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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/6472/2023

ACPR/62/2024 du 25.01.2024 sur ONMMP/2776/2023 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : LÉSÉ;PARTIE À LA PROCÉDURE;DOMMAGE INDIRECT;VIOLATION DE L'OBLIGATION DE TENIR UNE COMPTABILITÉ;ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE;QUALITÉ POUR AGIR ET RECOURIR;INFRACTIONS EN MATIÈRE DE LP
Normes : CP.165; CP.166; CPP.118; CPP.310.al1.leta; CP.325; CP.327a

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/6472/2023 ACPR/62/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 25 janvier 2024

 

Entre

A______, domicilié ______, représenté par Me Nicolas POZZI, avocat, Forty-Four Avocats, boulevard des Tranchées 44, 1206 Genève,

recourant,


contre l'ordonnance de refus de qualité de partie plaignante et de non-entrée en matière rendue le 12 juillet 2023 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié par messagerie sécurisée le 24 juillet 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 12 juillet 2023, communiquée sous pli simple le même jour, par laquelle le Ministère public lui a refusé la qualité de partie plaignante s'agissant des infractions aux art. 165 CP et 166 CP et a refusé d'entrer en matière sur ces infractions ainsi que sur les art. 325 CP et 327a let. a CP.

Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de l'ordonnance querellée, et, cela fait, à ce que la qualité de partie plaignante lui soit reconnue s'agissant des infractions aux art. 165 CP et 166 CP ainsi qu'à ce que la cause soit renvoyée au Ministère public pour qu'il reprenne la procédure préliminaire.

b. Le recourant a versé les sûretés en CHF 1'800.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.a. B______/1______ SA a été une société holding sise à Genève, détenant plusieurs sociétés actives dans le domaine de la gestion de patrimoine et du conseil en placements, dont B______/2______ SA et B______/3______ SA.

a.b. Du 22 décembre 2011 au 22 novembre 2019, A______ a occupé la fonction d'administrateur avec signature individuelle de B______/1______ SA. Il en a également été l'actionnaire unique jusqu'en juin 2018.

Il a exercé les fonctions de directeur, respectivement d'administrateur de B______/2______ SA, du 16 mars 2000 au 20 novembre 2019, et d'administrateur de B______/3______ SA, du 18 février 2011 au 22 novembre 2019.

a.c. Par deux contrats de travail du 28 mai 2018, ayant pris effet le 1er juin 2018, il a par ailleurs été désigné CEO, "Head of Business Development" et "Managing Director", des deux sociétés susmentionnées.

L'art. 7 desdits contrats stipulait qu'il ne pouvait prétendre au versement de son salaire annuel brut, s'élevant à CHF 150'000.-, qu'aux conditions que les affaires des sociétés du groupe soient rentables, que ces dernières soient en mesure de régler leurs charges et qu'un bénéfice net soit dégagé à la clôture des exercices 2018 et 2019.

À teneur de l'art. 16, les frais professionnels "raisonnables et nécessaires" de l'intéressé étaient remboursés par les sociétés du groupe, sur présentation de justificatifs.

b. Le 13 juin 2018, A______ et la société britannique C______ LTD ont signé un contrat portant sur l'acquisition, par la seconde, de 80% du capital-actions et du capital-participation de B______/1______ SA pour un prix de CHF 2'000'000.-, payable en trois acomptes de CHF 800'000.-, CHF 600'000.- et CHF 700'000.-.

Ce contrat, complété par trois avenants, comportait une option de rachat en faveur de A______ – en cas de retard dans le paiement d'une des tranches du prix –, ainsi qu'une clause d'arbitrage.

c. Le même jour, A______ et C______ LTD ont signé une convention d'actionnaires ainsi qu'un avenant à celle-ci, prévoyant notamment l'obligation de faire approuver par le conseil d'administration de B______/1______ SA les opérations sortant du cours ordinaire des affaires ou qui n'avaient pas été budgétées. Les transactions d'un montant supérieur à USD 20'000.- devaient dans tous les cas être soumises à l'approbation des actionnaires et du conseil d'administration de la société précitée.

d. Le 22 octobre 2018, D______, "représentante" de C______ LTD, a été nommée administratrice de B______/1______ SA, aux côtés de A______ notamment.

