Aller au contenu principal

Décisions | Chambre pénale de recours

1 resultats
P/14806/2023

ACPR/32/2024 du 19.01.2024 sur ONMMP/3716/2023 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : DÉCISION D'IRRECEVABILITÉ;DÉNONCIATION CALOMNIEUSE;INFRACTIONS CONTRE L'ADMINISTRATION DE LA JUSTICE;INTENTION
Normes : CPP.310; CP.303

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/14806/2023 ACPR/32/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du vendredi 19 janvier 2024

 

Entre

A______, domicilié ______, représenté par Me Laurent STRAWSON, avocat, rue De-Beaumont 3, case postale 24, 1211 Genève 12,

recourant,


contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 21 septembre 2023 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte déposé le 5 octobre 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 21 septembre 2023, notifiée le 25 suivant, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur sa plainte.

Le recourant conclut, avec suite de frais et dépens, à l'annulation de ladite ordonnance et au renvoi de la cause au Ministère public pour qu'il ouvre une instruction.

b. Le recourant a versé les sûretés en CHF 1'500.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 4 janvier 2022, B______ a déposé plainte contre A______ pour escroquerie.

Alors qu'elle cherchait à obtenir des revenus supplémentaires, le prénommé, qu'elle considérait comme une "connaissance", lui avait proposé d'investir dans la société C______ SA, dont il était administrateur. Sur la base de contrats de prêt et sans en connaître la destination, elle avait remis à ladite société un montant total de CHF 4.4 millions, en contrepartie d'un rendement annuel, de versements d'intérêts, et, pour garantir son capital, de quatre cédules hypothécaires grevées sur des propriétés appartenant à A______. Par la suite, "prise de doute", elle avait fait appel à un avocat, qui avait émis des réserves sur les capacités financières de A______ et C______ SA. Après vérifications, il s'était avéré que ces derniers étaient "couverts de poursuites". Malgré ses demandes, A______ avait refusé de lui fournir les bilans de la société et l'estimation des maisons visées par les cédules hypothécaires. Elle avait résilié le prêt pour la prochaine échéance et demandé le remboursement intégral du capital investi. Des discussions avaient eu lieu mais aucun accord n'avait été trouvé. Après l'échéance du contrat de prêt, elle n'avait perçu au total que CHF 90'000.-.

B______ avait cédé à D______ SA, société active dans le financement de procédures judiciaires civiles, sa créance à l'encontre de C______ SA.

Cette plainte ne figure pas au dossier à disposition de la Chambre de céans, mais le contenu précité ressort notamment de l'arrêt ACPR/319/2023, du 4 mai 2023, rendu subséquemment, lequel a été produit dans la présente procédure (cf. let. B. d.b. infra)

b. À la suite de cette plainte, le Ministère public a ouvert une instruction contre A______ pour escroquerie et abus de confiance.

c. Dans ce cadre, A______ a expliqué que l'argent avait été investi et qu'à la résiliation du contrat de prêt, il s'était organisé pour rembourser B______ mais que le moment venu, cette dernière avait donné son accord afin que son capital soit finalement réinvesti, en contrepartie d'intérêts. Il avait versé les intérêts mensuels convenus jusqu'à ce que B______ "mette aux poursuites" C______ SA. Il ne perdait pas pour autant la volonté de rembourser le capital. Les liquidités de la société ne lui permettaient pas encore de le faire mais il disposait de biens immobiliers en cours de vente.

d.a. Par ordonnance du 20 janvier 2023, le Ministère public a classé la procédure.

Les infractions d'escroquerie et d'abus de confiance n'étaient pas réalisées faute, d'une part, de tromperie astucieuse, et d'autre part, de but clairement prédéfini du prêt, de sorte que A______ n'avait aucune obligation de conserver la contre-valeur du capital.

d.b. À la suite du recours déposé par B______, la Chambre de céans a, par arrêt du 4 mai 2023 (ACPR/319/2023), confirmé le classement.

e. Le 10 juillet 2023, A______ a déposé plainte contre B______ pour dénonciation calomnieuse.

