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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/20508/2021

ACPR/669/2023 du 25.08.2023 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : EXÉCUTION ANTICIPÉE DES PEINES ET DES MESURES;RISQUE DE COLLUSION
Normes : CPP.236

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/20508/2021 ACPR/669/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du vendredi 25 août 2023

 

Entre

A______, actuellement détenu à la prison de B______, représenté par Me Robert ASSAEL, avocat, Mentha Avocats, rue de l'Athénée 4, case postale 330, 1211 Genève 12,

recourant,


contre l'ordonnance de refus d'exécution anticipée rendue le 18 juillet 2023 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 28 juillet 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 18 précédent, communiquée sous pli simple, par laquelle le Ministère public a rejeté sa requête visant l'exécution anticipée de sa peine.

Le recourant conclut, sous suite de dépens, à l’annulation de cette ordonnance et à ce que l'exécution anticipée de sa peine soit ordonnée.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 24 novembre 2022, A______ a été arrêté à l'aéroport de Genève, à son retour d'Albanie, par exécution d'un mandat d'amener délivré par le Ministère public.

b. À teneur du rapport d'arrestation, la police menait, depuis août 2021, des investigations sur un important trafic de cocaïne et de produits cannabiques notamment, portant sur un chiffre d'affaires de plusieurs centaines de milliers de francs. C______, son épouse D______ et leur colocataire, E______, ont notamment été interpellés dans ce contexte le 13 septembre 2022. Leurs fournisseurs présumés ont été identifiés comme étant A______ et son ami d'enfance, F______ (interpellé le 20 novembre 2022). Ceux-ci se rendaient fréquemment au domicile de C______, dans lequel était notamment orchestré le trafic de stupéfiants.

Plusieurs mesures techniques de surveillance secrète ont été ordonnées (mesures de surveillance-vidéo, de sonorisation et de géolocalisation), notamment sur le palier du domicile de C______ et sur le véhicule G______ [marque] utilisé par A______.

c. Le 26 novembre 2022, le Procureur a prévenu A______ d'infraction grave à la loi fédérale sur les stupéfiants (art. 19 al. 1 et 2 LStup) pour avoir, à Genève, à tout le moins depuis l'été 2020, de concert avec, notamment, les prénommés, en particulier :

- livré et/ou fait livrer, par l'intermédiaire d'F______, à tout le moins les 1er et 14 décembre 2021, à C______, depuis l'été 2020, entre 3 et 4 kg de cocaïne, et 16 kg de cannabis;

- organisé la livraison, entre le 9 et le 10 avril 2022, puis réceptionné le 10 avril 2021 auprès de C______, à tout le moins 1 kg de cocaïne.

d. A______ a admis avoir participé à un trafic de stupéfiants, mais pour une quantité inférieure et uniquement pour du cannabis. Confronté aux résultats des mesures techniques de surveillance secrète et aux déclarations de ses co-prévenus, il a maintenu les siennes. Il avait demandé à F______ de livrer du haschich à C______ pour "dépanner" ce dernier (300 grammes le 1er décembre 2021 et 200 grammes le 14 décembre 2021). Lui-même n'avait jamais livré de drogue. Il s'était rendu le 10 avril 2022 chez C______ pour y chercher un sac, dont il pensait qu'il s'agissait de nourriture, et qu'il a remis à un tiers.

e. F______ a également limité sa propre implication dans le trafic de stupéfiants aux deux livraisons de haschich susmentionnées, pour le compte de A______.

f. C______ a reconnu avoir vendu de la cocaïne et du haschich. F______ lui avait – pour le compte de A______ – fait livrer du haschich. Aucun des deux n'était son fournisseur. Il avait une dette (CHF 5'000.-) envers celui-ci qu'il avait éteinte en réceptionnant un paquet le 9 avril 2022, que A______ était venu chercher le lendemain.

g. E______ a admis avoir vendu de la cocaïne pour le compte de C______.

h. D______ a contesté toute implication dans le trafic de drogue, dont elle ignorait l'existence.