e. Un litige civil est survenu entre les parties – C______ LTD n'ayant payé que la première tranche du prix des actions de B______/1______ SA, à savoir CHF 800'000.-, et A______ ayant exercé son droit de rachat, qu'il a ensuite révoqué –, qui a conduit, le 24 juillet 2019, à la mise en œuvre, par C______ LTD, d'un Tribunal arbitral selon la clause compromissoire prévue par le contrat. Une sentence arbitrale a été rendue, le 29 octobre 2020, aux termes de laquelle A______ a été condamné à verser à C______ LTD un montant de CHF 1'130'917.- pour le transfert des actions et bons de participation dans B______/1______ SA; C______ LTD a été condamnée à transférer lesdits actions et bons de participation au prénommé, lequel a été astreint à lui verser les sommes de CHF 176'722.05 et CHF 50'745.- à titre de participation aux frais d'arbitrage et dépens.

f. Le 8 octobre 2019, les sociétés du groupe B______ ont déposé une requête de mesures provisionnelles à l'encontre de A______ aux fins d'obtenir l'accès aux documents comptables des sociétés précitées.

g. Le 1er novembre 2019, A______ a informé les administrateurs et l'organe de révision de B______/1______ SA de la nécessité de procéder sans délai à une augmentation du capital ou d'annoncer le surendettement de la société au juge. À l'appui, il joignait les bilans des trois entités du groupe au 30 octobre 2019, révélant une perte pour B______/1______ SA de CHF 693'478.40, pour B______/3______ SA de CHF 266'353.15 et pour B______/2______ SA de CHF 442'966.98.

h. Le même jour, les actionnaires de B______/1______ SA ont été invités par l'organe de révision à injecter CHF 500'000.- dans la société.

i. Le 11 novembre 2019, A______ a résilié avec effet immédiat les contrats de travail le liant à B______/2______ SA et B______/3______ SA.

j.a. Par acte du 23 décembre 2019, E______ SA, organe de révision de B______/1______ SA, B______/2______ SA et B______/3______ SA, a avisé le Tribunal de première instance du surendettement des trois sociétés précitées.

j.b. Par jugement rendu le 20 avril 2020, le Tribunal de première instance a rejeté l'avis de surendettement précité, au motif que les documents comptables produits par l'actionnaire A______ – en litige avec les autres actionnaires de C______ LTD – n'avaient pas été établis par les conseils d'administration des sociétés ni validés par eux, que ces documents étaient sujets à caution dans la mesure où le surendettement prétendu de B______/1______ SA résultait de "charges exceptionnelles ou hors période", qu'il en allait de même pour B______/3______ SA et que les comptes de B______/2______ SA ne présentaient pas une situation de surendettement.

k.a. Par courrier du 10 janvier 2020, complété le 12 février suivant, D______ et F______, agissant au nom et pour le compte des sociétés B______/1______ SA, B______/2______ SA et B______/3______ SA, dont ils étaient administrateurs, ont déposé plainte contre A______ des chefs d'abus de confiance (art. 138 CP), escroquerie (art. 146 CP), gestion déloyale (art. 158 CP), concurrence déloyale (art. 23 LCD) et/ou faux dans les titres (art. 251 CP).

Ils ont exposé que les comptes des sociétés clôturés au 31 décembre 2017 laissaient apparaître des fonds propres confortables. A______ avait de plus assuré que leurs actifs sous gestion étaient, durant cette période, supérieurs à USD 150'000'000.-. Or, lors d'une séance du conseil d'administration de B______/1______ SA le 27 août 2019, D______ avait découvert le caractère préoccupant de la situation économique de B______/2______ SA. Avant cette date, A______ n'en avait informé ni C______ LTD ni les autres administrateurs. Le 11 novembre 2019, un examen de la comptabilité ainsi que des courriels contenus sur sa boîte de messagerie professionnelle avait révélé qu'il était vraisemblablement responsable de la mauvaise situation du groupe et que des factures personnelles auraient été payées depuis les comptes des sociétés ou au moyen de sa carte de crédit professionnelle. A______ semblait également s'être fait rembourser des notes de frais d'un montant disproportionné au regard du déclin des affaires du groupe, ainsi que verser des salaires indus. Enfin, le timbre du groupe de sociétés semblait avoir été apposé ultérieurement sur des factures payées par celui-ci.

