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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/17968/2019

ACPR/981/2023 du 18.12.2023 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : ARRESTATION
Normes : CPP.210

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/17968/2019 ACPR/981/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du lundi 18 décembre 2023

 

Entre

A______, actuellement détenu à la prison de B______, représenté par Me C______, avocate,

recourant,

 

contre l'avis de recherche et d'arrestation délivré le 28 septembre 2023 par le Ministère public,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 17 octobre 2023, A______ recourt contre l'avis de recherche et d'arrestation du 28 septembre 2023, notifié le 7 octobre suivant, émis contre lui par le Ministère public.

Le recourant, sous suite de frais et dépens chiffrés, demande à la Chambre de céans de "constater l'illicéité de l'avis de recherche [et] d'arrestation […] et de lever toute mesure de substitution à son encontre, subsidiairement ordonner la continuation des mesures de substitution ordonnées par le Ministère public le 3 septembre 2019". Il conclut en outre au versement de CHF 2'000.- à titre de réparation du tort moral.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. A______ a été arrêté par la police le 1er septembre 2019.

Le lendemain, il a été prévenu d'avoir, le jour précédent, blessé D______ avec un couteau lui causant deux plaies thoraciques au niveau des côtes ayant nécessité des points de suture (art. 123 ch. 1 et 2 CP) et détenu un sachet contenant 94 grammes brut d'amphétamines (art. 19 al. 1 LStup).

b. Entendu à la police et au Ministère public, il a admis en substance avoir porté des coups de couteau à D______ lors d'une bagarre, invoquant la légitime défense.

c. Il a été libéré le 2 septembre 2019 par le Ministère public avec des mesures de substitution – dûment validées le jour suivant par le Tribunal des mesures de contrainte (ci-après, TMC) et prolongées jusqu'au 28 août 2020 – consistant en l'obligation de déférer à toute convocation du Pouvoir judiciaire et en l'interdiction d'entretenir des contacts avec D______, étant précisé qu'il s'était formellement engagé à respecter lesdites mesures.

d. A______ s'est présenté aux audiences de confrontation des 6 décembre 2019, 20 janvier et 20 août 2020. S'agissant de sa situation personnelle, il a expliqué être toxicomane et bénéficier de l'aide financière de l'Hospice Général. Depuis le 15 mai 2020, il résidait à la Fondation E______ dans le canton de Vaud, tout en bénéficiant d'un suivi en addictologie au CAAP F______.

e. Le 21 août 2020, le Ministère public a levé les mesures de substitution en cours.

f. Par avis de prochaine clôture du 20 décembre 2021, le Ministère public a informé les parties que l'instruction était considérée comme achevée et qu'un acte d'accusation au Tribunal de police serait rédigé prochainement.

g. Par courrier du 9 décembre 2022, le Ministère public a annoncé aux parties qu'il entendait requalifier les faits reprochés à A______ en tentative de lésions corporelles graves (en concours avec des lésions corporelles simples) au sens des art. 122 cum 22 CP et 123 CP. L'expertise psychiatrique du prévenu [également sollicitée par le conseil de celui-ci dans son courrier du 28 janvier 2022] devait être effectuée.

h. Le 21 décembre 2022, le Ministère public a imparti aux parties un délai pour se prononcer sur le projet d'expertise.

i. Dans ses réponses des 12 et 25 janvier 2023, le conseil de A______ a indiqué ne pas avoir pu joindre son mandant, soulignant qu'au vu "des difficultés rencontrées pour [l']atteindre, il n'[était] pas certain que les expertes soient en mesure de s'entretenir avec lui de sorte que la mise en œuvre de l'expertise [pouvait] s'avérer complexe".

j. Par mandat du 25 janvier 2023, le Ministère public a ordonné l'expertise psychiatrique de A______ aux fins notamment de déterminer sa responsabilité au moments des faits et le risque de récidive qu'il présenterait.

