rembourse la différence, soit CHF 6'000.-".

En novembre 2013, B______ lui avait réclamé le remboursement de la somme de CHF 125'700.- soi-disant prêtée. Choqué, il s'était rendu dans les locaux de F______ SA pour récupérer les reconnaissances de dette, mais avait constaté qu'elles avaient disparu. Celles-ci avaient été produites dans le cadre de la procédure de recouvrement intentée par B______ et il avait constaté qu'elles portaient le tampon humide de la société. Les administrateurs de celle-ci affirmant n'être pas à l'origine de cet ajout, il soupçonnait B______ d'avoir profité de son emploi pour le faire, en vue d'obtenir un paiement indu.

Par ailleurs, dans le cadre d'une plainte qu'il avait déposée en 2017 contre C______, ce dernier avait produit une attestation de remboursement d'un prêt de CHF 115'000.- en faveur de B______, signée le 7 mars 2012 par un dénommé G______, administrateur de la société H______ SA qui l'employait. Or, cette signature semblait être un faux, d'après les éléments en sa possession, ce qui rendait crédible des agissements similaires dans la procédure civile portant sur le paiement de CHF 125'700.-.

a.b. À l'appui de sa plainte, A______ a notamment produit les trois reconnaissances de dette litigieuses, par lesquelles il déclarait avoir reçu les sommes de respectivement CHF 85'700.-, CHF 25'000.- et CHF 15'000.- en guise de prêt de B______, ces documents portant, sous la signature des parties, un tampon humide au nom de "I______".

b. Le 4 août 2020, B______ a à son tour déposé plainte contre A______ pour diminution effective de l'actif au préjudice des créanciers (art. 164 CP) et toute autre infraction envisageable.

Les 19, 30 août et 17 septembre 2013, il avait prêté à A______, pour une durée de six mois, une somme totale de CHF 125'700.-, ainsi que cela ressortait des trois reconnaissances de dette signées par l'intéressé en sa faveur.

Malgré l'échéance intervenue, les sommes n'avaient pas été remboursées, le contraignant à entamer des démarches judiciaires pour les recouvrer.

La faillite de A______ avait finalement été prononcée le 5 mars 2020.

c. Le 10 août 2020, à la suite de cette plainte, le Ministère public a ouvert une procédure à l'encontre de A______ sous la référence P/13952/2020.

Diverses autres procédures visant A______ dans le cadre de son activité professionnelle de gérant de restaurants ont été jointes à la P/13952/2020.

La procédure P/1556/2020 ouverte à la suite de sa plainte du 23 janvier 2020 a également été jointe à la P/13952/2020.

d. Entendu par la police en janvier 2021, C______ a expliqué qu'il avait été gérant et associé de H______ SA de 2005 à 2012, date à laquelle il avait été incarcéré, puis condamné, pour blanchiment d'argent. À sa sortie de prison, en 2013, A______, qu'il connaissait depuis 1993 ou 1994, lui avait présenté deux projets d'investissement, l'un dans la construction – dans lequel il avait investi CHF 10'000.-, qu'il avait récupérés – et l'autre dans l'ouverture d'un bureau de change, ce qu'il avait refusé. L'intéressé s'était alors adressé à son frère B______, qui avait aussi travaillé pour H______ SA, dans laquelle il avait investi de l'argent. Lui-même était présent lors de l'entretien du 17 août 2013 – qui s'était déroulé dans un hôtel et réunissait, outre lui-même et son frère, A______ et le fils de celui-ci –, qui concernait ce dernier projet, mais à sa connaissance, aucun montant précis n'avait été évoqué. D'après ce qu'il avait compris, son frère avait remis l'argent à A______ en espèces. Il ne pouvait se prononcer sur l'attestation portant la signature de G______, qui avait quitté la Suisse pour une destination inconnue.

e. Au Tribunal de première instance, en 2017, et à la police, en 2021, A______ a expliqué que le bureau de change était un projet de son fils et de J______, fille de son associé de longue date, E______. Lui-même et ce dernier avaient fourni, fin 2012-début 2013, le capital initial de CHF 200'000.- de F______ SA, dont son fils était devenu directeur en mai 2013. Comme celui-ci n'avait pas de connaissances du métier de cambiste, lui-même s'était adressé à C______, qui avait de l'expérience dans le domaine. Ce dernier lui avait présenté son frère B______ pour qu'il soit engagé comme employé et transmette son savoir à J______ et D______.