Il a expliqué que les faits reprochés dans la plainte déposée à son encontre étaient dénués de tout fondement. La prénommée n'était pas la dupe qu'elle prétendait être. Avant les prêts octroyés, il avait expliqué à B______ de manière détaillée ses activités et l'état d'avancement de ses projets immobiliers, documents à l'appui et visite sur place. En réalité, le seul objectif de la plainte était de lui nuire, objectif "largement" atteint, dès lors que depuis, les institutions bancaires contactés par le Ministère public, en particulier, [la banque] E______, avec lesquelles l'une de ses sociétés et lui-même entretenaient des relations d'affaires et privés, avaient résilié leurs différentes relations et que [la banque] F______ avait augmenté son crédit hypothécaire et l'avait informé, oralement, de la résiliation prochaine de leur relation. En outre, la volonté de nuire de B______ était corroborée par le fait qu'elle n'était plus titulaire de la créance litigieuse au moment du dépôt de la plainte à son encontre. Elle n'avait alors aucun intérêt à agir sauf à vouloir lui porter atteinte.

f. Par courrier du 15 septembre 2023, B______ a expliqué que le dépôt de sa plainte était uniquement dicté par la volonté de défendre au mieux ses intérêts.

Elle a en outre expliqué – se référant aux arguments développés dans son recours contre l'ordonnance de classement (let. B. d. supra) – que, s'agissant des infractions dénoncées, de nombreux indices laissaient à penser que A______ n'avait, en réalité, jamais eu l'intention de la rembourser. En effet, bien qu'au moment de la résiliation des contrats de prêt, la trésorerie de C______ SA bénéficiait vraisemblablement des fonds suffisants, ces derniers avaient été transférés sur des comptes personnels de A______ et, au lieu de la rembourser, le prénommé avait proposé de ne lui verser qu'une partie de la somme et d'établir un nouveau contrat de prêt. Il avait déjà agi de cette manière auparavant, raison pour laquelle elle avait consenti au 2ème prêt. Il y avait donc lieu de soupçonner que A______ entendait perpétuer les prêts consentis, sans rendre la somme réclamée.

En outre, les démarches entreprises auparavant, soit les visites des biens immobiliers, qui n'appartenaient pas forcément à C______ SA, étaient de nature à la conforter, d'une part, sur "les capacités de remboursement de A______" alors que seule C______ SA était sa débitrice, et d'autre part, sur la santé financière de celle-ci et de la dissuader de demander plus d'informations.

Enfin, elle ne possédait pas de connaissances spécifiques ni d'expérience utile dans le domaine bancaire ou immobilier et il y avait lieu de soupçonner que A______ en avait sciemment profité. De plus, à l'époque, elle se trouvait dans une situation de "détresse" en lien avec la santé de son père – blessure à la hanche – et n'était pas en état de procéder aux vérifications dictées par les circonstances.

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public a relevé que A______ n'avait pas précisé quels étaient les éléments factuels erronés dans la plainte de B______. Dans cette dernière, B______ avait déclaré "déposer plainte contre A______ pour escroquerie", décrit de manière détaillée les faits reprochés et remis les pièces illustrant ses propos. Ensuite, la procédure avait été classée au motif que les faits dénoncés n'étaient pas constitutifs d'une infraction, de sorte qu'en l'absence de la condition "portant sur la commission d'une infraction", aucune dénonciation calomnieuse n'était réalisée.

D. a. Dans son recours, A______ considère que B______ avait clairement indiqué, dans sa plainte et dans son recours, qu'il lui aurait dissimulé un certain nombre de faits essentiels et qu'elle aurait été trompée, ce qui l'aurait conduite à consentir au prêt litigieux. Or, si les faits dénoncés avaient été avérés, ils auraient pu être constitutifs d'escroquerie. Il était évident que les actes de la prénommée avaient pour seul but de lui porter préjudice, sachant pertinemment que les faits reprochés n'étaient pas constitutifs d'une infraction pénale mais étaient d'ordre civil exclusivement. D'ailleurs, ayant cédé sa créance auparavant, elle n'avait aucun intérêt à agir comme elle l'avait fait. Il avait subi un préjudice à ses intérêts dans la mesure où sa société et lui-même étaient dans l'impossibilité d'obtenir des financements bancaires de la part des établissements avec lesquels ils étaient en relation depuis une trentaine d'années.

b. Dans ses observations, le Ministère public conclut au rejet du recours. Même sous l'angle de la tentative, faudrait-il encore que les faits allégués par B______ soient faux et qu'elle le sût et qu'elle avait néanmoins l'intention de faire ouvrir une procédure pénale contre un innocent en toute connaissance de cause. Or, il n'existait aucun indice dans le dossier permettant de conclure que B______ n'était pas intimement convaincue des faits allégués.

c. A______ n'a pas répliqué.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du plaignant qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             2.1. À teneur de l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis.