k.a. Par lettre adressée au Ministère public le 4 avril 2023, les expertes ont expliqué avoir tenté de convoquer A______ [sans mentionner toutefois les modalités de ladite convocation]. Après lecture du dossier, celles-ci considéraient qu'il était "fort probable que M. A______ ne se présente pas aux prochains rendez-vous", ce qui empêchait de réaliser la mission d'expertise.

k.b. Le 14 juin 2023, après interpellation par le Ministère public sur le courrier de l'expert, le conseil de A______ a indiqué qu'il "continuait à rencontrer des difficultés pour atteindre son mandant" et qu'il n'était "dès lors pas surprenant que les expertes connaiss[aient] des difficultés à rencontrer Monsieur A______".

l.a. Le 25 août 2023, la police a émis un communiqué de recherche à l'endroit de A______ qui aurait tenté de vendre une arme à feu, étant souligné que la police s'était au préalable rendue à son dernier domicile connu, celui de sa mère, laquelle a expliqué que son fils ne vivait plus chez elle depuis environ un mois.

l.b. Il a été arrêté le 26 août 2023 par une patrouille de police aux abords de la gare de Cornavin.

l.c. Entendu le jour même à la police, A______ a déclaré "dormir" dans la rue et continuer sa consommation de cocaïne et de crack.

l.d. Il a ensuite été libéré sur ordre du commissaire de police.

l.e. Dans le rapport de renseignements du 26 août 2023, reçu le 4 septembre au Ministère public, il est mentionné que A______ est "sans domicile fixe" et a fait élection de domicile au chemin 1______ no. ______, [code postal] G______ [GE] (adresse de sa mère).

l.f. Le 29 septembre 2023, le Ministère public a ordonné l'ouverture d'une instruction (P/20353/2023) contre A______ pour avoir, le 25 août 2023 ou à une date à déterminer, détenu sans droit une arme soumise à déclaration, soit un pistolet air-soft pouvant être confondu avec une véritable arme à feu (art. 33 LArm).

Cette procédure a été jointe à la P/17968/2019.

C. Par l'avis querellé, émis le 28 septembre 2023 "en application de l'art. 210 CPP", le Ministère public a ordonné à la police de rechercher A______ à la suite des faits du 1er septembre 2019 et "de l’auditionner en qualité de prévenu [d'infractions aux art. 122 cum 22 et 123 CP], en particulier sur sa situation personnelle [mis en évidence par le Ministère public]", avant de le mettre à sa disposition.

D. a. A______ a été arrêté le 7 octobre 2023, à 17h10, à l'arrière du bâtiment du Quai 9, lors d'un contrôle par une patrouille de police. Outre l'avis de recherche et d'arrestation querellé, il faisait l'objet de cinq mandats d'arrêts inscrits au RIPOL émanant du SAPEM pour diverses amendes impayées, converties en peine privative de liberté de substitution pour un total de 69 jours. Il détenait un couteau noir pliable interdit (lame de plus de 5 cm) dans sa sacoche.

b. Entendu par la police, en qualité de prévenu, au sujet de sa situation personnelle, en présence de son conseil, A______ a déclaré dormir dans la rue depuis environ une année. Il était domicilié officiellement chez sa mère, où il recevait son courrier. Une procédure était en cours en vue de lui trouver un logement. Il n'avait pas de téléphone. Il continuait à percevoir l'aide financière de l'Hospice général et à être suivi au CAAP F______. Le couteau trouvé en sa possession servait à bricoler ou pour se défendre.

Il a fait élection de domicile auprès de son conseil pour recevoir tous les actes de procédure.

c. Le lendemain, le Ministère public l'a formellement prévenu de tentative de lésions corporelles graves (art. 122 cum 22 CP) et de lésions corporelles simples (art. 123 CP) pour les faits du 1er septembre 2019 ainsi que de violation de l'art. 33 LArm et de contravention à l'art. 19a LStup pour ceux commis le 7 octobre 2023.

