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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/9272/2021

ACPR/524/2023 du 05.07.2023 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : COMPÉTENCE RATIONE LOCI;EXTRADITION
Normes : CPP.396.al2; LStup.19.ch4

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/9272/2021 ACPR/524/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 5 juillet 2023

 

Entre

A______, domicilié ______, Portugal, comparant par Me B______, avocate,

recourant,

pour déni de justice et contre la décision rendue le 9 juin 2023 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 20 mars 2023, A______ recourt pour déni de justice, qu'il reproche au Ministère public.

Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, au constat d'un déni de justice, subsidiairement à l'injonction au Ministère public de statuer sur sa compétence.

b. Par acte expédié le 19 juin 2023, il recourt contre la décision rendue lors de l'audience tenue le 9 juin précédent, notifiée sur le siège, à teneur de laquelle le Ministère public a expressément admis sa compétence.

Il conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de cette décision et au constat de l'incompétence des autorités pénales suisses et genevoises.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 3 mai 2021, le Ministère public a ouvert une instruction contre A______ pour violation de l'art. 19 al. 1 et 2 LStup, lui reprochant, en substance, d'avoir, alors qu'il se trouvait en territoire portugais, participé, avec deux autres comparses, à un important trafic de stupéfiants destiné au bassin genevois.

L'un de ces comparses présumé, C______, neveu de A______, a été arrêté en Suisse, ce qui a donné lieu à l'ouverture de la procédure P/1______/2019, au terme de laquelle il a été condamné par la Chambre pénale d'appel et de révision de la Cour de justice (AARP/59/2023 du 10 février 2023) pour infraction grave à la LStup et entrée illégale.

b. Arrêté à l'aéroport de D______ [Espagne] le 18 novembre 2022 sur la base d'un mandat d'arrêt international, A______ a été extradé vers la Suisse le 19 janvier 2023.

c. Le lendemain de son arrivée, le Ministère public a ordonné sa défense d'office, en la personne de Me B______.

d. Par ordonnance du 22 janvier 2023, le Tribunal des mesures de contrainte a ordonné la mise en détention provisoire de A______ pour une durée de trois mois. Cette détention a, par la suite, été prolongée jusqu'au 19 juillet 2023.

e. Sous la plume de son conseil, A______ a, le 10 février 2023, fait part au Ministère public de ses doutes sur la compétence des autorités suisses pour le poursuivre dès lors qu'il était prévenu pour avoir vendu de la cocaïne au Portugal, à une personne arrêtée par la suite en France. Il sollicitait ainsi du Ministère public de statuer sur cette question.

f. Le 2 mars 2023, en réponse à un courrier du Ministère public, A______ a requis du Ministère public le prononcé d'une décision formelle sur sa compétence.

g. Lors d'une audience tenue le 9 mars 2023, le Procureur a déclaré n'avoir "pas à rendre de décision formelle sujette à recours en lien avec la question de la compétence des autorités de poursuite pénale suisses". A______ conservait la possibilité de faire valoir, plus tard, ses prétentions en indemnités, notamment pour détention injustifiée, et de soulever, par-devant l'autorité de jugement, un incident en lien avec la compétence des autorités suisses.

Par ailleurs, l'Institut suisse de droit comparé (ci-après: ISDC) avait été invité à établir l'équivalent, en droit portugais, de l'art. 19 LStup et une commission rogatoire avait été adressée au Parquet de E______ [Portugal] pour obtenir son nihil obstat au sens de l'art. 19 ch. 4 LStup.

C. a. Dans son premier recours, A______ soutient avoir, à bon droit, sollicité du Ministère public le prononcé d'une décision formelle sujette à recours en lien avec la compétence ratione loci des autorités pénales suisses. En refusant expressément de rendre une telle décision, l'autorité intimée s'était rendue coupable d'un déni de justice.

b. Dans ses observations, le Ministère public souligne que la compétence des autorités suisses avait été reconnue par la Chambre pénale d'appel et de révision de la Cour de justice dans son arrêt rendu contre C______. Pour la présente procédure, il avait entrepris des démarches auprès des autorités portugaises et de l'ISDC pour valider sa compétence, en lien avec l'art. 19 ch. 4 LStup. Dans l'attente du nihil obstat, il ne voyait pas quelle décision il "aurait pu et dû rendre". À teneur des pièces reçues en retour des autorités portugaises, une extradition vers ce pays n'était pas à l'ordre du jour.

c. A______ a répliqué.

