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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/14962/2023

ACPR/920/2023 du 22.11.2023 sur ONMMP/3172/2023 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE;VOIES DE FAIT;INTENTION;CAS BÉNIN;DOMMAGES À LA PROPRIÉTÉ(DROIT PÉNAL)
Normes : CPP.310; CP.52; CP.126; CP.144

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/14962/2023 ACPR/920/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 22 novembre 2023

 

Entre

A______, domicilié ______ [GE], représenté par Me Jessica JACCOUD, avocate, Mattenberger & Associés, rue de la Madeleine 35, case postale 763, 1800 Vevey,

recourant,

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 14 août 2023 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte déposé le 30 août 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 14 août 2023, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur sa plainte du 3 juillet 2023.

Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de l'ordonnance querellée et au renvoi de la cause au Ministère public pour qu'il ouvre une instruction et procède aux actes "nécessaires", soit en particulier l'audition de son épouse, B______. Il sollicite aussi la jonction de la présente procédure aux P/1______/2022 et P/2______/2023.

b. Le recourant a versé les sûretés en CHF 1'000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.A______, B______ et leur enfant âgé de huit ans occupent un appartement, propriété de la société C______ SA, au sein d'une copropriété sise no. ______, chemin 3______ à D______ [GE].

b. Depuis leur emménagement, leurs relations avec certains copropriétaires, dont E______ et F______, sont conflictuelles et ont donné lieu à diverses plaintes de part et d'autre.

Ainsi, le 30 septembre 2022, F______ a déposé plainte contre B______, lui reprochant de lui avoir roulé sur le pied avec sa voiture. Le
3 octobre suivant, cette dernière a déposé une contre-plainte pour dénonciation calomnieuse. Le 2 décembre 2022, B______ a déposé une nouvelle plainte pour contrainte, reprochant à certains copropriétaires d'avoir conditionné le sursis ou l'abandon de leurs démarches civiles visant à l'expulser, ainsi que sa famille, de leur logement moyennant le retrait de ses plaintes. Enfin, la famille A______/B______ s'est encore plaint de se faire réveiller la nuit par une corne de brume, dont le bruit provenait de l'appartement de F______. Ces complexes de faits sont traités dans le cadre de la P/1______/2022, laquelle est en cours d'instruction.

Le 17 mai 2023, A______ et B______ ont déposé une nouvelle plainte pénale, des appâts contenant de la "mort aux rats" ayant été jetés dans leur jardin. Un recours est pendant par-devant la Chambre de céans contre l'ordonnance de
non-entrée en matière rendue par le Ministère public (P/2______/2023).

c. Lors de son audition par la police le 3 juillet 2023, A______ a déposé plainte contre E______ pour voies de fait et dommages à la propriété.

En substance, il a expliqué que le 1er juillet 2023 vers 9h35, alors qu'il cheminait sur la rampe du garage de la copropriété, il avait entendu son voisin s'exclamer, sans toutefois comprendre la teneur de ses propos. Comme E______ s'approchait de lui avec "une certaine animosité", il avait sorti son téléphone portable pour le filmer. Son voisin lui avait alors asséné une tape sur le bras et la poitrine, avec son bras droit. Son téléphone était tombé et s'était cassé. Il avait attiré l'attention de son voisin sur ce point, lequel n'avait pas répondu. Puis, chacun était parti de son côté.

À l'issue de son audition, A______ a remis une clé USB à la police, laquelle contient les images filmées avec son téléphone ainsi qu'une photographie des dommages causés à son appareil.

d. Entendu le 6 juillet 2023 par la police, E______ a contesté les faits reprochés.

Le jour des faits, il avait constaté que le portail de la copropriété, situé aux abords de son jardin, avait été renversé. Il était donc allé à la rencontre
de A______, qui sortait du parking après y avoir stationné son véhicule. Persuadé que le précité était à l'origine dudit déplacement, il lui avait demandé ce qu'il en était. Le prénommé avait alors sorti son téléphone pour le filmer, sous prétexte qu'il le menaçait. Il s'était donc approché de A______ et avait mis une tape dans le téléphone pour qu'il cesse ses agissements, étant précisé qu'il lui avait, au préalable, demandé à plusieurs reprises d'arrêter.

e. La séquence filmée par A______, d'une durée de six secondes, a été versée à la procédure. L'on y entend tout d'abord le prénommé dire "tu as vu, tu m'agresses", ce à quoi E______, qui s'approche, répond :"je ne t'agresse pas". Puis, on distingue la main droite de E______ s'approcher du combiné et on comprend des images et de la bande son, que le téléphone est tombé au sol.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public décide, au vu des déclarations contradictoires et en l'absence d'élément de preuve objectif, de ne pas entrer en matière s'agissant des voies de fait.

