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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/13713/2020

ACPR/526/2023 du 10.07.2023 sur OMP/4559/2023 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : SÉQUESTRE(LP);SOUPÇON;PROPORTIONNALITÉ
Normes : CPP.263; CPP.197; CP.71.al3

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/13713/2020 ACPR/526/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du lundi 10 juillet 2023

 

Entre

A______, domiciliée ______, comparant par Me Garance STACKELBERG, avocate, BST Avocats, boulevard des Tranchées 4, 1205 Genève

recourante

contre l'ordonnance de refus de levée de séquestre rendue le 8 mars 2023 par le Ministère public

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3

intimé


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 20 mars 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 8 mars 2023, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a refusé de lever le séquestre prononcé sur les CHF 50'000.- en espèces découverts dans un coffre-fort bancaire à son nom.

La recourante conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de l'ordonnance querellée et à la levée du séquestre.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.  Le 4 août 2020, une instruction pénale a été ouverte contre B______ des chefs d'escroquerie, faux dans les titres, gestion déloyale, gestion fautive, violation de l'obligation de tenir une comptabilité et obtention frauduleuse d'un concordat judiciaire.

Il lui est en particulier reproché d'avoir, en 2017, en sa qualité d'administrateur et d'actionnaire unique de C______ SA, amené, par le biais d'une tromperie, respectivement de fausses informations, D______ et E______ à lui prêter CHF 950'000.- en tout, dont ces derniers n'ont jamais pu obtenir la restitution en dépit des poursuites et procédures civiles engagées.

Selon une communication du Bureau de communication en matière de blanchiment d'argent (MROS), entre 2017 et 2020, les bonifications sur le compte F______ de la société susvisée – qui n'a jamais eu d'activité commerciale effective – provenaient essentiellement de prêts consentis par des personnes physiques et morales. Aussi, l'enrichissement illégitime de B______ atteindrait CHF 2'900'000.-.

b.    Le Ministère public soupçonne A______, mère du prénommé, d'être intervenue fictivement dans la "vie patrimoniale" de son fils, notamment en réglant pour lui, en 2018, le loyer (CHF 1'507.- par mois) du logement qu'il occupait, alors même qu'il disposait simultanément d'avoirs substantiels prélevés sur les comptes de la société qu'il animait, à la différence d'elle, qui n'avait aucun revenu.

c. Le 5 mai 2021, le Ministère public a ordonné le dépôt par G______ de la documentation bancaire relative à toute relation dont A______ serait titulaire. Le 11 suivant, la banque a annoncé que cette dernière détenait un compte et un coffre-fort.

d. La documentation bancaire recueillie par le Ministère public tant auprès de F______ que de G______ montre que :

- le compte F______ de C______ SA a été débité de CHF 18'000.- le 24 mai 2019, avec la référence "SALAIRE MAI" (pièce PP 22'260) ;

- B______ a crédité la somme de CHF 2'000.- sur le compte G______ de A______ les 31 mai et 12 juin 2019 (CHF 4'000.- au total) (pièce PP 27'009) ;

- le compte F______ de C______ SA a été débité de CHF 18'000.- par e-banking le 24 juin 2019, sans autre précision (pièce PP 22'260) ;

- le 24 juillet 2019, le compte G______ de A______ a été crédité d'un montant de CHF 18'000.- par la société précitée, avec la référence "H______" (pièce PP 27'009) ;

- le compte F______ de C______ SA présentait un solde créditeur de CHF 59'960.19 à la date de sa saisie par le Ministère public, en août 2020 (PP 22'270) ;

- le 6 novembre 2020, le Ministère public a autorisé la banque F______ à affecter cet argent au remboursement d'un décompte de carte de crédit et à la compensation partielle d'un crédit COVID de CHF 275'000.- ;

- à la date de sa saisie par le Ministère public, le compte G______ de A______ était créditeur de CHF 295.60 (pièce PP 27'009).

e. La perquisition du coffre-fort bancaire de A______ a conduit à la découverte, le 2 septembre 2021, de cinquante billets de CHF 1'000.-.

f. Le 14 septembre suivant, le Ministère public en a ordonné le séquestre, considérant qu'il y avait lieu de présumer que A______ avait pu bénéficier de montants illicites sujets à confiscation ou à restitution aux ayants droit. En effet, au vu de la situation patrimoniale aisée d'B______ en 2018, le paiement de son loyer par sa mère trouvait difficilement une justification économique.

g. A______ a formé recours contre cette décision, que la Chambre de céans a maintenue le 29 avril 2022 (ACPR/290/2022), au motif que les explications de l'intéressée n'étaient pas limpides et mêmes contradictoires.