k.b. Par ordonnance rendue le 30 juin 2022, le Ministère public a ordonné le classement de la procédure ouverte contre A______.

l. Le ______ février 2021, les pouvoirs d'administrateurs de D______, G______ et F______ ont été radiés du registre du commerce pour les trois sociétés du groupe B______.

m.a. Le 25 février 2021, A______ a déposé trois requêtes en faillite sans poursuite préalable contre B______/1______ SA, alléguant une créance de CHF 39'500.- fondée sur un contrat de licence du 23 juillet 2015 ; contre B______/3______ SA, alléguant une créance de CHF 156'000.- fondée sur un contrat de licence du 22 juillet 2015 ; et contre B______/2______ SA, alléguant une créance de CHF 195'000.- fondée sur un contrat de licence du 23 juillet 2015.

m.b. Par jugements rendus le 14 juin 2021, le Tribunal de première instance a rejeté les requêtes précitées. B______/1______ SA n'était pas en situation de suspension de paiement, A______ étant le seul "créancier" à avoir introduit des poursuites et l'opposition formée à ces dernières ne signifiant pas que la société serait en suspension de paiement. Les créances alléguées contre B______/3______ SA et contre B______/2______ SA étaient sujettes à interrogations. A______, seul actionnaire des deux sociétés précitées, était le seul à pouvoir pallier les carences dans l'organisation de celles-ci, et avait lui-même remis en cause le bienfondé de la créance de CHF 40'000'000.- de [la banque] H______ invoquée au soutien de sa thèse d'une cessation de paiement.

n. Le 1er juillet 2021, le Tribunal de première instance a ordonné la dissolution de B______/1______ SA selon l'art. 321b al. 1bis ch. 3 CO, constatant qu'elle n'avait plus ni administrateur, ni réviseur, ni domicile social, et qu'elle était "apparemment en situation de surendettement".

o. Par jugements non motivés rendus les 23 septembre et 12 novembre 2021, le Tribunal de première instance a ordonné la dissolution de B______/2______ SA, respectivement de B______/3______ SA, et leur liquidation selon les règles applicables à la faillite. Selon les publications y relatives des ______ septembre et ______ novembre 2021 dans la Feuille d'avis officielle (ci-après : FAO), les sociétés précitées étaient "sans siège connu".

p. Le ______ octobre 2021, l'Office des faillites a publié dans la Feuille officielle suisse du commerce (ci-après : FOSC) un avis de suspension de la procédure de faillite de B______/1______ SA, impartissant un délai de dix jours aux créanciers pour en requérir la liquidation et fournir une sûreté de CHF 5'000.- pour les frais qui ne seraient pas couverts par la masse.

q. Le ______ février 2022, l'Office des faillites a publié dans la FOSC l'état de collocation et l'inventaire de B______/1______ SA en impartissant un délai de vingt jours pour contester le premier et de dix jours pour contester le second.

r. Selon un avis paru le ______ mai 2022 dans la FAO, l'Office des faillites a clôturé la faillite de la société précitée en date du ______ mai précédent.

s. Le 21 mars 2023, A______ a déposé plainte pénale contre inconnu, notamment des chefs de gestion fautive (art. 165 CP), de violation de l'obligation de tenir une comptabilité (art. 166 CP) et de violation des obligations sur la tenue de listes et registres (art. 327a CP).

Les personnes impliquées dans la gestion de B______/1______ SA, B______/3______ SA et B______/2______ SA avaient omis de procéder à l'avis de surendettement tout en ne mettant pas en place les mesures d'assainissement nécessaires. Les représentants de C______ LTD, en particulier D______ et I______, avaient également tenté de contraindre le management de B______/3______ SA, ses employés et sa clientèle à investir dans un fonds luxembourgeois opaque, utilisé par C______ LTD pour financer ses propres investissements en private equity dans des fintech. Ces dernières s'étaient révélées appartenir à C______ LTD, ce qui constituait un important conflit d'intérêts, dont les clients de B______ n'étaient pas informés.

