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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/3072/2023

ACPR/715/2023 du 13.09.2023 sur OTMC/2055/2023 ( TMC ) , ADMIS/PARTIEL

Descripteurs : MESURE DE SUBSTITUTION À LA DÉTENTION;PROLONGATION;RISQUE DE COLLUSION;CALCUL DU DÉLAI
Normes : CPP.227; CPP.237; CPP.89

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/3072/2023 ACPR/715/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 13 septembre 2023

Entre

A______, domicilié ______, représenté par Me B______, avocat,

recourant

 

contre l'ordonnance de prolongation de mesures de substitution, rendue le 21 juillet 2023 par le Tribunal des mesures de contrainte

 

et

LE TRIBUNAL DES MESURES DE CONTRAINTE, rue des Chaudronniers 9, 1204 Genève - case postale 3715, 1211 Genève 3,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés

 


EN FAIT :

A.           Par acte expédié le 3 août 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 21 juillet 2023, notifiée le 25 suivant, par laquelle le Tribunal des mesures de contrainte (ci-après : TMC) a prolongé les mesures de substitution en vigueur contre lui et dit qu'elles courraient jusqu'au 8 février 2024.

Le recourant conclut à l'annulation de cette décision et à l’abandon (« la non-prolongation ») de deux de ces mesures, à savoir l’interdiction de tout contact avec son fils et l’obligation de se soumettre à un suivi (« de se présenter ») au Service de probation et d’insertion (ci-après, SPI).

B.            Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a.             A______ est prévenu de violences physiques aggravées (notamment à coups de ceinture) sur son fils né en 2012. Il a contesté les faits, affirmant qu’ils s’étaient produits en milieu scolaire, puis a admis avoir « chicoté » son fils au moyen d’une ceinture et soutient dans son recours avoir fait preuve depuis lors de remords et de regrets. Le 10 février 2023, surlendemain de son appréhension, le TMC l’a mis en liberté sous mesures de substitution, valables pour une durée de six mois et consistant à s’abstenir de tout contact avec son fils, à entreprendre un traitement psychothérapeutique [en cours auprès de l’association C______] et à se présenter et se soumettre au SPI pour le suivi de ces mesures.

b.             Le 22 mai 2023, le SPI observait dans un rapport au Ministère public que A______ « n’entrevoyait pas » la possibilité d’une récidive, dès lors qu’il affirmait comprendre « maintenant » le caractère illégal de ses actes. Le 4 juillet 2023, C______ a rendu compte au SPI des séances tenues avec A______, qui en était au début de sa prise en charge et consentait à « mettre progressivement en travail » les difficultés qu’il rencontrait dans l’éducation de son fils ; était également abordé son sentiment d’injustice et d’incompréhension envers la procédure pénale. Selon son curateur, l’enfant n’était pas désireux de revoir son père, car il en avait « un peu » peur.

c.              Le 6 juillet 2023, le Ministère public a demandé au TMC de prolonger pour une nouvelle durée de six mois les mesures en vigueur.

d.             Cette requête a été transmise par le TMC à l’adresse électronique de l’étude de l’avocat de A______, invité à présenter ses éventuelles observations sous trois jours. Le dossier comporte l’impression d’un message attestant que la remise des documents était « terminée », mais qu’aucune « notification de remise » n’avait été envoyée par le serveur de destination. Aucune détermination de la défense n’est parvenue au TMC.

e.              Le 12 juillet 2023, le TMC a rendu une ordonnance entachée d’erreurs matérielles et contradictions, notamment sur une prétendue levée partielle, dans l’intervalle, d’une mesure édictée à l’encontre d’un autre justiciable et sur l’abandon de l’interdiction de tout contact de A______ avec son fils. Saisi le 21 juillet 2023 par le Ministère public, alerté par le SPI et se plaignant au passage que le risque de collusion n’eût pas été retenu, le TMC a rendu, sur le fondement de l’art. 83 CPP, une ordonnance annulant et remplaçant sa décision du 12 précédent ; A______ en a reçu notification personnellement le jour même. En substance, les mesures de substitution prononcées le 10 février 2023 sont intégralement reconduites, « pour une durée de six mois à compter de leur échéance, soit jusqu’au au 8 février 2024 ».

C.           Dans cette décision, le TMC retient que la prolongation demandée par le Ministère public se justifiait, au motif que les charges restaient suffisantes et graves et que le risque de collusion était important, tout comme le risque de réitération. Une durée de six mois restait raisonnable, et tant le prévenu que le Ministère public pourraient en demander si nécessaire le raccourcissement.

