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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/17671/2014

ACPR/33/2024 du 19.01.2024 sur OCL/963/2023 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : CLASSEMENT DE LA PROCÉDURE;DOMICILE À L'ÉTRANGER;MANDAT D'ARRÊT
Normes : CPP.319.al1.letd; CPP.207; CPP.148

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/17671/2014 ACPR/33/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du vendredi 19 janvier 2024

 

Entre

A______, B______, C______, D______, E______, F______, G______, H______, I______, J______ et K______, représentés par Me Ana KRISAFI REXHA, avocate, boulevard des Tranchées 36, 1206 Genève,

recourants,

contre l'ordonnance de classement rendue le 4 juillet 2023 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.

 


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 17 juillet 2023, A______, B______, C______, D______, E______, F______, G______, H______, I______, J______ et K______ (ci-après : les onze prénommés/plaignants) recourent contre l'ordonnance du 4 précédent, notifiée le lendemain, à teneur de laquelle le Ministère public a classé la procédure dirigée contre L______ des chefs d'escroquerie (art. 146 CP) et faux dans les titres (art. 251 CP).

Ils concluent à l'annulation de cette décision, la cause devant être retournée au Procureur pour mise en accusation du prévenu "et éventuellement la réquisition de l'entraide avec la Malaisie".

b. Les recourants ont versé les sûretés en CHF 3'000.- qui leur étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.a. Une procédure pénale est ouverte, depuis fin 2015, contre M______ et L______, ressortissants suisses, pour infractions aux art. 146 et 251 CP.

Il leur est reproché d'avoir, entre les printemps 2013 et 2016, en leur qualité d'administrateurs de N______ AG, directement ou par l'intermédiaire d'employés de cette société, astucieusement amené, au moyen de faux renseignements et documents, une centaine d'investisseurs à souscrire des actions de la précitée, alors que ces titres étaient dénués de valeur.

a.b. Le 16 novembre 2018, douze de ces investisseurs se sont constitués parties plaignantes, chiffrant leur dommage à CHF 1'791'000.-. Parmi ceux-ci, figurent les onze prénommés.

b. Entendu par le Procureur en qualité de prévenu, M______ a contesté tout acte pénalement répréhensible.

c.a. L______ n'a pas été auditionné.

Selon la base de données de l'Office cantonal de la population, il a quitté la Suisse le 26 juin 2014, à destination de O______, en Malaisie.

c.b. M______ a exposé être toujours en contact avec L______, lequel vivait dans le pays étranger précité avec son épouse; jusqu'en 2020, l'intéressé se déplaçait en Suisse à raison d'une fois par an environ; depuis lors, il n'y venait toutefois "quasiment plus".

Le 4 février 2022, M______ a communiqué au Ministère public l'adresse exacte de son présumé comparse en Malaisie.

c.c. D'après le Procureur, la présente cause "concerne des faits connexes à une autre procédure[,] instruite (…) sous le numéro P/1______/2014[,] dans le cadre de laquelle L______, qui avait alors un domicile élu en Suisse, ne s'[était] volontairement pas présenté à plusieurs audiences auxquelles il avait été convoqué".

d.a. Par ordonnance pénale du 5 janvier 2023, le Ministère public a déclaré M______ coupable de complicité d'escroquerie et faux dans les titres.

Les onze plaignants ont fait opposition à cette ordonnance, au motif, notamment, que le prévenu avait agi par métier.

d.b.a. Le 22 mai 2023, le Procureur a informé les parties que la procédure serait classée à l'égard de L______, en raison de son domicile en Malaisie, État avec lequel l'entraide était qualifiée de "très difficile" par l'Office fédéral de la justice (ci-après : OFJ).

d.b.b. Les onze plaignants se sont opposés à cette issue, requérant du Ministère public, d'une part, qu'il adresse une commission rogatoire aux autorités malaisiennes afin d'entendre le prévenu et, d'autre part, qu'il prenne, à l'égard de ce dernier, toutes mesures susceptibles de l'inciter à collaborer avec la justice helvétique, telle que la révocation de ses documents d'identité suisse.

C. Dans sa décision déférée, le Ministère public a considéré que l'envoi d'une commission rogatoire en Malaisie n’avait que peu de chances d'aboutir. Il n'y avait donc pas lieu de donner suite à la réquisition de preuve des plaignants.

