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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/20296/2023

ACPR/85/2024 du 07.02.2024 sur ONMMP/4629/2023 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : SOUPÇON
Normes : CPP.310

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/20296/2023 ACPR/085/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 7 février 2024

 

Entre

A______ et B______, domiciliés ______ [GE], agissant personnellement,

recourants

contre la décision de non-entrée en matière rendue le 17 novembre 2023 par le Ministère public,

 

et

 

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé

 

 


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 22 novembre 2023, A______ et B______ recourent contre l'ordonnance du 17 précédent, par laquelle le Ministère public n'est pas entré en matière sur leur plainte pénale du 15 juillet 2023.

Les recourants demandent que C______, auteur présumé des faits dont ils se plaignent, soit condamné à les dédommager.

b. Ils ont payé les sûretés, en CHF 800.-, qui leur étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.             A______ et B______ sont locataires d’un garage (« box »), à Genève. Ils l'ont mis à la disposition de D______, qui souhaitait y entreposer du matériel. Au début de 2023, la gérance les a avertis que cet usage n’était pas conforme à la destination des lieux, soit le stationnement d’un véhicule, et que, faute d’évacuation de ce qu’elle considérait comme un atelier, elle résilierait le bail.

b.             A______ et B______ expliquent s’être rendus sur place (à une date indéterminée). La porte du garage n’était pas fermée à clé. Ils avaient constaté qu’à l’intérieur se trouvait du matériel de peinture. Ils avaient immédiatement remplacé la serrure, défectueuse. D______ leur avait dit avoir mis le local à disposition d’un ami (qui s’avérera être C______) et leur avait promis que celui-ci débarrasserait le matériel avant la fin du mois de mai 2023. Revenus sur place (à une date indéterminée, mais qu’ils fixent dans leur recours au 25 mai 2023), ils avaient constaté que la porte avait été forcée, et un cadenas posé sur le bas (ils en fournissent la photo).

c.              Le 8 juin 2023, la gérance a résilié le bail pour le 31 juillet suivant. Le 11 juillet 2023, elle a averti A______ et B______ qu’ils resteraient redevables du loyer jusqu’au jour où le garage serait restitué vide de tout objet.

d.             Le 15 juillet 2023, A______ et B______ ont déposé plainte pénale pour « cambriolage » et violation de domicile. Ils n’étaient pas en mesure d’assurer l’évacuation du garage avant l’expiration du bail. L’inconnu qui occupait les lieux devrait les indemniser, ne serait-ce que parce qu’il leur en avait fait perdre l’usage. Ils ont précisé par la suite que la gérance continuait de leur réclamer le paiement du loyer, parce que le garage n’avait pas pu être restitué.

e.              Entendu par la police, D______ a expliqué avoir mis le garage à disposition de C______ avec l’accord de A______. Il a prétendu que celui-ci lui avait demandé, au mois de février 2023, de débarrasser le matériel entreposé parce qu’il était en retard dans le paiement du loyer convenu. Comme ni lui ni C______ ne s’étaient exécutés dans le bref délai qu’il leur avait imparti, A______ avait changé la serrure. Il n’a pas été interrogé sur la présence d’un cadenas.

f.              Entendu par la police, C______ a déclaré que D______ l’avait avisé, au mois de mai 2023, que le garage devait être vidé. Il avait pris contact avec A______, qui n’avait rien voulu savoir d’un sursis et menaçait de tout évacuer lui-même. En juin 2023, il avait constaté que la serrure avait été changée, mais était parvenu à entrer dans le garage, car « la sécurité était faible ». Du matériel avait disparu. Il s’était employé à en évacuer le solde, sous réserve de quelques bidons. Il n’a pas été interrogé sur la présence d’un cadenas.

g.             Également entendu par la police, A______ a contesté avoir débarrassé le garage. La pose du cadenas l’avait empêché d’accéder au local.

C. Dans la décision attaquée, le Ministère public qualifie les faits dénoncés de dommages à la propriété, violation de domicile et contrainte. Leur auteur n’avait pas pu être identifié, car tant C______ que D______ s’étaient défendus d’en être à l’origine.