D.           a. À l'appui de son recours, A______ critique les deux ordonnances successivement rendues, mais précise n’attaquer formellement que celle datée du 21 juillet 2023. Il avait été « rassuré » par le dispositif de celle datée du 12 juillet 2023, qui devait lui permettre de renouer avec son fils et qu’il n’avait donc pas attaquée. Son avocat avait été avisé par téléphone des erreurs matérielles constatées dans cette décision, mais n’avait jamais eu l’occasion de se prononcer sur la requête du Ministère public, en violation du droit d’être entendu. Le risque de collusion était inexistant. Comme son fils vivait en foyer, le risque de réitération était nul. Le Service de protection des mineurs (SPMi) serait amené à surveiller l’exercice de son droit de visite.

b. Le TMC déclare persister dans sa décision.

c. Le Ministère public conclut au rejet du recours.

d. Dans sa réplique, A______ explique n’avoir jamais renoncé à présenter des déterminations sur la requête du Ministère public.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 222, 237 al. 4 et 393 al. 1 let. c CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP). Le délai de recours part bien de la notification du prononcé rectifié, au sens de l’art. 83 al. 4 CPP (N. SCHMID / D. JOSITSCH, Schweizerische Strafprozessordnung : Praxiskommentar, 4ème éd., Zurich 2023, n. 5 ad art. 83).

2.             Le recourant se plaint d'une violation de son droit d’être entendu, pour n’avoir pas eu l’occasion d’exercer son droit de se déterminer sur la requête du Ministère public.

Il est vrai que le dossier ne comporte pas la preuve que la communication électronique du TMC, transmettant ladite requête, a efficacement atteint l’avocat du recourant ; et il est vrai aussi qu’après avoir constaté des erreurs matérielles et des contradictions dans son ordonnance du 12 juillet 2023, le TMC n’a pas non plus respecté l’art. 83 al. 3 CPP avant de statuer à nouveau.

Ce nonobstant, le recourant n’invoque pas de violation de cette disposition légale ; c’est ainsi à la seule lumière des principes applicables aux mesures de substitution et au droit d’être entendu y relatif (art. 237 al. 4 et 227 al. 3 CPP) que doivent s’examiner les mérites de son grief.

Or, dans la présente instance, le recourant a pu s’exprimer complètement et sans limitation sur les arguments appuyant la demande de prolongation des mesures ordonnées le 10 février 2023. On ne voit donc pas l’intérêt – et il n’en fait d’ailleurs valoir aucun – à annuler la décision attaquée pour violation du droit d’être entendu, car la Chambre jouit d’un pouvoir d’examen complet, en fait et en droit, de sorte que la violation du droit d’être entendu a été réparée.

Au demeurant, le recourant ne conclut pas à ce que la cause soit renvoyée au TMC pour que cette autorité statue à nouveau.

3.             Le recourant conteste que l’interdiction de contact avec son fils et la supervision par le SPI des mesures de substitution soient encore nécessaires.

3.1.       Concrétisant le principe de la proportionnalité, l'art. 237 al. 1 CPP prévoit que le tribunal compétent ordonne une ou plusieurs mesures moins sévères en lieu et place de la détention provisoire ou de la détention pour des motifs de sûreté, si ces mesures permettent d'atteindre le même but que la détention. Selon l'al. 2 de cette disposition, fait notamment partie des mesures de substitution l'interdiction d'entretenir des relations avec certaines personnes (let. g). Cette disposition a été conçue avant tout pour éviter les risques de collusion ou de récidive, p. ex. en matière de violences domestiques (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 14 ad art. 237).

3.2.            Selon l'art. 221 al. 1 let. b CPP, applicable aux mesures de substitution par renvoi de l'art. 237 al. 4 CPP, la détention provisoire ne peut être ordonnée que lorsqu'il y a sérieusement lieu de craindre que le prévenu compromette la recherche de la vérité en exerçant une influence sur des personnes ou en altérant des moyens de preuve.

Pour retenir l'existence d'un risque de collusion, l'autorité doit démontrer que les circonstances particulières du cas d'espèce font apparaître un danger concret et sérieux de manœuvres propres à entraver la manifestation de la vérité, en indiquant, au moins dans les grandes lignes et sous réserve des opérations à conserver secrètes, quels actes d'instruction elle doit encore effectuer et en quoi la libération du prévenu en compromettrait l'accomplissement. Dans cet examen, entrent en ligne de compte les caractéristiques personnelles du détenu, son rôle dans l'infraction ainsi que ses relations avec les personnes qui l'accusent. Entrent aussi en considération la nature et l'importance des déclarations, respectivement des moyens de preuve susceptibles d'être menacés, la gravité des infractions en cause et le stade de la procédure. Plus l'instruction se trouve à un stade avancé et les faits sont établis avec précision, plus les exigences relatives à la preuve de l'existence d'un risque de collusion sont élevées (ATF 137 IV 122 consid. 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_687/2021 du 11 janvier 2022 consid. 4.1).

