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Décisions | Chambre pénale de recours

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PG/714/2022

ACPR/806/2023 du 16.10.2023 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : TÉMOIN;CHANGEMENT DE DOMICILE
Normes : Ltém.2; Ltém.5; Ltém.6; Ltém.7; Ltém.8; Ltém.28

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

PG/714/2022 ACPR/806/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du lundi 16 octobre 2023

 

 

Entre

A______, domicilié ______, Algérie, représenté par Me Romain JORDAN, avocat, rue Général-Dufour 15, case postale, 1211 Genève 4,

recourant,

contre la décision de refus de requérir du Service fédéral de protection des témoins la mise en place d'un programme, rendue le 10 juillet 2023 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.

 


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 24 juillet 2023, A______ recourt contre la décision du 10 précédent, communiquée par pli simple, à teneur de laquelle le Ministère public a refusé de demander au Service fédéral de protection des témoins (ci-après : SPT) l'instauration d'un programme en sa faveur.

Il conclut, sous suite de frais : préalablement, à l'apport de la procédure P/1______/2017 à la présente cause et, cela fait, à être autorisé à compléter son acte; "à titre probatoire", à l'audition, par la Chambre de céans, d'une ancienne Première Procureure; principalement, à l'annulation de l'ordonnance querellée et à être mis au bénéfice de la mesure de protection sollicitée par ses soins; en tout état, à l’octroi de l'assistance judiciaire pour la procédure de recours.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.a. En mars 2017, à Genève, trois hommes masqués et armés ont séquestré, puis menacé, un diamantaire, le contraignant à ouvrir des coffres pour s'emparer de gemmes, d'une valeur de CHF 15 à 20 millions (P/1______/2017).

a.b. Les auteurs n'ayant pu être identifiés, le Ministère public a diffusé, en été 2017, un appel à témoins, sous la forme d'un "crime clip" (vidéo), sur la plateforme YouTube.

b. À l'automne suivant, A______, résident algérien, a contacté la police genevoise, expliquant avoir reçu des confidences de l'un desdits auteurs, B______, également résident algérien.

En janvier 2018, il s'est rendu à Genève, sur demande de la Première Procureure en charge du dossier, pour témoigner.

Les informations qu'il a fournies ont permis à l'enquête de progresser. Lors de sa déposition, il a exposé craindre pour son intégrité.

c.a. Le 7 février 2018, le Ministère public a délivré une commission rogatoire en Algérie afin d'entendre, entre autres personnes, B______.

Cela a conduit à l'arrestation de l'intéressé, sur place, le 13 suivant, et à l'ouverture d'une procédure pénale dans ce pays.

c.b. À cette suite, des proches de B______ ont proféré des menaces contre A______, son épouse et ses deux enfants.

Le 16 février 2018, la Première Procureure a requis des autorités algériennes, via une seconde demande d'entraide, de prendre des mesures urgentes pour protéger A______ et sa famille.

c.c. Aucune de ces commissions rogatoires ne semble avoir abouti.

d. Les déclarations de A______ ayant permis d'identifier, en France, les comparses de B______, une procédure pénale a été ouverte dans cet État.

e.a. Le 1er mars 2018, le Ministère public a déposé, auprès du SPT, une demande – fondée sur la Loi fédérale sur la protection extraprocédurale des témoins (LTém; RS 312.1) – de mise en place d'un programme en faveur de A______.

Il y exposait craindre pour l'intégrité physique du prénommé et de sa famille; en effet, B______ était en mesure, nonobstant son incarcération, de faire pression sur l'intéressé, via des tiers. Or, si ce dernier devait faire l'objet de représailles, l'enquête suisse en pâtirait. De plus, une agression découragerait tout autre potentiel témoin de se manifester et "blesserait profondément le sentiment de justice". A______ avait été informé, "par l'intermédiaire [d'un] interprète", de la possibilité d'être mis au bénéfice d'une protection – temporaire ou à durée indéterminée – en Suisse; il lui avait été clairement expliqué que la "demande de mise en place d'un programme" impliquerait qu'il quitte l'Algérie avec son épouse et ses deux enfants, ce qu'il avait accepté.

e.b. Quelques jours plus tard, cette demande a été suspendue, au motif, notamment, que A______, récemment convoqué par la justice algérienne, souhaitait témoigner dans le cadre de l'enquête menée dans son pays.

f.a. Le 4 mars 2018, A______ a déposé une plainte pénale en Algérie du chef de menaces.

