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Décisions | Chambre pénale de recours

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PS/14/2023

ACPR/653/2023 du 17.08.2023 ( PSPECI ) , REJETE

Descripteurs : OBLIGATION DE RENSEIGNER
Normes : CP.92a.al1

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

PS/14/2023 ACPR/653/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 17 août 2023

 

Entre

A______, domicilié ______, représenté par Mes Guglielmo PALUMBO et Gabrielle PERESSIN, avocats, HABEAS Avocats Sàrl, rue du Général-Dufour 20, case postale 556, 1211 Genève 4,

recourant,

contre la décision rendue le 12 janvier 2023 par le Service de l’application des peines et mesures,

et

SERVICE DE L'APPLICATION DES PEINES ET MESURES, route des Acacias 82, case postale 1629, 1211 Genève 26,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 26 janvier 2023, A______ recourt contre la décision du 12 janvier 2023, par laquelle le Service de l’application des peines et mesures (ci-après : SAPEM) a décidé d’informer B______ de toutes décisions essentielles qui ont été prises ou seront prises dans le cadre de l’exécution de sa peine, de la fin de celle-ci et de toute fuite du concerné, étant précisé que le SAPEM a imposé à B______ une interdiction de transmettre ces informations à des tiers sous les menaces de l’amende prévue par l’article 292 CP.

Le recourant conclut, sous suite de dépens, à l’annulation de la décision querellée et au rejet de la requête d’information de B______. Préalablement, il a requis que son recours soit assorti de l’effet suspensif.

b. Par ordonnance du 1er février 2023, la Direction de la procédure a accordé l’effet suspensif au recours (OCPR/5/2023).

c. Par requête du 21 février 2023, le recourant a conclu à la suspension de la procédure de recours jusqu’à droit connu sur sa demande de révision déposée devant la Chambre pénale d’appel et de révision (ci-après : CPAR).

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Par jugement du 13 novembre 2020, le Tribunal correctionnel a condamné A______ pour viol à une peine privative de liberté de 4 ans, notamment pour avoir agi au préjudice de B______, avec laquelle il entretenait une relation amoureuse suivie (JTCO/153/2020). Une mesure d’expulsion judiciaire a également été prononcée.

b. Par arrêt du 27 septembre 2021, la CPAR a rejeté l’appel de A______ et partiellement admis l’appel joint du Ministère public. Le recourant a été condamné à une peine privative de liberté de 4 ans et six mois, ainsi qu’à une mesure d’expulsion judiciaire pour une durée de 5 ans (AARP/313/2021). Le 25 août 2022, le Tribunal fédéral a rejeté le recours de A______ conte cet arrêt (6B_1361/2021).

c. Par demande du 6 février 2023, A______ a sollicité la révision de l’arrêt de la CPAR du 27 septembre 2021, concluant à son acquittement. Par ordonnance du 7 février 2023, la CPAR a ordonné la suspension de l’exécution de la peine privative de liberté prononcée à l’encontre de A______ jusqu’à droit jugé sur la demande de révision (OARP/8/2023), qui a été rejetée par arrêt AARP/280/2023 du 24 juillet 2023.

C. a. Par courrier du 14 novembre 2022, B______ a demandé, en application de l’art. 92a CP, à être informée des éléments relatifs à l’exécution de la peine de A______.

b. Le 9 janvier 2023, A______ s’est opposé à la communication d’informations à B______ car une telle communication ne poursuivait aucun intérêt digne de protection pour la victime, n’était pas nécessaire à la sécurité de la victime et porterait atteinte à sa santé psychique (à lui).

c. Dans la décision querellée, le SAPEM retient que la victime n’a pas à démontrer un intérêt particulier, qu’il n’existe aucun élément objectif dans le dossier laissant craindre que la victime diffuse ces informations et que ces dernières n’étaient pas de nature à porter atteinte à la santé du recourant.

D. a. À l’appui de son recours, A______ allègue qu’il n’existe aucun motif sécuritaire justifiant la transmission d’informations à B______. Faisant l’objet d’une expulsion, il n’y avait en effet aucun risque qu’il croise la victime. Celle-ci lui avait par ailleurs envoyé un commandement de payer, en indiquant son adresse privée, démontrant là l’absence de risque sécuritaire. Il allègue également que le SAPEM avait procédé à une mauvaise pesée des intérêts en ne prenant pas en compte l’effet sur sa santé d’une telle communication. À cette fin, il produit un certificat médical du 7 janvier 2023 qui fait état d’un trouble dépressif récurrent, épisode moyen, et d’une anxiété générale : « Les deux femmes qui l’accusent elles exigent désormais être tenues informées de toutes les étapes d’exécution de peine de M. A______. M. A______ vit cette situation difficilement, d’une part, réactualise le traumatisme des procédures judiciaires à son encontre et en plus, fragilise d’avantage son actuel état clinique ».

b. Par acte du 21 février 2023, le SAPEM a conclu au rejet du recours, sollicitant préalablement la suspension de la procédure jusqu’à droit connu sur la procédure de révision.

c. Par observations du 27 février 2023, le Ministère public a conclu au rejet du recours, relevant que la transmission d’informations à la victime n’était pas la cause des problèmes de santé du recourant, lequel était en outre malvenu de se plaindre d’une réactualisation des traumatismes de la procédure alors qu’il avait lui-même déposé un nouvel acte de procédure sous forme d’une demande de révision.

d. Le recourant n’a pas répliqué.