Pour la Chambre, la question n'était pas de savoir si des sommes versées sur le compte de la recourante l'avaient été au titre de remboursement de loyers, mais de déterminer si les espèces retrouvées dans son coffre-fort provenaient directement d'infractions reprochées à son fils ou si, à défaut, elles pourraient s'exposer au prononcé d'une créance compensatrice, parce que d'autres valeurs patrimoniales, qu'elle aurait, par hypothèse, reçues séparément de lui, provenaient – elles – directement de ces infractions, sans plus être disponibles aujourd'hui.

En l'état, le Ministère public et la recourante s'attachaient à un unique "remboursement" de CHF 18'000.-, par transfert bancaire, et non en espèces, provenant du compte F______ ayant reçu les fonds des investisseurs plaignants. Ce lien de connexité avec les infractions imputées au prévenu était suffisant. Comme, par ailleurs, le solde du compte de la recourante auprès de G______ était inférieur à CHF 300.-, la perspective d'une créance compensatrice à exécuter sur les cinquante billets de CHF 1'000.- saisis n'était pas d'emblée à écarter. Elle l'était d'autant moins que le Ministère public avait allégué, dans ses observations, que le montant total des loyers que la recourante aurait payés pour le prévenu atteindrait près de CHF 50'000.- et que les parties plaignantes avaient pointé – sans avoir été démenties par la recourante – nombre d'entrées en espèces [CHF 154'005.- au total] qui ne s'accordaient pas avec ses revenus avoués.

Il importait peu que la recourante ait pu se constituer une épargne – grâce à des revenus qui n'apparaissent pas avoir été nuls –, car une créance compensatrice pouvait, précisément, être prononcée sur des revenus licites, si ceux d'origine délictueuse avaient disparu.

Par ailleurs, la recourante se gardait d'expliquer pourquoi elle avait préféré déposer le fruit de ses économies dans un coffre-fort, en espèces, plutôt que le faire créditer sur le compte qu'elle détenait pourtant – dans la même monnaie – auprès du même établissement bancaire. Se prémunir contre la tentation d'une dépense, comme affirmé par la recourante, n'était certainement pas une raison "évidente". L'objection valait pareillement si l'argent provenait de son père, comme allégué dans un premier temps, et non de ses économies. Enfin, si les billets de CHF 1'000.- provenaient directement de son fils, leur dissimulation dans un coffre soulèverait des interrogations en matière de blanchiment d'argent et les exposerait à une confiscation en tant que "producta sceleris".

h. Le 30 novembre 2022, A______ a expliqué au Ministère public avoir travaillé en qualité d'assistante sociale auprès de l'Hospice général pour un salaire mensuel d'environ CHF 6'000.- et vivre, depuis 2019, des revenus provenant de sa retraite, d'un montant de près de CHF 4'000.- par mois. Son époux, qui résidait au Qatar depuis 2004, contribuait à son entretien par des versements réguliers d'argent sur un compte ouvert au nom de leur fille, I______, auprès de la J______. Ce compte n'avait pas été ouvert à son nom en raison du fait qu'elle ne disposait pas de la nationalité qatarie. Par ailleurs, si elle n'avait pas évoqué l'existence de ce compte plus tôt, c'était parce qu'il était au nom de sa fille, "tout simplement".