3.3.       Pour admettre un risque de récidive au sens de l'art. 221 al. 1 let. c CPP, les infractions redoutées, tout comme les antécédents, doivent être des crimes ou des délits graves, au premier chef les délits de violence (ATF 143 IV 9 consid. 2.3.1 et les références). Plus l'infraction et la mise en danger sont graves, moins les exigences sont élevées quant au risque de réitération. Il demeure qu'en principe le risque de récidive ne doit être admis qu'avec retenue comme motif de détention. Dès lors, un pronostic défavorable est nécessaire pour admettre l'existence d'un tel risque (ATF 143 IV 9 consid. 2.9). Pour établir le pronostic de récidive, les critères déterminants sont la fréquence et l'intensité des infractions poursuivies. Cette évaluation doit prendre en compte une éventuelle tendance à l'aggravation telle qu'une intensification de l'activité délictuelle, une escalade de la violence ou une augmentation de la fréquence des agissements. Les caractéristiques personnelles du prévenu doivent en outre être évaluées (ATF 146 IV 326 consid. 2.3.1; arrêt du Tribunal fédéral 1B_668/2021 du 4 janvier 2022 consid. 4.1). Bien qu'une application littérale de l'art. 221 al. 1 let. c CPP suppose l'existence d'antécédents, le risque de réitération peut être également admis dans des cas particuliers alors qu'il n'existe qu'un antécédent, voire aucun dans les cas les plus graves. La prévention du risque de récidive doit en effet permettre de faire prévaloir l'intérêt à la sécurité publique sur la liberté personnelle du prévenu (ATF 137 IV 13 consid. 3-4). Le risque de récidive peut également se fonder sur les infractions faisant l'objet de la procédure pénale en cours, si le prévenu est fortement soupçonné – avec une probabilité confinant à la certitude – de les avoir commises (ATF 143 IV 9 consid. 2.3.1).

3.4.       En l'espèce, le recourant ne conteste pas l’existence de charges suffisantes. Il explique avoir exprimé remords et regrets.

Cela étant, sa prise de conscience paraît, au mieux, embryonnaire. En effet, le SPI observe, dans son rapport du 22 mai 2023, que A______ ne discerne pas le risque d’une récidive, au motif qu’il comprendrait « maintenant » le caractère illégal de ses actes ; et, le 4 juillet 2023, C______ a relevé que A______, qui était « au début » de sa prise en charge, s’interrogeait « progressivement » sur ses difficultés dans l’éducation de son fils,

Ces éléments, encourageants, mais récents, nuancent l’affirmation péremptoire du recourant sur la disparition hic et nunc des deux risques que lui a opposés le premier juge. Une évolution est encore attendue du recourant – et devra être dûment confirmée –.

Certes, on ne peut ignorer que la jeune victime est actuellement placée. Mais on ne peut écarter tout risque qu’elle soit contactée, par exemple sur son lieu de résidence (non caviardé dans le dossier), l’exposant à de nouvelles violences ou à des pressions, d’autant plus que le recourant a fait part à C______ de son sentiment d’injustice et d’incompréhension envers la procédure pénale en cours et que l’enfant craint de le retrouver. Si le recourant semble attendre du SPMi l’aménagement d’un droit de visite sous surveillance, qui atténuerait les dangers de réitération et de collusion, il faut relever que le dossier est, en l’état, dénué d’éléments à l’appui de la mise en place d’une reprise des droits parentaux. Aussi est-ce à juste titre que le premier juge a tenu à réserver la possibilité d’un allègement des mesures de substitution, si elle devait se concrétiser. En l’état, le dispositif qu’il a mis en place reste conforme au droit.

4.             Cela étant, l’échéance fixée pour la prolongation des mesures de substitution (8 février 2024) ne pourrait être confirmée que si elle avait été fixée six mois (ou moins) plus tôt (art. 227 al. 7 et 89 al. 1 CPP), soit le 8 août 2023. Or, tel n’est pas le cas : l’ordonnance attaquée a été rendue et notifiée le 21 juillet 2023, de sorte que la durée, maximale, de six mois (ATF 141 IV 190 consid. 3.3) – qui ne peut courir qu’à partir de son prononcé, sauf à « provisionner » indûment des échéances encore lointaines et à contourner la loi – est ici dépassée.

Le recours s'avère par conséquent fondé sur ce point.

La Chambre, statuant à nouveau (art. 397 al. 3 CPP), ramènera l’échéance des trois règles de comportement au 21 janvier 2024.

5.             Bien que le recourant ne demande pas formellement l’extension de la défense d’office à la présente instance, les informalités relevées ne rendaient pas sa démarche téméraire. Toutefois, l’indemnisation de son avocat interviendra en fin de procédure (art. 135 al. 2 CPP). Le recourant n’a d’ailleurs pas demandé qu’il en aille différemment (cf. art. 421 al. 2 let. a et 422 al. 2 let. a CPP).

6.             Le recourant, qui a partiellement gain de cause, n’assumera pas de frais judiciaires.

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Admet partiellement le recours, annule le point 3 du dispositif de l’ordonnance du 21 juillet 2023 et fixe l’échéance des mesures de substitution au 21 janvier 2024.

Laisse les frais de la procédure à la charge de l’État.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant (soit, pour lui, son défenseur), au Ministère public et au Tribunal des mesures de contrainte.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Alix FRANCOTTE CONUS et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Oriana BRICENO LOPEZ, greffière.

 

La greffière :

Oriana BRICENO LOPEZ

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).