Une personne lui avait intimé de ne "pas témoigner devant le tribunal", ajoutant que les "amis" de B______ "rentrer[aie]nt en Algérie pour [lui] régler son compte" s'il citait leurs noms (selon la traduction, en français, de cet acte, rédigé en arabe).

f.b. A______ a collaboré avec les autorités algériennes.

f.c. Le 24 avril 2022, B______ a été condamné, en Algérie, à dix ans de prison pour son implication dans les faits visés à la lettre B.a.a ci-dessus.

f.d. Le 8 mai suivant, A______ a porté plainte, en Algérie, contre l'oncle de B______.

Ce dernier l'avait frappé, la veille, avec un marteau "au niveau de la main droite", lui enjoignant de renoncer à témoigner contre son neveu lors de l'"audience [du] 25/09/22 au tribunal de C______ [Algérie]" (selon la traduction, en français, de cet acte, rédigé en arabe).

g. En automne 2022, le Procureur ayant repris la direction de la procédure P/1______/2017 – laquelle est encore pendante à ce jour – a, sur interpellation du SPT, informé ce Service qu'il n'entendait point maintenir la demande (suspendue jusqu’alors) de mise sous protection de A______.

h. Les 16 septembre et 23 novembre 2022, le prénommé s'est adressé, sous la plume de son avocat, à l'Office fédéral de la police (ci-après : FEDPOL) [institution à laquelle le SPT est rattaché], sollicitant la mise en œuvre d'un programme de protection des témoins en sa faveur, conformément aux garanties que le Ministère public lui avait données à ce sujet en 2018.

Cet office lui a répondu, le 5 décembre suivant, que seule la direction de la procédure pouvait demander l'instauration d'un tel programme (art. 6 LTém). Il lui appartenait donc d’interpeller cette dernière. Parallèlement, FEDPOL avait vérifié "si un programme de protection des témoins existait en Algérie pour, le cas échéant, le mettre en œuvre"; or, tel n'était pas le cas.

i.a. Le 8 décembre 2022, A______ a invité le Procureur à requérir du SPT la mise en place d’un programme de protection en sa faveur (PG/714/2022).

i.b. Le 18 janvier 2023, ce magistrat a sollicité du prénommé qu'il explicite, d'une part, les motifs ainsi que l'étendue de sa demande, pièces utiles à l'appui, et, d'autre part, les éventuelles mesures de protection dont il avait bénéficié en Algérie.

i.c. En réponse, A______ a sollicité "d'être entendu à Genève", afin de pouvoir exposer "sa situation, les risques pour son intégrité physique, ses attentes ainsi que les garanties qui lui avaient été fournies par [le Ministère public], [lesquelles] d[e]v[ai]ent aujourd'hui être suivies d'effets (cf. art. 5 al. 3 Cst féd.)".

"En raison de son témoignage", il avait été menacé et agressé à "coups de marteau", comme cela ressortait des plaintes pénales qu'il avait déposées en Algérie; depuis cette dernière agression, il souffrait d'une tendinopathie au "coude droit" nécessitant un traitement médical [justifié par pièce]. Voilà plus de quatre ans qu’il vivait dans la crainte de représailles; les risques pour son intégrité étaient réels, puisqu’ils s’étaient matérialisés le 7 mai 2022. Il souhaitait "se réinstaller dans une nouvelle ville en Algérie" et obtenir des autorités suisses le financement nécessaire à cet effet. Il n'avait joui d'aucune protection dans son pays.

C. À l'appui de sa décision, le Procureur a considéré que A______ ne pouvait être mis au bénéfice d'une mesure de protection au sens de la LTém.

Premièrement, les conditions posées par l'art. 2 al. 1 let. a de cette loi n'étaient pas réunies. En effet, les dépositions de l'intéressé étaient essentiellement intervenues en Algérie, et non dans le cadre de la procédure menée en Suisse. De plus, les deux évènements rapportés (menaces en 2018 et agression physique en 2022) n'atteignaient pas le seuil de gravité imposé par cette norme.

Secondement, une coopération internationale (art. 28 Ltém) entre la Suisse et l'Algérie ne pouvait être envisagée, ces États n'entretenant que peu de collaboration sur le plan pénal, comme l'illustrait l'absence de réaction de l’Algérie à la commission rogatoire du 16 février 2018 (cf. lettre B.c.b ci-dessus). Les autorités helvétiques n’étaient donc pas en mesure d’organiser, concrètement, une protection de A______ à l'étranger.