Entre 2017 et 2020, son époux y avait versé près de CHF 178'000.- ("presque"
CHF 50'000.- en 2017, CHF 39'000.- en 2018, CHF 39'000.- en 2019 et CHF 50'000.- en 2020), somme qu'elle avait prélevée puis déposée sur ses comptes personnels, ce qui expliquait les "multiples dépôts" d'espèces qui apparaissaient sur ses comptes F______ et G______ à la même période. En outre, sur demande de son conseiller bancaire, elle s'était transféré l'intégralité de ses revenus depuis son compte G______ vers un compte ouvert auprès de F______. Par la suite, elle avait retiré de l'argent depuis ce dernier compte pour le déposer à nouveau sur celui ouvert auprès de G______ car elle-même était "plus à l'aise avec l'e-banking" de cette banque pour payer ses factures.

Les retraits d'espèces sur le compte qatari avaient été opérés à l'aide d'une carte bancaire – au nom de sa fille – rattachée au compte. Durant cette période, cette dernière résidait en Grande-Bretagne où elle effectuait ses études, entièrement financées par son père.

Titulaire du bail de l'appartement occupé par B______, elle s'était chargée de payer le loyer que son fils lui "remboursait" ensuite "de main à main". Ignorant que ce dernier disposait en réalité de revenus, elle s'était acquittée du loyer de septembre 2017 à avril 2019, puis, à nouveau, depuis septembre 2020. En juillet 2019, la société C______ SA lui avait "remboursé" les loyers qu'elle avait payés en 2018. Son fils lui avait également remboursé ceux des mois de mai et juin 2019 par deux virements de CHF 2'000.-.

Enfin, les espèces découvertes dans son coffre-fort provenaient de ses économies. Elle les avait conservées dans le but de financer les études de sa fille, car son époux souhaitait que celle-ci revienne à terme au Qatar. Afin "d'éviter de dépenser" cet argent, elle l'avait donc placé dans un coffre-fort, ouvert en 2017, à la suite d'une série de cambriolages dans son immeuble et afin "d'organiser sa retraite". Elle ne disposait pas d'un compte épargne et n'avait pas envisagé d'en ouvrir un, en raison du contexte de la pandémie de Covid-19 et du fait qu'elle ne savait pas si elle devait placer les avoirs au nom de sa fille.

i. Par lettre du 15 décembre 2022, A______, sous la plume de son conseil, a sollicité la levée du séquestre.

Reprenant, en substance, ses explications susmentionnées, elle précisait que le virement de C______ SA avait été effectué le 24 juillet 2019, soit à une période durant laquelle son fils n'était pas l'unique administrateur de la société et ne disposait pas d'une signature individuelle. Ce paiement avait dès lors été validé par deux personnes, de sorte qu'elle n'avait pas été privilégiée par son fils.

À l'appui de son courrier, elle a produit plusieurs pièces, parmi lesquelles :

-          une attestation en anglais établie le 11 décembre 2022 par son époux, confirmant que les versements effectués sur le compte ouvert au nom de leur fille auprès de J______ étaient destinées à elle seule [la recourante] ;

-          des justificatifs de paiements des frais universitaires de sa fille par son époux ;

-          des copies de billets d'avion et de train ;

-          un extrait du Registre du commerce de Genève relatif à la société C______ SA, selon lequel entre les ______ 2019 et ______ 2020, B______ et K______ étaient au bénéfice d'une signature collective à deux ;

-          les relevés bancaires du compte au nom de I______ auprès de J______ pour la période du 24 janvier 2017 au 29 avril 2021, selon lesquels un montant total de QAR 566'198.- [équivalent à environ
CHF 138'000.-] a été crédité sur le compte, dont le solde s'élevait à QAR 31.19 [environ CHF 7.60.-] au 29 avril 2021. Il en ressort notamment qu'une grande partie des mouvements opérés entre janvier 2017 et janvier 2020 l'ont été depuis l'étranger. Tous les retraits et débits ont ainsi été réalisés :

- en Angleterre – où étudiait I______ – entre les 24 janvier et 30 octobre 2017 ; 20 février et 26 mars 2018 ; 24 avril et 23 mai 2018 ;

