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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/1824/2022

ACPR/527/2023 du 11.07.2023 sur ONMMP/4166/2022 ( MP ) , IRRECEVABLE

Recours TF déposé le 14.09.2023, rendu le 14.09.2023, RECOURS TF, 7B_587/2023
Descripteurs : ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE;DOMMAGE;LÉSÉ
Normes : CPP.310; CP.251; CPP.382

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/1824/2022 ACPR/527/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 11 juillet 2023

 

Entre

A______, domicilié ______ République de Maurice,

B______ SA, ayant son siège ______, Luxembourg,

C______, ayant son siège ______ c/o D______ LTD, ______, République de Maurice,

tous comparant par Mes Sylvain SAVOLAINEN et Patrick MOUTTET, avocats, SAVOLAINEN Avocats, boulevard des Philosophes 18, 1205 Genève,

recourants,

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 28 novembre 2022 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 12 décembre 2022, A______, B______ SA et C______ recourent contre l'ordonnance du 28 novembre 2022, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur leur plainte.

Les recourants concluent, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de cette ordonnance et à l'ouverture d'une instruction.

b. Les recourants ont versé les sûretés en CHF 3'000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

I. Contexte non litigieux

a. A______, ressortissant belge domicilié en République de Maurice, a ouvert à titre personnel, au mois de juin 2017, une relation bancaire à Genève auprès de E______, enregistrée sous le numéro de compte 1______.

b. Parmi les documents contractuels signés par A______ dans ce cadre figurent:

- un contrat de conseil en placement, avec ses conditions d'exercice, par lesquelles il donnait mandat à la banque de lui "octroyer un accès direct à un conseiller en placement" chargé de fournir des conseils "en placement compatibles avec les objectifs d'investissement et le profil de risque" et "en placement portant sur des investissements spécifiques que [A______] envisage[ait] d'effectuer". Les prestations faisant l'objet du mandat s'adressaient à "une clientèle expérimentée en matière d'investissements financiers". A______ était "conscient du fait que les décisions définitives relatives au choix des investissements et à la composition du portefeuille [relevaient] de sa compétence et de sa responsabilité exclusive. Il [restait] libre de suivre ou non les conseils de la Banque, laquelle exécutera[it] les décisions d'investissement qui lui [seraient] communiquées expressément pour exécution, pour le compte et aux seuls risques du Client";

- un questionnaire "Profil client", où il signifiait ne pas être actif dans le secteur financier mais investir depuis des années dans plusieurs catégories d'actifs sur différents marchés. Il pensait investir entre 10% et 50% de ses actifs;

- un questionnaire lié aux risques, par lequel il déclarait une "appétence au risque moyenne", avec comme priorité: "Revenus/complément de revenus";

- des "Conditions régissant les ventes à découvert, ainsi que les opérations non couvertes sur options, contrat à terme et autres produits dérivés" (ci-après: "Conditions régissant les ventes à découvert"), tenant sur cinq pages, qui s'appliquaient aux opérations effectuées par la banque "mais sur ordre et aux seuls risques et périls du Client". Ce dernier y confirmait que les engagements sur les opérations visées par ces conditions n'excéderaient pas EUR 1'200'000.-, mais en tout cas pas plus de 30% des actifs détenus. En cas de dépassement de ces limites, "le Client s'engage[ait], à première demande de la Banque, à remettre en nantissement, en faveur de la Banque, de nouveaux actifs ou à dénouer tout ou partie des opérations en cours à due concurrence, dans le délai qui lui [était] imparti pour ce faire".

c. F______ a été désigné comme chargé de relation pour [la banque] E______, tandis que G______ est intervenu comme conseiller en placement.

d. Les 15 août 2017 et 19 juin 2018, A______ a ouvert auprès de E______ trois comptes distincts, au nom de sociétés dont il était l'ayant droit économique, à savoir B______ SA, société luxembourgeoise (compte n° 2______), C______ (compte n° 3______) et H______ LTD (compte n° 4______), sociétés mauriciennes.

e. Pour ces relations, A______ a signé, entre le 15 août 2017 et le 28 août 2018, divers documents bancaires, parmi lesquels figurent:

