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Décisions | Chambre pénale de recours

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PS/126/2023

ACPR/1003/2023 du 28.12.2023 ( RECUSE ) , REJETE

Recours TF déposé le 05.02.2024, rendu le 26.02.2024, RETIRE, 7B_135/2024
Descripteurs : RÉCUSATION;MINISTÈRE PUBLIC;CONDUITE DU PROCÈS
Normes : CPP.56.letf; CPP.58

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

PS/126/2023 ACPR/1003/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 28 décembre 2023

 

Entre

A______, actuellement détenu à la prison de B______, représenté par Me Tano BARTH, avocat, Pont-Rouge Avocats, route des Jeunes 9, 1227 Les Acacias,

requérant,

 

et

C______, Procureur, p.a. Ministère public, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

cité.


EN FAIT :

A. Par courrier reçu le 23 novembre 2023 par le Ministère public, A______ requiert la récusation du Procureur C______, dans le cadre de la procédure P/1______/2023, et à la répétition des actes de procédure auxquels il a participé.

Le Procureur a transmis, le jour suivant, cette requête à la Chambre de céans.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. A______ a été arrêté par la police le 14 septembre 2023.

Il a été placé en détention provisoire par le Tribunal des mesures de contrainte (ci-après : TMC) le 17 septembre jusqu'au 15 décembre 2023, prolongée jusqu'au 15 mars 2024. Sa demande de mise en liberté formée le 20 novembre 2023 a été rejetée par la Chambre de céans le 12 décembre 2023.

b. Il est soupçonné de séquestration et enlèvement (art. 183 ch. 1 et 2 CP), subsidiairement tentative de séquestration et enlèvement (art. 22 cum 183 ch. 1 CP), actes préparatoires délictueux de meurtre (art. 260bis al. 1 let. a CP), pour avoir à Genève, le 14 septembre 2023, vers 19h15, à hauteur du préau de l'école primaire D______, intentionnellement, enlevé l'enfant E______, né le ______ 2020, dans le but de le tuer, étant précisé qu'au moment des faits, la sœur de ce dernier, âgée de 16 ans, n'a pas été en mesure d'empêcher le prévenu de quitter les lieux avec son frère dans ses bras et que c'est grâce à l'intervention d'un témoin que le prévenu a lâché l'enfant, avant de prendre la fuite en courant, non s'en avoir au préalable tenté de frapper ledit témoin. Il lui est en outre reproché d'avoir empêché les policiers de procéder à sa fouille complète, soit un acte entrant dans le cadre de leurs fonctions (art. 286  CP).

c. Il n'a pas pu être auditionné, après son arrestation, en raison de son état psychique. Hospitalisé aux urgences de psychiatrie des HUG, il a été placé à des fins d'assistance du 15 septembre au 5 octobre 2023 à l'Unité F______ de [l'établissement] G______, avant d'être transféré à la prison de B______.

d. C______, Procureur, est en charge de l'instruction de la procédure.

e. Par lettre manuscrite, reçue le 12 octobre 2023 au Ministère public, A______ a expliqué avoir cru que l'enfant était son neveu et qu'il "était enlevé par des personnes étrangères".

f. Entendu le 18 octobre suivant à la police, le prévenu a ajouté avoir pris l'enfant "pour le mettre en sécurité". Lui-même souffrait de schizophrénie et était venu en Suisse, à Genève, pour faire du tourisme.

g. Devant le Ministère public, le lendemain, il a en substance confirmé ses précédentes déclarations. Il avait toutefois constaté – lors de la consultation du dossier – qu'il "y avait plein de choses qui n'allaient pas", notamment que, contrairement à ce que les policiers avaient mentionné, il n’avait pas voulu frapper le témoin, ni tuer l'enfant, précisant avoir crié "Ja Allah", lorsqu'il était au sol et qu'on le frappait. Il a également déclaré que ce qui était retranscrit dans le rapport d'arrestation – au sujet d'une discussion informelle sur des voix qu'il aurait entendues – était faux, étant précisé que "selon la note du Procureur", son conseil a souhaité intervenir à ce moment-là, ce qui lui a été refusé. Enfin, le prévenu a accepté de délier "les médecins français et les médecins suisses" de leur secret médical.