Les représentants de C______ LTD au sein des conseils d'administration des sociétés précitées avaient comptabilisé de façon irrégulière des postes de bilan – dont la structure minimale n'avait pas été respectée – relatifs à l'exercice 2019. Un poste "Financial assets" avait été valorisé à hauteur de CHF 545'151.- pour B______/3______ SA alors que cette dernière n'avait obtenu gain de cause dans aucun des litiges y relatifs et était tombée en faillite deux ans après, sans avoir constitué de provisions suffisantes. Par ailleurs, trois demandes auraient été déposées en 2020 contre des clients pour des commissions impayées à hauteur de CHF 300'000.-, démarches qui n'avaient pas rencontré de succès vu la faillite. Par ailleurs, "tout laissait à penser" que C______ LTD avait tenté, en vain, de se substituer à B______/3______ SA dans le cadre des litiges précités pour s'approprier des valeurs appartenant à cette dernière. S'agissant de la comptabilité de B______/2______ SA, un solde positif de CHF 763'970.-, inscrit sous le libellé "other short-term receivables", comprenait des créances infondées contre lui pour CHF 429'521.- et contre un tiers pour CHF 170'798.-.

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public retient qu'en sa qualité d'actionnaire, A______ n'était pas titulaire du bien juridique protégé par les art. 165 et 166 CP, lequel représentait le patrimoine des créanciers de la société tombée en faillite et non celui de cette dernière. En revanche, sa qualité de partie plaignante était admise s'agissant des art. 325 et 327a CP. Sur le fond, les éléments constitutifs des art. 165 et 166 CP – qui ne se confondaient pas avec les conditions de dissolution d'une société pour carence dans l'organisation au sens de l'art. 731b al. 1 CO – faisaient défaut. S'agissant de l'art. 325 CP, il n'était guère possible de déterminer si les mis en cause – dont les sociétés étaient alors en litige avec le plaignant, qui les avait administrées jusqu'en novembre 2019, pour obtenir des documents comptables – disposaient des éléments nécessaires à l'établissement d'une comptabilité régulière en 2019. Dans la mesure où rien ne permettait de privilégier une version plutôt qu'une autre ni d'établir avec certitude les faits, la culpabilité des administrateurs ne pouvait être prouvée. Pour l'exercice 2020, il ressortait des échanges de courriels entre le plaignant et J______ SARL que D______, G______ et F______ n'avaient pas transmis les renseignements nécessaires à cette dernière société pour établir la comptabilité de l'exercice 2020. Toutefois, dès lors que leurs pouvoirs d'administrateurs avaient été radiés le ______ février 2021, soit quatre mois avant l'échéance du délai prescrit par l'art. 958 al. 3 CO pour établir et soumettre le rapport de gestion, aucune infraction à l'art. 325 CP ne pouvait être retenue. Enfin, aucun élément ne laissait supposer que le registre des actions ou la liste des ayants droit économiques n'avaient pas été tenus. Le jugement rendu le 1er juillet 2021, par lequel le Tribunal de première instance avait ordonné la dissolution et la liquidation de B______/1______ SA, n'en faisait notamment pas mention. Le litige entre le plaignant et D______, laquelle n'aurait pas transmis au premier le registre des actions des sociétés précitées, portait sur une demande de consultation de documents sociaux, ce qui relevait du droit de la société anonyme et avait donc une nature purement civile.