Sur le fond, les actes imputés à L______ pourraient être constitutifs d'infractions aux art. 146 et 251 CP [sans autres développements]. Cela étant, l'intéressé vivait à l'étranger et avait démontré, dans le cadre de la procédure connexe susvisée, qu'il n'entendait point déférer aux convocations à lui adressées; par ailleurs, la mise en œuvre de l'entraide avec la Malaisie serait disproportionnée, "au vu notamment des faibles chances de succès". L'existence d'un empêchement de procéder devait, dès lors, être constatée (art. 319 al. 1 let. d CPP).

D. a. À l'appui de leur acte, les recourants contestent que les conditions pour le prononcé d'un classement soient réunies. L'audition de L______ demeurait envisageable, que ce soit en Malaisie – via une demande d'entraide, démarche qui, si elle était qualifiée de "très difficile" par l'OFJ, n'en demeurait pas moins possible – ou en Suisse – acte d'instruction qui impliquerait la délivrance, préalable, de mandat(s) d'amener et/ou d'arrêt international contre le prénommé, à charge pour le Procureur d'ordonner cette/ces mesure(s) –.

De plus, le Ministère public avait commis un déni de justice, en s'étant abstenu, pendant près de dix ans, de localiser, puis d'entendre, le prénommé.

b. Invité à se déterminer, le Procureur persiste dans les termes de sa décision.

c. Les recourants n'ont pas répliqué.

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours formé contre la décision de classement est recevable pour avoir été déposé selon la forme (art. 385 al. 1 CPP) et dans le délai (art. 90 al. 2 cum 396 al. 1 CPP) prescrits, concerner une ordonnance sujette à contestation auprès de la Chambre de céans (art. 322 al. 2 cum 393 al. 1 let. a CPP) et émaner des plaignants qui, parties à la procédure (art. 104 al. 1 let.  b CPP), ont qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé (art. 382 CPP) à voir poursuivre les infractions commises, selon eux, au préjudice de leur patrimoine (art. 115 CPP; arrêt du Tribunal fédéral 6B_588/2022 du 8 mai 2023 consid. 2.1.2 [en lien avec l'art. 251 CP]).

1.2. Le grief tiré de la commission, par le Ministère public, d'un déni de justice est, en revanche, irrecevable, faute pour les recourants d'avoir formulé, dans leur acte, une conclusion en constatation de ce déni, respectivement d'y avoir allégué, pièces à l'appui, qu'ils auraient enjoint, mais en vain, au Ministère public, avant l’avis de prochaine clôture, d'agir dans le sens souhaité – l'absence d'une telle démarche excluant d'emblée qu’ils puissent invoquer avec succès ce grief (arrêt du Tribunal fédéral 6B_642/2018 du 16 août 2018 consid. 2.2 in fine), dont ils n'ont, en conséquence, pas d’intérêt (art. 382 CPP) à se prévaloir –.

2. Les recourants contestent que les conditions de l'art. 319 al. 1 let. d CPP soient réunies.

2.1. À teneur de cette disposition, la cause doit être classée lorsque des empêchements de procéder sont apparus.

2.1.1. Ces empêchements doivent être définitifs. Il faut être certain que l'action pénale ne pourra pas/plus se poursuivre (ACPR/497/2022 du 26 juillet 2022, consid. 7.1.1; L. MOREILLON/ A. PAREIN-REYMOND, Petit commentaire du CPP, 2ème éd., Bâle 2016, n. 17 ad art. 319).

L’on citera, à titre d’exemple, le décès du prévenu (arrêt du Tribunal fédéral 6B_467/2016 du 14 juin 2017 consid.2.2), le respect du principe ne bis in idem (ACPR/309/2020 du 15 mai 2020, consid. 3.2) ou encore la prescription des infractions en cause (ATF 146 IV 68 consid. 2.1).

2.1.2. En revanche, des difficultés matérielles liées à l'instruction ne tombent point sous le coup de l'art. 319 al. 1 let. d CPP (ACPR/497/2022 précité et ACPR/811/2019 du 21 octobre 2019, consid. 2.2).

Il a ainsi été jugé, dans des affaires où l'entraide avec certains pays était qualifiée, par l'OFJ, de difficile (Émirats Arabes Unis), voire de très difficile (Arabie Saoudite), qu'un tel motif ne justifiait pas, en lui-même, le prononcé d’un classement (ACPR/824/2020 du 17 novembre 2020, consid. 4.2 in fine et ACPR/592/2016 du 16 septembre 2016, consid. 4.3 in fine).