h. Par pli du 15 octobre 2023, A______ a, par l'intermédiaire de son conseil, sollicité le retrait de diverses pièces de la procédure, lesquelles seraient inexploitables car utilisant un "échange informel" avec lui-même, les policiers et la Dre H______ qui l'avait ausculté.

i. Par lettre du 16 octobre 2023, C______ a répondu qu'aucune pièce ne serait retirée de la procédure.

j. Le recours formé le lendemain par A______ contre le refus du Procureur est pendant devant la Chambre de céans, étant précisé que la demande de mesures provisionnelles assortissant ledit recours a été rejetée par la Direction de la procédure le 18 octobre 2023 (OCPR/64/2023).

k. Le 16 novembre 2023, C______ a, en début d'audience, demandé au prévenu "de ne pas intervenir spontanément durant la déposition du premier et du second témoin". La Dre H______ a déclaré être intervenue le soir de l'arrestation, à la demande des policiers, pour "avis médical" sur une personne qualifiée de "dangereuse". Elle se souvenait qu'à son arrivée, le précité était "en train d'être maîtrisé par deux agents de police". À la question du Procureur de savoir si, à ce moment-là, A______ avait "dit concrètement quelque chose", elle a répondu par la négative. Selon la "note du Procureur", ce dernier a demandé à l'avocat du précité, qui voulait intervenir, "de garder pour l'heure le silence". La Dre H______ a ensuite expliqué que le prévenu était un état de stress aigu et présentait des symptômes "d'état psychotique" avec des "hallucinations auditives". Vu son état d'agitation aigu, elle lui avait injecté un neuroleptique et pris la décision de le transférer aux urgences de psychiatrie des Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG). Dans une "note du Procureur" subséquente, il est constaté "que la défense […] a adressé à l'instant un courrier par e-fax durant l'audience". Les avocats ont posé leurs questions après l'audition des témoins et celle du prévenu.

C. a. Dans sa requête, A______ allègue en substance que C______ instruirait seulement à charge, agirait de manière déloyale et ferait preuve d'un parti pris manifeste à son encontre. Le refus du Procureur de retirer de la procédure des pièces à caractère illicite n'avait pas fait l'objet d'une décision motivée. En outre, il s'était référé auxdites pièces lors des audiences des 19 octobre et 16 novembre 2023, se montrant particulièrement déloyal à cette dernière occasion, en orientant l'audition de la Dre H______ "pour l'amener à témoigner sur la preuve inexploitable", empêchant son conseil d'intervenir et le forçant ainsi à devoir lui adresser, par voie électronique, un courrier pour lui faire part de ce qu'il avait voulu dire. Cette manière d'instruire démontrait un grave parti pris, qui semblait "être une sorte de vengeance contre le recours formé contre [son] refus de retirer ces preuves inexploitables". À cela s'ajoutait que C______ dirigeait l'enquête sur sa prétendue "radicalisation" alors que le seul fait d'être musulman et d'évoquer Allah n'en constituait pas un indice. Enfin, la prise de position de C______ dans le cadre du refus de mise en liberté, démontrait "de manière flagrante [sa] prévention et le fait [qu'il] instruisait exclusivement à charge".