D. a. Dans leur recours, A______ et B______, qui expliquent ne pas connaître C______, affirment que son matériel n’aurait pas pu être entreposé dans leur garage si la serrure n’en avait pas été « cambriolée » et complétée d’un cadenas. C’était donc bien lui l’auteur des faits.

b. Dans ses observations, le Ministère public propose de rejeter le recours. D______ comme C______ avaient été autorisés par A______ à utiliser le garage, vraisemblablement contre rétribution.

c. A______ et B______ n’ont pas retiré le pli du greffe les invitant à répliquer.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner des plaignants, parties à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), qui disposent d'un intérêt juridiquement protégé à recourir contre l'ordonnance querellée (art. 382 al. 1 CPP).

On comprend qu’ils demandent la poursuite pénale de C______ à raison d’infractions dont ils entendent tirer des prétentions civiles contre lui.

2.             Les recourants reprochent au Ministère public de ne pas avoir considéré que l’auteur des faits avait été identifié.

2.1.       Selon l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis. Cette disposition doit être appliquée conformément à l'adage « in dubio pro duriore ». Celui-ci découle du principe de la légalité (art. 5 al. 1 Cst. et art. 2 al. 2 CPP en relation avec les art. 319 al. 1 et 324 al. 1 CPP) et signifie qu'en principe une non-entrée en matière ne peut être prononcée par le ministère public que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions à la poursuite pénale ne sont pas remplies (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1). Des motifs de fait peuvent justifier la non-entrée en matière. Il en va ainsi lorsqu'aucun élément concret ne permet d'identifier l'auteur (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n.9a ad art. 310).

2.2.       En l’espèce, il faut retenir que, en fait de cambriolage, c’est de dommages à la propriété dont se plaignent en réalité les recourants. En effet, ceux-ci n’ont jamais prétendu que des choses mobilières, déposées dans le garage, leur auraient été soustraites (cf. art. 139 CP) pendant qu’ils avaient mis les lieux à disposition de tiers. En revanche, ils font valoir que l’accès au garage leur avait été empêché au moyen de la pose d’un cadenas, ce qui n’aurait pas permis d’évacuer les lieux avant la fin du bail.

Or, rien ne permet de retenir que la pose du cadenas aurait causé le moindre dégât à la porte du garage. La photo fournie à l’appui de la plainte pénale montre qu’une forme d’anneau, dans le bas de l’huis, pourrait même avoir précisément cette fonction. Les recourants réclament, certes, une indemnisation, mais non pour frais de remise en état de la porte : ils invoquent à ce titre uniquement l’occupation illicite des lieux et la perte de leur droit d’usage.

En revanche, au sujet de la contrainte – qui serait à rechercher dans la perpétuation de l’utilisation du local par C______ au-delà du 31 juillet 2023 –, le dossier n’est pas dénué d’indice qu’un dommage sérieux, au sens de l’art. 181 CP, aurait été causé aux recourants. C______ a reconnu avoir débarrassé la plupart de son matériel et laissé des bidons sur place – ce qui implique qu’il avait conservé l’accès aux lieux – ; et les recourants allèguent avoir dû continuer de payer à la gérance (comme celle-ci les en menaçait le 11 juillet 2023) un montant équivalant au loyer parce que l’endroit n’avait pas été rendu vide à l’échéance du bail. Cette conjonction d’éléments tend à rendre vraisemblable que C______ s’était réservé l’accès exclusif au garage – par exemple au moyen du cadenas, sur la présence duquel il ne s’est pas expliqué – et que ses agissements ont empêché les recourants de restituer celui-ci en temps voulu, les obligeant à payer pour lui le droit de continuer à jouir des lieux, voire à supporter des coûts d’évacuation du matériel. Même si, en l’état, on ignore la durée de cette situation, la prévention apparaît suffisante.

Le recours doit, dès lors, être admis, et le Ministère public, qui a correctement entrevu l’application de l’art. 181 CP, invité à reprendre l’enquête. Cette question est indépendante de toute problématique de sous-location ou de sous-sous-location (et de la disparition de matériel qui aurait été constatée avant l’apparition du cadenas).

3.             Les recourants, qui obtiennent gain de cause, n’assumeront pas de frais.

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Admet le recours, annule la décision attaquée et renvoie la cause au Ministère public pour qu’il reprenne ses investigations du chef de contrainte (art. 181 CP).

Laisse les frais de l’instance à la charge de l’État.

Invite les Services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt, en copie, aux recourants et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Madame Séverine CONSTANS, greffière.

 

La greffière :

Séverine CONSTANS

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).