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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/16214/2020

ACPR/580/2023 du 26.07.2023 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : TIERS;PROPORTIONNALITÉ;HONORAIRES;CONFISCATION(DROIT PÉNAL);AVOCAT;SÉQUESTRE(MESURE PROVISIONNELLE);CRÉANCE
Normes : CPP.105.al1.letf; CPP.263; CP.71.al3; CPP.267

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/16214/2020 ACPR/580/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 26 juillet 2023

 

Entre

 

A______ SA, sise ______, représentée par Me Marc-Ariel ZACHARIA, avocat, Lemania Law Avocats, rue de Hesse 16, 1204 Genève,

recourante,

 

contre la décision de refus de levée partielle de séquestre rendue le 4 mai 2023 par le Ministère public,

 

et

 

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 19 mai 2023, A______ SA recourt contre la décision du 4 précédent, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a refusé de lever partiellement le séquestre portant sur le produit net de la vente de l'immeuble n1______, sis chemin 2______, à B______ [GE].

La recourante conclut, sous suite de frais, à l'annulation de la décision querellée et à la levée, à concurrence de CHF 78'243.65, du séquestre susmentionné; subsidiairement au renvoi de la cause au Ministère public afin qu'il statue dans le sens des considérants.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. A______ SA est une société sise à Genève, active notamment dans la transformation, la rénovation et le commerce de biens immobiliers. C______ en est l'administrateur et D______ SA l'actionnaire unique.

b. À la suite de plusieurs plaintes pénales, le Ministère public instruit, depuis le 10 novembre 2021, une enquête, notamment, contre E______ pour gestion déloyale (art. 158 CP) et corruption privée passive (art. 322novies CP). Les 11 et 20 janvier 2022, la procédure a été étendue à l'encontre de C______.

En substance, il leur est reproché d'avoir, à Genève, depuis 2016 à tout le moins, en leur qualité d'administrateur / organe de fait de D______ SA, dans le cadre de plusieurs promotions immobilières organisées sous la structure "quote-part terrain" :

·           obtenu le paiement, par les clients, d'honoraires de mise en valeur pour le travail de développement et mise en place du projet;

·           s'être fait promettre et verser, en sus des honoraires officiels et à l'insu des clients, des rétrocessions considérables, de la part de diverses sociétés d'entreprise générale, en espèces ou en nature, en faveur – entre autres – de D______ SA et A______ SA, en échange de l'adjudication du chantier;

·         alors qu'ils avaient négocié et conclu un pacte d'emption pour un prix déterminé avec le ou les propriétaires d'une parcelle, sur laquelle ils ont développé une des promotions de plusieurs logements, invité les clients de D______ SA à conclure un contrat de vente avec le ou les propriétaires de la parcelle, puis d'avoir fait verser à D______ SA, respectivement à A______ SA, la différence entre le prix promis aux propriétaires de la parcelle et le prix total payé par les clients de D______ SA;

·           adjugé les travaux de construction à diverses entreprises générales à des prix insuffisants pour leur permettre de rémunérer l'intégralité des sous-traitants, engendrant l'arrêt du chantier.

c. Par ordonnance du 6 avril 2022, le Ministère public a ordonné le séquestre des immeubles no 3______ (F______ [GE]) et 1______ (B______ [GE]), ainsi que de la part de PPE de l'immeuble no 4______ (G______ [GE]), – propriétés de A______ SA –, en vue de leur confiscation, respectivement de garantir l'exécution d'une éventuelle créance compensatrice.

A______ SA avait en effet encaissé des rétrocessions, en sa qualité de mandataire de promotion ou à un autre titre. Elle était par ailleurs propriétaire de plusieurs biens immobiliers, dont certains avaient été acquis et construits dans le cadre de promotions développées sous l'égide de D______ SA.

