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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/10653/2023

ACPR/760/2023 du 02.10.2023 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : ADMINISTRATION DES PREUVES;POLICE;AUDITION OU INTERROGATOIRE
Normes : CPP.147; CPP.101

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/10653/2023 ACPR/760/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du lundi 2 octobre 2023

 

Entre

A______, domicilié c/o B______, ______, représenté par Me C______, avocat,

recourant,

contre "la décision du Ministère public de suspendre partiellement le caractère contradictoire de l'instruction lors d'auditions déléguées à la police, non incorporée et non formalisée",

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte déposé le 28 août 2023, A______ recourt contre "la décision du Ministère public de suspendre partiellement le caractère contradictoire de l'instruction lors d'auditions déléguées à la police, non incorporée et non formalisée".

Il conclut, sur "mesures superprovisionnelles et provisionnelles", à l'annulation des auditions de témoins prévues le 30 août 2023 et déléguées à la Brigade de répression du banditisme (ci-après: BRB) et, sur le fond, à l'annulation de la décision du Ministère public, "prise à une date inconnue et sous une forme inconnue", de l'exclure des auditions en question et à ce qu'il soit ordonné que celles-ci soient contradictoires et tenues en sa présence et celle de son conseil.

b. Par ordonnance du 29 août 2023 (OCPR/52/2023), la Direction de la procédure a restitué l'effet suspensif, en ce sens que le Ministère public et, en tant que besoin, la police, s'abstiennent de procéder aux auditions prévues le 30 août 2023 jusqu'à droit connu sur le recours.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. A______ est notamment prévenu d'extorsion et de chantage, de menaces, de contrainte et de séquestration pour avoir, durant la soirée du 15 mai 2023, de concert avec D______:

- menacé de mort E______, mère de F______, en affirmant que si ce dernier ne rendait pas l'argent provenant de la vente d'une montre, il y allait avoir des problèmes avec un colonel saoudien prénommé "G______";

- menacé F______ en lui disant qu'il allait "l'exposer", le "mettre dans une cave" et le "découper" si l'intéressé ne remettait pas à D______ la somme de CHF 12'000.-;

- dans ces mêmes circonstances, tenté de déterminer F______ à des actes préjudiciables à ses intérêts pécuniaires en le menaçant d'un dommage sérieux, soit en lui montrant qu'il était en possession d'une arme à feu, et en l'entravant dans sa liberté d'action, en le contraignant à rester dans le véhicule dans lequel il était monté, requérant la remise d'une somme de CHF 97'000.- au total.

b. En lien avec ces faits, pour lesquels F______ et E______ ont déposé plainte, A______ a été interpellé le 16 mai 2023 et placé en détention provisoire, laquelle a été prolongée par le Tribunal des mesures de contrainte jusqu'au 16 septembre suivant (OTMC/2043/2023 du 11 juillet 2023). Il a été remis en liberté le 8 septembre 2023. Dans le cadre d'une procédure parallèle (P/1______/2023), le Ministère public a demandé – et obtenu – sa mise en détention provisoire jusqu'au 7 novembre 2023 (OTMC/2682/2023 du 11 septembre 2023), laquelle a finalement pris fin le 15 septembre 2023 (OTMC/2773/2023 du 19 septembre 2023).

Le Ministère public a ordonné la défense d'office de A______ et nommé Me C______ en cette qualité.

c. Entendus par la police le jour de leur interpellation, A______ et D______ ont contesté l'ensemble des faits reprochés.

En substance, ils savaient que le dénommé "G______" avait remis une montre appartenant à sa mère à F______ pour qu'il la vende à un prix déterminé. Ce dernier ne s'était toutefois pas exécuté. Pour rendre service à "G______", ils avaient donc cherché à régler le problème à l'amiable. Ils s'étaient d'abord rendus au domicile de F______, où ils avaient échangé avec E______, puis avaient retrouvé l'intéressé en ville, accompagné de trois personnes, dont un ami, nommé "H______". Après discussions, ils avaient raccompagné F______ chez lui pour récupérer de l'argent et rembourser "G______".

d. Le 26 mai 2023, le Ministère public a délivré un mandat d'acte d'enquêtes à la police, l'invitant à identifier "G______" et l'entendre ainsi que la mère de celui-ci. Le mandat précisait qu'au vu de la nécessité d'administrer les preuves principales, les auditions devaient se faire en l'absence des autres parties.

e. Le 14 juin 2023, le Ministère public a tenu une audience de confrontation entre les prévenus et les plaignants. A______ et D______ ont, derechef, contesté les faits.

