Aller au contenu principal

Décisions | Chambre pénale de recours

1 resultats
P/3072/2018

ACPR/645/2023 du 16.08.2023 ( MP ) , REJETE

Recours TF déposé le 21.09.2023, rendu le 14.02.2024, IRRECEVABLE, 7B_644/2023
Descripteurs : FICHIER DE DONNÉES;SÉQUESTRE(MESURE PROVISIONNELLE);SUPPRESSION(EN GÉNÉRAL);RENSEIGNEMENT VRAISEMBLABLEMENT PERTINENT
Normes : CPP.139; CPP.263
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/3072/2018 ACPR/645/2023

 

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 16 août 2023

 

Entre

A______, B______ INC. et B______ Ltd, représentés par Mes Jean-Marc CARNICÉ et Guglielmo PALUMBO, avocats, Bianchischwald Sàrl, rue Jacques-Balmat 5, case postale 1203, 1211 Genève 11,

C______, représenté par Mes Daniel TUNIK et Jean-René OETTLI, avocats, Lenz & Staehelin, route de Chêne 30, 1211 Genève 6,

recourants

contre la décision rendue par le Ministère public le 5 juillet 2023

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé

 


EN FAIT :

A.           a. Par acte expédié le 17 juillet 2023, A______, C______, B______ INC. et B______ Ltd exercent conjointement un recours contre la décision rendue par le Ministère public le 5 précédent, communiquée sous pli simple, par laquelle est refusée la levée du séquestre de fichiers électroniques, saisis lors d’une perquisition et extraits de leurs supports, en 2018.

Les précités concluent principalement à l’annulation de cette décision, à la levée du séquestre et à la destruction du matériel concerné.

b. Sur mesures provisionnelles, A______, C______, B______ INC. et B______ Ltd demandaient – ce qui leur a été refusé (OCPR/49/2023 du 19 juillet 2023) – que ce matériel informatique ne soit pas versé au dossier ni mis à disposition de D______ SA (ci-après : D______), jusqu’à droit connu.

B. Les faits pertinents sont les suivants :

a.        Sur plainte de D______, déposée au mois de février 2018, le Ministère public instruit une enquête contre différentes personnes – dont A______ et C______ – des chefs de corruption d'agents publics étrangers (art. 322septies CP) et de blanchiment d'argent (art. 305bis CP), respectivement de soustraction de données (art. 143 CP).

Formellement mis en prévention de ces infractions dénoncées le 23 novembre 2020, A______ et C______ rejettent toutes les accusations portées contre eux.

b.        Le 21 juin 2018, le Ministère public a prononcé le séquestre des « éléments électroniques » (sauf ceux comportant des noms d’avocats) découverts à Genève, le 2 mars 2018, parmi les effets personnels du comptable externe de B______ INC. (pièce PP 403'003) ou dans la chambre d’hôtel occupée par une employée de la société (pièces PP 403'004 ss.). Le Ministère public a simultanément décidé que ces éléments étaient versés au dossier (pièce PP 3'003'002).

Cette décision – notifiée à toutes les parties – n’a pas été attaquée. Des scellés n’ont pas été demandés. Les supports eux-mêmes ont été restitués à leurs détenteurs (pièces PP 406'002 ss. ; 406'007 ; 406'000.11).

A______ (pièces PP 601'077 et 601'094), l’employée (pièce PP 600’282) et le comptable (pièce PP 600'442) avaient eu préalablement l’occasion de prendre position.