 

 

EN DROIT :

1.             En vertu de l'art. 42 al. 1 let. a LaCP, la Chambre de céans connaît des recours dirigés contre les décisions rendues par le département de la sécurité, ses offices et ses services conformément à l’article 40 LaCP (art. 439 al. 1 CPP). Le CPP s’applique à titre de droit cantonal supplétif (art. 439, al. 1, CPP); la procédure est notamment régie par les art. 379 à 397 CPP (art. 42 al. 2 LaCP). Pour le surplus, la loi sur la procédure administrative (LPA; RS E 5 10) est applicable (art. 40 al. 4 LaCP).

Le recours est dirigé contre une décision rendue par le SAPEM, dans une matière pour laquelle il est compétent (art. 40 al. 1 et 5 al. 1 let. e LaCP; art. 11 al. 1 let. d REPM), a été déposée dans le délai prescrit (art. 396 CPP) et émane du condamné visé par la décision querellée et qui a un intérêt juridiquement protégé à l'annulation de la décision entreprise (art. 382 CPP).

2.             Le recourant, appuyé par le SAPEM, sollicite, à titre préalable, la suspension de la procédure jusqu’à droit connu sur la procédure de révision. La CPAR ayant statué, par un arrêt rendu le 27 juillet 2023, cette conclusion est sans objet.

3.             Le recourant s’oppose à la transmission des informations sur l’exécution de sa peine.

3.1 À teneur de l’art. 92a al. 1 CP, les victimes et les proches de la victime au sens de l'art. 1 al. 1 et 2 de la loi sur l'aide aux victimes (LAVI) ainsi que les tiers, dans la mesure où ceux-ci ont un intérêt digne de protection, peuvent demander par écrit à l'autorité d'exécution qu'elle les informe du début de l'exécution d'une peine ou d'une mesure par le condamné, de l'établissement d'exécution, de la forme de l'exécution, si celle-ci diverge de l'exécution ordinaire, de l'interruption de l'exécution, de l'allégement dans l'exécution (art. 75a, al. 2), de la libération conditionnelle ou définitive et de la réintégration dans l'exécution (let. a), sans délai, de toute fuite du condamné ou de la fin de celle-ci (let. b). Selon l’art. 92a al. 3 CP, l’autorité d’exécution peut refuser d’informer ou révoquer sa décision de le faire uniquement si un intérêt prépondérant du condamné le justifie. À cet égard, le Tribunal fédéral a explicitement jugé que l’autorité d’exécution ne peut refuser de communiquer les informations que si un intérêt prépondérant le justifie (ATF 145 IV 287). Il faut en tirer la conséquence que la victime n’a pas besoin de démontrer d’intérêt particulier à la communication et que la transmission des informations est la règle en cas de demande.

3.2 Les données sur les personnes contenues dans les décisions d’exécution sont toutefois des données sensibles. Il existe un conflit entre leur traitement, dont fait partie leur transmission par les autorités à la victime, et le droit fondamental du condamné à l’autodétermination en matière d’information (art. 13 al. 2 Cst.). Ce dernier implique que les autorités ne sont par principe pas autorisées à remettre à des tiers des données se rapportant à la personne du condamné, concernant p. ex. l’annonce de sa libération conditionnelle prochaine. Communiquer ces données revient à porter atteinte à ce droit à l’autodétermination en matière d’information. Toute atteinte à un droit fondamental, notamment quand celui-ci vise à protéger une liberté, n’est admissible que si elle remplit les conditions fixées à l’art. 36 Cst. Lorsqu’une telle atteinte concerne des données sensibles, comme c’est le cas ici, il faut qu’un intérêt particulier justifie le traitement des données et qu’on examine avec soin notamment si le principe de proportionnalité est respecté (acceptabilité). Ces conditions imposent de restreindre le plus possible le cercle des personnes pouvant être informées, ainsi que de limiter le contenu de l’information rendue accessible. On se bornera donc à communiquer à l’ayant droit les décisions d’exécution et faits importants ayant un impact sur sa sécurité (en lui permettant p. ex. de se tenir à l’écart du condamné) (Rapport de la Commission des affaires juridiques du Conseil national du 7 novembre 2013, FF 2014 869 et 872-873).

3.3 Le droit de la victime à être informée n’est dès lors pas absolu (ACPR/298/2019 du 23 avril 2019). Il s’oppose au droit à l’autodétermination en matière d’information garanti à la personne condamnée par l’art. 13 al. 2 Cst. L’intérêt de la personne condamnée au maintien du secret peut être prépondérant par rapport à celui de l’ayant droit à être informé (art. 36 Cst., voir aussi l’art. 9 LPD). C’est le cas lorsque la transmission d’informations pourrait faire peser un risque grave sur l’intégrité physique ou psychique du condamné, en l’exposant à la vengeance de l’ayant droit ou de ses proches (ACPR/298/2019 du 23 avril 2019).