Cette décision n'a pas fait l'objet d'un recours.

d. Par courrier du 6 mai 2022 adressé au Ministère public, A______ SA a sollicité la levée des séquestres portant sur ses immeubles, au vu de l'absence de lien de connexité entre le produit des infractions et son patrimoine. Subsidiairement, elle demandait au Ministère public, d'une part, de limiter l'assiette du séquestre à hauteur de CHF 440'000 – dans la mesure où les faits reprochés ne portaient que sur ce montant – et, d'autre part, d'autoriser l'aliénation de ses biens immobiliers (PP 600'310 ss).

Par courrier du 10 suivant, le Ministère public a répondu qu'il ne s'opposait pas à l'aliénation des immeubles, le produit net de leur vente devant toutefois demeurer sous séquestre (PP 600'333).

e. Par décision du 1er septembre 2022, le Ministère public a ordonné le séquestre du produit net de la vente de l'immeuble no 1______, soit d'un montant de CHF 710'479.10 (PP 328'001 et 328'004 ss).

A______ SA n'a pas formé recours contre cette décision.

f. Par courrier du 31 octobre 2022 adressé au Ministère public, A______ SA a sollicité la levée du séquestre susmentionné, lequel – "hormis le fait qu'il é[tait] totalement mal fondé" – mettait en péril son bon fonctionnement et l'exposait à des dommages irréparables. Elle se trouvait "fortement dépourvue de liquidités", dans la mesure où les avoirs disponibles auprès de son compte chez H______ [banque]– s'élevant à CHF 266'238.- – ne lui permettaient pas de s'acquitter de ses charges (soit notamment des contributions publiques, des salaires et des frais de chantier), qu'elle estimait à CHF 1'109'771.- (PP 328'020 ss).

Par réponse du 9 novembre 2022, le Ministère public a invité A______ SA à lui transmettre des justificatifs relatifs aux charges évoquées (PP 328'033), ce que celle-ci fît par courriers des 11 novembre et 23 décembre 2022, 1er février 2023, 16 et 23 mars 2023 et 12 avril 2023 (PP 328'034 ss; 328'075 ss; 328'099 ss; 328'107 ss; 321'118 ss et 328'156 ss).

g. Entre les 15 novembre 2022 et 12 avril 2023, le Ministère public a accepté de procéder à plusieurs levées partielles du séquestre litigieux, aux fins que A______ SA puisse s'acquitter de ses dettes, soit:

·           CHF 407'538.65 à titre des contributions fiscales pour les années 2021 et 2022 (PP 328'072 ss);

·           CHF 75'292.92 à titre des frais de chantiers en cours (factures entre les 19 juillet 2021 et 5 septembre 2022) (PP 328'097 ss);

·           CHF 57'863.50 à titre de remboursement des prêts COVID et hypothécaires (PP 328'117 ss) et

·           CHF 64'546.95 à titre de salaires et de charges sociales pour l'année 2022 (PP 328'156 ss).

h. Les 16, 21, 30 mars 2023 et 13 avril 2023, A______ SA a également requis une levée du séquestre, d'un montant total de CHF 78'243.66, en lien avec les frais et honoraires de ses avocats (PP 328'107 ss; 328'118 ss; 328'155 et 328'160 ss).

i. Par courrier du 4 avril 2023, le Ministère public a invité A______ SA à lui préciser à quoi les frais sus-évoqués correspondaient (PP 328'156), ce à quoi celle-ci a répondu qu' "il s'agit d'accompagner A______ SA dans ses activités de promoteur constructeur en fournissant un appui régulier en lien avec le droit de la construction et de l'immobilier. [ ] [C]et appui porte [ ] notamment [sur] des questions de procédures civiles relatives à des hypothèques légales et autres affaires connexes, mais aussi administratives, notamment d'autorisations de construire, y compris au stade précontentieux. En parallèle, il s'agit aussi d'accompagner A______ SA dans le cadre de ses activités courantes en négociant et rédigeant contrats et conventions tout en suivant les évolutions des divers chantiers en cours. [ ]" (PP. 328'160 ss).