i. A______ a été placé en détention provisoire par le Tribunal des mesures de contrainte (ci-après, TMC) le 27 novembre 2022. Sa détention a été prolongée régulièrement, en dernier lieu jusqu'au 25 septembre 2023, en raison de l'existence de charges suffisantes et graves ainsi que des dangers de fuite, réitération et collusion. S'agissant de ce dernier risque, le TMC a retenu qu'il restait très concret non seulement "vis-à-vis de F______ qui a admis avoir procédé pour le prévenu à des livraisons", mais aussi "vis-à-vis des co-prévenus dans la procédure, notamment vis-à-vis de C______ dont les déclarations le mettent en cause " (OTMC/2192/2023 du 25 juillet 2023).

j. D______ et F______ ont été libérés avec des mesures de substitution, respectivement les 23 décembre 2022 et 17 février 2023.

k. Le 6 juillet 2023, A______ a demandé à exécuter sa peine de manière anticipée.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public relève que, même si la procédure était à un stade avancé, le risque de collusion persistait vis-à-vis de ses co-prévenus C______, E______ et F______, en particulier. Vu son intensité, ce risque perdurerait probablement jusqu'à l'audience de jugement.

D. a. À l'appui de son recours, A______ soutient qu'il n'existe plus aucun risque de collusion au vu du stade très avancé de la procédure. Le Ministère public n'avait pas démontré que, concrètement, il risquerait d'intervenir auprès de ses co-prévenus pour accorder leurs versions en vue de l'audience de jugement. Ils avaient tous été entendus à plusieurs reprises et les confrontations avaient été déjà effectuées. Toute modification des déclarations n'était pas crédible dans ce contexte. En outre, F______, pourtant prévenu de faits identiques, avait été libéré avec des mesures de substitution.

b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger, sans échange d'écritures ni débats.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (393 al. 1 let. b CPP; M. NIGGLI / M. HEER / H. WIPRÄCHTIGER (éds), Strafprozessordnung - Jugendstrafprozessordnung, Basler Kommentar StPO/JStPO, 2ème éd., Bâle 2014, n. 12 ad art. 393; cf. aussi ACPR/176/2021 du 16 mars 2021) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement irrecevables ou mal fondés (art.  390  al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

3.             Le recourant qui reproche au Ministère public de n'avoir pas suffisamment motivé le risque de collusion invoqué, allègue une violation de son droit d'être entendu.

3.1. L'obligation de motiver, telle qu'elle découle du droit d'être entendu (art. 29  al 2  Cst. ; cf. aussi art. 3 al. 2 let. c et 107 CPP), est respectée lorsque le juge mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels il a fondé sa décision, de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause. L'autorité n'a pas l'obligation d'exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties, mais elle peut au contraire se limiter à ceux qui lui paraissent pertinents. La motivation peut être implicite et résulter des différents considérants de la décision (ATF 143 III 65 consid. 5.3 ; 142 I 135 consid. 2.1 ; 141 III 28 consid. 3.2.4 ;
139 IV 179 consid. 2.2 p. 183 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_226/2019 du 29 mars 2019 consid. 2.1).

3.2. En l'espèce, le Ministère public a mentionné la persistance du risque de collusion, malgré le stade très avancé de la procédure, vis-à-vis des comparses du recourant avec lesquels il lui est reproché d'avoir agi.

Cette motivation est suffisante pour permettre au recourant de comprendre la nature du risque de collusion retenu.

Il était ainsi en position de critiquer l'ordonnance querellée, ce qu'il a fait au demeurant. Il s'ensuit que ce grief peut être rejeté.

4.             Le recourant reproche au Ministère public d'avoir refusé sa demande d'exécution anticipée de sa peine.

4.1. Selon l'art. 236 al. 1 CPP, la direction de la procédure peut autoriser le prévenu à exécuter de manière anticipée une peine privative de liberté ou une mesure entraînant une privation de liberté si le stade de la procédure le permet. L'exécution anticipée des peines et des mesures est, de par sa nature, une mesure de contrainte qui se classe à la limite entre la poursuite pénale et l'exécution de la peine. Elle doit permettre d'offrir à l'accusé de meilleures chances de resocialisation dans le cadre de l'exécution de la peine avant même l'entrée en force du jugement (ATF 133 I 270 consid. 3.2.1 p. 278). En vertu de l'art. 236 al. 4 CPP, le prévenu est soumis au régime de l'exécution de la peine dès son entrée dans l'établissement, sauf si le but de la détention provisoire ou de la détention pour des motifs de sûreté s'y oppose (arrêts du Tribunal fédéral 1B_426/2012 du 3 août 2012 consid. 2.1; 1B_415/2012 du 25 juillet 2012 consid. 3 et les arrêts cités).