3.4 Il existe un intérêt public des victimes et de leurs proches à recevoir des informations sur l’exécution des peines et des mesures. Ces personnes doivent pouvoir se mouvoir librement, c’est-à-dire sans avoir à redouter de croiser inopinément la personne condamnée (art. 10 al. 2 Cst. ; ATF 145 IV 287). Les informations sur l’exécution des peines et des mesures peuvent en outre les aider à mieux surmonter les traumatismes provoqués par l’infraction. Le droit à l’information sur l’exécution des peines et des mesures est un moyen tout à fait adapté pour assurer une meilleure protection aux victimes et aux autres personnes touchées par l’infraction. L’autorité peut s’appuyer sur l’art. 292 CP pour garantir la confidentialité des informations, en soumettant à des sanctions toute transmission illicite de ces dernières. La pesée des intérêts se fera en fonction du cas concret. L’évaluation doit inclure l’ensemble des intérêts des parties, comme la raison de la demande et les conséquences de la décision sur la réintégration sociale du condamné ou sur les contacts entre les personnes concernées. On tiendra compte ce faisant des droits fondamentaux des personnes concernées, soit de la liberté personnelle (art. 10 Cst.), de la protection des enfants et des jeunes (art. 11 Cst.), du respect de la vie privée et familiale (art. 13 Cst.), de la liberté d’établissement (art. 24 Cst.) et de la liberté économique (art. 27 Cst.) (ACPR/298/2019 du 24 avril 2019).

3.5 En l’espèce, le recourant ne conteste, à juste titre, pas que B______ soit une victime au sens de la LAVI. L’art. 92a CP lui est donc applicable. Conformément aux principes précités, la victime n’a, fondamentalement, pas besoin de démontrer un intérêt à recevoir les informations relatives à l’exécution de la peine et de la mesure. En tout état, cet intérêt existe bel et bien pour B______. Elle a en effet eu une relation amoureuse avec le condamné et dispose ainsi d’un intérêt à savoir si elle risque de le croiser avant son entrée en détention, respectivement recevoir l’assurance de ne plus le croiser lorsque la mesure d’expulsion aura été exécutée, étant rappelé que le droit à l’information de l’art. 92a CP concerne aussi bien la peine que la mesure. À cet égard, le fait que le condamné connaisse son adresse n’est pas relevant en l’occurrence.

Le recourant met en avant l’existence de problèmes de santé psychique pour s’opposer à la transmission d’information. Le stress induit par une procédure pénale, respectivement par une procédure d’exécution, est toutefois inhérent à la procédure elle-même. Elle est ainsi insuffisante pour renverser le droit à l’information, auquel il ne peut être renoncé que dans des cas exceptionnels (cf. ATF 145 IV 287). C’est d’autant plus vrai en l’espèce que selon le certificat médical produit par le recourant, ce dernier ne souffre que d’un trouble dépressif récurrent, épisode moyen, et d’une anxiété générale. En l’absence d’un trouble qualifié de grave, cette atteinte à la santé ne doit pas entraîner de renonciation à communiquer. Il faut aussi relever que le condamné, auteur d’une infraction, cherche en définitive à se poser en victime – produisant un certificat médical qui parle de traumatisme – ce qui n’est pas un intérêt digne de protection pour renoncer au droit à l’information de la victime visé à l’art. 92a CP.

Enfin, le risque de voir la victime transmettre ces informations à des tiers a été jugulé par l’interdiction de communiquer, sous la peine prévue par l’art. 292 CP, dont la décision a été assortie. Cette précaution du SAPEM démontre que la pesée des intérêts a été faite avec soin et que les intérêts du condamné ont également été pris en compte.

3.6 Conforme à l’art. 92a CP et prenant dûment en compte tous les intérêts en présence, la décision entreprise sera confirmée. Le recours doit ainsi être rejeté.

4.             Les dispositions du CPP auxquelles renvoie le droit cantonal ne traitent pas des frais de justice. Sur ce point, la Chambre de céans applique aussi le CPP à titre de droit supplétif (ACPR/298/2019 du 23 avril 2019 consid. 4).

Le recourant, qui succombe, supportera ainsi les frais envers l'État, qui comprendront un émolument de CHF 900.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, qui comprennent un émolument de CHF 900.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, à A______, soit pour lui son conseil, au Service l’application des peines et mesures et au Ministère public.

Le communique pour information à B______, soit pour elle son conseil.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Madame Alix FRANCOTTE CONUS, juge, et Monsieur Stéphane GRODECKI, juge suppléant ; Monsieur Xavier VALDES, greffier.

 

Le greffier :

Xavier VALDES

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

PS/14/2023

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

900.00

Total

CHF

985.00