Les faits relatifs à l'infraction de dommages à la propriété étaient établis. Toutefois, la culpabilité de l'auteur et les conséquences de son acte étaient de peu d'importance. Ainsi, au vu du conflit opposant A______ à E______ et dans un souci d'apaisement, le Ministère public a décidé de ne pas entrer en matière sur ces faits.

D. a. À l'appui de son recours, A______ reprend, tout d'abord, en détails le contexte dans lequel s'inscrivait sa plainte du 3 juillet 2023, expliquant être, avec sa famille, la cible de nombreuses incivilités et actes de vandalisme depuis août 2022 au sein de la copropriété (arrachage d'essuie-glace, vol de caméra et décorations de jardin, dispersion de leurs affaires sur le palier, vol de chaussures, dépôt d'excréments dans leur boîte aux lettres, jet de nourriture et de punaises de bureau sur le trampoline du jardin, agressions verbales répétées). Revenant sur les diverses plaintes déposées ensuite des litiges rencontrés avec certains copropriétaires, il estime qu'il convenait de traiter tous ces évènements dans le cadre d'une seule procédure, de sorte que la jonction des P/1______/2022, P/2______/2023 et de la présente procédure se justifiait.

Les faits du 1er juillet 2023 étaient constitutifs de voies de fait et dommages à la propriété. Mis en relation avec les autres atteintes subies, ces faits pouvaient aussi être constitutifs de tentative de contrainte, voire de contrainte, s'il finissait par déménager avec sa famille. Le Ministère public ne pouvait refuser d'entrer en matière sur sa plainte sans avoir entendu les témoins présents ce jour-là, soit son épouse et G______, voisin qui accompagnait E______ et que l'on apercevait sur l'enregistrement – se référant à la pièce 23 produite à l'appui de son recours, soit une nouvelle clé USB –. Enfin, la culpabilité de E______ ne pouvait être qualifiée de peu importante, l'intensité délictuelle de ce dernier étant clairement perceptible. S'agissant des conséquences, bien qu'il faille relativiser la gravité du dommage matériel, cette agression se situait dans un contexte général de violences contre lui-même et sa famille. En ne sanctionnant pas ces agissements, le Ministère public ne faisait qu'encourager leur continuation. Sans autre solution, il avait donc choisi de filmer ses interactions avec ses voisins lorsqu'il se sentait en danger.

A______ produit notamment une clé USB (pièce 23) contenant un nouvel enregistrement du 1er juillet 2023. Sur cette séquence, d'une durée de
11 secondes, on aperçoit E______ accompagné d'un homme, qui remonte la rampe du garage. L'on entend E______ demander à A______ "c'est toi qui a enlevé cette euh…" ce à quoi ce dernier répond : "cette quoi?". Puis, E______, qui s'approche, dit fermement "tu n'as pas le droit de filmer". A______ lui dit: "ben écoute tu m'agresses", ce à quoi E______ répond "je ne t'agresse pas". Puis, on distingue la main droite de E______ s'approcher du combiné et on comprend des images et de la bande son, que le téléphone est tombé au sol.

b. À réception des sûretés, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.

 

 

 

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) – les formalités de notification (art. 85 al. 2 CPP) n'ayant pas été observées –, concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

1.2. Les pièces nouvelles produites à l'appui du recours sont également recevables (arrêt du Tribunal fédéral 1B_550/2022 du 17 novembre 2022 consid. 2.1).

2.             2.1. À teneur de l'art. 310 al. 1 CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis (let. a).

Au surplus, les dispositions sur le classement de la procédure sont applicables (al. 2).

2.2. Des motifs de fait peuvent justifier la non-entrée en matière. Il s'agit des cas où la preuve d'une infraction, soit de la réalisation en fait de ses éléments constitutifs, n'est pas apportée par les pièces dont dispose le ministère public. Il faut que l'insuffisance de charges soit manifeste. De plus, le ministère public doit examiner si une enquête, sous une forme ou sous une autre, serait en mesure d'apporter des éléments susceptibles de renforcer les charges contre la personne visée. Ce n'est que si aucun acte d'enquête ne paraît pouvoir amener des éléments susceptibles de renforcer les charges contre la personne visée que le ministère public peut rendre une ordonnance de non-entrée en matière. En cas de doute sur la possibilité d'apporter ultérieurement la preuve des faits en question, la non-entrée en matière est exclue (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 9 ad art. 310).

La non-entrée en matière peut également résulter de motifs juridiques. La question de savoir si les faits qui sont portés à sa connaissance constituent une infraction à la loi pénale doit être examinée d'office par le ministère public. Des motifs juridiques de non-entrée en matière existent lorsqu'il apparaît d'emblée que le comportement dénoncé n'est pas punissable (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 10 ad art. 310).