Le présent litige n'avait cependant rien à voir avec le bureau de change mais concernait une société d'import-export qu'il voulait constituer avec E______; le rendez-vous avec les frères B______/C______ s'était déroulé dans le kiosque de ce dernier. Il n'avait jamais été question que B______ soit associé dans le bureau de change et il n'était pas possible que l'argent ait été versé pour ce dernier, qui n'avait ouvert que le 1er septembre 2013. Lui-même n'avait pour le surplus, en septembre 2013, plus aucune fonction dans la société, hormis le fait qu'il éait co-titulaire du bail, avec E______.

f. Entendu par le Tribunal de première instance, en 2017, et par la police, en janvier 2021, B______ a contesté les allégations de A______. Il était prévu qu'il s'associe avec ce dernier pour l'exploitation du bureau de change et occupe, au sein de F______ SA, la même position d'associé-employé que dans H______ SA. Pour cette raison, les reconnaissances de dette avaient été établies au nom de A______ et non de la société, en attendant le transfert des actions qui devaient lui revenir, ce qui ne s'était jamais concrétisé. E______ n'était pas présent lors des discussions, qui avaient réuni lui-même, son frère, A______ et le fils de ce dernier, qui n'avait cependant aucun pouvoir décisionnaire. Les reconnaissances de dette avaient été signées aux dates mentionnées, alors qu'il déposait les fonds dans la caisse et les comptabilisait dans le système informatique du bureau de change, en présence de A______. Ces sommes provenaient du remboursement opéré – en espèces – par G______ lors de la vente de H______ SA, dans laquelle lui-même avait investi une partie de ses économies.

g. Au Tribunal de première instance, D______ a affirmé qu'en août 2013, B______ avait proposé d'entrer dans le capital-actions de F______ SA, mais que la société, n'ayant pas besoin de fonds supplémentaires, avait uniquement accepté de l'engager comme employé. À cette époque, son père avait pour projet d'ouvrir une épicerie et avait besoin de fonds. Lui-même et J______ avaient refusé que le bureau de change se porte garant des prêts. Les deux reconnaissances de dette lui avaient été confiées et il les avait laissées au bureau, d'où elles avaient disparu. Il a précisé que les montants en espèces déposés au bureau de change supérieurs à CHF 25'000.- devaient pouvoir être tracés et que tout était noté dans le système informatique, pour des questions de comptabilité; une entrée pouvait toutefois être effacée, si elle était inexacte.

h. E______ a soutenu, lors de son audition par le Tribunal de première instance en 2017, avoir été présent à l'entrevue du mois d'août 2013, qui s'était déroulée dans son kiosque. A______ voulait s'associer avec lui, raison pour laquelle il voulait obtenir un prêt de C______. Lui-même avait assisté à la signature des reconnaissances de dette, sur lesquelles le tampon de F______ SA ne figurait pas. Il a confirmé la version de A______ pour le surplus.

Trois jours plus tard, il a toutefois adressé un courrier au Tribunal pour revenir sur ses déclarations: il était très malade, n'entendait pas correctement et n'avait que de très vagues souvenirs de l'affaire, survenue plus de trois ans auparavant; il n'avait vu que par hasard une réunion entre A______ et les frères B______/C______ au bureau de change, lors de laquelle des papiers signés avaient été échangés; il n'avait pas vu de paiement entre eux; il confirmait toutefois que les sommes mentionnées dans les deux reconnaissances de dette du mois d'août 2013 concernaient des investissements que A______ voulait faire avec lui.

i. Il ressort des pièces produites qu'initialement, le capital-actions de F______ SA était réparti entre A______ (65 actions), E______ (65 actions) et la fille de ce dernier.

Au printemps 2013, A______ et E______ ont quitté leur fonction d'administrateurs, J______ demeurant administratrice unique et D______ devenant directeur.

Après avoir indiqué au Tribunal de première instance qu'il avait laissé ses actions à J______, A______ a affirmé qu'il les avait cédées à son fils, en avril 2013. Lors de l'assemblée générale de la société du 13 janvier 2014, J______ était toutefois présentée comme propriétaire de 100% du capital-actions, alors que selon contrat du 30 janvier 2015, E______ cédait à A______ 100 actions de F______ SA – tous deux étant mentionnés comme actionnaires à parts égales lors de l'assemblée générale qui s'est tenue trois jours plus tard – et que, par contrat du 13 mai 2015 auquel A______ n'était pas partie, E______ annulait le contrat du 30 janvier 2015 et cédait la totalité du capital-actions à un tiers.

j. Par ordonnance du 31 octobre 2014, le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur la plainte pénale déposée par A______ contre B______ pour vol, subsidiairement appropriation illégitime, pour avoir subtilisé les reconnaissances de dette dans les locaux de F______ SA, au motif qu'elles ne revêtaient pas la qualité de chose d'autrui.