A______ a notamment déclaré qu'au moment de retrouver F______, ce dernier était accompagné de plusieurs amis, dont un prénommé "I______".

D'autres audiences de confrontation entre les parties précitées se sont tenues les 22 juin, 4 juillet, 18 et 28 août 2023.

f. Le 15 juin 2023, le Ministère public a adressé à la police un mandat d'actes d'enquête (pièce C-104 au dossier), la priant notamment d'identifier le prénommé "G______" et l'entendre ainsi que la mère de ce dernier. La police devait également entendre les prénommés "I______" et "H______" en qualité de témoins.

Les personnes à aviser des auditions et de leurs droits d'y participer étaient "les avocats des prévenus et des parties plaignantes".

g.a. Le même jour, A______, sous la plume de son conseil, a envoyé un courrier au Ministère public, précédé par e-fax, faisant suite à l'audience de la veille. Il aurait été évoqué, à cette occasion, la délivrance d'un mandat d'actes d'enquête aux fins d'entendre "le prince G______" ainsi que le prénommé "I______". Selon sa compréhension, ces auditions allaient être tenues "en excluant les prévenus et leurs conseils", ce qui contrevenait à l'art. 147 CP. Le mandat en question devait donc être rectifié en ordonnant "le respect du contradictoire".

g.b. Sur une copie dudit courrier se trouve une inscription manuscrite du Ministère public datée du 16 juin 2023, avec tampon humide, dont la teneur est la suivante: "Maître, Le mandat d'acte d'enquête a été modifié dès la fin de l'audience en ce sens que la police a reçu l'instruction d'aviser tous les avocats de la procédure, tant pour l'audition du Prince G______, de sa mère, de I______ et de H______".

Selon une fiche d'envoi, le Ministère public a transmis le courrier ainsi complété par e-fax, le 16 juin 2023, au conseil de A______.

h.a. Par courrier du 19 suivant, A______ a notamment remercié le Ministère public d'avoir "amendé" le mandat d'actes d'enquête et sollicité un tirage dudit mandat, qui "ne figurait pas dans la copie du dossier remise la semaine dernière".

h.b. Sur la copie de ce courrier reçu par le Ministère public par e-fax se trouve la mention manuscrite "Tel le 19.6.23".

i. Le 26 juin 2023, sur délégation du Ministère public, la police a entendu G______, soit "G______", et sa mère, J______. Les auditions se sont déroulées en présence des conseils des deux prévenus.

j. Par courrier du 27 juillet 2023, A______ a, derechef, sollicité une copie du mandat d'actes d'enquête. En outre, pour les auditions tenues le 26 juin 2023, son conseil avait reçu, en amont des audiences, un courriel de la police à teneur duquel lui et son co-prévenu seraient extraits de [la prison] K______ pour y être présents. Or, une fois sur place, son conseil avait été informé qu'il s'agissait d'une erreur. Le Ministère public avait confirmé, au téléphone, que G______ et J______ devaient être entendus hors la présence des prévenus. Il craignait ainsi qu'il en aille de même pour l'audition de "H______" et "I______".

k. Les auditions, par la police, des deux précités, prévues pour le 2 août 2023, ont été repoussées au 30 suivant.

l. Le 16 août 2023, le conseil de A______ a sollicité la mise à disposition du dossier pour consultation, ce qui lui a été accordé pour le lendemain.

C. Dans son recours, A______ soutient que le mandat d'actes d'enquête dont il avait sollicité, en vain, une copie ne figurait pas au dossier consultable. Après les auditions du 26 juin 2023, pour lesquelles il avait été informé, à tort, qu'il serait présent et à la suite de l'annulation de celles prévues pour le 2 août 2023, repoussées au 30 suivant, la police l'avait informé, par courriel du 23 août 2023, que seul son conseil serait admis à y assister, à la demande du Ministère public. Cette autorité n'ayant rendu aucune décision formelle à ce sujet, le recours portait contre ladite demande adressée à la police, dont il avait eu connaissance indirectement.