Les mots-clés utilisés pour le tri sont répertoriés dans une note du 19 avril 2018 (pièces PP 210'647 ss.).

c.         Le 22 mars 2019, C______ a demandé copie de ces données (pièce PP 602'440). Le 25 suivant, le Ministère public lui a répondu que le matériel considéré n’avait pas été intégralement versé au dossier, mais que C______ pourrait accéder aux éléments « qui y auront été versés » (pièce PP 602'497).

d.        Le 25 mai 2023, le Ministère public a rendu deux ordonnances relatives au versement au dossier de pièces (fichiers ou documents) sur lesquelles le TMC avait préalablement levé les scellés. L’une de ces ordonnances ajoute qu’au vu du tri déjà effectué parmi les données informatiques formellement séquestrées le 21 juin 2018, il ne serait pas procédé à un nouveau tri (pièce PP 3'003'072).

e.         Le 8 juin 2023, A______, C______, B______ INC. et B______ Ltd ont réagi, affirmant qu’en dépit de son libellé, l’ordonnance du 21 juin 2018 n’avait jamais été suivie d’un versement effectif au dossier des pièces qu’elle visait. Ils en concluaient que le Ministère public aurait de facto renoncé depuis près de cinq ans à « exécuter » cette ordonnance. Si tel n’avait pas été le cas, il conviendrait que le séquestre en question fût immédiatement levé et qu’aucune des pièces concernées ne fût plus longtemps maintenue au dossier.

f.         Leur recours contre l’ordonnance du 25 mai 2023 a été rejeté le 19 juin 2023 (ACPR/463/2023). Pour leur part, ni l’employée ni le comptable n’ont interjeté recours.

C.           Dans la décision attaquée, le Ministère public conteste que les pièces ou fichiers litigieux n’eussent pas été versés au dossier ou qu’il aurait renoncé à exécuter son ordonnance du 21 juin 2018 à leur sujet. La poursuite de l’instruction ne permettait pas la levée de leur séquestre.

D. a. À l’appui de leur recours, prolixe, A______, C______, B______ INC. et B______ Ltd reprennent leur argumentaire du 8 juin 2023.

Les fichiers informatiques litigieux n’étaient recensés dans aucun inventaire, même après avoir été extraits des appareils qui les contenaient et triés une première fois par le Ministère public ; ils n’avaient par conséquent jamais pu être consultés. Pour ce motif, le Ministère public devrait spontanément « retirer » sa décision.

Cette autorité s’était engagée à faire un second tri des données, mais ne s’y était pas tenue, en violation de l’engagement pris le 22 mai 2018, du droit d’être entendu et du principe de la bonne foi.

Par ailleurs, le Ministère public concédait que les soupçons initiaux ne s’étaient pas renforcés, et, dans ses décisions ACPR/465/2023, ACPR/466/2023, ACPR/467/2023 et ACPR/468/2023 rendues le 20 juin 2023, la Chambre de céans n’avait pas constaté d’éléments constitutifs de corruption d’agents publics étrangers.

Par surcroît, les pièces concernées n’avaient pas de pertinence pour la suite de l’enquête.

b. À réception, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT :

1.             Le recours a été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) et concerne une décision sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP ; Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2e éd., Bâle 2019, n. 4 ad art. 267).

Il émane notamment de prévenus (art. 104 al. 1 let. a CPP), dont il n’est nullement évident qu’ils auraient un intérêt juridiquement protégé à obtenir l’annulation de la décision attaquée (art. 382 al. 1 let. a CPP).

Peu importe, cependant : on peut admettre que les sociétés, recourantes, du groupe B______ sont des tiers touchés, au sens des art. 105 al. 1, let. f, et al. 2 CPP, dans la mesure où les fichiers extraits ont été saisis en mains de leurs employés ou auxiliaires à Genève. Au demeurant, c’est bien au nom de ces sociétés, au titre de détentrices, qu’ont été formulées des objections précises, le 8 juin 2023, tendant à la protection de leurs données professionnelles (pièce PP 609'040 in fine).

2.             Les recourants font valoir que le Ministère public aurait dû procéder avec eux, comme il le leur aurait promis, à un « second tri » des documents visés dans l’ordonnance attaquée. En réalité, l’objet du litige consiste à examiner si les conditions du maintien d’un séquestre documentaire sont toujours réunies, puisque telle est la conclusion à laquelle est parvenu le Ministère public dans sa décision.