2.3. Une non-entrée en matière doit également être prononcée lorsqu'il peut être renoncé à toute poursuite ou à toute sanction en vertu de dispositions légales (art. 310 al. 1 let. c cum art. 8 al. 1 CPP). Tel est notamment le cas si la culpabilité de l'auteur et les conséquences de son acte sont peu importantes (art. 52 CP).

2.4. À teneur de l'art. 126 al. 1 CP, sera puni quiconque se sera livré sur une personne à des voies de fait qui n'auront causé ni lésion corporelle ni atteinte à la santé. Selon la jurisprudence, la notion de voies de fait caractérise les atteintes physiques qui excèdent ce qui est socialement toléré et qui ne causent ni lésions corporelles ni dommage à la santé, voire même aucune douleur physique (ATF 134 IV 189 consid. 1.2).

Les voies de fait ne peuvent pas être commises par négligence (A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ (éds), Commentaire Romand, Code pénal II, 2017, Lausanne, n. 6 ad. art. 52).

2.5. L’art. 144 ch. 1 CP réprime le comportement de quiconque endommage, détruit ou met hors d'usage une chose, soit appartenant à autrui, soit frappée d'un droit d'usage ou d'usufruit au bénéfice d'autrui.

2.6. En l'espèce, il est constant que, le jour des faits, une dispute a éclaté entre les parties. Le mis en cause conteste toutefois les accusations du recourant selon lesquelles il lui aurait asséné une tape sur le bras et la poitrine.

Force est de constater qu'aucun élément objectif ne corrobore ladite version, la séquence vidéo produite ne permettant pas d'établir si le mis en cause a, avec sa main, touché le recourant ou son téléphone.

Quoiqu'il en soit, même à considérer que le mis en cause aurait atteint le bras et/ou la poitrine du recourant, aucun élément au dossier ne permet de retenir que ce dernier aurait eu la volonté de blesser le recourant, dans la mesure où il a expliqué qu'il entendait uniquement faire cesser l'enregistrement en cours, ce que tend à confirmer le second enregistrement produit. Le caractère intentionnel du geste incriminé doit donc être nié. Pour les mêmes raisons, ledit geste ne saurait être qualifié de contrainte, comme le soutient le recourant dans le cadre de son recours, le comportement du mis en cause n'ayant, à l'évidence, pas pour but de le faire déménager mais plutôt qu'il arrête de le filmer.

En l'absence d'intention, les actes d'enquête sollicités par le recourant ne permettraient pas de modifier le raisonnement qui précède.

2.7. S'agissant du dommage à la propriété, il apparait que le téléphone du recourant, tombé ensuite de l'altercation des parties, a été endommagé, ainsi que cela ressort de la photographie produite.

Cela étant, la culpabilité du mis en cause doit être sensiblement relativisée, compte tenu du contexte dans lequel cette atteinte est survenue. À l'évidence, les parties sont en conflit depuis l'emménagement du recourant dans la copropriété et leurs rapports sont, depuis lors, tendus; l'acte incriminé s'inscrit donc dans une continuité de querelles décrites par le recourant comme étant incessantes. À cela s'ajoute que le geste du mis en cause n'avait pas pour but d'endommager l'appareil, mais de faire cesser l'enregistrement qu'il percevait comme une atteinte.

En outre, l'on ne peut suivre le recourant s'agissant de la gravité des conséquences alléguées. En effet, contrairement à ce qu'il soutient, l'on ne décèle, sur l'enregistrement, aucune aggressivité dans le comportement du mis en cause de prime abord, lequel pose tout d'abord la question au recourant de savoir s'il est à l'origine du déplacement de la barrière. Il semble, au contraire, que la tension soit montée entre les parties lorsque le mis en cause s'est aperçu que le recourant le filmait, contre sa volonté. Ainsi, les – seules – conséquences matérielles de l'acte doivent également être qualifiées de peu importantes, ce que le recourant ne conteste pas au demeurant.

Il en découle que tant la culpabilité de l'auteur que les conséquences de l'infraction sont de peu d'importance. Les conditions de l'art. 52 CP étant remplies, une non-entrée en matière au sens de l'art. 8 al. 1 et 310 al. 1 let. c CPP était donc justifiée.

Pour le surplus, le recourant sollicite la jonction des procédures. Or, il n'appartient pas à la Chambre de céans de se prononcer sur cette question, faute de décision préalable du Ministère public sur ce point.

Il s'ensuit que le recours est infondé, ce que la Chambre pénale de recours pouvait constater d'emblée, sans échange d'écritures ni débats (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP).

3.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.

4.             Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, qui comprendront un émolument de CHF 1'000.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'000.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Alix FRANCOTTE CONUS et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Oriana BRICENO LOPEZ, greffière.

 

La greffière :

Oriana BRICENO LOPEZ

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).

P/14962/2023

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

915.00

Total

CHF

1'000.00