Son exclusion des auditions prévues pour le 30 août 2023 était contraire au droit et à la jurisprudence, soit notamment l'ACPR/902/2021. Il avait été entendu à de nombreuses reprises et exécutait une détention provisoire pour des faits déjà largement instruits. En outre, le risque de voir les parties altérer l'audition des témoins concernés relevait de la conjecture. Ces témoins étaient des amis de F______, avec lequel ils avaient vraisemblablement déjà discuté de la procédure. Leurs auditions pourraient, par ailleurs, être plus objectives s'ils devaient relater des faits face à des personnes présentes le soir en question.

À l'appui de son recours, A______ produit notamment un courriel du 23 août 2023 de la BRB, adressé à son conseil. Les auditions prévues le 30 suivant concerneraient "H______" et "I______" et seuls les avocats des prévenus et de la partie plaignante seraient présents. À la demande de la Direction de la procédure, les prévenus ne seraient pas extraits de la prison.

D. a. Le jour du dépôt du recours, le Ministère public a tenu une audience en présence de A______ et son conseil. Le procès-verbal comporte la note suivante:

"Vous nous dites que les auditions déléguées à la police se feront conformément à ce que vous aviez déjà dit, hors confrontations avec les prévenus et plaignants.

En effet, au vu de la nécessité d'administrer les preuves principales, les auditions se feront en l'absence des prévenus et partie plaignante, mais en présence de leurs conseils (art. 101 et 147 CP). En effet, il est primordial à ce stade de l'enquête d'éviter que la présence ne puisse influencer les déclarations des témoins, étant relevé que les auditions pourront, cas échéant, être réitérées". Les voies de droit contre cette "décision" suivraient.

b. Le 28 août 2023, la Chambre de céans a transmis au conseil de A______ les mandats d'actes d'enquête des 26 mai et 15 juin 2023, ainsi que le procès-verbal d'audience du 28 août 2023, afin de préciser contre laquelle de ces trois décisions le recours était dirigé.

c. A______ a répondu que son recours visait la décision contenue dans le procès-verbal concerné, ainsi que le mandat d'actes d'enquête du 15 juin 2023, qu'il découvrait pour la première fois.

E. a. Dans ses observations, le Ministère public soutient que même s'il ne pouvait pas dater à quel moment il y avait été versé, le mandat d'actes d'enquête litigieux, numéroté dans la procédure, figurait au dossier, consulté par A______ le 17 août 2023. Pour les auditions prévues le 30 août 2023, il avait bel et bien instruit la police d'y procéder dans les plus brefs délais et, conformément au mandat précité, en l'absence des prévenus mais en présence de leurs conseils. Cela avait d'ailleurs été rappelé aux intéressés à l'issue de l'audience du 28 août 2023. Sur le fond, conformément à l'ACPR/173/2022 du 10 mars 2022, A______ n'était pas interdit de l'administration des preuves puisque son conseil pouvait assister aux auditions prévues de "H______" et "I______". Son exclusion personnelle se justifiait, en revanche, par la nécessité d'administrer les preuves principales et par l'intérêt d'éviter que, par leur présence, les co-prévenus ne puissent influencer les déclarations des témoins. Que A______ fût déjà entendu à de nombreuses reprises était sans pertinence puisqu'il n'avait fait que contester les faits, en relatant une version contradictoire avec celle de F______, en particulier sur des points essentiels. Le témoignage de tiers ayant assisté à la soirée du 15 mai 2023 s'avérait ainsi indispensable à la recherche de la vérité.

b. Dans sa réplique, A______ maintient que le mandat d'actes d'enquête du 15 juin 2023 ne figurait pas au dossier. Il n'avait eu connaissance que le 23 août 2023 de la "décision" du Ministère public de limiter à la présence de son conseil les auditions du 30 août 2023, par l'intermédiaire de la BRB, le 25 suivant, par un échange "informel" avec le Ministère public et, enfin, à l'issue de l'audience du 28 août 2023. Ledit acte ne restreignait, par ailleurs, pas les droits des parties d'y participer. Il était fait mention "d'aviser les avocats", ce qui n'emportait pas dans son sillage son exclusion en qualité de prévenu, étant précisé qu'il avait un droit d'assister personnellement aux auditions. Le Ministère public ne soulevait aucun risque concret permettant de justifier son exclusion. La décision était, enfin, inopportune puisque F______ avait vraisemblablement déjà eu tout le temps nécessaire pour contacter "I______" et "H______".