A______ a été arrêté à l'issue de l'audience et placé en détention provisoire par le TMC le 10 octobre 2023 jusqu'au 11 novembre 2023.

d.a. Le 12 octobre 2023, il a formé une demande de mise en liberté sous mesures de substitution consistant en l'exécution d'amendes impayées (69 jours de peine privative de liberté selon ordre d'exécution du SAPEM du 2 octobre 2023 et autres ordres d'exécution décernés à son encontre) ainsi que l'obligation de déférer aux convocations au Pouvoir judiciaire et à celles permettant la mise en œuvre de l’expertise psychiatrique.

d.b. Le 19 octobre 2023, le TMC a ordonné l'exécution des peines privatives de liberté d'un total de 69 jours à titre de mesures de substitution, sous le régime de la détention avant jugement, ainsi que la détention provisoire (ou de sûreté) pour une durée d'1 mois, dès la fin d'exécution desdites peines.

e. Les décisions rendues par le TMC les 10 et 19 octobre 2023 sont entrées en force.

E. a. Dans son recours, A______ fait valoir que l'avis de recherche et d'arrestation querellé est illicite et disproportionné. Aucune citation à comparaître ne lui avait été remise, de sorte qu'il ignorait que des mesures d'instruction avaient été ordonnées, étant précisé qu'il n'entendait pas se soustraire à l'expertise psychiatrique qu'il avait lui-même demandée. En outre, à teneur du rapport de renseignements du 26 août 2023, il avait fait élection de domicile chez sa mère. Ainsi, au moment de l’émission de l'avis querellé, les recherches des policiers n'étaient pas infructueuses, ceux-ci l'ayant – au demeurant – interpellé le 7 octobre 2023 au Quai 9, soit au même endroit que la fois précédente. Il contestait également l'existence de charges graves et suffisantes ainsi que les risques de collusion, fuite ou réitération. En tout état, des mesures de substitution seraient aptes à pallier ces risques éventuels.

b. Le Ministère public conclut à l'irrecevabilité du recours, faute d'intérêt juridiquement protégé à recourir. Sur le fond, l'avis de recherche et d'arrestation querellé était conforme au droit. A______ était sans domicile fixe, les recherches de la police pour l'interpeller en lien avec la possession d'une arme interdite en Suisse étaient restées vaines, il ne vivait plus chez sa mère depuis un mois et lors de son audition du 26 août 2023, il avait déclaré dormir dans la rue. Enfin, les conditions d'une mise en détention provisoire étaient remplies, ce qui ressortait des ordonnances du TMC.

c. Le recourant maintient sa position dans sa réplique.


 

EN DROIT :

1.             À titre liminaire, il convient de relever que l'objet du litige est strictement circonscrit aux faits ayant donné lieu à la décision querellée. Tombent ainsi à faux les conclusions du recourant en lien avec la levée des mesures de substitution prononcées à son encontre, voire à la reprise de celles ordonnées le 3 septembre 2019.

2.             La doctrine admet que le recours est ouvert contre une décision de recherche au sens de l'art. 210 CPP (M. NIGGLI / M. HEER / H. WIPRÄCHTIGER (éds), Strafprozessordnung - Jugendstrafprozessordnung, Basler Kommentar StPO/JStPO, 2e éd., Bâle 2014, n. 10 ad art. 393). En l'espèce, le recours a été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) et émane de la personne visée par l'avis de recherche et d'arrestation, qui, comme telle, dispose a priori d'un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de cette décision (art. 382 al. 1 CPP). Le recours est dès lors recevable sur ce point (ACPR/323/2022 du 6 mai 2022 consid. 2.1.).

3.             Le recourant estime illicite et disproportionné l'avis de recherche et d'arrestation émis à son encontre.

3.1. À teneur de l'art. 210 CPP, le ministère public, les autorités pénales compétentes en matière de contraventions et les tribunaux peuvent ordonner des recherches à l'encontre de personnes dont le lieu de séjour est inconnu et dont la présence est nécessaire au déroulement de la procédure. En cas d'urgence, la police peut lancer elle-même un avis de recherche (al. 1). Si le prévenu est fortement soupçonné d'avoir commis un crime ou un délit et qu'il y a lieu de présumer des motifs de détention, l'autorité peut lancer un avis de recherche pour l'arrêter et le faire amener devant l'autorité compétente (al. 2).