D. a. Dans son recours du 24 juillet 2023 et son complément du 2 août suivant, A______ expose être créancier de B______/1______ SA à hauteur de CHF 39'500.- au titre d'un contrat de licence du 23 juillet 2015, de B______/2______ SA à hauteur de CHF 195'000.- fondée sur ledit contrat de licence, et de B______/3______ SA à hauteur de CHF 156'000.- au titre d'un autre contrat de licence du 22 juillet 2015. Partant, il était titulaire du bien juridique protégé par les art. 165 et 166 CP. B______/1______ SA avait certes été liquidée en application de l'art. 731b al. 1bis ch. 3 CO, mais le Tribunal de première instance avait rappelé l'existence d'un courrier du 31 mars 2021 faisant état d'indices de surendettement et d'un avis de surendettement du 26 juin 2021. Au vu de cet avis, les éléments constitutifs des art. 165 et 166 CP étaient réalisés et l'Office des poursuites était tenu d'informer sans délai le Tribunal de première instance afin que ce dernier prononce la faillite de la société. Or, cela n'avait pas été fait, ce qui engageait la responsabilité de l'État de Genève. S'agissant de la tenue de la comptabilité pour l'exercice 2019, les documents financiers émis par les représentants de C______ LTD au conseil d'administration du groupe ne correspondaient pas à la "structure comptable" en place. De plus, la requête de mesures provisionnelles qui avait été déposée contre lui avait finalement été retirée, ce qui montrait son absence de fondement. En ce qui concernait l'exercice 2020, le délai fixé à l'art. 958 al. 3 CO était dénué de pertinence, dès lors qu'une comptabilité devait être tenue régulièrement tout au long de l'exercice comptable concerné. Enfin, le Ministère public n'avait engagé aucun acte d'enquête relatif à l'art. 327a let. a CP, sans qu'on pût d'emblée exclure une infraction à cette disposition, de sorte qu'il avait violé l'art. 310 al. 1 CPP.

b. Le Ministère public conclut, avec suite de frais, à l'irrecevabilité du recours, en tant qu'il porte sur les fautes de gestion au sein du groupe B______, et à son rejet pour le surplus. Il fait valoir que A______ n'avait pas établi ni rendu vraisemblables les créances alléguées – toutes frappées d'opposition – contre les trois sociétés du groupe B______. Celle contre B______/1______ SA n'avait pas été admise à l'état de collocation tandis que les requêtes de faillite sans poursuite préalable déposées par l'intéressé contre B______/2______ SA et B______/3______ SA sur la base des créances alléguées avaient été rejetées par le Tribunal de première instance, qui ne les avait pas tenues pour établies. Les fautes de gestion alléguées ne remplissaient donc pas les conditions objectives de punissabilité des art. 165 et 166 CP. La dissolution et la liquidation d'une société ordonnée selon l'art. 731b al. 1bis ch. 3 CO n'impliquaient pas une infraction dans la faillite au sens des art. 163 ss CP. Or, les jugements du Tribunal de première instance ordonnant la dissolution et la liquidation des trois sociétés du groupe se fondaient sur l'art. 731b al. 1bis ch. 3 CO et non l'art. 731b al. 4 CO (actifs insuffisants pour couvrir les dettes).

Par ailleurs, concernant la tenue de la comptabilité pour l'exercice 2019, le retrait de la requête de mesures provisionnelles et superprovisionnelles du 8 octobre 2019 n'impliquait pas que celle-ci fût fallacieuse, dès lors qu'il était intervenu en raison de la démission de A______ du conseil d'administration, soit un motif opportun. De plus, le contexte hautement conflictuel ayant opposé les protagonistes imposait de considérer leurs allégations avec prudence et aucun élément objectif – même après des actes d'enquête – n'était susceptible de corroborer l'une ou l'autre des versions. Aucun élément au dossier ne permettait en outre de retenir qu'aucune comptabilité n'avait été tenue pour l'exercice 2020, ce d'autant moins que les pouvoirs de D______, G______ et F______ avaient été radiés le ______ février 2021, soit quatre mois avant l'échéance du délai prescrit par l'art. 958 al. 3 CO. Enfin, le litige opposant le recourant à D______ relevait du droit civil, dès lors qu'il avait trait à la consultation de documents sociaux.

c. Dans sa réplique, A______ soutient être créancier de B______/1______ SA et de B______/2______ SA mais n'avoir pas participé aux faillites en raison de la suspension de ces dernières, faute d'actifs, ce qui distinguait le cas d'espèce de celui d'une faillite dans laquelle des créanciers auraient pu produire leurs créances. En effet, dans les cas de B______/1______ SA et de B______/3______ SA, l'Office des faillites et le Tribunal de première instance n'avaient pas agi conformément à la loi : le premier avait omis d'interpeler "proactivement" les créanciers figurant dans le registre des poursuites des sociétés précitées, ce qu'impliquait l'art. 744 al. 1 CO, puis d'informer le second selon l'art. 731b al. 4 CO, qui aurait dû prononcer la faillite. Or, celles de B______/1______ SA et de B______/3______ SA n'avaient pas été formellement ouvertes, de sorte qu'on ne pouvait lui reprocher de n'avoir pas produit ses créances contre B______/1______ SA et B______/2______ SA dans les faillites.