C. Dans la décision querellée, le Ministère public – citant un arrêt de la Chambre de céans (ACPR/138/2016) et un auteur de doctrine – considère que l'avocat ne jouissait pas, en matière de séquestre pénal et de confiscation, d'un statut spécial qui permettrait la distraction en sa faveur de sommes faisant l'objet d'un séquestre conforme aux prescriptions légales.

D. a. À l'appui de son recours [dans un grief intitulé constatation erronée des faits], A______ SA estime que le cas présent n'était pas similaire à ceux cités par le Ministère public, dans la mesure où ses demandes de levée partielle ne portaient pas sur des honoraires déjà versés à son avocat et, encore moins, de provenance illicite. Par ailleurs, le Ministère public – en l'empêchant de couvrir des frais essentiels à sa bonne marche et propres au cours ordinaire de ses activités économiques – lui avait causé des difficultés financières et avait, en conséquence, violé le principe de proportionnalité. De surcroît, la prétendue créance compensatrice – qu'elle contestait – était largement couverte par l'assiette du séquestre [du 6 avril 2022]. Enfin, la décision querellée violait l'art. 8 al. 2 Cst., dès lors que le Ministère public avait admis le règlement d'autres dettes.

b. Dans ses observations, le Ministère public expose qu'il était vraisemblable, à ce stade de la procédure, que les fonds saisis puissent faire l'objet d'une confiscation en tant qu'éventuel produit de l'infraction, dès lors que l'immeuble no 1______ appartenant à la recourante avait été acquis et construit dans le cadre des promotions développées sous l'égide de D______ SA. En tout état de cause, les avoirs litigieux pouvaient être séquestrés en vue du prononcé d'une créance compensatrice, compte tenu des liens manifestes entre la recourante et C______. Par ailleurs, le principe de proportionnalité demeurait largement respecté, sachant que les montants en cause étaient supérieurs au solde du produit de la réalisation de l'immeuble. Enfin, la décision querellée ne violait pas l'art. 8 al. 2 Cst. féd, dès lors qu'il avait autorisé, "à bien plaire", le règlement des frais indispensables pour la société et, de surcroit, engagés avant le prononcé des séquestres. Or tel n'était pas le cas s'agissant des honoraires des avocats de la recourante. Au vu de sa situation financière, cette dernière devait limiter ses frais, ce d'autant que les dépenses litigieuses ne paraissaient pas indispensables à son activité dans le domaine immobilier.

c. Dans sa réplique, la recourante souligne que le Ministère public avait également autorisé le règlement des factures ayant été émises après le prononcé du séquestre. Ce dernier avait par ailleurs versé dans l'arbitraire en considérant que ses frais d'avocat n'étaient pas indispensables à son activité.

EN DROIT :

1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et – faute de notification conforme à l'art. 85 al. 2 CPP – dans le délai prescrits (art. 385 et 396 al. 1 CPP), concerner une décision sujette à recours auprès de la Chambre de céans, soit un refus de lever partiellement un séquestre (art. 393 al. 1 let. a CPP), et émaner du tiers saisi qui, partie à la procédure (art. 105 al. 1 let. f CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2. La recourante reproche au Ministère public le rejet de sa demande de levée partielle de séquestre.

2.1. Selon l'art. 197 al. 1 CPP, toute mesure de contrainte doit être prévue par la loi (let. a), doit répondre à l'existence de soupçons suffisants laissant présumer une infraction (let. b), doit respecter le principe de proportionnalité (let. c) et doit apparaître justifiée au regard de la gravité de l'infraction (let. d).

Le séquestre d'objets et de valeurs patrimoniales appartenant au prévenu ou à des tiers figure au nombre des mesures prévues par la loi. Il peut être ordonné, notamment lorsqu'ils devront être confisqués (art. 263 al. 1 let. d CPP) ou qu'ils pourraient servir à l'exécution d'une créance compensatrice (art. 71 al. 3 CP).