2.2. Le renvoi en jugement d'un prévenu est exclu quand ce dernier n'a pas eu (suffisamment) l'occasion de s'exprimer sur les faits qui lui sont reprochés (art. 366 al. 4 let. a CPP; Y. JEANNERET/ A. KUHN/ C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 36 et 38 ad art. 366; L. MOREILLON/ A. PAREIN-REYMOND, op.cit., n. 16, 17 et 20 ad art. 366).

2.3. En l'espèce, les charges imputées à L______ (ci-après : le prévenu) sont graves – l'intéressé étant soupçonné d'avoir escroqué une centaine d'investisseurs – et le préjudice occasionné aux recourants, élevé (soit plus de CHF 1.7 millions).

Le prénommé, qui réside en Malaisie depuis 2014, ne s'est, à ce jour, pas prononcé sur celles-là, ni n'a été enjoint, d'une manière ou d'une autre, de le faire.

D'après le Ministère public, la perspective d'entendre le prévenu serait d'emblée vaine, de sorte qu'il se justifierait d’y renoncer et de classer la procédure à son égard.

Cette approche est infondée à un double titre.

2.3.1. Premièrement, la possibilité d'auditionner le prévenu demeure envisageable, à ce stade.

En effet, la délivrance à tout le moins d'un mandat d'amener contre lui (art. 207 CPP) – de façon à pouvoir l'interpeller à la frontière helvétique –, respectivement d'un mandat avec extension internationale, pourraient permettre de procéder à un tel acte d'instruction, puis éventuellement de juger l'intéressé, en Suisse.

Une audition en Malaisie, via une commission rogatoire (art. 148 al. 1 CPP), est aussi concevable, dès lors que le Procureur dispose de l'adresse, sur place, du prévenu et que rien n'atteste que ce dernier ne déférera pas à une convocation destinée à l'interroger dans son pays de résidence.

Certes, l'OFJ qualifie de "très difficile" l'entraide avec cet État (cf. https://www.rhf.admin.ch/rhf/fr/home/rechtshilfefuehrer/laenderindex.html); celle-ci n'est toutefois pas impossible – ce d’autant que les autorités malaisiennes appliquent elles-mêmes ce mécanisme, ayant saisi la justice helvétique, en plusieurs occasions, de demandes d’entraide (voir notamment les arrêts rendus par le Tribunal pénal fédéral dans les causes RR.2021.38 et RR.2018.27 28) –. La Chambre de céans a déjà eu l'occasion de statuer en ce sens dans des situations similaires (cf. consid. 2.1.2 supra).

2.3.2. Secondement, des difficultés matérielles liées à l'instruction ne peuvent justifier le prononcé d'un classement en application de l'art. 319 al. 1 let. d CPP, conformément aux développements sus-exposés.

2.4. À cette aune, le recours contre la décision déférée s’avère fondé.

Le classement entrepris sera, en conséquence, annulé et la cause renvoyée au Ministère public pour qu'il entende le prévenu ou, à tout le moins, tente de le faire, via l'une et/ou l'autre des mesures susmentionnées, à charge pour lui de mettre en œuvre celle(s) qu'il estimera la/les plus appropriée(s).

3. 3.1. L'admission partielle du recours – le grief tiré de la commission, par le Procureur, d'un déni de justice ayant été déclaré irrecevable – ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 4 CPP).

Les sûretés en CHF 3'000.- versés par les plaignants leur seront donc restituées.

3.2. Bien que représentés par une avocate, ces derniers n'ont pas chiffré ni justifié de prétentions en indemnité (art. 433 al. 2 cum 436 al. 1 CPP), de sorte qu'il ne leur en sera point alloué (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1345/2016 du 30 novembre 2017 consid. 7.2).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Admet le recours, dans la mesure de sa recevabilité.

Annule la décision de classement querellée et renvoie la cause au Ministère public pour qu'il procède dans le sens des considérants.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Invite les Services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer à A______, B______, C______, D______, E______, F______, G______, H______, I______, J______ et K______ l'avance de frais qu'ils ont effectuée en CHF 3'000.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, aux précités, soit pour eux leur conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et
Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).