- à L______ [France] et au Maroc entre les 4 juillet et 6 septembre 2018 ; 27 septembre et 1er octobre 2018 ;

- en Angleterre, au Maroc et au Qatar entre les 7 avril et 5 mai ; 12 et 16 juin ; 15 juillet et 1er septembre 2019 ; 5 et 22 janvier 2020 ; et

- en Suisse entre les 27 janvier 2020 et 29 avril 2021. Durant cette dernière période, une somme totale de QAR 259'579.34 [CHF 62'939.33] a été débitée du compte.

j. Par missive de leur conseil du 28 février 2023, D______ et E______ se sont opposés à la levée du séquestre, au motif qu'aucun élément apporté par A______ ne permettait d'exclure que les avoirs séquestrés proviendraient des infractions reprochées au prévenu.

L'intéressée n'apportait pas la preuve qu'elle était à l'origine des prélèvements en espèces sur le compte qatari au nom de sa fille, pas plus qu'elle ne parvenait à prouver que les fonds séquestrés étaient issus de ce compte. Elle n'avait pas non plus été en mesure d'expliquer les entrées et sorties d'espèces sur ses comptes personnels, en particulier comment elle "jonglait" entre ceux-ci. À cela s'ajoutait que le prévenu avait, à cette époque, prélevé en espèces et détourné des montants considérables depuis le compte de C______ SA. Il avait en particulier retiré plus de
CHF 278'000.- en espèces en 2018, soit l'année durant laquelle A______ lui aurait avancé le loyer de son appartement. À cet égard, il était non seulement "inadmissible" que le prétendu remboursement de loyers se fît par les fonds de C______ SA, mais également surprenant que le montant versé à ce titre [CHF 18'000.-] corresponde à celui que le prévenu s'était versé à titre de salaire pour son activité – fictive – au sein de la société.

k. Par lettre de son conseil du même jour, M______ s'est également opposée à la levée du séquestre, renvoyant aux considérants de la Chambre, dans son arrêt du 29 avril 2022.

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public refuse de lever le séquestre litigieux, au motif que A______ a fourni des déclarations variables et contradictoires au sujet de la provenance des fonds séquestrés, sans pour autant démontrer leur origine licite.

Les considérants de l'arrêt ACPR/290/2022 demeuraient d'actualité.

Pour le surplus, l'instruction suivait son cours, un mandat d'acte d'enquête ayant été adressé à la police le 6 février 2023.

D. a. Dans son recours, A______ considère qu'elle avait "parfaitement" démontré la provenance des fonds séquestrés, lesquels étaient le fruit de ses économies, reprenant, en bref, ses explications et justifications précédentes.

Il était "aberrant" de soutenir qu'elle ait pu être privilégiée par son fils. En définitive, il n'existait aucune preuve permettant de démontrer une quelconque origine délictuelle des fonds séquestrés, son seul lien de filiation maternel n'étant pas suffisant.

b. À réception, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures ni débats.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) – les formalités de notification
(art. 85 al. 2 CPP) n'ayant pas été observées –, concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la titulaire du coffre-fort touché par le séquestre litigieux et qui, partie à la procédure (art. 105 al. 1 let. f et al. 2 CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée
(art. 382 al. 1 CPP).

2.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement mal fondés
(art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

3.             La recourante reproche au Ministère public d'avoir refusé de lever le séquestre portant sur les espèces découvertes dans son coffre-fort.

3.1.  Conformément à l'art. 197 al. 1 let. a CPP, les mesures de contrainte – au nombre desquelles figure le séquestre – doivent être prévues par la loi.