En ce qui concernait l'infraction d'absence de tenue de comptabilité régulière pour les exercices 2019 et 2020, le raisonnement du Ministère public revenait à lui imposer un devoir d'allégation accru. Or, vu leur précision, les faits présentés dans sa plainte justifiaient des investigations, sauf à violer l'art. 310 CPP. Il avait du reste proposé l'audition d'un témoin, K______, collaborateur chez J______ SARL, susceptible de lever les éventuels doutes sur la punissabilité des faits dénoncés.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner d'une personne qui s'est vu refuser la qualité de plaignant, s'agissant de cet aspect de la décision contestée, et du plaignant (art. 104 al. 1 let. b CPP) s'agissant de la décision de non-entrée en matière litigieuse, qui ont qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de l'ordonnance querellée (art. 118 et 382 al. 1 CPP).

2.             Le recourant fait grief au Ministère public de lui avoir dénié la qualité de partie plaignante s'agissant des éventuelles infractions aux art. 165 et 166 CP.

2.1.1. À teneur de l'art. 118 al. 1 CPP, on entend par partie plaignante le lésé qui déclare expressément vouloir participer à la procédure pénale comme demandeur au pénal ou au civil.

La notion de lésé est définie à l'art. 115 CPP. Il s'agit de toute personne dont les droits ont été touchés directement par une infraction (art. 115 al. 1 CPP). En règle générale, seul peut se prévaloir d'une atteinte directe le titulaire du bien juridique protégé par la disposition pénale qui a été enfreinte, ce qui exclut les dommages par ricochet (ATF 143 IV 77 consid. 2.2 ; 141 IV 454 consid. 2.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_857/2017 du 3 avril 2018 consid. 2.1). Les personnes subissant un préjudice indirect n'ont donc pas le statut de lésé et sont des tiers n'ayant pas accès au statut de partie à la procédure (arrêt du Tribunal fédéral 1B_191/2014 du 14 août 2014 consid. 3.1). Ainsi, lorsqu'une infraction contre le patrimoine est perpétrée au détriment d'une personne morale, seule celle-ci subit un dommage et peut donc prétendre à la qualité de lésé, à l'exclusion des actionnaires, des ayants droit économiques et des créanciers, lesquels ne sont considérés comme atteints qu'indirectement, du fait de leur lien avec le titulaire du bien juridique protégé par l'infraction (arrêts du Tribunal fédéral 1B_9/2015 du 23 juin 2015 consid. 2.3.1 et 2.3.2 et 1B_294/2013 du 24 septembre 2013 consid. 2.1 ; L. MOREILLON / A. PAREIN-REYMOND, Code de procédure pénale, Bâle 2013, n. 2 et 3 ad art. 115 ; M. NIGGLI / M. HEER / H. WIPRÄCHTIGER (éds), Strafprozessordnung – Jugendstrafprozessordnung, Basler Kommentar StPO/JStPO, 2e éd., Bâle 2014, n. 28 et 56 ad art. 115).

2.1.2. Le bien juridique protégé par les infractions en matière de faillite selon les art. 163 ss CP est le patrimoine des créanciers de la masse en faillite (cf. art. 121 al. 2 CPP en relation avec l’art. 197 LP). Les actionnaires et ayants droit économiques ne sont qu’indirectement touchés par les infractions en matière de faillite, à moins qu’ils n’aient en même temps la qualité de créancier de la masse en faillite (ATF
148 IV 170 consid. 3.4.1). Plus précisément, les infractions des art. 163 ss CP protègent le droit du créancier de saisir et de se satisfaire au moyen du patrimoine du débiteur lors de l’exécution forcée. Ces dispositions ne protègent ainsi même pas la prétention d’un créancier en tant que telle, mais exclusivement son droit de saisir et de se satisfaire au moyen du patrimoine du débiteur lors de l’exécution forcée (ATF 148 IV 170 consid. 3.4.6 ; 106 IV 31 consid. 4a).