D. a.a. Dans ses recours et réplique, A______ affirme avoir reçu l’ordonnance précitée le 12 juillet 2023.

Sur le plan formel, le Ministère public avait violé son droit aussi bien d'être entendu (art. 29 Cst féd.), faute, pour cette autorité, d'avoir donné suite à sa demande d'audition, qu'à une enquête effective au sens de l'art. 3 CEDH, laquelle s'imposait, compte tenu des avis divergents des Procureurs successivement en charge de la procédure P/1______/2017 s’agissant de l’instauration d’un programme de protection en sa faveur.

Sur le fond, le refus du Ministère public de requérir du SPT sa mise sous protection violait les art. 2 al. 1 let. a, 6 et 28 LTém. En effet, il avait collaboré, début 2018, aux investigations menées en Suisse et était, depuis lors, gravement menacé dans son intégrité physique. L'existence d'une possible collaboration, sur le plan pénal, entre les autorités helvétiques et algériennes, ne pouvait être d'emblée niée; quoiqu'il en soit, le financement de son déménagement dans une autre ville en Algérie ne nécessitait aucune coopération spécifique entre ces deux États. Subsidiairement, l'octroi d'un tel financement se justifiait en application du principe de la bonne foi (art. 5 al. 3 Cst féd.). À l’évidence, il n'aurait jamais consenti à déposer en Suisse s'il n'avait reçu, de la part du Ministère public, l'assurance de pouvoir bénéficier d’un programme de protection des témoins.

Il sollicitait l'assistance judiciaire, dès lors qu'il ne disposait d'aucun revenu régulier [sans autre précision] et que la cause présentait un caractère technique indéniable.

a.b. Pour étayer son indigence, A______ produit une attestation fiscale établie le 20 juillet 2023 par les autorités algériennes, aux termes de laquelle il ne "figure pas aux rôles de la Taxe Foncière et d'Asse ainissement (sic)".

b. Invité à se déterminer, le Procureur conclut à l'irrecevabilité du recours, aucune voie de droit n’étant ouverte contre la décision attaquée. En tout état, ledit recours était infondé, puisque les art. 29 Cst féd., 3 CEDH ainsi que 2 al. 1 let. a, 6 et 28 LTém n'avaient nullement été violés. De plus, A______ n’avait reçu aucune assurance "quant à la certitude de sa prise en charge (…) par le [SPT], à l'issue de la procédure algérienne".

EN DROIT :

1.             1.1. Les mesures de protection des témoins se subdivisent en deux catégories : celles dites procédurales, ancrées aux art. 149 et ss CPP, et celles dites extraprocédurales, visées par la LTém, destinées à protéger une personne en-dehors des actes d'enquête à proprement parler (Message du Conseil fédéral concernant l'approbation et la mise en œuvre de la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains et la loi sur la protection extraprocédurale des témoins [ci-après : Message], FF 2011 46 et s.).

En vertu de l'art. 6 al. 1 LTém, la direction de la procédure peut déposer, auprès du SPT, une demande de mise en place d'un programme de protection des témoins fondée sur cette loi.

Dans l'hypothèse où elle refuse de donner suite à la requête d’un témoin de saisir ce Service, l'intéressé est habilité à contester sa décision, conformément aux art. 393 et ss CPP (Message, FF 2011 68).

Il s'ensuit que le CPP est applicable à la présente procédure de recours, ouverte contre l’ordonnance querellée.

1.2. L'acte a été déposé dans le délai utile (art. 90 al. 2 et 396 al. 1 CPP), en l’absence de respect des réquisits de l’art. 85 al. 2 CPP.

Il est, de surcroît, motivé et exhaustif (art. 385 al. 1 et CPP), de sorte que son complètement, y compris après un éventuel apport de la cause P/1______/2017, n’a pas lieu d’être (art. 385 al. 2 CPP; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1447/2022 du 14 mars 2023 consid. 1.1).

Il émane, par ailleurs, d'un témoin (art. 105 al. 1 let. c CPP) qui, étant directement touché dans ses droits par l'ordonnance entreprise (art. 105 al. 2 et 382 CPP), a qualité pour agir.

1.3. À cette aune, le recours est recevable.