3.2.  En vertu de l'art. 263 al. 1 CPP, des objets et des valeurs patrimoniales appartenant au prévenu ou à des tiers peuvent être mis sous séquestre, notamment lorsqu'il est probable qu'ils seront utilisés comme moyen de preuve (let. a), qu'ils devront être restitués au lésé (let. c) ou qu'ils devront être confisqués (let. d) au sens des art. 69 ss. CP. Le séquestre doit répondre à l'existence de soupçons suffisants laissant présumer une infraction (art. 197 al. 1 let. b CPP). L'autorité statue sous l'angle de la vraisemblance, examinant des prétentions encore incertaines. Il s'agit, en effet, d'une mesure provisoire destinée à préserver les objets ou valeurs dans les buts énoncés à l'art. 263 al. 1 CPP. L'autorité doit pouvoir statuer rapidement (cf. art. 263 al. 2 CPP), ce qui exclut qu'elle résolve des questions juridiques complexes ou qu'elle attende d'être renseignée de manière exacte et complète sur les faits avant d'agir (ATF 141 IV 360 consid. 3.2; arrêts du Tribunal fédéral 1B_92/2018 du 5 juillet 2018 consid. 2.2 et 1B_208/2013 du 20 août 2013 consid. 3.1).

3.3.  L'art. 71 al. 3 CP permet à l'autorité d'instruction de placer sous séquestre, en vue de l'exécution d'une créance compensatrice, des valeurs patrimoniales sans lien de connexité avec les faits faisant l'objet de l'instruction pénale. Le but de cette mesure est d'éviter que celui qui a disposé des objets ou valeurs à confisquer soit privilégié par rapport à celui qui les a conservés (ATF 129 IV 107, consid. 3.2, p. 109). Les termes "personnes concernées" au sens de l'art. 71 al. 3 CP, comprennent non seulement l'auteur, mais aussi, à certaines conditions, un tiers favorisé, d'une manière ou d'une autre, par l'infraction (arrêt du Tribunal fédéral 1B_213/2013 du 27 septembre 2013 consid. 4).

3.4.   Selon l'art. 197 al. 1 let. c CPP, toute mesure de contrainte doit respecter le principe de la proportionnalité. Un séquestre peut apparaître disproportionné lorsque la procédure dans laquelle il s'inscrit s'éternise sans motifs suffisants (ATF 132 I 229 consid. 11.6 p. 247), mais il reste proportionné tant et aussi longtemps qu’il porte sur des avoirs dont on peut admettre en particulier qu'ils pourront être vraisemblablement confisqués ou restitués en application du droit pénal (ATF 141 IV 360 consid. 3.2 p. 364).

3.5.  À la lumière de ce qui précède, force est de constater qu'il n'existe, en l'état, aucun motif permettant d'envisager la levée du séquestre litigieux.

Il n'y a pas lieu de s'écarter des considérants de l'arrêt du 29 avril 2022 susmentionné, qui restent d'actualité et auxquels il sera renvoyé.

En effet, depuis ce prononcé, la recourante a encore varié dans ses déclarations au sujet de la provenance des avoirs séquestrés. Ses explications restent toujours aussi confuses et peu convaincantes.

Elle affirme désormais que les CHF 50'000.- en espèces seraient issus du compte ouvert au nom de sa fille auprès de la J______, alimenté par son époux. Cela étant, il ressort des relevés dudit compte que la plus grande partie des retraits et débits opérés entre 2017 et 2020 l'ont été depuis l'étranger, en particulier depuis l'Angleterre, où étudiait alors sa fille. Ses allégations selon lesquelles cette dernière lui aurait remis l'unique carte bancaire du compte à la fin de l'année 2017 semblent dès lors peu crédibles et entrent en contradiction avec les pièces versées au dossier.

Par ailleurs, au vu de la somme totale versée sur le compte (environ CHF 138'000.- entre 2017 et 2021, soit en moyenne CHF 27'600.- par an) – dont une grande partie a été retirée à l'étranger – et de son solde créditeur au 29 avril 2021 (CHF 7.60), il n'est pas établi et même peu probable que les paiements effectués par l'époux de la recourante aient permis à cette dernière de réaliser des économies.

En tout état, il est surprenant que la recourante n'ait pas mentionné l'existence de ce compte avant l'audience du 30 novembre 2022, si celui-ci lui a effectivement procuré des revenus lui ayant permis non seulement de subvenir à ses besoins mais aussi de se constituer une épargne. Son explication selon laquelle elle aurait tu son existence au motif qu'il était au nom de sa fille laisse perplexe. On peine également à comprendre pourquoi son époux aurait transféré de l'argent sur un compte au nom de leur fille, plutôt que directement sur les comptes bancaires personnels de la recourante, s'il était effectivement destiné à l'entretenir.

