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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/13206/2022

ACPR/532/2023 du 12.07.2023 sur ONMMP/472/2023 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE;ABUS DE CONFIANCE;GESTION FAUTIVE;VIOLATION DE L'OBLIGATION DE TENIR UNE COMPTABILITÉ
Normes : CPP.310; CP.138; CP.165; CP.166

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/13206/2022 ACPR/532/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 12 juillet 2023

 

Entre

A______ SA, ayant son siège ______, comparant par Me Hervé CRAUSAZ, avocat, CHABRIER AVOCATS SA, rue du Rhône 40, case postale 1363, 1211 Genève 1

recourante

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 6 février 2023 par le Ministère public

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3

intimé


EN FAIT :

A. a. Par acte déposé le 20 février 2023, A______ SA recourt contre l'ordonnance du 6 précédent, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur sa plainte.

La recourante conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de cette ordonnance et à l'ouverture d'une instruction.

b. La recourante a versé les sûretés en CHF 2'000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. A______ SA est une société active sur le marché de luxe. Elle a pour succursale B______ SA, dont le siège sis à Genève.

C______ SÀRL était une société ayant pour but toutes prestations de services dans le domaine de l'événementiel. Les époux D______ et E______ en étaient les associés gérants, avec signature individuelle. La société est entrée en liquidation le ______ 2022, avant d'être radiée le ______ 2023.

b. Le 16 juin 2022, A______ SA a déposé plainte contre D______ et E______, des chefs de gestion fautive (art. 165 CP), abus de confiance (art. 148 CP), gestion déloyale (art. 158 CP) et violation de l'obligation de tenir une comptabilité (art. 166 CP).

En perspective d'un événement organisé annuellement, B______ SA avait mandaté C______ SÀRL pour gérer la logistique de l'édition de 2020. Un contrat avait été signé entre les deux sociétés, lequel stipulait que C______ SÀRL devait réserver l'hôtel – le "F______" à G______ [Maroc] – où se tiendrait la manifestation du 23 au 28 août 2020. Un premier acompte de 30% du budget, soit CHF 127'846.10, avait été versé le 13 février 2020; les époux D______/E______ avaient insisté pour l'obtenir rapidement, au motif que la somme devait être utilisée pour réserver les lieux. En raison de la pandémie du Covid-19, l'événement avait dû être repoussé à plusieurs reprises. Une fois la situation sanitaire stabilisée, de nouvelles dates avaient été fixées mais, au moment d'obtenir la confirmation des disponibilités du lieu par E______, qui faisait office d'interlocutrice jusqu'alors, celle-ci n'avait plus répondu aux nombreux courriels envoyés, ni aux appels de B______ SA. Face à l'urgence, cette dernière avait directement contacté l'hôtel et appris que, contrairement aux informations reçues oralement, aucun acompte n'avait été remis à l'établissement. La succursale avait dû verser à l'établissement un second acompte pour réserver les lieux, tout en mettant C______ SÀRL en demeure de rembourser le premier. Par la suite, B______ SA avait découvert que C______ SÀRL avait été déclarée en faillite le 16 décembre 2021. Le dossier constitué dans ce contexte avait mis en lumière que D______ n'avait, en sa possession, que les bilans des années 2014 et 2015, que les déclarations fiscales de la société manquaient depuis 2016, qu'un prêt COVID octroyé à C______ SÀRL avait vraisemblablement servi aux besoins personnels de E______ et D______ et que ceux-ci usaient des cartes de crédit de la société pour des dépenses personnelles.

b.a. Parmi les pièces jointes à la plainte figurait le contrat, daté du 6 novembre 2019, de "prestation de service" (sic) du 1er novembre 2019 au 1er septembre 2020, conclu entre B______ SA et C______ SÀRL.

L'article 1 dudit contrat stipulait que C______ SÀRL se chargeait de: la réservation de l'hôtel, mais également la gestion des enregistrements et réservations, la gestion des repas, l'aménagement des salles, l'organisation des activités en extérieur, la mise à disposition des transports, l'organisation du "Dîner de gala" et l'achat des cadeaux, décorations, etc.