- des actes de nantissement individuels, conférant à la banque un droit de gage sur les avoirs déposés sur les comptes respectifs;

- un mandat de conseil en placement pour C______, prévoyant notamment que le "Client" était "conscient que les décisions finales d'achat ou de vente partielle ou totale, le niveau de risque et la performance des placements effectués, ainsi que l'allocation des actifs au sein du Compte [relevaient] de sa responsabilité exclusive";

- des questionnaires "Profil client". Dans ceux relatifs à C______ et H______ LTD, les cases cochées signifiaient une volonté d'investir "plus de 50%" des actifs, avec une "appétence au risque élevée" et une priorité dans la "valorisation/accroissement du capital", pour B______ SA, le montant total des actifs à investir auprès de la banque était "entre 10% et 50%", avec une "appétence au risque élevée" et une priorité dans la "valorisation/accroissement du capital";

- des "Conditions régissant les ventes à découvert". Les limites d'engagement ne devaient pas excéder EUR 3'000'000.- mais en tout cas pas plus de 30% / 33% des actifs détenus pour B______ SA et CHF 2'500'000.-, mais en tout cas pas plus de 30% des actifs détenus pour C______.

II. Plainte et instruction

a. Le 18 janvier 2022, A______, en son nom propre et en qualité de représentant de B______ SA et C______, a déposé plainte contre F______ pour faux dans les titres (art. 251 CP), en distinguant trois types de documents "fabriqués à son insu", dont il avait découvert l'existence dans le cadre d'une demande de reddition de compte.

Dans le contexte de l'ouverture du compte de H______ LTD, le précité lui avait fait parvenir par courriel, le 4 octobre 2018, un contrat de nantissement, en lui demandant de ne signer que la seconde page du document, ce qu'il avait fait en pensant qu'il s'agissait d'une confirmation d'un des nantissements similaires signés précédemment. En répliquant par la suite cette seconde page – avec la signature – F______ avait fabriqué trois actes de nantissement "croisés" entre son compte personnel et ceux de B______ SA et C______.

Le 14 février 2019, F______ lui avait adressé un courriel contenant une pièce jointe à signer, laquelle ne consistait qu'en une dernière page d'un formulaire dont il ignorait le contenu. En raison de la confiance qu'il accordait au précité, il s'était exécuté. Cette unique page avait alors été utilisée pour fabriquer de nouvelles "Conditions régissant les ventes à découvert", afférentes à sa relation personnelle, pour prévoir une limite d'engagement de EUR 10'000'000.- et, au maximum, de 100% des actifs détenus. Ce processus avait été réitéré à deux autres reprises, en l'espace d'un mois et demi, avec, à chaque fois, des limites d'engagement différentes. Toujours grâce à la même page signée, F______ avait également fabriqué plusieurs "Conditions régissant les ventes à découvert" afférentes à la relation de B______ SA, en augmentant à chaque fois les limites d'engagement par rapport à celles initialement stipulées.

Le 13 mai 2019, F______ lui avait, derechef, envoyé un courriel en lui demandant de signer les pièces jointes, soit les dernières pages de deux formulaires, lui expliquant qu'en raison de l'entrée en vigueur de la LSFin, il devait passer dans la catégorie des "clients professionnels" pour pouvoir continuer à bénéficier d'un accès direct au "Trading Floor". Les signatures apposées sur ces documents avaient servi à F______ pour fabriquer un nouveau profil client le concernant, par le biais d'un questionnaire éponyme, composé de quatre pages en tout et comprenant de nombreuses questions pour lesquelles il n'avait coché aucune des cases valant réponses. F______ en avait fait de même pour créer un nouveau profil client en lien avec C______.

b. Les pièces suivantes accompagnaient notamment cette plainte:


 

Actes de nantissement

- un courriel de F______ du 4 octobre 2018 avec comme objet: "Nantissements" et comme teneur: "Je vous prie de bien vouloir trouver, ci-joint, l'acte de nantissement pour signature. Merci de bien vouloir uniquement signer la page 2 et renvoyer le document par scan [à] votre plus proche convenance". Le document n'est pas joint à la plainte;