2. Le recourant sollicite l'administration de diverses preuves par la Chambre de céans (apport de la cause P/1______/2017 à la présente affaire et audition d'une ancienne Première Procureure).

2.1. La procédure de recours est en principe écrite (art. 397 al. 1 CPP). L'autorité est toutefois tenue d'administrer, d'office ou à la demande d'une partie, les preuves complémentaires nécessaires au traitement des griefs (art. 389 al. 3 CPP).

2.2. En l'espèce, les actes d’enquête susvisés ne sont pas utiles à trancher le litige.

En effet, le dossier comporte déjà les éléments topiques pour ce faire.

La demande de l’intéressé doit donc être rejetée.

3. Le recourant invoque une violation aussi bien de son droit d'être entendu que de celui à une enquête effective.

3.1.1. L'art. 29 al. 2 Cst féd. garantit au justiciable le droit de s'exprimer sur les éléments pertinents avant qu'une décision ne soit prise touchant sa situation juridique (arrêt du Tribunal fédéral 6B_903/2022 du 3 mars 2023 consid. 2.1). Il ne confère, en revanche, pas la faculté d'être entendu oralement (arrêt du Tribunal fédéral 6B_475/2023 du 14 juin 2023 consid. 3.1).

3.1.2. Lorsqu'une personne dénonce la violation de certaines des garanties offertes par la CEDH – garanties que les États contractants reconnaissent à toute personne relevant de leur juridiction (art. 1 de cette Convention) –, elle peut, dans certains cas, se prévaloir d'un droit à une enquête effective. Ainsi en va-t-il quand elle invoque l'art. 3 CEDH, lequel prohibe la torture ainsi que les traitements inhumains ou dégradants (arrêts du Tribunal fédéral 6B_15/2022 du 24 février 2023 consid. 2.1 et 6B_411/2020 du 26 avril 2021 consid. 5).

3.1.3. Le procureur qui saisit le SPT d’une demande de protection extraprocédurale d’un témoin est tenu de motiver celle-là, en précisant, notamment, l’intérêt public à poursuivre l’auteur de l’infraction, l’importance que revêt la collaboration dudit témoin pour la procédure en cause et l’ampleur de la menace (art. 6 al. 3 LTém).

Le Service précité examine ensuite, entre autres éléments, si le témoin est exposé à un danger considérable et s’il satisfait aux conditions de la mise en œuvre d’un programme de protection (art. 7 al. 1 let. a et b LTém).

Puis, le directeur de FEDPOL décide, sur requête – et préavis (Message, FF 2011 71) – du SPT, de l’instauration d’un tel programme (art. 8 al. 1 LTém). Sa décision, rendue en application de l'art. 5 de la Loi fédérale sur la procédure administrative (PA; RS 172.021; Message, ibidem), peut être querellée, tant par la personne à protéger que par le procureur (art. 8 al. 4 LTém).

Aux termes de l'art. 12 PA, l’autorité [chargée de rendre une décision] constate les faits d’office et procède, s’il y a lieu, à l’administration des preuves nécessaires.

3.2.1. In casu, le Ministère public a invité le recourant à lui fournir les explications et pièces étayant sa requête, avant de statuer sur celle-ci.

L'intéressé s’étant exprimé par écrit, son droit d'être entendu a été pleinement respecté.

Il s'est, du reste, prononcé de manière exhaustive – puisqu'il n'énonce pas, dans son recours, de fait nouveau, qu'il aurait, par hypothèse, souhaité communiquer oralement au Procureur –.

3.2.2. Le recourant ayant saisi le Ministère public d'une demande fondée sur la LTém, il ne saurait se prévaloir d’un droit à une enquête effective au sens de la CEDH, celle-là étant exclusivement destinée à confirmer/infirmer l'existence d'une violation de cette Convention.

En matière de protection extraprocédurale des témoins, la compétence pour investiguer la réalisation des conditions de la LTém appartient, non au Ministère public – dont le rôle se limite à requérir l'intervention des autorités fédérales (art. 6 al. 1 et 3 Tém) –, mais au SPT (art. 7 LTém) et/ou au directeur de FEDPOL (art. 12 PA).

Le Procureur n'était donc point habilité à mener une enquête.

3.3. Ces considérations scellent le sort des griefs.

4. Le recourant reproche au Ministère public d'avoir refusé de demander au SPT la mise en œuvre de la mesure sollicitée par ses soins.