EN DROIT :

1.             1.1. Le recourant affirme n'avoir eu connaissance du mandat d'actes d'enquête du 15 juin 2023, par lequel le Ministère public a délégué à la police les auditions litigieuses, en précisant que seul les conseils des prévenus devaient être avisés de leur droit d'y participer, que lors de sa transmission par la Chambre de céans. Il soutient que le document ne se trouvait pas dans le dossier consultable et n'avoir jamais reçu la copie sollicitée auprès de l'instance précédente.

Sa première affirmation est invérifiable et rien au dossier ne vient contredire la seconde.

Tout au plus, il peut être établi que le recourant – soit pour lui son conseil – a pris connaissance de la note manuscrite de la Procureure du 16 juin 2023, inscrite sur son courrier de la veille. Eu égard au contenu imprécis de cette note, le recourant ne pouvait en déduire qu'il serait, contrairement à son conseil, personnellement exclu des auditions mentionnées. D'autant moins qu'en amont de celles tenues le 26 juin 2023, son conseil avait reçu, à tort, l'information qu'il serait extrait de [la prison] K______ pour y participer.

S'agissant d'une restriction du droit de participer à l'administration des preuves, le Ministère public était tenu de communiquer au recourant une décision qui puisse être soumise au contrôle d'une autorité supérieure (arrêt du Tribunal fédéral 1B_329/2014 du 1er décembre 2014 consid. 2.2). Dans les circonstances du cas d'espèce, étant rappelé qu'il appartient au Ministère public de notifier ses prononcés par un mode de communication impliquant un accusé de réception (art. 85 al. 2 CPP), il peut être retenu que le recourant n'a pris connaissance de la décision de l'exclure – personnellement – des auditions de "H______" et "I______" que le 28 août 2023, par le biais de la note inscrite au terme du procès-verbal de l'audience du même jour et par l'envoi du mandat d'actes d'enquête.

Partant, le recours ayant été déposé le jour en question, il respecte le délai légal prévu à l'art. 396 al. 1 CPP.

1.2. Pour le surplus, l'acte a été déposé selon la forme prescrite (art. 385 al. 1 CPP), concerne une décision sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émane du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée, les auditions litigieuses n'ayant pas encore été effectuées (cf. ACPR/822/2022 du 22 novembre 2022 consid. 1.2.2).

2.             Le recourant conteste son exclusion aux auditions de témoins initialement prévues le 30 août 2023.

2.1. À titre de remarques liminaires, il n'est pas contesté que ces auditions interviennent sur délégation du Ministère public au sens de l'art. 312 CPP, de sorte que les modalités prévues à l'art. 159 CPP sont inapplicables.

Par ailleurs, nulle règle générale applicable au cas d'espèce ne peut être déduite de l'arrêt de la Chambre de céans (ACPR/173/2022 du 10 mars 2022) évoqué par le Ministère public à l'appui de ses observations. Ledit arrêt ne portait pas sur une


restriction du droit de participer à l'administration des preuves au sens de l'art. 147 al. 1 CPP. En outre, il ne ressort pas de l'état de fait que le prévenu – recourant – dans cette affaire aurait émis le souhait de participer personnellement, avec son conseil, aux auditions déléguées à la police, contrairement au cas d'espèce. Dans la mesure où un prévenu peut valablement renoncer – même tacitement – à son droit de participer à l'administration d'une preuve (cf. arrêt du Tribunal fédéral 6B_383/2019 du 8 novembre 2019 consid. 8.1.2), cette éventualité n'est pas abordée dans l'arrêt précité de la Chambre de céans, empêchant dès lors toute généralisation des considérants émis à cette occasion.

2.2. L'art. 147 al. 1 1ère phrase CPP consacre le principe de l'administration des preuves en présence des parties durant la procédure d'instruction et les débats. Il en ressort que les parties ont le droit d'assister à l'administration des preuves par le ministère public et les tribunaux, ainsi que de poser des questions aux comparants. Ce droit spécifique de participer et de collaborer découle du droit d'être entendu (art. 107 al. 1 let. b CPP).

2.3. Pour le Tribunal fédéral, la notion de "partie" ne vise pas le conseil, mais le prévenu (arrêts du Tribunal fédéral 6B_289/2020 du 1er décembre 2020 consid. 4.5.1; 6B_653/2016 du 19 janvier 2017 consid. 1.3.1; 6B_98/2014 du 30 septembre 2014 consid. 5.3). Dans un arrêt isolé, il a inclus le conseil dans cette notion de partie, en citant toutefois à l'appui des arrêts affirmant l'inverse (arrêt du Tribunal fédéral 6B_276/2018 du 24 septembre 2018 consid. 2.1.1).