Dans ces circonstances, l'origine de la somme, non négligeable, découverte en espèces dans son coffre-fort bancaire n'est, en l'état, pas élucidée, et un lien de connexité entre les infractions poursuivies et les valeurs saisies ne peut toujours pas être exclu.

En outre, il demeure vraisemblable que la recourante ait pu être favorisée d'une manière ou d'une autre par les infractions poursuivies. En effet, elle ne conteste pas le fait qu'une somme de CHF 18'000.- a été créditée sur son compte G______ depuis celui de la société C______ SA, lui-même alimenté par les avoirs des plaignants. À cet égard, on ne saisit pas la portée de son argument selon lequel le versement aurait été avalisé par deux signataires autorisés, puisque ce fait ne rend pas pour autant licite l'origine des fonds. Pour le surplus, de sérieux doutes subsistent à ce sujet. En effet, le total des loyers que la recourante aurait avancés pour le prévenu s'élèverait à plus de CHF 50'000.-, soit un montant nettement supérieur au virement de CHF 18'000.- qu'elle allègue avoir reçu au titre de remboursement de ce chef. De plus, il ressort des relevés du compte de la société qu'une somme identique – correspondant exactement au salaire que le prévenu se serait versé pour son activité a priori fictive – a été débitée dudit compte au profit de ce dernier les 24 mai et 24 juin 2019.

Il résulte encore des relevés du compte personnel du prévenu que ce dernier a versé, par virements des 31 mai et 12 juin 2019, une somme totale de CHF 4'000.- sur le compte G______ de la recourante. Si cette dernière allègue que son fils lui aurait remboursé les loyers avancés aux mois de mai et juin 2019, les paiements effectués ne correspondent toutefois pas au montant dû à ce titre
(CHF 1'507.- par mois x 2 = CHF 3'014.-).

À cela s'ajoute que de très nombreux dépôts et retraits d'espèces ont été opérés sur les deux comptes personnels de la recourante entre 2017 et 2020, soit une période durant laquelle des avoirs substantiels ont été prélevés en espèces par le prévenu sur le compte de la société précitée. Les explications de la recourante selon lesquelles ses mouvements bancaires seraient justifiés par l'organisation de ses propres comptes ne sont pas convaincantes, puisque les sommes concernées apparaissent sans commune mesure avec ses revenus déclarés.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, il convient de considérer, à ce stade de la procédure et sous l’angle de la vraisemblance, que la recourante a pu être favorisée par les infractions sous enquête et qu’elle peut par conséquent être qualifiée de "personne concernée". Ainsi, même à supposer que les avoirs séquestrés ne seraient pas le produit d'une infraction, le séquestre serait malgré tout justifié en vue d'assurer une potentielle créance compensatrice, qui, par nature, porte sur des montants sans lien avec les infractions commises, puisqu'elles ont justement pour but de remplacer les valeurs patrimoniales résultant d'une infraction qui ne sont plus disponibles.

Partant, il n'existe en l'état aucun nouvel élément significatif justifiant de lever le séquestre litigieux.

Enfin, dans la mesure où l’intégralité des fonds doit demeurer à disposition de la justice aussi longtemps qu’il existe un doute sur la part de ceux-ci pouvant provenir d’une activité criminelle, le séquestre prononcé ne viole pas le principe de la proportionnalité.

4.             Infondé, le recours sera rejeté.

5.             La recourante, qui succombe, assumera les frais de l’instance (art. 428 al. 1 CPP), fixés en totalité à CHF 1'000.-, émolument de décision compris (art. 3 cum art. 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03).

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'000.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.

Le communique pour information aux autres parties, soit pour elles leurs conseils.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière.

 

La greffière :

Olivia SOBRINO

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/13713/2020

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

60.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

865.00

- demande sur récusation (let. b)

CHF

Total

CHF

1'000.00