Une telle mesure est fondée sur la vraisemblance (ATF 126 I 97 consid. 3d/aa p. 107 et les références citées); comme cela ressort de l'art. 263 al. 1 CPP, une simple probabilité suffit car la saisie se rapporte à des faits non encore établis, respectivement à des prétentions encore incertaines. L'autorité doit pouvoir décider rapidement du séquestre provisoire (art. 263 al. 2 CPP), ce qui exclut qu'elle résolve des questions juridiques complexes ou qu'elle attende d'être renseignée de manière exacte et complète sur les faits avant d'agir (ATF 140 IV 57 consid. 4.1.2 p. 64 et les références citées).

Tant que l'instruction n'est pas achevée et que subsiste une probabilité de confiscation ou d'une créance compensatrice, la mesure conservatoire doit être maintenue (ATF 141 IV 360 consid. 3.2 p. 364). L'intégralité des fonds doit demeurer à disposition de la justice aussi longtemps qu'il existe un doute sur la part de ceux-ci qui pourrait provenir d'une activité criminelle. Le séquestre ne peut donc être levé (art. 267 CPP) que dans l'hypothèse où il est d'emblée manifeste et indubitable que les conditions matérielles d'une confiscation ne sont pas réalisées, et ne pourront l'être (arrêts du Tribunal fédéral 1B_311/2009 du 17 février 2010 consid. 3 et 1S.8/2006 du 12 décembre 2006 consid. 6.1).

Selon la jurisprudence, une mesure de séquestre est en principe proportionnée du seul fait qu'elle touche des valeurs patrimoniales susceptibles d'être confisquées en vertu du droit pénal (arrêt du Tribunal fédéral 1B_136/2009 du 11 août 2009 consid. 4.1 et les références citées).

2.2. L'art. 70 al. 1 CP autorise le juge à confisquer des valeurs patrimoniales qui sont le résultat d'une infraction, si elles ne doivent pas être restituées au lésé en rétablissement de ses droits.

La confiscation tend à empêcher que le produit d'une infraction et les bénéfices y relatifs (tels que les intérêts de capitaux illicites; ATF 144 IV 1 consid. 4.2.3), respectivement les objets acquis en remploi de ce produit (par exemple, achat d'une villa moyennant de "l'argent sale" ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_367/2020 du 17 janvier 2022 consid. 16.1 in fine), profitent à une personne, qu'il s'agisse de l'auteur du délit (art. 70 al. 1 CP) ou du tiers ayant reçu lesdits produit/bénéfices/objets (art. 70 al. 2 CP a contrario) (ATF 141 IV 155 consid. 4.5; arrêt du Tribunal fédéral 6B_67/2019 du 16 décembre 2020 consid. 6.5.2, paru in SJ 2021 I p. 305).

L'art. 71 al. 3 CP permet à l'autorité d'instruction de placer sous séquestre, en vue de l'exécution d'une créance compensatrice jusqu'à concurrence du montant présumé du produit de l'infraction, des valeurs patrimoniales appartenant à la personne concernée, sans lien de connexité avec les faits faisant l'objet de l'instruction pénale, et même celles de provenance licite. La mesure prévue par cette disposition se différencie ainsi du séquestre conservatoire résultant des art. 263 al. 1 let. c CP ou 263 al. 1 let. d CPP, dispositions requérant en revanche l'existence d'un tel rapport de connexité (ATF 140 IV 57 consid. 4.1.2).

Par "personne concernée" au sens de l'art. 71 al. 3 CP, on entend non seulement l'auteur, mais aussi, à certaines conditions, un tiers favorisé, d'une manière ou d'une autre, par l'infraction (cf. art. 71 al. 1 CP renvoyant à l'art. 70 al. 2 CP; arrêts 1B_213/2013 du 27 septembre 2013 consid. 4.1; arrêt du Tribunal fédéral 1B_583/2012 du 31 janvier 2013 consid. 2.1).