À teneur de l'article 2, "en contrepartie de la réalisation des prestations présentées" à B______ SA, celle-ci devait verser à C______ SÀRL la somme forfaitaire de CHF 396'859.44, selon l'échéancier suivant: 30% à la signature du devis et de l'accord, 40% en avril 2020 et 30% constituant le solde, à la fin de la totalité de l'événement.

b.b. Des échanges de courriels entre C______ SÀRL et B______ SA accompagnaient également la plainte, à teneur desquels:

- la seconde a demandé à la première, le 16 octobre 2019, de "sécuriser la privatisation du F______" pour la semaine du 29 juin au 3 juillet 2020";

- par réponse du surlendemain, C______ SÀRL a confirmé avoir obtenu la confirmation que l'hôtel avait "une seconde option à ces dates" et avoir "négocié pour [être mis] en first comme first served";

- le 1er novembre 2020, B______ SA a requis comme modalités de paiement, à intégrer dans le contrat, le versement de 30% d'acompte dès la signature, de 30% un mois avant l'événement et du solde après celui-ci. Leur politique ne leur permettait pas un paiement de 80% du montant global avant l'événement;

-B______ SA a sollicité l'envoi de la facture du premier acompte les 20 décembre 2019 et 6 janvier 2020.

c. Il ressort des documents liés à la faillite de C______ SÀRL les éléments suivants:

- entre mars et septembre 2020, le compte bancaire de la société a, plusieurs fois, été débité en faveur de E______, à titre de "bonification", pour des montants entre CHF 3'000.- et CHF 5'000.-, ainsi que CHF 15'000.- le 15 juin 2020;

- l'Administration fiscale cantonale et l'Administration fédérale des contributions ont produit des créances liées à des impôts impayés, notamment les taxations fédérales de 2019 (CHF 851.60) et 2020 (CHF 1'739.50) ou la TVA, de 2016 à 2021 (CHF 357'265.51);

-A______ SA a produit une créance à hauteur de CHF 130'616.10, intitulée: "restitution d'un acompte payé sur base d'un contrat non exécuté. Le créancier agit pour le compte de sa succursale B______ SA";

- globalement, les créances produites dans la faillite s'élevaient à plus de CHF 700'000.-;

-D______ a déclaré ne disposer que des bilans 2014 et 2015. Le reste de la comptabilité était en main de H______, comptable de la société, introuvable depuis la fin de l'année 2020. N'ayant plus accès à la comptabilité, il ne pouvait plus dater le surendettement de C______ SÀRL. À son souvenir, celui-ci avait coïncidé avec l'arrêt de l'activité en raison de la pandémie, la société n'ayant pas de dettes auparavant.

d. Entendue par la police le 5 janvier 2023, E______ a expliqué qu'avant la crise sanitaire, C______ SÀRL n'avait jamais eu de problème d'argent. Son salaire mensuel à l'époque était de CHF 8'000.-. Dans le courant 2020, l'activité avait complètement cessé et le crédit COVID avait été utilisé pour s'acquitter des salaires. Les débits du compte bancaire de la société en sa faveur correspondaient au paiement du sien. Pour les CHF 15'000.-, il s'agissait d'une prime annuelle, qui était versée selon les chiffres réalisés. L'acompte reçu de B______ SA était un "prépaiement pour booker l'hôtel" mais, l'événement ayant été repoussé plusieurs fois, la réservation était restée "en stand-by". L'argent avait finalement été mélangé aux fonds de la société, sans être versé à l'hôtel. Elle avait attendu d'être certaine que la réception aurait lieu pour "signer et payer", comme elle le faisait de manière générale avant de conclure des contrats avec les prestataires. Aucune des dépenses de la société n'était personnelle, il s'agissait d'achats en lien avec l'activité événementielle. H______ avait quatre années de retard dans l'établissement des bilans de C______ SÀRL et des déclarations fiscales, même s'il avait reçu de D______ tous les documents utiles et qu'il avait été relancé plusieurs fois.

e. Lors de son audition, le 5 décembre 2020, D______ a déclaré avoir perçu son dernier salaire de C______ SÀRL au mois de décembre 2018. Pour son épouse, c'était au mois de septembre ou octobre 2020. L'acompte de la plaignante devait servir à réserver l'hôtel à G______ [Maroc] mais, comme l'événement était constamment repoussé, ils avaient attendu d'avoir une date fixe pour payer. Finalement, l'acompte avait partiellement servi à régler les derniers salaires des employés. Avec E______, ils ne s'étaient pas enrichis sur cet argent reçu. Courant 2020, tout contact avec H______, qui avait été payé jusqu'en 2019, était devenu impossible. Celui-ci n'avait pas répondu aux nombreux mails ou téléphones. L'absence de comptabilité après 2015 découlait du fait que le précité n'avait "pas fait son travail" alors que lui-même adressait à ce dernier les pièces comptables.

f. Le 8 décembre 2022, la police a entendu H______.