- la réponse de A______ du même jour, ainsi que la seconde page d'un document, où la date du 11 octobre 2018 était dactylographiée et sa signature était apposée;

- trois actes de nantissement de deux pages, dont les secondes correspondaient à celle transmise par A______, avec la date du 11 octobre 2018 et sa signature, stipulant que le "Constituant", soit le précité, respectivement C______ et B______ SA, constituaient un droit de gage sur leurs avoirs en faveur de la banque pour les éventuelles créances que celle-ci pouvait faire valoir à l'encontre des deux autres (nantissements croisés). Les documents comportaient chacun la note manuscrite "(suspens voir mail de I______)";

Conditions régissant les ventes à découvert

- un courriel de F______ du 14 février 2019, avec comme teneur: "A la suite de notre conversation téléphonique et je vous prie de bien vouloir trouver, ci-joint, le formulaire pour signature". En annexe, est produite la cinquième page d'un formulaire, dont les champs afférents à la date et à la signature sont vides. La mise en page et le contenu visible étaient identiques à ceux de la cinquième page des "Conditions régissant les ventes à découvert" signées auparavant par A______;

- la réponse de A______ du lendemain, comprenant la page en question, complétée avec sa signature mais non datée;

- trois formulaires de "Conditions régissant les ventes à découvert" en lien avec le compte n° 1______ (A______), portant les dates manuscrites des 14, 27 février et 3 avril 2019 et la signature de A______, prévoyant des limites d'engagement successives de EUR 10'000'000.- (maximum 100% des actifs), EUR 10'000'000.- (maximum 44% des actifs) et EUR 5'000'000 (maximum 50% des actifs);

- trois formulaires de "Conditions régissant les ventes à découvert" en lien avec le compte n° 2______ (B______ SA), portant les dates manuscrites des 14, 27 février et 3 avril 2019 et la signature de A______, prévoyant des limites d'engagement successives de EUR 5'000'000.- (maximum 100% des actifs), EUR 5'000'000.- (maximum 23% des actifs) et EUR 11'000'000 (maximum 50% des actifs);

Profil client

- un courriel de F______ du 13 mai 2019, avec la teneur suivante: "En prévision de l'entrée en vigueur en janvier 2020 de la loi fédérale sur les instruments financiers (LSFin), nous avons l'obligation légale de classer les clients dans l'une des catégories suivantes: Clients privés, Clients professionnels, Clients institutionnels. Par défaut, les dossiers sont actuellement classifiés dans la catégorie « clients privés », ce qui aura comme conséquence que, dès le 1er juillet 2019, vous n'aurez plus accès à notre « Trading Floor » comme cela est actuellement le cas, alors qu'il faut être dans la catégorie « clients professionnels ». En bref et afin de pouvoir continuer de bénéficier d'un accès direct à G______, je vous remercie de bien vouloir signer les deux documents joints et me les renvoyer (par scan uniquement) à votre plus proche convenance".

- La seconde page d'un formulaire, avec une ligne pour y inscrire la date et une autre pour apposer la signature; ainsi que la dernière page d'un formulaire en comprenant quatre, avec un espace pour signer et inscrire la date. Au-dessus de ces champs se trouvait la fin d'un questionnaire avec, notamment, des cases à cocher relatives à la "catégorisation LSFIN retenue en accord avec le client". Les options étaient "Privé", "Professionnel « sur demande » (joindre le document Demande d'être traité comme un client professionnel)", "Professionnel" et "Institutionnel";

- la réponse de A______, avec sa signature et la date du 13 mai 2019 inscrites dans les espaces prévus à cet effet sur les deux pages susmentionnées. Les cases visibles à la fin du formulaire de quatre pages n'étaient pas cochées;

- un document de deux pages "Demande d'être traité comme client professionnel" pour la relation n° 1______, dont la seconde correspondait à celle complétée et renvoyée par A______;

- un questionnaire "Profil client" pour cette même relation, comprenant quatre pages et dont la dernière correspondait à celle retournée, signée, par A______. L'ensemble des cases valant réponses aux différentes questions étaient cochées, y compris celle, pour la "Catégorisation LSFIN", avec le statut "Professionnel « sur demande »";