Dans un arrêt du 22 mars 2019 (6B_135/2018), le Tribunal fédéral a retenu que les droits de participation (au sens de l'art. 147 al. 1 CPP) reviennent, en premier lieu, à la partie en personne et, de manière cumulative, au défenseur ("Die Teilnahmerechte stehen primär der Partei persönlich und kumulativ hierzu der Verteidigung zu").

2.4. La doctrine majoritaire se rallie à l'avis exprimé isolément par le Tribunal fédéral, selon lequel le droit de participer à l'administration des preuves appartient au prévenu et à son conseil (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 1 ad art. 147; M. NIGGLI / M. HEER / H. WIPRÄCHTIGER, Schweizerische Strafprozessordnung / Schweizerische Jugendstrafprozessordnung, Basler Kommentar StPO/JStPO, 3ème éd., Bâle 2023, n. 11 ad art. 147; Y. JEANNERET / A. KUHN, Précis de procédure pénale, Berne 2018, n. 10001; N. SCHMID / D. JOSITSCH, Schweizerische Strafprozessordnung : Praxiskommentar, 4ème éd., Zurich 2023, n. 5 ad art. 147).

Cette approche est considérée comme la seule compatible avec l'art. 147 al. 3 CPP, qui permet la répétition de l'acte en cas d'absence du conseil juridique seulement, ainsi qu'avec la jurisprudence relative à l'art. 6 § 3 let. d CEDH, selon laquelle le droit de poser des questions aux comparants appartient tant au prévenu qu'à son défenseur (A. GUISAN, La violation du droit de participer [art. 147 CPP], PJA 2019 337 ss, p. 338).

2.5. L'avis de la doctrine sur la notion de partie au sens de l'art. 147 al. 1 CPP emporte la conviction de la Chambre de céans.

Accorder le droit de participer à l'administration des preuves exclusivement au prévenu, et non à son conseil, irait à l'encontre de leur droit conjoint de poser des questions, conformément aux exigences découlant de la CEDH (cf. arrêts du Tribunal fédéral 6B_886/2017 du 26 mars 2018 consid. 2.3.2; 6B_542/2016 du 5 mai 2017 consid. 2.3; 6B_208/2015 du 24 août 2015 consid. 8.2). Par ailleurs, il serait contradictoire de nier un tel droit au conseil et de subordonner, deux alinéas plus loin, la possibilité d'une partie (ou du conseil de celle-ci) de demander la répétition d'un acte à la condition que le défenseur fût empêché d'y participer pour des motifs impérieux (art. 147 al. 3 CPP).

De surcroît, reconnaître un tel droit – conjoint et cumulatif – de participer au prévenu et à son conseil ne se heurte pas fondamentalement à la jurisprudence fédérale, qui n'affiche pas une ligne établie sur la question et prône même – directement ou indirectement – cette solution.

De ce qui précède, il peut déjà être conclu que le recourant et son conseil pouvaient s'attendre à être convoqués les deux et à pouvoir participer ensemble aux auditions prévues le 30 août 2023. Comme corollaire, ce droit commun étant "cumulatif" et non "alternatif", la seule présence du conseil du recourant ne suffit pas à réparer le droit d'être entendu de ce dernier, dès lors qu'il avait demandé à participer personnellement à ces audiences.

3.             Reste alors à examiner si l'exclusion du recourant était fondée.

Le Ministère public justifie sa décision par la nécessité d'administrer les preuves principales au sens de l'art. 101 al. 1 CPP et pour éviter que la présence du recourant n'influe sur les déclarations des témoins.

3.1. Le droit de participer prévu par l'art. 147 al. 1 CPP ne peut être restreint qu'aux conditions prévues par la loi, tel que les art. 108, art. 146 al. 4, 149 al. 2 let. b et également art. 101 al. 1 CPP (ATF 143 IV 397 consid. 3.3.1).