Il avait bouclé les comptes de C______ SÀRL jusqu'en 2017. Après cela, les saisies comptables avaient continué mais rien n'avait été terminé. Il s'agissait d'un "gros dossier", avec beaucoup d'écritures. En 2019, le chiffre d'affaires de la société s'était élevé à CHF 2'393'944.- contre CHF 325'042.- en 2020. Ses honoraires avaient été payés jusqu'en 2018. Il avait cessé de remplir les déclarations fiscales en 2017 car il n'était plus payé. Il avait arrêté les déclarations de TVA en 2019 pour la même raison.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public retient qu'à teneur du contrat conclu entre C______ SÀRL et B______ SA, l'acompte représentait une contrepartie des prestations réalisées par la première. Il ne s'agissait donc pas d'un montant confié dans le but de payer la réservation de l'hôtel à G______. Les époux D______/E______ ne revêtaient pas la qualité de gérants. Les conditions de l'abus de confiance et de la gestion déloyale n'étaient ainsi pas réalisées. Pour les faits dénoncés susceptibles d'être constitutifs de gestion fautive et de violation de l'obligation de tenir une comptabilité, D______, seul responsable de la gestion administrative de la société, avait expliqué transmettre toutes les pièces comptables à H______, lequel avait reconnu n'avoir pas réussi à boucler les comptes dès l'année 2017. En outre, il ne ressortait pas des pièces que des fautes de gestion grossières eussent été commises par les époux D______/E______.

D. a. Dans son recours, A______ SA soutient que l'acompte versé à C______ SÀRL devait servir à réserver l'hôtel à G______, ce que les époux D______/E______ avaient confirmé durant leurs auditions. Il s'agissait donc de valeurs patrimoniales confiées, utilisées sans droit par les précités en leur qualité d'organes, qui les avaient mélangées aux fonds de leur société pour les dépenser ensuite dans un but qui n'était pas celui prévu initialement. L'infraction d'abus de confiance était ainsi réalisée. C______ SÀRL avait cessé de remplir ses déclarations fiscales depuis 2017, ne tenait plus de comptabilité depuis 2017-2018 et ne dressait plus de bilan depuis 2016. En outre, elle ne s'acquittait plus de la TVA depuis 2018. Dans ces circonstances, les époux D______/E______ ne pouvaient se contenter d'être "mécontents" de leur comptable, qui n'était pas payé, sans prendre la moindre mesure afin de redresser la situation et pour rétablir une comptabilité conforme aux exigences légales. E______ avait continué à se verser un salaire, et une prime, en 2020, malgré les difficultés financières. Cette gestion de la société avait conduit à une accumulation de dettes de plus de CHF 700'000.- et à la faillite de celle-ci. Les infractions de gestion fautive et de violation de l'obligation de tenir une comptabilité étaient également réalisées.

b. Dans ses observations, le Ministère public conclut au rejet du recours, en se référant à son ordonnance.

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours a été interjeté selon la forme et –  les réquisits de l'art. 85 al. 2 CPP n’ayant pas été respectés – dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) et concerne une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP).

1.2. Il émane de la société anonyme ayant porté plainte et produit dans la faillite pour le compte de sa succursale, laquelle n'a pas la personnalité juridique et qui fait partie de l'établissement principal (X. OULEVEY / J. LEVRAT, La société anonyme, Guide pratique des personnes morales et des sociétés, Schulthess Verlag (éd.), Zurich 2022, p. 50; cf. ATF 130 III 58 consid. 6.2 p. 65). La recourante a ainsi qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

Partant, le recours est recevable.

2.             La recourante reproche au Ministère public de n'être pas entré en matière sur sa plainte.

Elle ne conteste pas la non-entrée en matière en lien avec la gestion déloyale, si bien que cette infraction ne sera pas examinée plus avant.

2.1. Selon l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis. Cette disposition doit être appliquée conformément à l'adage "in dubio pro duriore". Celui-ci découle du principe de la légalité (art. 5 al. 1 Cst. et art. 2 al. 2 CPP en relation avec les art. 319 al. 1 et 324 al. 1 CPP) et signifie qu'en principe une non-entrée en matière ne peut être prononcée par le ministère public que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions à la poursuite pénale ne sont pas remplies. Le ministère public dispose, dans ce cadre, d'un pouvoir d'appréciation. La procédure doit se poursuivre lorsqu'une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou lorsque les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'une infraction grave. En effet, en cas de doute s'agissant de la situation factuelle ou juridique, ce n'est pas à l'autorité d'instruction ou d'accusation mais au juge matériellement compétent qu'il appartient de se prononcer (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1 p. 243 s.).