4.1.1. La LTém s’applique à tout témoin qui, du fait de sa collaboration dans le cadre d’une procédure pénale menée par la Confédération ou les cantons, est, ou peut être, exposé à un danger mettant en péril sa vie ou son intégrité corporelle (art. 2 al. 1 let. a LTém). Ainsi en va-t-il, par exemple, en cas de menaces de mort, d’agressions physiques ou de mauvais traitements (Message, FF 2011 69 in fine).

La loi s'applique également aux proches du témoin qui, en raison de leur relation avec ce dernier, sont, ou peuvent être, exposés à un danger similaire (art. 2 al. 2 LTém).

4.1.2. La mise en place d’une mesure de protection peut intervenir tant pendant qu'après la clôture de la procédure pénale (cf. art. 6 al. 2 LTém; Message, FF 2011 68 in fine).

4.1.3. L’art. 5 LTém – disposition incorporée au chapitre 2 de la loi, intitulé "Programme de protection des témoins" – liste, de façon non exhaustive (M. HIRSIG-VOUILLOZ, Le projet fédéral de mesures de protection extraprocédurale des témoins, RSJ 108/2012 77 et ss, p. 81), les mesures susceptibles d'être prises. Il s’agit notamment de : reloger la personne concernée dans un lieu sûr (let. a), changer son lieu de travail, respectivement son domicile (let. b), et/ou la soutenir financièrement (let. f).

4.1.4. L'art. 28 LTém – inséré au chapitre 4 relatif à la "Coopération internationale" – prévoit la possibilité, soit de transférer un témoin résidant en Suisse à l'étranger (lorsque cette personne a collaboré avec la justice helvétique, mais que sa protection n’est pas/plus suffisamment assurée sur le territoire suisse; Message, FF 2011 50 et 84), soit, conformément au principe de la réciprocité entre les États, d’accueillir en Suisse, sur requête d’une autorité étrangère, un témoin en provenance d’un autre pays (où cet individu est menacé, en raison de sa collaboration avec la justice locale; FF 2011 50, 55 et 84). Il faut, pour cela, que : le Service de protection des témoins chargé d’accueillir l’individu soit apte à assurer les mesures de protection nécessaires (let. b); la Confédération helvétique entretienne des relations diplomatiques avec le pays concerné (al. 1 let. e); le Service de protection des témoins qui transfère la personne soit à tout moment en mesure de la reprendre en charge (al. 1 let. f).

L’art. 16 de l’Ordonnance fédérale sur la protection extraprocédurale des témoins (OTém; RS 312.21) précise que FEDPOL doit conclure, dans les cas relevant de l’art. 28 LTém, une convention avec l’autorité étrangère (al. 1), contenant les buts de la collaboration, les modalités financières, l’obligation d’établir des rapports et de présenter des comptes ainsi qu’une clause de réadmission (al. 2).

4.1.5. La doctrine envisage deux options pour protéger un témoin résidant à l’étranger, menacé du chef de sa collaboration avec la justice suisse : le déplacer sur le territoire helvétique pour lui permettre de bénéficier d’un programme de protection (en application de l’art. 28 LTém) ou confier cette protection à son pays d’origine, une collaboration étroite avec cet État devant être mise en place via, notamment, la conclusion d’un accord bilatéral (J.-R. OETTLI, La protection de victimes et des témoins, in La lutte contre l’impunité en droit suisse, Genève 2015, p. 65 et 66 ainsi que note de bas de page n. 50).

4.2. En l'occurrence, il appartient au directeur de FEDPOL de décider si les conditions d’application de la LTém sont ou non réunies (cf. à cet égard les développements exposés au consid. 3.1.3).

Le refus, par la direction de la procédure, de donner suite à la demande d’un témoin de saisir le SPT ne peut donc intervenir que si les réquisits de cette loi ne sont, sans doute aucun, pas réalisés.

Tel est le cas ici.

En effet, la mesure sollicitée par le recourant (changement de domicile en Algérie, aux frais des autorités suisses) sort du cadre de la LTém.

Cette législation institue un programme de protection, en Suisse, en faveur de témoins (menacés du chef de leur collaboration avec les autorités fédérales/cantonales) qui, soit se trouvent déjà sur le sol helvétique, soit peuvent y être accueillis pour bénéficier d’un tel programme (d’après la doctrine) – sans qu’il n’y ait lieu de déterminer, ici, si ce déplacement se déduit de l’art. 5 LTém (norme qui énonce une liste non exhaustive de mesures) ou de l’art. 28 LTém, le cas échéant applicable par analogie –. Lorsque la protection des intéressés ne peut être suffisamment assurée en Suisse, un transfert à l’étranger est concevable (art. 28 LTém), moyennant la conclusion d’un accord sur les modalités de leur protection avec l’État concerné (art. 16 OTém).