- ce même questionnaire et une "Demande d'être traité comme client professionnel", complétés pour la relation de C______, comprenant également la date du 13 mai 2019 et la signature de A______;

- la retranscription d'un passage d'une conversation téléphonique survenue le 18 décembre 2019 entre A______ et son conseiller en investissement au sein de la banque;

c. Le 7 février 2022, le Ministère public a sollicité des plaignants l'envoi de toute la documentation obtenue par le biais de la demande de reddition de compte mentionnée dans leur plainte.

d.a. Le 9 mars 2022, les plaignants ont transmis une clé USB avec les informations demandées et fourni des explications générales sur les litiges civils les opposant à [la banque] E______, tout en rappelant que leur plainte ne visait que F______.

d.b. Ladite clé USB contenait, entre autres, une demande en paiement déposée par E______ contre A______ le 26 novembre 2020, par-devant le Tribunal de première instance.

À teneur des allégués de cette demande, A______ était titulaire du brevet d'avocat et exerçait depuis de nombreuses années dans le domaine fiscal. Il était habitué à signer de la documentation bancaire et pouvait prétendre au statut "d'investisseur qualifié". En ouvrant les différentes relations, en son nom et pour le compte de C______ et B______ SA, l'intéressé cherchait à accéder à la table de trading de la banque. Compte tenu de la nature des instruments financiers dans lesquels A______ investissait depuis l'ouverture desdites relations, une mise à jour documentaire avait été effectuée, par le biais notamment de la signature d'actes de nantissements croisés, de "Conditions régissant les ventes à découvert", d'un formulaire "client professionnel" et d'un questionnaire "Profil client". Les actes de nantissement croisés avaient d'abord été signés par A______ et retournés par courriel. En l'absence d'originaux, la banque lui avait demandé de venir signer, une seconde fois, ces documents en original, lors d'une visite le 7 janvier 2019. Les modifications apportées aux "Conditions régissant les ventes à découvert" avaient préalablement été discutées par téléphone avec A______. Le nouveau profil client de ce dernier était conforme avec la nature de sa stratégie, portant sur des instruments financiers hautement spéculatifs, et conforme à sa volonté. Les investissements effectués par A______, par le biais des comptes dont il était l'unique ayant droit économique, avaient finalement conduit la relation n° 1______ à nécessiter un appel de marge de la banque, auquel l'intéressé n'avait pas donné suite. Conformément aux conditions contractuelles, les instruments financiers de A______ avaient alors été liquidés par la banque, engendrant des pertes importantes. Malgré les compensations effectuées sur la base des actes de nantissement croisés, A______ restait débiteur d'un montant de EUR 20'595'643.-.

d.c. La clé USB contenait également:

- un courriel envoyé par F______ à A______, lui fixant un rendez-vous pour le 7 janvier 2019;

- trois actes de nantissement croisés, liés respectivement aux relations nos 1______, 3______ et 2______, datés du 7 janvier 2019 et portant la signature de A______, sans note manuscrite "en suspens".

e. Le 5 septembre 2022, le Ministère public a adressé un ordre de dépôt à E______, afin d'obtenir, notamment, toute la correspondance ou enregistrement téléphonique portant sur les modifications successives de limites d'engagement et sur les modifications du profil client des relations de A______, B______ SA et C______.

f. Dans la lettre du 26 septembre 2022 accompagnant les documents sollicités par l'ordre de dépôt, E______ a expliqué qu'au moment des faits, les lignes téléphoniques de la banque n'étaient pas enregistrées, les limites des 14 et 27 février 2019 pour les relations de A______ et B______ SA n'avaient jamais été enregistrées, ni appliquées. Celles reflétées dans les états financiers au 31 mai 2019 pouvaient être générées directement par le client, en tout temps, sur le système e-banking.