2.2. Se rend coupable d'abus de confiance celui qui, pour se procurer ou procurer à un tiers un enrichissement illégitime, se sera approprié une chose mobilière appartenant à autrui et qui lui avait été confiée (art. 138 ch. 1 al. 1 CP) ou, sans droit, aura employé à son profit ou au profit d'un tiers des valeurs patrimoniales qui lui avaient été confiées (art. 138 ch. 1 al. 2 CP).

2.2.1. Une chose est confiée au sens de cette disposition lorsqu'elle est remise ou laissée à l'auteur pour qu'il l'utilise de manière déterminée dans l'intérêt d'autrui, en particulier pour la garder, l'administrer, la livrer ou la vendre selon des instructions qui peuvent être expresses ou tacites (ATF 120 IV 117 consid. 2b p. 115; 118 IV 32 consid. 2a p. 33). L'appropriation implique que l'auteur veut, d'une part, la dépossession durable du propriétaire et, d'autre part, qu'il entend s'attribuer la chose, au moins pour un temps; cette volonté doit se manifester par des signes extérieurs : l'auteur doit se comporter d'une manière qu'il montre qu'il incorpore la chose à son patrimoine, que ce soit pour la conserver, la consommer ou l'aliéner, et se considère comme propriétaire, sans pour autant en avoir la qualité (ATF 121 IV 23 consid. 1c p. 25; 118 IV 148 consid. 2a p. 151 et les arrêts cités), et ce, dans un dessein d'enrichissement illégitime (ATF 133 IV 21 consid. 6.1.2 p. 27; arrêt du Tribunal fédéral 6B_61/2015 du 14 mars 2016 consid. 4.1).

2.2.2. Du point de vue subjectif, l'auteur doit agir intentionnellement, avec le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un enrichissement illégitime, qui peut être réalisé par dol éventuel (ATF 118 IV 32 consid. 2 p. 33).

2.3.1. Selon l'art. 165 ch. 1 CP, celui qui, de manières autres que celles visées à l'art. 164 CP, par des fautes de gestion, notamment par une dotation insuffisante en capital, par des dépenses exagérées, par des spéculations hasardeuses, par l'octroi ou l'utilisation à la légère de crédits, par le bradage de valeurs patrimoniales ou par une négligence coupable dans l'exercice de sa profession ou dans l'administration de ses biens, aura causé ou aggravé son surendettement, aura causé sa propre insolvabilité ou aggravé sa situation alors qu'il se savait insolvable, se rend coupable de gestion fautive, s'il a été déclaré en faillite ou si un acte de défaut de biens a été dressé contre lui.

Cette disposition vise un comportement, légal en soi, mais exercé de telle manière qu'il a pour conséquence de causer ou d'aggraver l'insolvabilité du débiteur (A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ (éds), Commentaire romand, Code pénal II, vol. II, Partie spéciale : art. 111-392 CP, Bâle 2017, n. 1 ad art. 165). N'est pas réprimé n'importe quel choix inadéquat ou appréciation malencontreuse, mais seulement un comportement qui dénote indiscutablement une légèreté blâmable, soit un manque du sens des responsabilités. L'auteur doit avoir adopté un comportement qui, considéré objectivement, doit être qualifié de fautif, en fonction des circonstances dont il avait connaissance ou acceptait l'éventualité (ATF 144 IV 52 consid. 7.3 p. 54; 115 IV 38 consid. 2 p. 41; B. CORBOZ, Les infractions en droit suisse, vol. I, 3e éd., Berne 2010, n. 22 et 57 ad art. 165).