Au moment de statuer sur l'ouverture éventuelle de l'instruction, le ministère public doit examiner si les conditions d'exercice de l'action publique sont réunies, c'est-à-dire si les faits qui sont portés à sa connaissance sont constitutifs d'une infraction pénale et si la poursuite est recevable. Il suffit que l'un des éléments constitutifs de l'infraction ne soit manifestement pas réalisé pour que la non-entrée en matière se justifie (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 8 ad art. 310).

2.2. L'art. 303 al. 1 CP réprime notamment du chef de dénonciation calomnieuse quiconque dénonce à l'autorité, comme auteur d'un crime ou d'un délit, une personne qu'il sait innocente, en vue de faire ouvrir contre elle une poursuite pénale.

Sur le plan objectif, une dénonciation est composée de deux éléments soit qu'une dénonciation soit faite et qu'elle fasse porter l'accusation sur une personne innocente. La dénonciation n'est calomnieuse que si la personne mise en cause est innocente, en ce sens qu'elle n'a pas commis les faits qui lui sont faussement imputés, soit parce que ceux-ci ne se sont pas produits, soit parce qu'elle n'en est pas l'auteur. Est "innocent" celui qui a été libéré par un jugement d'acquittement ou par le prononcé d'un classement (arrêt du Tribunal fédéral 6B_483/2020 du 13 octobre 2020 consid. 1.1.1). Une dénonciation pénale n'est pas punissable du seul fait que la procédure pénale ouverte consécutivement à la dénonciation est classée. L'infraction n'est réalisée que si l'innocence de la personne dénoncée a été constatée dans une procédure précédente (ATF 136 IV 170 consid. 2.2).

Sur le plan subjectif, l'auteur doit savoir que la personne qu'il dénonce est innocente. Il ne suffit donc pas qu'il ait conscience que ses allégations pourraient être fausses. Il doit savoir que son affirmation est inexacte. Aussi, le dol éventuel ne suffit pas (ATF 136 IV 170 consid. 2.1). Par ailleurs, l'auteur doit agir en vue de faire ouvrir une poursuite pénale contre la personne qu'il accuse injustement. Le dol éventuel suffit quant à cette intention (arrêt du Tribunal fédéral 6B_324/2015 du 18 janvier 2016 consid. 2.1). L'art. 303 CP n'exige pas tant l'innocence de la personne dénoncée que la connaissance certaine de cette innocence par l'auteur (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1003/2017 du 20 août 2018 consid. 4.2). En l'absence d'aveu, l'élément subjectif se déduit d'une analyse des circonstances permettant de tirer, sur la base des éléments extérieurs, des déductions sur les dispositions intérieures de l'auteur (arrêt du Tribunal fédéral 6B_502/2017 du 16 avril 2018 consid. 2.1).

2.3. En l'espèce, le recourant a certes bénéficié d'une ordonnance de classement, confirmée par la Chambre de céans, des chefs d'escroquerie et d'abus de confiance, mais rendue postérieurement au dépôt de plainte de B______, de sorte qu'on ne saurait retenir pour ce seul motif que cette dernière a voulu dénoncer un innocent.

L'ensemble des éléments au dossier ne permettent pas non plus d'affirmer que la mise en cause avait l'intention de faire ouvrir injustement une procédure pénale contre le recourant. Au vu des faits dénoncés, à savoir : la réalité des montants dus; la présentation de biens immobiliers ayant pour but de la conforter sur les capacités de remboursement du recourant et la santé financière de C______ SA, avant les prêts consentis; le refus de fournir les documents sollicités; et, au moment de la résiliation du contrat de prêt, le transfert de fonds des comptes de C______ SA à ceux du recourant privant ainsi la société de liquidités suffisantes pour la rembourser, il apparaît plutôt que l'intéressée considérait le recourant comme coupable de l'infraction dénoncée – une escroquerie –. Dans ces circonstances, on ne saurait retenir qu'elle avait pour seul but de nuire au recourant, ni délibérément porté une fausse accusation d'escroquerie à son encontre et partant de l'avoir dénoncé calomnieusement. Ce constat ne saurait être modifié par le seul fait qu'au moment du dépôt de sa plainte, B______ avait cédé sa créance à C______ SA.

Partant, l'ordonnance querellée ne prête pas le flanc à la critique.

3.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.

4.             Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 1'500.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'500.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/14806/2023

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

 

- délivrance de copies (let. b)

CHF

 

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'415.00

Total

CHF

1'500.00