S'agissant d'une éventuelle violation de l'obligation d'aviser le juge civil en cas de surendettement, les actionnaires et créanciers ne sont lésés que de manière indirecte, c'est-à-dire en raison de l'insolvabilité de la société (ATF 141 III 112 consid. 5.2.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_418/2022 du 17 janvier 2023 consid. 3.2).

2.2. En l'espèce, la dissolution des trois sociétés du groupe B______ a été prononcée les ______ juillet, ______ septembre et ______ novembre 2021 et leur liquidation ordonnée selon les règles applicables à la faillite. Si le recourant soutient certes être créancier des sociétés précitées, il n'allègue pas participer à des procédures d'exécution forcée les concernant. Or, les dispositions qu'il invoque protègent la possibilité pour le créancier de se satisfaire sur la masse en faillite, mais non sa créance en tant que telle. Dès lors, la question de savoir si la faillite des sociétés du groupe a été formellement prononcée, voire celle du caractère fondé des créances invoquées, sont, en l'espèce, dépourvues de pertinence, puisque l'intérêt protégé par les art. 165 et 166 CP ne se confond pas avec la créance en tant que telle. Ces dispositions ne le protègent pas non plus en sa qualité d'actionnaire, conformément à la jurisprudence évoquée ci-avant.

En outre, le recourant – qui considère pourtant avoir été privé de produire ses créances dans le cadre des procédures de liquidation des sociétés du groupe – n'allègue pas avoir contesté l'éventuelle conformité des procédures menées par l'Office des faillites et le Tribunal de première instance avec les règles de la LP. Partant, compte tenu de sa non-participation aux procédures d'exécution forcée, il ne peut plus se prévaloir d'un intérêt juridiquement protégé à la condamnation des mis en cause pour infraction aux art. 165 et 166 CP.

Il s'ensuit que le recourant ne revêt pas la qualité de lésé au sens de l'art. 115 CPP, s'agissant des infractions aux art. 165 et 166 CP.

Au vu de ce qui précède, c’est sans violer l'art. 115 CPP que le Ministère public lui a refusé la qualité de partie plaignante.

3.             Le recourant reproche au Ministère public de n'être pas entré en matière sur les infractions aux art. 325 et 327a CP.

3.1. Le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis (art. 310 al. 1 let. a CPP).

Conformément à cette disposition, la non-entrée en matière est justifiée lorsque la situation est claire sur le plan factuel et juridique. Tel est le cas lorsque les faits visés ne sont manifestement pas punissables, faute, de manière certaine, de réaliser les éléments constitutifs d'une infraction, ou encore lorsque les conditions à l'ouverture de l'action pénale font clairement défaut. Au stade de la non-entrée en matière, on ne peut admettre que les éléments constitutifs d'une infraction ne sont manifestement pas réalisés que lorsqu'il n'existe pas de soupçon suffisant conduisant à considérer un comportement punissable ou lorsqu'un éventuel soupçon initial s'est entièrement dissipé. En revanche, si le rapport de police, la dénonciation ou les propres constatations du ministère public amènent à retenir l'existence d'un soupçon suffisant, il incombe en principe à ce dernier d'ouvrir une instruction (art. 309 al. 1 let. a CPP). Cela implique que les indices de la commission d'une infraction soient importants et de nature concrète, ce qui n'est pas le cas de rumeurs ou de suppositions. Le soupçon initial doit reposer sur une base factuelle plausible, laissant apparaître la possibilité concrète qu'une infraction ait été commise (ATF 141 IV 87 consid. 1.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_196/2020 du 14 octobre 2020 consid. 3.1). Dans le doute, lorsque les conditions d'une non-entrée en matière ne sont pas réalisées avec une certitude absolue, l'instruction doit être ouverte (arrêt 6B_196/2020 précité ; ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1 ; ATF 138 IV 86 consid. 4.1).

3.2.1. À teneur de l'art. 325 CP, quiconque, intentionnellement ou par négligence, aura contrevenu à l'obligation légale de tenir une comptabilité régulière ou à celle de conserver ses livres, lettres et télégrammes d'affaires, sera puni de l'amende.