2.3.2. L'art. 165 al. 1 CP mentionne comme faute de gestion les dépenses exagérées. Les dépenses peuvent apparaître exagérées en fonction des ressources du débiteur, mais aussi en tenant compte de leur faible justification commerciale. Un particulier soumis à la saisie effectue des dépenses exagérées s'il fait des achats qui excèdent à l'évidence les ressources qu'il peut raisonnablement espérer. N'importe quelle dépense déraisonnable ne constitue toutefois pas encore une dépense exagérée; pour tomber sous le coup de l'art. 165 CP, les dépenses doivent être exorbitantes et sans justification. Quant à la négligence coupable dans l'administration de ses biens, elle se rapporte à la gestion du patrimoine personnel. Elle sera généralement caractérisée par des dépenses exagérées, l'utilisation à la légère de crédit ou des spéculations hasardeuses (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1238/2018 du 16 janvier 2019 consid. 3.2 et les références citées). Constitue aussi une négligence coupable dans l'exercice de sa profession l'omission de faire l'avis au juge exigé par l'art. 725 al. 2 CO en cas de surendettement (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1279/2018 du 26 mars 2019 consid. 2.2.1 et les arrêts cités) ou les décaissements injustifiés commercialement ou disproportionnés par rapport au chiffre d'affaires ou l'octroi de prêts à la légère (A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ (éds), op.cit.,, n. 25 et 27 ad art. 165; M. DUPUIS / L. MOREILLON / C. PIGUET / S. BERGER / M. MAZOU / V. RODIGARI (éds), Code pénal – Petit commentaire, 2e éd., Bâle 2017, n. 10, 14 et 18 ad art. 165).

2.4. Tombe sous le coup de l'art. 166 CP, le débiteur qui aura contrevenu à l'obligation légale de tenir régulièrement ou de conserver ses livres de comptabilité, ou de dresser un bilan, de façon qu'il est devenu impossible d'établir sa situation ou de l'établir complètement, s'il a été déclaré en faillite ou si un acte de défaut de biens a été dressé contre lui à la suite d'une saisie pratiquée en vertu de l'art. 43 de la loi fédérale du 11 avril 1889 sur la poursuite pour dettes et la faillite (LP).

Cette disposition vise l'obligation de tenir une comptabilité prévue par le Code des obligations (art. 957 ss CO), de dresser un bilan et de conserver les livres de comptabilité (art. 962 CO), y compris les pièces justificatives (B. CORBOZ, op. cit., n. 1-3 ad art. 166).

L'obligation est violée lorsqu'il n'y a pas de comptabilité du tout, lorsqu'elle est tenue de manière irrégulière et lacunaire, lorsqu'elle est fausse ou encore lorsque les comptes et les pièces justificatives n'ont pas été conservés (art. 962 CO; B. CORBOZ, op. cit., n. 7 ad art. 166).

Sur le plan subjectif, l'infraction suppose que l'auteur ait non seulement l'intention de ne pas tenir les livres prescrits et de ne pas les tenir de manière régulière, mais encore qu'il sache et veuille par là qu'il devienne impossible d'établir complètement la situation comptable. À défaut d'une telle intention – le dol éventuel étant suffisant – l'acte n'est punissable qu'en vertu de l'art. 325 CP (ATF 117 IV 163 consid. 2a p. 165; ACPR/581/2014 du 9 décembre 2014 consid. 6.1).

2.5. L'art. 29 let. a CP permet d'imputer à l'organe d'une société les actes pénalement répréhensibles qu'il a commis en agissant au nom de celle-ci; cette responsabilité perdure après la fin de son mandat (L. MOREILLON / A. MACALUSO / N. QUELOZ / N. DONGOIS (éds), Commentaire romand, Code pénal I, 2e éd., Bâle 2021, note de bas de page n. 32 ad art. 29).

2.6. En l'espèce, les mis en cause étaient les associés gérants – soit les organes – de la société, avec laquelle la succursale de la recourante est entrée en affaires et qui a ensuite fait faillite. La condition objective de punissabilité est réunie pour les infractions visées aux art. 165 et 166 CP, ce que le Ministère public ne conteste pas.

Pour l'abus de confiance, il est exact que les mis en cause ont conjointement déclaré que l'acompte reçu de la succursale devait servir à réserver l'hôtel à G______. Cela ne suffit pas encore pour conclure qu'un accord en ce sens avait été convenu avec la succursale de la recourante dès lors que les éléments au dossier plaident l'inverse.

Comme cela ressort de l'article premier du contrat de "prestation de service", la réservation de l'hôtel était une mission parmi d'autres incombant aux mis en cause. La rémunération forfaitaire de CHF 396'859.44 prévue par le deuxième article constituait la "contrepartie de la réalisation" de ces prestations. Enfin, les CHF 127'846.10 payés, le 13 février 2020, par la recourante aux mis en cause correspondaient au premier acompte de 30%, dû à la signature du contrat, ce qui n'est pas contesté.

D'un point de vue contractuel, il n'apparaît donc pas que la rémunération des mis en cause et, identiquement, l'acompte versé, avaient une destination spécifique et déterminée. Il s'agissait plutôt d'honoraires, rétribuant l'activité déployée et les mis en cause n'étaient donc pas tenus d'utiliser le montant reçu dans le seul but de réserver l'hôtel.