2.1.       Les principes généraux applicables à la levée d’un séquestre ont été rappelés dans une récente décision rendue sur recours des mêmes recourants (cf. ACPR/469/2023 du 20 juin 2023 consid. 3.1.). Il peut donc y être renvoyé, avec la précision qu’est ici en cause un séquestre probatoire, au sens de l’art. 263 al. 1 let. a CPP, soit la mise sous main de justice d’objets découverts lors d'une perquisition ou au cours de l'enquête et permettant la manifestation de la vérité ; la protection et la conservation de ces objets sont ainsi garanties. Cette mesure s'impose notamment s'il existe un danger concret de voir les moyens de preuve détruits (ATF 143 IV 270 consid. 7.5). Elle permet à l’autorité judiciaire de se forger une conviction (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 2 ad art. 263 ; L. MOREILLON / A. PAREIN-REYMOND, CPP, Code de procédure pénale, 2e éd. Bâle 2016, n. 6 ad art. 263). En pareil cas, il n'y a pas lieu de se montrer trop exigeant quant au lien de connexité avec l'infraction : il suffit que l'objet du séquestre ait un rapport avec celle-ci (ATF 137 IV 189 consid. 5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_311/2022 du 2 février 2023 consid. 3.1.) et présente une utilité potentielle pour l'enquête en cours (ATF 115 Ib 517 consid. 7d ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_16/2021 du 31 mars 2021 consid. 2.5. ; A. KUHN / Y. JEANNERET (éds), op. cit., n. 26 ad art. 263).

2.2.       À l’aune de ces principes, les recourants ne peuvent être suivis.

Il faut souligner que les saisies provisoires intervenues à Genève au mois de mars 2018 n’ont pas fait l’objet de contestation (notamment pas d’une demande de scellés de la part des ayants droit) et que l’ordonnance qui en a prononcé formellement le séquestre au mois de juin 2018 n’a pas été attaquée.

Surtout, par ladite ordonnance, le Ministère public ne faisait pas mystère que les fichiers informatiques qu’il avait extraits – et triés – parmi les différents supports électroniques saisis étaient, incontinent, versés au dossier. On ne voit pas la portée du distinguo que les recourants voudraient établir entre la décision et son exécution, ici. Les recourants jouent sur les mots lorsqu’ils prétendent que, par une lettre du 25 mars 2019 à l’un d’eux (pièce PP 602'497 in fine), le Ministère public admettrait que le matériel informatique considéré n’avait pas (encore) été versé au dossier à cette date : cette lettre ne rappelle rien d’autre que le versement au dossier des fichiers strictement issus du tri opéré l’année précédente ; et l’utilisation d’une formulation au futur de l’indicatif ne permet pas d’inférer que le Ministère public aurait renoncé à verser lesdites données au dossier et encore moins à les exploiter pour les besoins de l’instruction. Eût-il eu le moindre doute à cet égard – nonobstant les termes clairs de l’ordonnance du 21 juin 2018 – que le recourant destinataire de la lettre aurait pu l’attaquer.

Autre est la question, examinée ci-dessous, du délai séparant l’ordonnance formelle de l’exploitation, i.e. du dépouillement et de l’analyse, du matériel séquestré.

Par conséquent, quels que soient les atours dont les recourants veuillent parer leur argumentaire, le versement des fichiers sélectionnés par le Ministère public – qui en a expurgé les noms d’avocat, conformément à ce qui lui était demandé, et a donc procédé à un tri de pertinence (cf. art. 139 al. 2 CPP) respectant les restrictions légales (art. 264 al. 2 CPP) – est acquis. À supposer qu’une « promesse » eût été formulée le 22 mai 2018, il suffit de rappeler que l’ordonnance du 21 juin 2018, qui lui fait suite, n’a été attaquée par personne. On ne voit pas au nom de quoi un « second tri » devrait être opéré maintenant.