Parmi les pièces ainsi versées au dossier figurait un document "Confirmation relative au statut d'investisseur qualifié pour les particuliers fortunés", relatif au compte personnel de A______ et selon lequel celui-ci confirmait "avoir été rendu attentif aux conséquences pratiques et aux risques liés au statut d'investisseur qualifié, et notamment au fait que la Banque pourra lui proposer des fonds et des produits structurés destinés uniquement aux investisseurs qualifiés, lesquels présent[ai]ent en général un niveau de protection moindre et des risques plus élevés que les fonds/produits structurés ouverts au public".

g. Le 10 novembre 2022, les plaignants ont versé à la procédure des documents venant "étoffer et étayer les faits rapportés" dans leur plainte. Il s'agissait de comptes rendus internes de E______, selon lesquels la mise à jour d'un nouveau profil client devait être documentée, ainsi qu'un exemple caviardé de courriel envoyé à un client pour la signature d'un document bancaire, où l'intégralité de celui-ci était envoyée. Cela démontrait que F______ n'avait pas respecté les usages de la banque, ceci afin d'usurper la signature de A______.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public retient que A______ avait signé, et par-là ratifié, les trois actes de nantissement croisés lors d'une visite à la banque le 7 janvier 2019. Ces actes reflétaient ainsi sa volonté.

Les modifications des "Conditions régissant les ventes à découvert" avaient été discutées préalablement par téléphone. En outre, A______ étant seul responsable de la gestion de son portefeuille, E______, et plus particulièrement F______, n'avaient aucun intérêt à les modifier unilatéralement. Au vu encore de la nature hautement spéculative des instruments financiers utilisés par A______, il lui appartenait de surveiller sa propre limite de risque, disponible en tout temps via son e-banking. En tout état, les déclarations du précité et de la banque étaient contradictoires, sans qu'une preuve objective ne pût permettre de privilégier l'une ou l'autre version ni d'établir les faits avec certitude, étant rappelé que les conversations téléphoniques de la banque n'étaient pas enregistrées au moment des faits.

Les documents signés par A______, notamment la "Confirmation relative au statut d'investisseur qualifié", attestaient de ses connaissances dans les opérations financières complexes, ce qui était encore renforcé par sa formation, son métier dans l'expertise fiscale et ses investissements hautement spéculatifs. La modification s'agissant de son statut de "client professionnel" apparaissait dès lors comme une simple "mise à jour administrative" d'un statut déjà avéré. En sa qualité d'ayant droit économique et de signataire de toutes les relations, les informations données à A______ valaient pour C______ et B______ SA. Quant aux profils clients, les documents n'avaient qu'une portée "marginale" dans la mesure où, A______ étant un investisseur qualifié et seul responsable des risques découlant de sa stratégie de placement, lesdits documents n'avaient pour fonction que de permettre à la banque de lui proposer des investissements en adéquation avec son profil et sa volonté.

D. a. Dans leur recours, A______, C______ SA et B______ SA, qui affirment disposer de la qualité pour agir, soulignent que le courriel de F______ du 4 octobre 2018 ne faisait mention que d'un unique acte de nantissement, sans autre information et sans les autres pages du document concerné. L'infraction de faux dans les titres, de mise en danger abstraite, apparaissait "consommée", sous "la forme de l'abus de blanc-seing". Par ailleurs, les documents contestés, portant la mention "en suspens", ne constituaient pas des originaux et il ne pouvait pas être établi que les autres avaient été ratifiés. En tout état, cela ne modifiait pas le caractère de faux dans les titres.

Pour les "Conditions régissant les ventes à découvert", seule la dernière page d'un PDF lui avait été envoyée, ce qui dénotait une volonté de ne pas transmettre l'intégralité du document. La page retournée, qu'il avait signée, avait été utilisée pour créer plusieurs nouvelles "Conditions", datées successivement des 14, 27 février et 3 avril 2019, sans qu'aucune explication n'ait pu être obtenue pour justifier l'existence de tels documents.

Le même "modus operandi" avait été utilisé concernant les modifications apportées au statut de "professionnel" et au "Profil client". En outre, par "[l']abus de blanc-seing", F______ ne les avait pas suffisamment informés des conséquences du changement de statut, ce qui allait à l'encontre des objectifs poursuivis par la LSFin. De plus, il était incohérent de retenir qu'ils étaient des investisseurs professionnels tout en considérant qu'ils étaient "incapables de remplir eux-mêmes les formulaires les concernant", nécessitant que F______ le fît à leur place. Le changement de profil client n'était pas "marginal" puisque de telles démarches nécessitaient la signature du client.