Les discussions préalables, survenues par courriels, permettent de confirmer ce constat.

Chronologiquement, les mis en cause discutaient déjà, le 18 octobre 2019, des démarches en cours avec l'hôtel pour réserver les dates utiles alors que les modalités de paiement des prestations n'ont été communiquées que le 1er novembre suivant. Il n'apparaît donc pas que les négociations portaient, à ce stade, sur le versement d'un montant pour bloquer les disponibilités de l'établissement.

Il en découle que lesdites modalités de paiement ont visiblement été fixées de manière abstraite. En effet, le pourcentage de 30% ne peut pas être lié à un quelconque prix fixé par l'hôtel pour la réservation mais bien à un choix unilatéral de la succursale, fondé sur une pratique commerciale interne.

Par ailleurs, si la recourante affirme que les mis en cause auraient insisté pour obtenir rapidement l'acompte afin de réserver les lieux, cela ne ressort d'aucun courriel échangé. Au contraire, c'est la succursale qui a, à deux reprises, sollicité l'envoi de la facture d'acompte pour pouvoir procéder au versement, sans qu'il ne soit démontré, de surcroît, qu'elle aurait exigé, en retour, la confirmation écrite que l'hôtel était réservé.

Les éléments qui précèdent permettent de conclure que l'acompte litigieux a été versé aux mis en cause non pas pour réserver l'hôtel mais pour leur activité contractuelle, excluant de la sorte que les valeurs patrimoniales soient considérées comme des choses confiées au sens de l'art. 138 CP. L'éventuelle inexécution de cette obligation relève ainsi du droit civil exclusivement.

Les conditions pour la gestion fautive et la violation de l'obligation de tenir une comptabilité ne sont également pas réalisées.

À teneur des documents de la faillite, la société des mis en cause avait des dettes au moment de débuter l'année 2020. Cela étant, le comptable a déclaré que le chiffre d'affaires pour 2019 s'élevait à plus de CHF 2 millions, montant supérieur à l'ensemble des créances produites dans la faillite. Il n'apparaît ainsi pas que la gestion jusqu'alors fût gravement défaillante, malgré les impôts impayés, ou que la société fût surendettée avant 2020.

Les mis en cause ont, de concert, expliqué que l'activité de la société – liée essentiellement à l'événementiel – avait considérablement baissé durant l'épidémie de Covid-19, ce que le comptable a confirmé avec le chiffre d'affaires de 2020, s'élevant à CHF 325'042.-. Durant cette année, E______ a, certes, perçu des salaires. Ceux-ci étaient néanmoins inférieurs à ceux qu'elle se versait habituellement. La prime de CHF 15'000.- n'apparait pas excessive malgré les circonstances, tout comme les autres dépenses effectuées par la société durant cette période. Enfin, les dettes accumulées jusqu'en 2019 n'apparaissent pas encore problématiques au regard du chiffre d'affaires de l'année en question.

Aucun reproche de nature pénale ne peut ainsi être retenu contre les mis en cause dans la gestion de leur société.

Les intéressés ont admis que les bilans de leur société n'étaient plus bouclés depuis 2016.

Cela étant, ils ont soutenu avoir régulièrement remis à leur comptable toute la documentation utile pour les années suivantes. Ce dernier a confirmé que les saisies avaient continué par la suite, mais qu'aucun exercice n'avait pu être terminé, précisant qu'il s'agissait d'un "gros dossier".

Sur cette base, et même en tenant compte du litige qui les a opposés avec leur ancien comptable en lien avec les honoraires de celui-ci, il n'apparaît pas que les mis en cause auraient précisément et délibérément failli à leur engagement de tenir une comptabilité pour que la situation comptable de leur société ne puisse pas être établie. Ils ont, au contraire, veillé à fournir les pièces utiles pour assurer, autant que possible, une lisibilité de la comptabilité de leur société, et cherché à obtenir le bouclement des comptes par le comptable.

3.             Fondée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.

4.             La recourante, qui succombe, supportera les frais envers l'État, qui seront fixés en totalité à CHF 2'000.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ SA aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 2'000.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Alix FRANCOTTE CONUS et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Sarah RYTER, greffière.

 

 

La greffière :

Sarah RYTER

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/13206/2022

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'915.00

- demande sur récusation (let. b)

CHF

Total

CHF

2'000.00