Cette ordonnance n'a pas été contestée.

k. Par jugement du 4 mai 2018, le Tribunal de première instance a rejeté l'action en libération de dette intentée par A______, considérant qu'il avait échoué à faire la démonstration plausible des raisons pour lesquelles il aurait accepté de signer trois reconnaissances de dette en faveur de B______, à quelques jours d'intervalle et pour des montants importants, sans avoir reçu – selon ses allégations – de quelque manière que ce soit, les montants qui en ressortaient. Il était par ailleurs peu probable qu'un homme se décrivant comme rompu aux affaires ait accepté que les reconnaissances de dette soient simplement laissées dans les locaux de F______ SA, alors même que le prêt dont elles attestaient l'existence n'aurait en réalité pas été effectué.

Ce jugement a été confirmé par arrêt de la Cour de justice du 11 juin 2019 et le Tribunal fédéral a jugé irrecevable le recours formé contre ce dernier par A______ (arrêt 4A_402/2019 du 26 février 2020).

l. Par avis de prochaine clôture du 6 avril 2023, le Ministère public a informé les parties de son intention, notamment, de rendre une ordonnance pénale à l'encontre de A______ pour banqueroute frauduleuse et fraude dans la saisie (art. 163 CP), obtention frauduleuse d'une constatation fausse (art. 253 CP) et inobservation par le débiteur des règles de la procédure de poursuite pour dettes ou de faillite (art. 323 CP), et une ordonnance de non-entrée en matière, s'agissant de sa plainte contre B______ et C______.

C. Dans son ordonnance querellée, le Ministère public a retenu que rien ne permettait de retenir que la signature de G______ aurait été contrefaite par l'un des mis en cause et que le plaignant n'expliquait pas en quoi ce document aurait été utilisé dans le dessein de porter atteinte à ses intérêts pécuniaires. Les déclarations des parties, s'agissant des circonstances dans lesquelles les reconnaissances de dette auraient été établies, étaient par ailleurs contradictoires et il n'était pas possible de privilégier les unes par rapports aux autres. L'on pouvait néanmoins relever que A______ était rompu aux affaires, de sorte que l'on peinait à comprendre qu'il ait pu signer de tels documents s'ils ne correspondaient pas à la réalité. Dans tous les cas, aucun élément ne permettait de soupçonner qu'il avait été trompé, qui plus est de manière astucieuse, de sorte que les éléments constitutifs de l'escroquerie n'étaient pas réunis.

D. a. Dans son recours, A______ fait grief au Ministère public de n'avoir pas entendu E______, qui avait assisté aux rendez-vous des 17 et 30 août 2013. Le fait qu'il ait dépensé plus de CHF 200'000.- en honoraires d'avocat, tant au civil qu'au pénal, soit un montant supérieur à celui reconnu, accréditait par ailleurs sa thèse selon laquelle il avait été victime d'une escroquerie. À cet égard, force était de constater que B______ n'avait pas prouvé l'origine des fonds prétendument versés, que la question de leur comptabilisation dans le système informatique de F______ SA n'avait pas été investiguée et que le fait que lui-même n'ait eu aucune fonction dans la société à cette date mettait à mal la thèse d'une association.

b. La cause a été gardée à juger à réception, sans échange d'écritures ni débats.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et – faute de notification conforme à l'art. 85 al. 2 CPP – dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du plaignant qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

3.             Le recourant considère que les conditions d'une non-entrée en matière ne sont pas réalisées.

3.1. À teneur de l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis (let. a).

Au moment de statuer sur l'ouverture éventuelle de l'instruction, le ministère public doit examiner si les conditions d'exercice de l'action publique sont réunies, c'est-à-dire si les faits qui sont portés à sa connaissance sont constitutifs d'une infraction pénale et si la poursuite est recevable. Il suffit que l'un des éléments constitutifs de l'infraction ne soit manifestement pas réalisé pour que la non-entrée en matière se justifie (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 8 ad art. 310).