b. Dans ses observations, C______ conclut, sous suite de frais et dépens, au rejet de la requête. Il ne voyait pas quelles seraient les erreurs graves et répétées qu'il aurait commises dans la conduite de l'instruction. La demande de récusation se fondait pour l'essentiel sur l'affirmation que certaines preuves étaient inexploitables, ce qui relevait de la seule compétence de l'autorité de recours. Il menait son instruction de manière normale, en se fondant sur les éléments au dossier. En outre, la police d'audience lui appartenait. L'e-fax avait été envoyé alors même qu'il avait expressément demandé au prévenu de s'abstenir d'intervenir durant l'audition des témoins et à son avocat de garder le silence momentanément. Il n'avait donc nullement contraint ce dernier de lui adresser une telle missive. Il ne voyait pas non plus en quoi le fait de saisir le TMC – en mettant en exergue d'éventuelles déclarations contradictoires du prévenu – constituerait un indice de parti pris. Enfin, il n'avait pas mis en doute la situation médicale du prévenu, étant précisé qu'il avait déjà informé les parties vouloir le soumettre à une expertise psychiatrique et obtenir son dossier médical français.

c. Dans sa réplique, A______ confirme sa demande de récusation. Il précise avoir accepté de délier les médecins français et suisses de leur secret médical pour leur permettre de parler de son état médical, et non pas pour que la Dre H______ soit entendue sur des propos qu'il aurait tenus à la police, soit une preuve dont l'exploitabilité était contestée. Ce procédé était déloyal et démontrait la prévention de C______, lequel orientait toute l'instruction sur ladite preuve.

EN DROIT :

1. Partie à la procédure P/1______/2023 en tant que prévenu (art. 104 al. 1 let. a CPP), le requérant a qualité pour agir (art. 58 al. 1 CPP), et la Chambre de céans, siégeant dans la composition de trois juges (art. 127 LOJ), est compétente pour connaître de sa requête, dirigée contre un membre du ministère public (art. 59 al. 1 let. b CPP et 128 al. 2 let. a LOJ).

2. 2.1. Conformément à l'art. 58 al. 1 CPP, la récusation doit être demandée sans délai, dès que la partie a connaissance du motif de récusation, c'est-à-dire dans les jours qui suivent la connaissance de la cause de récusation, sous peine de déchéance
(ATF 140 I 271 consid. 8.4.3 p. 275 et les arrêts cités). En matière pénale, est irrecevable pour cause de tardiveté la demande de récusation déposée trois mois, deux mois ou même vingt jours après avoir pris connaissance du motif de récusation (arrêt du Tribunal fédéral 1B_118/2020 du 27 juillet 2020 consid. 3.2 et les arrêts cités). En revanche, n'est pas tardive la requête formée après une période de six ou sept jours, soit dans les jours qui suivent la connaissance du motif de récusation (arrêt du Tribunal fédéral 1B_118/2020 du 27 juillet 2020 consid. 3.2 et les arrêts cités).

2.2. En l'espèce, en tant que la prévention du cité serait matérialisée par le procès-verbal d'audition du 16 novembre 2023 et sa prise de position du 22 novembre 2023 dans le cadre du refus de mise en liberté, la requête n'est pas tardive. En revanche, les reproches en lien avec l'audience du 19 octobre 2023 sont tardifs – partant la requête est irrecevable sur ce point.

3. 3.1. À teneur de l'art. 56 let. f CPP, toute personne exerçant une fonction au sein d'une autorité pénale est tenue de se récuser lorsque d'autres motifs, notamment un rapport d'amitié étroit ou d'inimitié avec une partie ou son conseil juridique, sont de nature à la rendre suspecte de prévention.

La procédure de récusation a pour but d'écarter un magistrat partial, respectivement d'apparence partiale afin d'assurer un procès équitable à chaque partie (ATF 126 I 68 consid. 3a p. 73; arrêt du Tribunal fédéral 1B_430/2021 du 22 octobre 2021 consid. 2.3.2). Elle vise notamment à éviter que des circonstances extérieures à la cause ne puissent influencer le jugement en faveur ou au détriment d'une partie. Elle n'impose pas la récusation seulement lorsqu'une prévention effective du magistrat est établie, car une disposition interne de sa part ne peut guère être prouvée. Il suffit que les circonstances donnent l'apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale du magistrat. Seules les circonstances constatées objectivement doivent être prises en considération. Les impressions purement individuelles d'une des parties au procès ne sont pas décisives (ATF 144 I 159 consid. 4.3 p. 162; 143 IV 69 consid. 3.2 p. 74; arrêt 1B_25/2022 du 18 mai 2022 consid. 2.2). L'impartialité subjective d'un magistrat se présume jusqu'à preuve du contraire (ATF 136 III 605 consid. 3.2.1 p. 608; arrêt du Tribunal fédéral 6B_621/2011 du 19 décembre 2011).