D. a. Lors de l'audience du 9 juin 2023, le Ministère public a transmis à A______ l'ensemble des pièces reçues le jour-même des autorités portugaises, avec les traductions correspondantes. Dans une note, il a précisé qu'il ressortait de ces pièces que la compétence des autorités de poursuite pénale suisses paraissait donnée selon le "mécanisme" de l'art. 19 ch. 4 LStup.

Les pièces en question n'ont pas été produites auprès de la Chambre de céans.

b. Dans son second recours, A______ conteste cette décision. Parmi les conditions de l'art. 19 ch. 4 LStup, celle de la présence du prévenu sur le territoire suisse devait l'être sur une base volontaire, à teneur de la jurisprudence. Dans le cas d'espèce, il avait été arrêté en Espagne et extradé en Suisse, ce qui excluait de faire application de cette norme. Par ailleurs, le nihil obstat obtenu des autorités portugaises ne concernait que l'arrondissement de E______ et non l'ensemble du pays, il était donc insuffisant. Pour le surplus, les éléments au dossier ne permettaient pas d'établir un rattachement avec la Suisse et une compétence au sens des art. 3 à 8 CP.

EN DROIT :

1.             Vu leur connexité évidente, les recours seront joints et traités en un seul arrêt.

2.             2.1. Le recours pour déni de justice ou retard injustifié n'est soumis à aucun délai (art. 396 al. 2 CPP). Par ailleurs, le présent recours a été déposé selon la forme prescrite (art. 393 et 396 al. 1 CPP) et émane du prévenu, qui a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à obtenir une décision de l'autorité sollicitée (art. 104 al. 1 let. a et 382 al. 1 CPP).

2.2. Cela étant, le Ministère public, avant que la Chambre de céans n'ait tranché, s'est prononcé sur sa compétence, tel que requis par le premier recours. Celui-ci devient dès lors, sans objet.

3.             Le second recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une décision sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP; ACPR/205/2018 du 11 avril 2018) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

4.             Le recourant conteste la compétence des autorités de poursuite suisses.

4.1.  Conformément à l'art. 19 ch. 4 LStup, l'auteur d'une infraction commise à l'étranger, qui se trouve en Suisse et qui n'est pas extradé, est passible des peines prévues sous ch. 1 et 2, si l'acte est réprimé dans le pays où il l'a perpétré. L'art. 6 CP est applicable.

Cette norme se rattache au principe de la compétence de remplacement. Elle consacre une réglementation située entre l'universalité pure et la délégation de la poursuite instituée par l'art. 85 de la loi sur l'entraide internationale en matière pénale, dont l'application est exclue lorsque les conditions de l'art. 19 ch. 4 LStup sont réalisées (art. 85 al. 3 EIMP). Le droit suisse, à l'exclusion du droit étranger même plus favorable (cf. la lex mitior réservée par l'art. 86 al. 2 EIMP), s'applique alors seul. Ces particularités guident l'interprétation de l'art. 19 ch. 4 LStup (ATF 116 IV 244 consid. 3c p. 249; ATF 118 IV 416 consid. 2a p. 419).

4.2. Au sens de cette règle, les termes "et qui n'est pas extradé" doivent être compris comme énonçant le simple fait que l'auteur n'est pas transféré, indépendamment des raisons pour lesquelles il ne l'est pas. Le juge suisse doit cependant s'assurer, lorsque l'extradition n'est pas exclue a priori, qu'elle ne sera pas requise (ATF 137 IV 33 consid. 2.1.3 p. 38). En d'autres termes, il doit obtenir de cet Etat un nihil obstat à l'exercice par la Suisse de sa propre compétence répressive.