Des motifs de fait peuvent également justifier la non-entrée en matière. Il s'agit des cas où la preuve d'une infraction, soit de la réalisation en fait de ses éléments constitutifs, n'est pas apportée par les pièces dont dispose le ministère public. Il faut que l'insuffisance de charges soit manifeste. De plus, le ministère public doit examiner si une enquête, sous une forme ou sous une autre, serait en mesure d'apporter des éléments susceptibles de renforcer les charges contre la personne visée. Ce n'est que si aucun acte d'enquête ne paraît pouvoir amener des éléments susceptibles de renforcer les charges contre la personne visée que le ministère public peut rendre une ordonnance de non-entrée en matière. En cas de doute sur la possibilité d'apporter ultérieurement la preuve des faits en question, la non-entrée en matière est exclue (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op.cit., n. 9 ad art. 310).

3.2. L'art. 146 CP punit, du chef d'escroquerie, le comportement de quiconque, dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un enrichissement illégitime, aura astucieusement induit en erreur une personne et l’aura de la sorte déterminée à des actes préjudiciables à ses intérêts pécuniaires ou à ceux d’un tiers.

Par tromperie, il faut entendre tout comportement destiné à faire naître chez autrui une représentation erronée des faits (ATF 140 IV 11 consid. 2.3.2; 135 IV 76 consid. 5.1).

Une simple tromperie ne suffit cependant pas: encore faut-il qu'elle soit astucieuse. Il y a tromperie astucieuse au sens de l'art. 146 CP lorsque l'auteur recourt à un édifice de mensonges, à des manœuvres frauduleuses ou à une mise en scène, mais aussi lorsqu'il donne simplement de fausses informations, si leur vérification n'est pas possible, ne l'est que difficilement ou ne peut raisonnablement pas être exigée, de même que si l'auteur dissuade la dupe de vérifier ou prévoit, en fonction des circonstances, qu'elle renoncera à le faire en raison d'un rapport de confiance particulier (ATF 143 IV 302 consid. 1.3; 142 IV 153 consid. 2.2.2; 135 IV 76 consid. 5.2).

En exigeant une astuce, la loi veut prendre en compte la coresponsabilité de la victime. En conséquence, pour apprécier si l'auteur a usé d'astuce, il ne suffit pas de se livrer à un examen objectif et de se demander comment une personne moyennement prudente et expérimentée aurait réagi à la tromperie; il faut plutôt prendre en considération la situation concrète et le besoin de protection de la dupe, telle que l'auteur la connaît et l'exploite. Tel est le cas en particulier si la victime est faible d'esprit, inexpérimentée ou diminuée en raison de l'âge ou d'une maladie, mais aussi si elle se trouve dans un état de dépendance, d'infériorité ou de détresse faisant qu'elle n'est guère en mesure de se méfier de l'auteur (ATF 128 IV 18 consid. 3a; 126 IV 165 consid. 2a; arrêt du Tribunal fédéral 6S.380/2001 du 13 novembre 2001 consid. 2c/aa, non publié in ATF 128 IV 255). De même, il faut tenir compte des connaissances particulières et de l'expérience en affaires de la dupe (ATF 126 IV 165 consid. 2a).

Il y a en principe astuce si l'auteur conclut un contrat en ayant d'emblée l'intention de ne pas fournir sa prestation alors que son intention n'était pas décelable (ATF 118 IV 359 consid. 2). Tel est le cas lorsque la vérification de la capacité d'exécution n'est pas possible, ne l'est que difficilement ou ne peut être raisonnablement exigée, ou encore, en conséquence, lorsqu'aucune conclusion ne peut être tirée quant à la volonté d'exécution (ATF 125 IV 124 consid. 3a; 118 IV 359 consid.).

3.3. En l'espèce, le recourant ne conteste pas l'ordonnance querellée en tant qu'elle vise le faux dans les titres, de sorte qu'il n'y a pas lieu de revenir sur la réalisation éventuelle des éléments constitutifs de cette infraction.

Toute l'argumentation du recourant repose, pour le reste, sur la prémisse que les montants objet des reconnaissances de dette litigieuses ne lui auraient pas été remis.

Or, cette thèse est contestée par le mis en cause, qui affirme avoir versé les sommes en espèces directement dans la caisse du bureau de change.