2.3. Les provisions et honoraires déjà perçus par un avocat, en particulier à l'occasion d'une défense pénale, échappent au séquestre, en application de l'art. 70 al. 2 CP, si l'avocat ignorait de bonne foi la provenance délictueuse de la somme qui lui a été versée et si cette bonne foi subsistait au moment où il a accompli sa contre-prestation (arrêt du Tribunal fédéral 1B_365/2012 du 10 septembre 2012 consid. 3.2, in: SJ 2013 I p. 13, et les références citées). L'avocat ne jouit pas, en matière de séquestre pénal et de confiscation, d'un statut spécial qui permettrait la distraction en sa faveur de sommes faisant l'objet d'un séquestre conforme aux prescription légales (ACPR/291/2021 du 3 mai 2021 consid. 2.4, citant A. MACALUSO, Séquestre et confiscation des provisions et honoraires d'avocat: comment interpréter l'exigence jurisprudentielle de la persistance de la bonne foi au moment de la contre-prestation adéquate?, in RPS 2013 28 ss, notamment pp. 38 ss et 44 ss). Les valeurs patrimoniales séquestrées ne peuvent, en effet, en principe, pas être utilisées pour payer des dettes ou pour s'acquitter des frais de procédure ou de défense (arrêts du Tribunal pénal fédéral BB.2017.114 du 23 novembre 2017 consid. 4.7.1, BB.2018.58 du 12 septembre 2018 consid. 1.4.3; Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 27a ad art. 263).

Cela étant, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, une personne morale dont l'ensemble des biens ("sämtliche Vermögenswerte") a été placé sous séquestre, peut obtenir la levée partielle de cette mesure afin de pouvoir s'acquitter des frais de justice et/ou des honoraires de l'avocat intervenu afin de défendre ses intérêts dans ce cadre particulier; retenir une autre solution ne garantirait pas son droit d'avoir accès à la justice (cf. art. 29a Cst.) et ne respecterait pas son droit d'être entendue (cf. art. 29 al. 2 Cst.), respectivement violerait les art. 107 al. 1 let. c et 127 al. 1 CPP (arrêts du Tribunal fédéral 1B_528/2022 du 3 avril 2023 consid. 5.3.2; 1B_565/2018 du 12 mars 2019 consid. 2.5 et 1B_410/2015 du 14 juillet 2016 consid. 4.5 et 4.6). Les valeurs libérées doivent toutefois avoir une provenance licite (arrêt du Tribunal fédéral 1B_565/2018 précité consid. 2.5; arrêt du Tribunal pénal fédéral BB.2022.40 du 15 septembre 2022 consid. 2.1.3; Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 11 ad art. 268).

Par ailleurs, le Tribunal pénal fédéral a admis qu'un séquestre peut être partiellement levé pour payer des dettes nécessaires au maintien d'un immeuble séquestré, cela dans la mesure où un rejet aurait pu avoir des conséquences négatives sur les valeurs séquestrées en tant que telles (arrêt du Tribunal pénal fédéral BB. 2017.114 du 23 novembre 2017 consid. 4.7.1).

2.4. Une décision est arbitraire lorsqu'elle est manifestement insoutenable, méconnaît gravement une norme ou un principe juridique clair et indiscuté, ou heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité (ATF 139 III 334 consid. 3.2.5); il ne suffit pas qu'une autre solution paraisse concevable, voire préférable (ATF 129 I 8 consid. 2.1) ; pour que cette décision soit annulée, encore faut-il qu'elle se révèle arbitraire, non seulement dans ses motifs, mais aussi dans son résultat (ATF 141 IV 369 consid. 6.3 ; 131 I 217 consid. 2.1).

Selon la jurisprudence cantonale, un rejet de lever partiellement le séquestre afin de satisfaire à une obligation contractuelle peut s'avérer arbitraire lorsque le Ministère public favorise, sans aucune motivation, un créancier public au détriment d'un créancier privé (arrêt de la Chambre pénale du Tribunal cantonal de Fribourg 502 2021 57 du 15 juin 2021 consid. 2.4). Dans le cas particulier, le Ministère public avait en effet autorisé de débloquer partiellement le séquestre pour le règlement d'une dette d'impôts, mais l'avait refusé pour une facture d'honoraires du fiduciaire en lien avec la tenue des comptes de la société, tiers saisie.