3.2. Après la première audition du prévenu, des restrictions au droit des parties de participer à l'administration des preuves demeurent possibles sur la base des art. 108 al. 1, 146 al. 4 et 149 al. 1 et 2 CPP. Des restrictions au sens de l'art. 101 al. 1 CPP par analogie ne se justifient cependant pas s'agissant de prévenus qui ont déjà été auditionnés (ATF 139 IV 25 consid. 5.5.4.2; arrêt du Tribunal fédéral 6B_321/2017 du 8 mars 2018 consid. 1.5.1). Certains auteurs considèrent toutefois qu'après la première audition du prévenu, une exclusion fondée sur une application analogique de l'art. 101 al. 1 CPP, au motif que l'audition d'autres personnes (personnes appelées à donner des renseignements ou témoins) constitue l'administration de preuves principales et qu'un risque concret de collusion subsiste, ne devrait être admise que dans des situations exceptionnelles (cf. Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 3f ad art. 147).

3.3. Le ministère public peut ainsi examiner de cas en cas – à l'image de la consultation du dossier selon l'art. 101 al. 1 CPP – s'il existe des motifs objectifs pour restreindre momentanément la présence des parties à l'administration des preuves. En particulier, de tels motifs sont donnés s'il existe un risque de collusion concret avant que l'autorité pénale ne donne des injonctions. L'accusé (qui n'a pas encore été interrogé) peut être exclu de l'audition d'un coaccusé, d'une personne appelée à donner des renseignements ou d'un témoin qui porte sur des faits le concernant et auxquels il n'a lui-même pas encore pu être confronté (ATF 139 IV 25 consid. 5.5.4.1; arrêt du Tribunal fédéral 6B_256/2017 du 13 septembre 2018 consid. 2.2; A. GUISAN, op. cit., p. 341). Une simple éventualité que les intérêts de la procédure soient abstraitement mis en péril ne suffit pas (ATF 139 IV 25 consid. 5.5.4.1; arrêt du Tribunal fédéral 1B_606/2019 du 19 mai 2020 consid. 3.2).

3.4. En l'espèce, point n'est nécessaire de trancher la question de savoir si une application analogique de l'art. 101 al. 1 CPP reste possible après l'audition du prévenu, dans la mesure où les critères pour restreindre le droit de participer à l'administration des preuves ne sont, de toute manière, par réunis.

Le Ministère public n'étaye nullement en quoi il était nécessaire d'exclure le recourant des auditions litigieuses. Cette position se révèle, de toute manière, insoutenable au vu du dossier. Le recourant a d'ores et déjà été entendu à maintes reprises. S'il a, certes, constamment contesté les charges, il n'en demeure pas moins qu'il a livré sa version des faits à la police et au Ministère public, ce qui ne permet pas de retenir l'hypothèse d'une collision d'intérêts au sens de l'art. 146 al. 4 let. a CPP.

Il n'a pas non plus été établi, ni même allégué par le Ministère public, que le prévenu aurait adopté – au moment des faits ou par la suite – un comportement menaçant vis-à-vis des témoins, et que ceux-ci pouvaient craindre de se sentir intimidés. Aucune raison ne pousse donc à croire que la présence du recourant à leurs auditions influencerait leurs déclarations dans un sens défavorable à la manifestation de la vérité. Au contraire, force est de constater qu'en l'état, des liens existent seulement entre les témoins et le plaignant. Un risque d'influence pernicieuse du recourant sur les prévenus apparaît dès lors purement abstrait, soit insuffisant au regard des exigences légales susmentionnées.

Par conséquent, il n'existe aucun motif légal permettant de fonder une restriction du droit du recourant de participer, personnellement, aux auditions de "I______" et "H______".

Partant, le recourant doit être admis à ces audiences, tout comme son conseil.

La décision contraire du Ministère public, contenue dans son mandat d'actes d'enquête du 15 juin 2023 et dans la note au procès-verbal du 18 août suivant sera donc annulée. Selon son appréciation, l'autorité précédente devra soit procéder elle-même aux auditions en présence des intéressés, soit modifier ses instructions à la police pour respecter ce qui précède.

4.             L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP).

5.             La procédure n'étant pas close, il n'y a pas lieu d'indemniser à ce stade le défenseur d'office (art. 135 al. 2 CPP).

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours.

Annule la décision querellée et renvoie la cause au Ministère public pour qu'il procède dans le sens des considérants.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt, en copie, à A______ et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Oriana BRICENO LOPEZ, greffière.

 

La greffière :

Oriana BRICENO LOPEZ

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).