Il s’ensuit que la LTém ne confère point la faculté, à un témoin qui réside à l’étranger, de rester dans son pays pour y bénéficier d’une ou des mesures qu’elle instaure.

Dans ces circonstances, l’on peut se dispenser d'examiner si les considérations retenues par le Procureur à l'appui de sa décision querellée résistent à l'examen.

Le refus, par ce magistrat, de requérir du SPT la mise en œuvre de la mesure litigieuse doit donc être confirmé, par substitution de motif.

5. Le recourant dénonce une violation du principe de la bonne foi.

5.1. Valant pour l'ensemble de l'activité étatique, ce principe, ancré à l'art. 5 al. 3 Cst féd., confère à un citoyen, à certaines conditions, le droit d'exiger des autorités qu'elles se conforment aux promesses ou assurances précises qu'elles lui ont faites et ne trompent pas la confiance qu'il a légitimement placée en ces dernières (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1228/2020 du 22 septembre 2021 consid. 4.1).

Pour qu'une personne soit habilitée à invoquer la protection de sa bonne foi, elle doit avoir pris des dispositions auxquelles elle ne peut renoncer sans subir de préjudice (ibidem).

5.2. Dans la présente affaire, le Ministère public a requis du SPT, le 1er mars 2018, après concertation avec le recourant, le déplacement de ce dernier et de sa famille en Suisse, pour leur permettre d’y bénéficier d’une protection.

Que la Première Procureure ait ou non fourni à l'intéressé des garanties sur le résultat de cette demande n’est pas relevant ici.

En effet, le recourant réclame, aujourd’hui, la mise en place d’une mesure différente (déménagement dans une autre ville en Algérie, aux frais des autorités suisses), sans alléguer avoir reçu une quelconque assurance à ce sujet.

Il n'y a donc pas de place, dans ce contexte, pour une éventuelle protection de sa bonne foi.

6. Le recourant sollicite l'octroi de l'assistance judiciaire pour la procédure de recours.

6.1. Le témoin directement touché dans ses droits, au sens de l'art. 105 al. 2 CPP, peut être mis au bénéfice d'une telle assistance (ATF 144 IV 299 consid. 2.1), aux conditions cumulatives suivantes : il est indigent (ibidem) – ce qu'il lui appartient de démontrer, en fournissant des informations et pièces suffisantes, faute de quoi sa requête doit être rejetée (arrêt du Tribunal fédéral 1B_139/2022 du 2 mai 2022 consid. 3.1 in fine) –; sa cause ne paraît pas dépourvue de toute chance de succès et la sauvegarde de ses droits le justifie (ATF 144 IV 299 précité).

6.2. À la lumière de ces principes, le recourant ne fournit aucune information sur ses revenus – qu’il se contente d’affirmer être irréguliers –, charges et fortune, non plus que sur ceux de sa famille.

L’on sait seulement qu’il ne détient pas de bien immobilier (sur la base de l’unique document produit par ses soins).

Son impécuniosité alléguée n’étant pas (suffisamment) documentée, elle ne peut être tenue pour avérée.

À cela s’ajoute que ses conclusions étaient vouées à l’échec pour les raisons exposées aux considérants précédents.

La requête doit donc être rejetée.

7. 7.1. Le recourant, qui succombe (art. 428 al. 1 CPP), supportera les frais de la procédure liés à l’ordonnance du 10 juillet 2023, fixés à CHF 900.- en totalité (art. 3 cum 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ;
E 4 10.03).

7.2. Le refus de l’assistance judiciaire sera, quant à lui, rendu sans frais (art. 20 RAJ).

 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours et la demande d’assistance judiciaire.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours liés à l’ordonnance du 10 juillet 2023, arrêtés à CHF 900.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

 

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente ; Mesdames Alix FRANCOTTE CONUS et Françoise SAILLEN AGAD, juges ; Madame Oriana BRICENO LOPEZ, greffière.

 

La greffière :

Oriana BRICENO LOPEZ

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

 

PG/714/2022

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

815.00

Total

CHF

900.00