2.5. En l'espèce, la recourante ne remet pas en cause le séquestre opéré le 1er septembre 2022 sur le produit net de la vente de l'immeuble no 1______, notamment quant à la réalisation de la condition de l'existence de soupçons laissant présumer une infraction (art. 197 al. 1 let. b CPP). Elle s'en prend en revanche, dans ses conclusions, au refus du Ministère public de lever partiellement ledit séquestre – à concurrence de CHF 78'243.65 –, afin qu'elle puisse s'acquitter des provisions et honoraires de ses avocats.

Or, force est de constater que l'avocat ne bénéficie pas d'un statut spécial qui lui permettrait de contourner le but visé par le prononcé d'une mesure de séquestre et ainsi de faire libérer des valeurs patrimoniales séquestrées en vue d'un paiement de ses honoraires. Que la demande de levée partielle porte sur des honoraires déjà versés – ou pas encore – ne change rien à ce qui précède.

En tout état de cause, la configuration d'espèce est différente de celle visée par la jurisprudence citée du Tribunal fédéral. En effet, la recourante dispose d'autres moyens que les biens séquestrés, dans la mesure où elle détient un compte auprès de H______, dont les avoirs s'élevaient à CHF 266'238.- le 31 octobre 2022. Elle ne produit aucune pièce attestant son incapacité de payer ses frais d'avocat au moyen desdits fonds. En outre, la recourante ne prétend pas devoir s'acquitter des honoraires des avocats intervenus afin de défendre ses intérêts dans le cadre particulier de la procédure. Au contraire, de ses propres aveux, les frais litigieux concernaient d'autres procédures civiles et administratives, de même que la rédaction de contrats et de conventions en matière immobilière.

Par ailleurs, contrairement à ce que prétend la recourante, le produit net de la vente de l'immeuble no 1______ n'a pas été séquestré seulement en vue de garantir l'exécution d'une créance compensatrice – estimée à CHF 440'000.- –, mais également en vue de confiscation, dès lors qu'il ressortait de l'instruction que l'immeuble précité avait été acquis et construit dans le cadre des promotions développées sous l'égide de D______ SA. Or, dans la mesure où la provenance illicite des fonds saisis n'était pas exclue, on ne saurait limiter l'assiette du séquestre, et ce, même si d'autres biens immobiliers de la recourante ont été également saisis. En tout état de cause, l'objet du litige ne porte que sur le refus de lever partiellement le séquestre sur le produit de la vente de l'immeuble no 1______.

Enfin, il est exact que le Ministère public a autorisé le règlement d'autres dettes de la recourante, au vu de leur caractère indispensable à l'activité de la société, ce qui n'était pas le cas, selon lui, s'agissant des frais litigieux. Or cette appréciation ne paraît pas arbitraire, ce d'autant que la recourante n'a pas rendu vraisemblable, ni a fortiori démontré, que les frais litigieux étaient, compte tenu de sa situation financière, essentiels à la poursuite de son activité. La Chambre de céans observe, de surcroit, que le montant de CHF 710'479.10, initialement saisi, a été entamé de CHF 605'242.- à la suite des levées partielles de séquestre. Il apparaît que de nouvelles levées réduiraient toute confiscation ultérieure par l'autorité de jugement, voire l'exécution d'une créance compensatrice, alors que les séquestres par le Ministère public visent précisément à les faciliter. Il en découle que le principe de la proportionnalité n'est pas violé.

Il résulte de ce qui précède que le refus de levée partielle du séquestre pour permettre à la recourante de s'acquitter de ses frais d'avocat doit être confirmé.

3. Infondé, le recours sera rejeté.

4. La recourante, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 900.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ SA aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 900.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Monsieur Xavier VALDES, greffier.

 

Le greffier :

Xavier VALDES

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).

P/16214/2020

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

815.00

Total

CHF

900.00