Cette disposition doit être interprétée à la lumière des versions allemande et italienne. Ainsi, il faut considérer que les personnes ou les choses, dont le domicile ou la situation demeurent inconnus, peuvent faire l'objet d'investigations en vue de déterminer leur lieu de séjour (zur Ermittlung des Aufenthaltsortes) pour autant que leur présence s'avère indispensable à l'enquête. Pour le reste, selon l'alinéa 2, seules les personnes suspectées d'avoir commis un crime ou une délit et susceptibles de remplir les conditions de la détention peuvent être recherchées en vue de leur arrestation (zur Verhaftung und Zuführung) (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 1 ad art. 210).


 

3.2. Un avis de recherche et d'arrestation est assimilable à une mesure de contrainte. L'autorité qui ordonne une telle mesure doit s'assurer que celle-ci est prévue par la loi, que les soupçons sont suffisants, que les buts poursuivis ne peuvent pas être atteints par des mesures moins sévères et qu'elle apparaît justifiée au regard de la gravité de l'infraction (art. 197 al. 1 let. a à d CPP ; arrêt du TF 1B_255/2022 du 4 novembre 2022 consid.1.1.).

3.3. La recherche en vue d'une arrestation étant une mesure incisive, l'hypothèse selon laquelle le lieu de séjour du prévenu est inconnu ne peut être retenue que si les citations à comparaître n'ont pas pu être remises, si le prévenu ne s'est pas présenté à l'acte d'instruction sans fournir de motif excusable et si les recherches de la police sont restées infructueuses (M. NIGGLI / M. HEER / H. WIPRÄCHTIGER (éds), Strafprozessordnung / Jugendstrafprozessordnung, Basler Kommentar StPO/JStPO, 2e éd., Bâle 2014, n. 21 ad art. 210).

3.4. En l'espèce, il n'est pas contesté que le recourant n'avait pas de domicile fixe, s'était rendu indisponible – y compris pour son conseil – et n'était pas retourné chez sa mère depuis environ un mois. Il ne pouvait non plus ignorer que sa présence était nécessaire à la suite de la procédure, étant précisé que l'avis de prochaine clôture du 20 décembre 2021 ne faisait pas mystère de son renvoi en jugement, que des préventions supplémentaires seront encore retenues contre lui par la suite et qu'il avait lui-même sollicité d'être soumis à une expertise psychiatrique.

Pour autant, il ne résulte pas du dossier que le Ministère public et l'expert-psychiatre ont, en vain, tenté de convoquer le recourant chez sa mère, soit à son dernier domicile connu – devenu domicile élu à teneur du rapport de renseignements du 26 août 2023 – ou par son avocat.

Ainsi, il doit être retenu que, lorsque l'avis de recherche et d'arrestation a été émis le 28 septembre 2023, le lieu de séjour du recourant n'était pas inconnu. Les conditions de l'art. 210 al. 1 CPP n'étant pas remplies, le recours doit être admis sur ce point.

Ce constat conduit à conclure à l'illicéité de l'avis querellé, étant souligné que la Chambre de céans n'est pas saisie d'autres conclusions recevables, que le recourant n'a pas recouru contre sa mise en détention provisoire et faisait l'objet de plusieurs ordres d'écrou.

4.             On ne saurait toutefois allouer au recourant une éventuelle indemnité pour mesure de contrainte illicite (art. 431 CPP), laquelle est prématurée et relève de la décision au fond.


 

5.             Le recourant obtenant gain de cause, il ne sera pas perçu de frais (art. 428 al. 1 CPP).

6.             L'indemnisation du défenseur d'office interviendra en fin de procédure (art. 135 al. 2 CPP).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours, dans la mesure de sa recevabilité.

Constate que l'avis de recherche et d’arrestation du 28 septembre 2023 est illicite.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'Etat.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant (soit, pour lui, son défenseur) et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Alix FRANCOTTE CONUS et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière.

 

 

La greffière:

Olivia SOBRINO

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).