Enfin, en retenant qu'aucun élément objectif ne permettait de privilégier une version plutôt qu'une autre et en refusant d'entrer en matière, le Ministère public avait violé son obligation de poursuivre et le principe "in dubio pro dubiore". L'autorité avait également retenu à tort que les conversations téléphoniques de la banque n'étaient pas enregistrées au moment des faits alors que l'inverse avait été démontré.

b. Dans ses observations, le Ministère public maintient que les éléments au dossier permettaient d'établir que les actes de nantissement croisés avaient été ratifiés par A______. Les modifications des "Conditions régissant les ventes à découvert" succédaient à des discussions consensuelles et n'avaient, de toute manière, jamais été appliquées s'agissant des limites fixées selon les documents datés des 14 et 27 février 2019. Les enregistrements téléphoniques présents au dossier couvraient une période postérieure aux faits dénoncés. Enfin, les développements des recourants concernant l'abus de blanc-seing faisaient abstraction du fait que, pour retenir un tel abus, l'auteur devait agir sans l'autorisation du titulaire de la signature. Or, les éléments au dossier tendaient à établir que F______ agissait avec le consentement de A______.

c. Dans leur réplique, les recourants reprochent au Ministère public de se fonder sur des vraisemblances pour refuser d'entrer en matière sur les faits dénoncés, ce qui était contraire au principe "in dubio pro duriore" notamment. L'autorité négligeait également l'importance des originaux pour des documents comme ceux litigieux, importance reconnue par la banque elle-même comme cela était démontré par les courriels internes de E______, au sujet des actes de nantissement.

Ils produisent ainsi un échange de courriels du 18 octobre 2018, entre I______ (conseiller légal) et J______, avec F______ en copie, dont la teneur est la suivante:

"Nous avons remis il y a quelques jours des actes de nantissement pour ces trois dossiers mais ce sont des copies scannées et non pas des originaux. Le problème étant que le client habite à l'Ile Maurice et qu'il est très compliqué pour lui de nous envoyer ces documents par [l'entreprise de transport] K______. Est-il possible de faire une exception et d'enregistrer les actes de nantissements sur la base des scan[s] que nous avons reçu?";

"Oui, cela est possible à titre temporaire, le temps d'obtenir les originaux à brève échéance. En revanche, si le client n'entend pas ou ne peut pas nous envoyer les documents originaux, cela n'est pas possible".


 

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours a été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) – les formalités de notification (art. 85 al. 2 CPP) n'ayant pas été observées –, et concerne une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP).

1.2. Seule une partie à la procédure qui a un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée peut toutefois se voir reconnaître la qualité pour agir (art. 382 al. 1 CPP).

Tel est, en particulier, le cas du lésé qui déclare expressément vouloir participer à la procédure comme demandeur au pénal ou au civil (art. 118 al. 1 CPP). La notion de lésé est définie à l'art. 115 CPP. Il s'agit de toute personne dont les droits ont été touchés directement par une infraction. En règle générale, seul peut se prévaloir d'une atteinte directe le titulaire du bien juridique protégé par la disposition pénale qui a été enfreinte (ATF 143 IV 77 consid. 2.2 p. 78).

Il incombe à la partie recourante d'alléguer les faits qu'elle considère comme propres à fonder sa qualité pour recourir lorsque celle-ci n'est pas d'emblée évidente (arrêts du Tribunal fédéral 1B_339/2016 du 17 novembre 2016 consid. 2.1; 1B_242/2015 du 22 octobre 2015 consid. 4.2 et les références citées).

