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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/7504/2023

ACPR/70/2024 du 31.01.2024 sur ONMMP/2721/2023 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE;DÉNONCIATION CALOMNIEUSE
Normes : CPP.310; CP.303

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/7504/2023 ACPR/70/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 31 janvier 2024

 

Entre

A______, domiciliée ______ [GE], agissant en personne,

recourante,

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 6 juillet 2023 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 13 juillet 2023 au Ministère public, qui l'a transmis à la Chambre de céans, A______ recourt contre l'ordonnance du 6 juillet 2023, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur sa plainte du 19 janvier 2023.

La recourante conclut à l'annulation de l'ordonnance querellée et à l'ouverture d'une instruction.

b. La recourante a versé les sûretés en CHF 1'200.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 19 janvier 2023, A______ a déposé plainte contre B______ pour dénonciation calomnieuse.

Elle avait fait la connaissance de B______ par l'intermédiaire d'une amie, C______. En 2015, A______ avait prêté de l'argent aux prénommées, lesquelles s'étaient portées garantes l'une de l'autre. Pour chaque prêt, des reconnaissances de dettes avaient été établies.

En 2018, elle avait requis des poursuites contre C______ et B______: la première n'avait pas d'adresse en Suisse de sorte que sa démarche n'avait pas abouti; la seconde avait contesté avoir signé les reconnaissances de dettes et le litige avait été porté par-devant le Tribunal civil. À cette occasion, B______ avait prétendu que les documents étaient faux, et qu'elle [A______] avait imité sa signature. Par jugement du 13 juin 2022, le Tribunal avait retenu que la signature était "authentique" et elle avait été "innocentée". Le 21 septembre 2022, un acte de défaut de biens pour un total de CHF 59'470.- avait été dressé contre B______.

À l'appui, elle a produit plusieurs attestations:

-          l'une datée du 30 septembre 2015, comporte les nom et signature apparents de B______ en qualité de débitrice principale d’un montant de CHF 8’000.-. Une nommée C______ a signé en qualité de codébitrice, pour le cas où B______ mourrait ou souffrirait d’un handicap ou d’« absence »;

-          deux autres attestations, de teneurs identiques à la première, mais datées des 30 août 2015 et 29 février 2016, désignent C______ en qualité de débitrice principale (de CHF 20'400.-, pour l’une, et de CHF 13'500.-, pour l’autre), B______ apparaissant codébitrice aux mêmes conditions que ci-dessus;

-          les deux autres « attestations » n’ont pas d’intitulé et ne comportent pas non plus le nom de B______, mais se présentent sous la forme de récépissés manuscrits de C______, datés des 11 avril et 19 juin 2016 (pour respectivement CHF 1'900.- et CHF 300.- que lui aurait remis A______).

Elle joint en outre à sa plainte:

-          le jugement rendu le 13 juin 2022 prononçant la mainlevée provisoire de l'opposition formée au commandement de payer, poursuite n° 1______, pour les postes 1, 2, 3 et 4 – lesquels se réfèrent respectivement aux montants précités de CHF 20'400.- (attestation du 30 août 2015), 8'000.- (attestation du 30 septembre 2015), 13'500.- (attestation du 29 février 2016) et 1'900.- (attestation du 11 avril 2015), mais non le "poste 5" pour lequel elle n'avait pas produit de titre de mainlevée;

-          l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 21 octobre 2022 par le Ministère public dans le cadre de la procédure P/3______/2022 ouverte notamment pour faux dans les titres, ensuite de la plainte déposée par B______ contre elle. Dans sa décision, le Ministère public a repris la motivation du juge de la mainlevée, soit que B______ s’était contentée d’alléguer que les titres produits par A______ étaient faux, sans toutefois rendre vraisemblable pareille assertion. Ainsi, en l’absence de preuve matérielle, une non-entrée en matière devait être prononcée.