Durant la phase de l'enquête préliminaire, ainsi que de l'instruction et jusqu'à la mise en accusation, le ministère public est l'autorité investie de la direction de la procédure (art. 61 let. a CPP). À ce titre, il doit veiller au bon déroulement et à la légalité de la procédure (art. 62 al. 1 CPP). Durant l'instruction il doit établir, d'office et avec un soin égal, les faits à charge et à décharge (art. 6 CPP); il doit statuer sur les réquisitions de preuve et peut rendre des décisions quant à la suite de la procédure (classement ou mise en accusation), voire rendre une ordonnance pénale pour laquelle il assume une fonction juridictionnelle. Dans ce cadre, le ministère public est tenu à une certaine impartialité même s'il peut être amené, provisoirement du moins, à adopter une attitude plus orientée à l'égard du prévenu ou à faire état de ses convictions à un moment donné de l'enquête. Tout en disposant, dans le cadre de ses investigations, d'une certaine liberté, le magistrat reste tenu à un devoir de réserve. Il doit s'abstenir de tout procédé déloyal, instruire tant à charge qu'à décharge et ne point avantager une partie au détriment d'une autre (ATF 141 IV 178 consid. 3.2.2; 138 IV 142 consid. 2.2.1).

La procédure de récusation n'a donc pas pour objet de permettre aux parties de contester la manière dont est menée l'instruction (ATF 143 IV 69 consid. 3.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 1B_305/2019 et 1B_330/2019 du 26 novembre 2019 consid. 3.4.1), étant rappelé qu'il appartient aux juridictions de recours normalement compétentes de constater et de redresser les erreurs éventuellement commises dans ce cadre.

3.2. Le requérant reproche principalement au cité d'instruire à charge et d'avoir orienté l'audition de la Dre H______ sur les moyens de preuve dont il a requis l'élimination.

Or, de tels griefs relèvent de la conduite de l'instruction et d'une contestation de la décision rendue par le cité de ne pas retirer des pièces que le requérant considère inexploitables – ce grief étant d'ores et déjà soulevé dans le cadre d'un recours pendant auprès de la Chambre de céans –, et non d'une marque de prévention du cité à son égard, non objectivée par les éléments figurant au dossier. À cet égard, il sera relevé que le cité n'a aucunement empêché le requérant de s'exprimer sur les charges, ni son avocat de poser les questions qu'il jugeait utiles. En outre, le fait que le cité instruise une éventuelle "radicalisation" n'est pas de nature à le rendre partial.

Enfin, en matière de détention avant jugement, la direction de la procédure est exercée par le TMC et non pas par le Ministère public, qui a, dans ce cadre, la qualité de partie, au même titre que le prévenu ou la partie plaignante (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 2 ad art. 225). Dans ces circonstances, la motivation du refus de mise en liberté ne saurait constituer une apparence de prévention du cité.

4. Faute de motif de récusation, la requête est infondée et doit partant être rejetée.

5. Le requérant, qui succombe, supportera les frais de la procédure, fixés en totalité à CHF 800.- (art. 59 al. 4 CPP).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette la demande de récusation, dans la mesure de sa recevabilité.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 800.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, au requérant, soit pour lui son conseil, et à C______, Procureur.

Le communique, pour information, au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

PS/126/2023

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur récusation (let. b)

CHF

715.00

Total

CHF

800.00