La question de l’accès à ces données est étrangère à l’objet du litige. On ne voit pas ce que les recourants veulent tirer de l’invocation des art. 100 et 192 CPP. Ils n’ont jamais été tenus dans l’ignorance de l’existence du matériel informatique saisi le 2 mars 2018 ou des mesures d’extraction et de tri prises sur ces entrefaites. Les inventaires des objets composant ce matériel ont été établis par la police, conformément au droit (art. 245 et 263 al. 2 CPP ; A. KUHN / Y. JEANNERET (éds), op. cit., n. 18 ad art. 245) ; les mots-clés retenus par le Ministère public sont connus. Il n’y a aucune raison – et les recourants n’en donnent aucune – de lister ou individualiser d’une façon ou d’une autre les 2'703'629 fichiers que les recourants affirment avoir dénombrés nonobstant les informalités dont ils se plaignent.

Dans ces conditions, il n’y a pas place pour une violation du principe de la bonne foi (art. 3 al. 2 let. a CPP) ou du droit d’être entendu (art. 3 al. 2 let. c CPP), de la part de l’autorité pénale.

L’argument fondé sur la non-pertinence des données saisies tombe d’autant plus à faux – et s’avère d’autant plus hasardeux – que les recourants renvoient à une prétendue évanescence des charges que – précisément en ce qui les concerne – la Chambre de céans vient, au contraire, de rejeter (ACPR/469/2023 du 20 juin 2023 consid. 3.4.). Peut-être est-ce le lieu de rappeler que la corruption d’agents publics étrangers est punissable en Suisse sous ses formes active et passive et que la partie plaignante dénonce depuis le début de la procédure la corruption de ses propres employés. C’est ainsi en pure perte que les recourants renvoient aux décisions qui ont été rendues simultanément sur cette question à propos d’autres recourants qu’eux (cf. ACPR/465/2023 ; ACPR/466/2023 ; ACPR/467/2023 ; ACPR/468/2023).

Enfin, même si le Ministère public s’attelle à exploiter ces données cinq ans après leur saisie, les recourants échouent à démontrer que pareille durée leur causerait un préjudice personnel et concret. Comme ils l’admettent, les fichiers ont été extraits de leurs supports matériels. En outre, ces supports ont été restitués à leurs détenteurs. Le principe de la proportionnalité n’est donc pas violé. En revanche, le risque serait grand que les données disparaissent en cas de levée de leur séquestre, puisque les recourants concluent formellement à leur destruction.

En d’autres termes, les conditions posées par les art. 197 et 263 CPP sont toujours réunies, et il n’y a pas lieu, en l’absence de fait nouveau, de revenir sur cette analyse à l’occasion du présent recours.

3.             Au vu de ce qui précède, le recours doit être rejeté. Dès lors, il pouvait être traité d'emblée, sans échange d'écritures ni débats (art. 390 al. 5 a contrario CPP).

4.             Les recourants, qui succombent, assumeront, solidairement entre eux (art. 418 al. 2 CPP), les frais de l’instance (art. 428 al. 1 CPP), fixés en totalité à CHF 2000.- compte tenu de la décision rendue sur mesures provisionnelles (art. 13 al. 1 RTFMP).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Rejette le recours.

Condamne A______, C______, B______ INC. et B______ Ltd, débiteurs solidaires, aux frais de l’instance, arrêtés à CHF 2'000.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, aux recourants, soit pour eux leurs défenseurs respectifs, et au Ministère public.

Le communique pour information à la partie plaignante (soit pour elle à son conseil principal).

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente ; Monsieur Christian COQUOZ et
Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, juges; Monsieur Xavier VALDES, greffier.

 

Le greffier :

Xavier VALDES

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 



P/3072/2018

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

20.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'905.00

Total

CHF

2'000.00