Par arrêt du 15 décembre 2022 (ACPR/878/2022), la Chambre de céans a rejeté le recours formé par B______ contre cette décision.

b. Entendue par la police le 6 mars 2023, B______ a contesté les faits reprochés. Elle réitérait ne pas avoir signé les reconnaissances de dettes litigieuses. Ces documents avaient été falsifiés, A______ ayant imité sa signature. L'expertise graphologique du 14 janvier 2023 – qu'elle produit – confirmait que la signature figurant sur l'"une" des attestations n'était pas la sienne. Ladite expertise lui avait coûté CHF 460.- et elle n'avait pas les moyens de faire "plus". Elle proposait que A______ produise les originaux dans la mesure où les copies, dont elle disposait, ne permettaient pas à la graphologue d'authentifier les documents. Enfin, C______ était à D______ [France] le 30 août 2015 de sorte qu'elle n'avait pas pu établir d'attestation à cette date. À l'appui de ses déclarations, elle a produit une capture d'écran d'une publication Facebook la montrant à D______.

Il ressort de l'expertise précitée que la signature présente sur le document daté du 30 août 2015 n'a pas "les mêmes gestes graphiques, les mêmes proportions, les mêmes espacements, ni les mêmes appuis que […] les signatures des documents authentiques", à savoir ceux produits à titre comparatif par B______.

c. Entendue le 24 mars 2023 par la police, C______ a expliqué que A______ lui avait prêté CHF 4'000.-. La prénommée avait prêté le même montant à B______, laquelle l'avait remboursée. Elle-même devait encore rembourser CHF 1'000.- à A______, qui lui avait dit un jour "tu n'as pas de papier pour séjourner ici alors tu me donneras finalement CHF 17'000.-". Comme elle avait refusé, A______ avait menacé sa famille au Honduras.

Les reconnaissances de dettes – présentées par la police lors de son audition – étaient fausses; elle contestait les avoir signées, précisant avoir seulement signé un document relatif au prêt de CHF 4'000.-. A______ avait sans doute dû réutiliser sa signature. "Son histoire avec B______ [était] montée de toutes pièces". Elle confirmait qu'elle était à D______ le 30 août 2015.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public retient qu'il n'existe pas de prévention pénale suffisante, les déclarations des parties étant contradictoires et aucun élément objectif ne permettant d'établir que B______ aurait dénoncé A______ comme auteur des infractions concernées alors qu'elle la savait innocente (art. 303 al. 1 CP).

En effet, B______ avait contesté les faits reprochés, réitérant ne pas avoir signé les reconnaissances de dettes litigieuses, lesquelles avaient été falsifiées et que sa signature avait été imitée. Sa version différait donc de celle de A______. Au demeurant, les déclarations de C______ et les documents produits par B______ allaient dans le sens des déclarations de cette dernière.

D. a. Dans son recours, A______ soutient que B______ l'avait dénoncée tout en la sachant innocente. En effet, cette dernière n'avait pas "recouru" contre le jugement prononçant la mainlevée provisoire de l'opposition ni formé d'action en libération de dettes, ce qui confirmait que les reconnaissances de dettes étaient "valables". De plus, elle-même était au bénéfice d'un acte de défaut de biens. En outre, B______ savait qu'il n'était pas possible que C______ ait fait un aller-retour Genève-D______ [France] en une journée, pour visiter les lieux touristiques, prendre des photographies, les télécharger sur les réseaux sociaux et rentrer, ce d'autant que le 30 août 2015 était un dimanche et que l'intéressée travaillait le lendemain pour la "famille E______, chemin 2______ no. ______, [code postal] F______ [GE]". Enfin, l'expertise graphologique privée, produite par B______, n'avait "aucune" valeur.

À l'appui, A______ produit notamment l'ordonnance rendue le 13 février 2023 dans le cadre de la P/3______/2022 par laquelle le Ministère public a refusé la reprise de la procédure demandée par B______ sur la base de l'expertise graphologique du 14 janvier 2023.

b. À réception des sûretés, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours est recevable pour avoir été déposés selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) – les formalités de notification (art. 85 al. 2 CPP) n'ayant pas été observées –, concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

1.2. Les pièces nouvelles produites devant la juridiction de céans à l'appui du recours sont également recevables, la jurisprudence admettant la production de faits et de moyens de preuve nouveaux en deuxième instance (arrêt du Tribunal fédéral 1B_550/2022 du 17 novembre 2022 consid. 2.2).

2.             2.1. Conformément à l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis.

Au moment de statuer sur l'ouverture éventuelle de l'instruction, le ministère public doit examiner si les conditions d'exercice de l'action publique sont réunies, c'est-à-dire si les faits qui sont portés à sa connaissance sont constitutifs d'une infraction pénale et si la poursuite est recevable. Il suffit que l'un des éléments constitutifs de l'infraction ne soit manifestement pas réalisé pour que la non-entrée en matière se justifie (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 8 ad art. 310).