Elle n'a pas non plus été retenue par les juridictions civiles, ce qui impose d'apprécier avec circonspection les affirmations contraires du recourant, quand bien même le code de procédure pénale ne prévoit pas que le juge pénal soit lié par le jugement civil (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op.cit., n. 13a ad art. 314),

Le fait qu'aucune trace de ces versements ne figurerait dans le système informatique de F______ SA n'est à cet égard pas déterminant. D______ a en effet admis qu'une entrée pouvait être effacée et compte tenu du temps écoulé, l'on ne voit pas que des éléments fiables puissent être désormais tirés d'une analyse des ordinateurs de la société, si tant est qu'ils existent encore.

Une réaudition de D______ ou de E______ apparaît également inutile, le premier car, du propre aveu du recourant, il n'a pas assisté aux réunions avec les mis en cause, le second en raison du fait qu'en 2017 déjà, il revenait sur son témoignage en indiquant n'avoir que de très vagues souvenirs de l'affaire.

L'on notera pour le surplus qu'aucun des précités n'a été en mesure de préciser clairement les motifs pour lesquels ces versements auraient été envisagés, s'ils n'avaient effectivement aucun lien avec le bureau de change. D______ a en effet évoqué l'ouverture d'une épicerie et E______ "des investissements", alors que le recourant n'a, de son côté, jamais fourni aucun élément attestant l'existence d'un projet concret dans l'import-export, requérant le versement de plus de CHF 100'000.- au moment précisément où le bureau de change débutait son activité.

À cet égard, l'affirmation du recourant selon laquelle il n'avait rien à voir avec l'exploitation du bureau de change est battue en brèche par le fait qu'il avait investi à tout le moins CHF 100'000.- dans la constitution de la société – dont il ne prétend pas qu'ils lui auraient été remboursés en 2013 –, qu'en dépit des prétendues cessions de ses parts, il était toujours mentionné comme actionnaire deux ans plus tard, et que, de son propre aveu, il a laissé des documents personnels – les reconnaissances de dette – dans les locaux du bureau de change, dont il était co-titulaire du bail.

Il n'est pour le surplus guère plausible que le recourant, présenté comme un homme d'affaires expérimenté, signe des documents attestant que d'importantes sommes lui avaient été versées, sans aucune contrepartie. Si les événements s'étaient déroulés comme il le soutient, la conclusion d'un contrat de prêt aurait en effet été plus adaptée pour concrétiser, de manière sûre pour tous les protagonistes, un engagement de ses cocontractants d'effectuer ultérieurement un virement bancaire en sa faveur. L'on ne voit par ailleurs pas l'intérêt des mis en cause de subordonner leur versement à la signature d'une reconnaissance de dette dont ils n'auraient pas eu la possession.

Pour ces motifs déjà, la version du recourant apparaît peu vraisemblable, indépendamment de la question de l'origine exacte des fonds, laquelle ne pourrait de toute façon pas être élucidée, faute de pouvoir entendre G______.

Sur le plan juridique, même en admettant que le recourant ait été victime d'une tromperie sur l'intention de ses cocontractants de lui verser les sommes promises, les autres éléments constitutifs de l'infraction d'escroquerie n'en seraient pas réalisés pour autant. Le recourant ne soutient en effet pas que des liens de confiance particulier avec les mis en cause auraient justifié une attention moindre de sa part. Il ne prétend pas non plus être inexpérimenté en affaires et n'avoir pas compris les enjeux de la signature d'une reconnaissance de dette. Si l'on suit la version du recourant, ce dernier aurait au demeurant conservé par devers lui les documents signés, de sorte que l'on ne voit pas de quelle astuce auraient fait preuve les mis en cause à ce moment-là, ni quel type d'enrichissement ils envisageaient.

La plainte du recourant relative à la prétendue disparition de ces documents des locaux de F______ SA a quant à elle fait l'objet d'une ordonnance de non-entrée en matière, désormais définitive. Il n'est par conséquent pas possible de retenir que B______ se les serait indûment appropriés ultérieurement ni, a fortiori, qu'il aurait fait preuve d'une astuce supplémentaire à cette occasion.

Dans ces conditions, c'est à juste titre que le Ministère public a considéré qu'il n'existait pas de soupçons suffisants de la commission d'une escroquerie pour justifier l'ouverture d'une instruction.

4.             L'ordonnance querellée sera donc confirmée.

5.             Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, qui comprendront un émolument de CHF 1'500.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, qui comprennent un émolument de CHF 1'500.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Alix FRANCOTTE CONUS et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière.

 

La greffière :

Olivia SOBRINO

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/13952/2020

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'500.00

Total

CHF

1'585.00