Le "stade de la procédure" permettant l'exécution de peine de manière anticipée correspond au moment à partir duquel la présence du prévenu n'est plus immédiatement nécessaire à l'administration des preuves, ce qui est en principe le cas lorsque l'instruction est sur le point d'être close (A. KUHN / Y. JEANNERET / C. PERRIER DEPEURSINGE, Commentaire romand: Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 2 ad art. 236; arrêt du Tribunal fédéral 1B_415/2012 du 25 juillet 2012 consid. 3 et la référence citée).

Même après ce stade, l'exécution anticipée de la peine doit être refusée lorsqu'un risque élevé de collusion demeure de sorte que le but de la détention et les besoins de l'instruction seraient compromis si le régime de l'exécution anticipée devait être mis en œuvre. Il appartient alors à l'autorité de démontrer que les circonstances particulières du cas d'espèce font apparaître un danger concret et sérieux de manœuvres propres à entraver la manifestation de la vérité, en indiquant, au moins dans les grandes lignes et sous réserve des opérations à conserver secrètes, quels actes d'instruction elle doit encore effectuer et en quoi le régime d'exécution de peine du prévenu, même avec les mesures possibles de l'art. 236 al. 4 CPP, en compromettrait l'accomplissement (arrêt du Tribunal fédéral 1B_107/2020 du 24 mars 2020 consid. 2.1).

Un risque de collusion justifiant un refus d'exécution anticipée de peine demeure lorsque le fonctionnement concret d'une bande n'a pas pu être établi (arrêts du Tribunal fédéral 1B_415/2012 du 25 juillet 2012 et 1B_107/2020 du 24 mars 2020) ou parce que le prévenu conteste avec véhémence les graves accusations portées contre lui, le risque de collusion demeurant ainsi jusqu'à l'audience de jugement, moment où les preuves essentielles et décisives doivent être administrées (arrêt du Tribunal fédéral 1B_400/2017 du 18 octobre 2017).

4.2. En l'occurrence, le recourant conteste s'être livré au trafic de cocaïne. Confronté aux images de vidéosurveillance et aux retranscriptions de ses conversations, il fait valoir essentiellement son absence de souvenir. Il a déjà été entendu à plusieurs reprises, y compris en présence de ses co-prévenus, de sorte qu'un risque de collusion pourrait désormais être écarté avec eux. Toutefois, au vu de ses dénégations, il est hautement probable qu'il soit réentendu en audience de jugement sur les éléments de l'instruction. Il est donc nécessaire d'éviter qu'il puisse se concerter, en particulier avec son ami F______, lequel a été remis en liberté, ce qu'il pourrait faire plus facilement sous le régime de l'exécution anticipée des peines. À cela s'ajoute que les protagonistes de ce vaste trafic de stupéfiants n'ont pas tous été identifiés, ni interpellés, en particulier le propre fournisseur du recourant – dont il n'a rien voulu dire –, et il ne peut être exclu qu'il veuille l'avertir de la procédure et de son évolution.

Dans ces circonstances, le risque de collusion – retenu régulièrement par le TMC – reste tangible et il convient donc de le pallier jusqu'à l'audience – prochaine – de jugement, laquelle devra permettre de préciser tant que possible un certain nombre de points, et le régime de l'exécution anticipée des peines n’offre pas les garanties suffisantes à cette fin, en l'absence de contrôles possibles des contacts avec l'extérieur (censure du courrier, contrôle des téléphones et des visites).

5. Justifiée, la décision querellée sera donc confirmée.

6. Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 900.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03).

7. Il n'y a pas lieu d'indemniser à ce stade le défenseur d'office (art. 135 al. 2 CPP).

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 900.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant (soit, pour lui, son défenseur) et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président, Mesdames Alix FRANCOTTE CONUS et Françoise SAILLEN AGAD, juges, Madame Oriana BRICENO LOPEZ, greffière.

 

La greffière :

Oriana BRICENO LOPEZ

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/20508/2021

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

815.00

Total

CHF

900.00