L'art. 325 CP sanctionne l'inobservation des prescriptions légales sur la comptabilité des art. 957 ss CO. Subsidiaire à l'art. 166 CP, il n'implique pas la faillite de l'auteur ou un acte de défaut de biens à son encontre. L'obligation de tenir une comptabilité et de dresser un bilan sert tant à informer l'entreprise elle-même que les créanciers qui ont accordé des crédits. Si la situation patrimoniale d'une société ne peut pas être établie, parce qu'il n'existe pas de bilan ou un bilan défectueux, sont mis en danger les intérêts financiers des personnes précitées, mais aussi, selon les circonstances, le déroulement des procédures de poursuite et faillite ainsi que la sauvegarde des preuves (arrêt du Tribunal fédéral 6B/1185/2019 du 13 janvier 2020 consid. 2.2).

Selon l'art. 958 al. 2 et 3 CO, les comptes sont présentés dans le rapport de gestion (al. 2, 1ère phrase), lequel est établi et soumis dans les six mois qui suivent la fin de l'exercice à l'organe ou aux personnes qui ont la compétence de l'approuver (al. 3).

3.2.2. L'art. 327a let. a CP punit de l'amende quiconque intentionnellement, ne tient pas conformément aux prescriptions, pour une société anonyme, le registre des actions au sens de l’art. 686, al. 1 à 3 et 5, du code des obligations ou la liste des ayants droit économiques des actions au sens de l’art. 697l du code des obligations, ou viole les obligations du droit des sociétés y relatives.

3.3. En l'espèce, compte tenu du litige civil entre les sociétés du groupe B______ et le recourant portant sur l'accès aux documents comptables desdites sociétés, il n'est pas établi que les mis en cause eussent disposé des documents nécessaires pour établir les comptes de l'exercice 2019. Contrairement à ce qu'allègue le recourant, le retrait ultérieur de la requête déposée contre lui par les mis en cause et la mise à la charge des sociétés requérantes des frais de la procédure civile n'impliquent pas l'absence de tout fondement de ladite requête. À cet égard, le recourant a occupé la fonction d'administrateur des sociétés du groupe jusqu'en novembre 2019. Or, contrairement aux mis en cause, il était impliqué de longue date dans ces dernières, de sorte qu'il était, jusqu'à cette date, le membre du conseil d'administration le mieux renseigné sur la situation du groupe et sa gestion comptable.

En ce qui concerne l'exercice 2020, force est de constater que les mis en cause n'étaient, à l'échéance du délai légal pour l'établissement des comptes annuels, plus administrateurs des sociétés du groupe depuis près de quatre mois. Le recourant se contente d'alléguer des manquements des précités "tout au long" de l'exercice 2020, sans en étayer la nature, hormis le fait que l'organe de révision n'aurait pas reçu les documents à auditer pour l'exercice concerné. Rien ne permet toutefois de retenir que de tels documents n'auraient pas pu être fournis dans les semaines, voire les mois, suivant leur départ du conseil d'administration. Partant, sous l'angle pénal, ils ne peuvent être tenus pour responsables d'un quelconque manquement à leurs devoirs d'établir les comptes annuels ultérieurs, soit de l'exercice 2020.

Le recourant allègue encore que les mis en cause n'auraient pas accédé à sa requête visant à obtenir le registre des actions et la liste des ayant droits économiques des sociétés du groupe. Comme l'a retenu le Ministère public, cela n'implique pas l'absence desdits registres et encore moins le caractère pénal d'une telle omission.

Enfin, ni l'art. 325 CP ni l'art. 327a CP ne répriment la négligence. Or, le recourant impute lui-même, dans sa procédure, les omissions des mis en cause à leur "incurie" dans la gestion des sociétés. Partant, l'élément subjectif des infractions précitées ferait de toute façon défaut.

4.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.

5.             Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 1'800.- pour l'instance de recours (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, fixés en totalité à CHF 1'800.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt, en copie, à A______, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière.

 

La greffière :

Olivia SOBRINO

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/6472/2023

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'715.00

- demande sur récusation (let. b)

CHF

Total

CHF

1'800.00