1.3. L'art. 251 CP protège, en tant que bien juridique, d'une part, la confiance particulière placée dans un titre ayant valeur probante dans les rapports juridiques et, d'autre part, la loyauté dans les relations commerciales (ATF 142 IV 119 consid. 2.2 p. 121 s. et les références citées). Le faux dans les titres peut également porter atteinte à des intérêts individuels, en particulier lorsqu'il vise précisément à nuire à un particulier (ATF 140 IV 155 consid. 3.3.3 p. 159; 119 Ia 342 consid. 2b p. 346 s. et les références citées). Tel est le cas lorsque le faux est l'un des éléments d'une infraction contre le patrimoine, la personne dont le patrimoine est menacé ou atteint ayant alors la qualité de lésée (ATF 119 Ia 342 consid. 2b p. 346 s.; arrêts 6B_655/2019 du 12 juillet 2019 consid. 4.3.3; 6B_1274/2018 du 22 janvier 2019 consid. 2.3.1).

1.4. En l'espèce, les recourants reprochent au prévenu d'avoir abusé de blancs-seings, obtenu en demandant la signature de documents envoyés de manière incomplète. Ce mode opératoire aurait notamment été utilisé pour fabriquer trois actes de nantissement croisés, plusieurs "Conditions régissant les ventes à découvert", pour modifier leur "Profil client" et pour leur attribuer le statut de "professionnel" au sens de la LSFin.

Si leur plainte dénonçait ainsi la forme, soit la manière de procéder, les recourants n'ont toutefois jamais allégué – ni, a fortiori, démontré – en quoi la fabrication de ces documents par le mis en cause était susceptible de porter atteinte à leur patrimoine.

Dans leur recours, ils se bornent à affirmer avoir la qualité pour agir, sans développer cet aspect. Faute d'intérêt juridiquement protégé, les recours sont, partant, irrecevables.

En toutes hypothèses, les trois actes de nantissement croisés dénoncés n'ont jamais été utilisés puisqu'ils sont restés "en suspens", le temps de faire signer des originaux, ce qui ressort du courriel interne à la banque du 18 octobre 2018 produit par les recourants avec leurs observations. D'ailleurs, selon la demande en paiement déposée par la banque, celle-ci fonde ses créances sur des actes datés du 7 janvier 2019 et portant la signature du recourant A______, lesquels ont remplacé les documents litigieux.

Pour les autres, on ne perçoit pas le dommage qu'aurait subi les recourants.

À teneur de la documentation contractuelle non litigieuse, le recourant A______ était seul responsable des opérations financières mises en œuvre depuis son propre compte et celui des autres sociétés recourantes, dont il était l'ayant droit économique et le signataire. La banque lui a, certes, désigné un conseiller en placement – qui n'est pas mis en cause – mais le précité gérait, à ses propres risques, ses investissements, la banque ne faisant qu'exécuter ses ordres.

Dans ce contexte, les "Conditions régissant les ventes à découvert" limitaient les engagements pris par le recourant A______, de manière à garantir, à la banque, une couverture financière suffisante pour les opérations à risque que le précité pouvait entreprendre. Cela signifie que plus ces limites étaient élevées, plus la banque s'exposait. Pour les formulaires "Profil client" et celui attribuant le statut de "professionnel" au sens de la LSFin, leurs modifications ont eu pour conséquence d'assurer au recourant A______ un accès au "Trading floor" et à des instruments financiers plus complexes.

Face à la teneur et la portée de ces documents, il faut constater, à l'instar du Ministère public, que le mis en cause – chargé de relation pour la banque – n'avait aucun intérêt à fabriquer les documents dans le sens de ceux dénoncés puisqu'il n'aurait pu en tirer aucun avantage, pour lui ou pour un tiers.

En tout état, les recourants ont échoué à démontrer l'inverse et en particulier que les prétendus faux dans les titres s'inscrivaient dans une infraction contre leur patrimoine. Ils ne peuvent dès lors prétendre à la qualité de lésés.

2.             Compte tenu de ce qui précède, le recours est irrecevable.

3.             Les recourants, qui succombent, supporteront les frais envers l'État, fixés en intégralité à CHF 3'000.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Déclare le recours irrecevable.

Condamne A______, B______ SA et C______, conjointement et solidairement, aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 3'000.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt, en copie, aux recourants, soit pour eux leurs conseils, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Alix FRANCOTTE CONUS et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/1824/2022

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

2'915.00

-

CHF

Total

CHF

3'000.00