2.2. L'art. 303 al. 1 CP réprime notamment du chef de dénonciation calomnieuse celui qui aura dénoncé à l'autorité, comme auteur d'un crime ou d'un délit, une personne qu'elle savait innocente, en vue de faire ouvrir contre elle une poursuite pénale.

Est considéré comme "innocent" celui qui a été libéré par un jugement d'acquittement ou par le prononcé d'un classement. Le juge de la dénonciation calomnieuse est, sauf faits ou moyens de preuve nouveaux, lié par une telle décision (arrêt du Tribunal fédéral 6B_483/2020 du 13 octobre 2020 consid. 1.1.1).

Sur le plan subjectif, l'auteur doit savoir que la personne qu'il dénonce est innocente. Il ne suffit donc pas qu'il ait conscience que ses allégations pourraient être fausses. Il doit savoir que son affirmation est inexacte. Aussi, le dol éventuel ne suffit pas (ATF 136 IV 170 consid. 2.1 p. 176 et les références citées). En outre, seul l’auteur qui agit dans un dessein particulier – à savoir en vue de faire ouvrir une poursuite pénale – peut se rendre coupable de dénonciation calomnieuse. Cet article consacre ainsi une infraction subjectivement spéciale (A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ (éds), Commentaire romand, Code pénal II, vol. II, Partie spéciale : art. 111-392 CP, Bâle 2017, n. 19 ad art. 303).

2.3. En l’espèce, le Ministère public a décidé de ne pas entrer en matière sur la plainte déposée par B______ au motif que les éléments constitutifs de l’infraction à l’art. 251 CP, imputée par la précitée à la recourante, n’étaient pas réunis faute de preuve. Cette décision – entrée en force ensuite de l'arrêt rendu le 15 décembre 2022 par la Chambre de céans – libère donc l’intéressée.

Reste à examiner si la mise en cause savait, au moment du dépôt de sa plainte, de façon certaine, que la recourante n'avait pas produit de fausses reconnaissances de dettes.

B______ n'a pas varié dans ses déclarations, tant auprès du Tribunal civil que de la police. Les éléments dont se prévaut la recourante dans ses écritures ne sont pas propres à modifier ce constat.

Dans le cadre de la procédure civile, la recourante a requis, sur la base des reconnaissances de dettes produites, la mainlevée provisoire, qu'elle a, en partie, obtenue. Faute d'action en libération de dette intentée par la mise en cause, la mainlevée est devenue définitive et la procédure d'exécution forcée a suivi son cours, pour aboutir à un acte de défaut de biens. Ces faits ne permettent cependant pas de considérer que les documents produits par la recourante seraient authentiques. En effet, leur examen, par le juge civil, est demeuré sommaire et s'est limité à la vraisemblance de sorte qu'il n'y a pas eu de vérification quant à leur authenticité et aucun juge civil n'a statué sur la question.

Enfin, l'expertise privée et les déclarations de C______ ne permettent pas non plus de retenir que la mise en cause savait la recourante innocente des faits dénoncés. Au contraire, ces éléments tendent à conforter la mise en cause dans sa bonne foi, les conclusions de l'expertise précisant que le document daté du 30 août 2015 ne comporte pas les mêmes caractéristiques que celles figurant sur les documents produits, à titre comparatif, par cette dernière et C______ ayant confirmé qu'elle était absente de Genève au moment de la signature d'une des attestations litigieuses. Que l'expertise privée produite par la mise en cause n'ait la valeur que d'un simple allégué (ATF 142 II 355 consid. 6 p. 359) ou que le Ministère public ait, sur la base de ladite expertise, refusé de reprendre la procédure préliminaire n'y changent rien.

Partant, c'est à raison que le Ministère public a considéré que les éléments constitutifs de l'infraction de dénonciation calomnieuse n'étaient pas réunis.

3.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée et le recours rejeté, ce que la Chambre de céans pouvait décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP).

4.             La recourante, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 1'200.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'200.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Mesdames Alix FRANCOTTE CONUS et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/7504/2023

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'115.00

-

CHF

Total

CHF

1'200.00