4.3. Pour la seconde condition, elle doit être interprétée en ce sens que la seule présence en Suisse du délinquant suffit, indépendamment de sa cause (ATF 137 IV 33 consid. 2.1.3 p. 38). Dit autrement, l'aspect volontaire ou involontaire de la présence de l'auteur sur le territoire ne joue aucun rôle (L. MOREILLON / A. MACALUSO / N. QUELOZ / N. DONGOIS (éds), Commentaire romand, Code pénal I, art. 1-110 CP, 2ème éd., Bâle 2021, n. 24 ad art. 6; M. DUPUIS / L. MOREILLON / C. PIGUET / S. BERGER / M. MAZOU / V. RODIGARI, Code pénal – Petit commentaire, 2e éd., Bâle 2017, n. 5 ad art. 6; [la jurisprudence rendue au sujet de l'art. 19 ch. 4 LStup étant transposable dans le contexte de l'art. 6 CP: ibid.]). Cela ne saurait englober l'hypothèse où le juge suisse aurait demandé l'extradition d'un délinquant étranger ayant commis des infractions à l'étranger, entre étrangers, pour se prononcer sur des faits dépourvus de tout rapport avec la Suisse. Une telle interprétation serait, en effet, incompatible avec le principe de la compétence de remplacement, qui est à l'origine de l'art. 19 ch. 4 LStup, le législateur helvétique n'ayant pas voulu étendre si loin la compétence de répression des autorités suisses. Cela reviendrait, en effet, à consacrer purement et simplement le principe d'universalité en matière de stupéfiants (ATF 116 IV 244 consid. 5c p. 253; ATF 137 IV 33 consid. 2.1.3 p. 38).

4.4. En l'espèce, le prévenu, domicilié au Portugal, a été arrêté en Espagne, d'où il a été extradé vers la Suisse. Les soupçons qui pesaient sur lui concernaient une implication dans un trafic de stupéfiants destiné au bassin lémanique et dont l'un de ses supposés complices a été condamné à Genève.

Pour le recourant, l'art. 19 ch. 4 LStup n'aurait pas vocation à s'appliquer en l'espèce puisque la condition de sa présence en Suisse supposait une base volontaire.

Or, la jurisprudence susmentionnée ne dit pas autre chose que la cause de cette présence, volontaire ou non, est sans importance. Une présence succédant à une extradition n'est donc pas exclue, sauf si celle-ci porte sur des faits sans rattachement aucun avec la Suisse.

Or, en l'occurrence, l'extradition du recourant a été demandée par le Ministère public pour des soupçons de participation à un trafic de stupéfiants, lequel paraît relié à Genève et dans lequel l'un des complices présumé a déjà été condamné par la Chambre d'appel et de révision de la Cour de justice. L'on ne se trouve donc pas dans le cas de figure érigé au rang d'exception, par lequel le juge s'attribuerait – contrairement à la volonté du législateur – une compétence universelle en matière de stupéfiants.

Au demeurant, même si la Chambre de céans n'a pas accès aux documents transmis par le Portugal, le Ministère public a visiblement obtenu son nihil obstat, avec la confirmation de l'exigence de double incrimination. En tous cas, le recourant ne remet pas en cause ces aspects, plaidant uniquement que la portée du nihil obstat ne serait pas suffisante. Rien ne permet toutefois de douter de la garantie obtenue de l'État portugais, si bien que les autres conditions de l'art. 19 ch. 4 LStup paraissent réalisées.

Compte tenu de ce qui précède, la compétence des autorités de poursuite suisses apparaît, en l'état, fondée sur la norme précitée. Il n'y a donc pas lieu d'examiner les autres griefs soulevés.

5.             Le second recours doit, partant, être rejeté. Dès lors, il pouvait être traité d'emblée sans échange d'écritures, ni débats (art. 390 al. 5 a contrario CPP).

6.             6.1. Le premier recours est devenu sans objet dès lors que le Ministère public a rendu la décision sollicitée par le recourant, si bien que le recourant n'a pas succombé au sens de l'art. 428 al. 1 CPP (ACPR/446/2023 du 13 juin 2023). Les frais seront donc laissés à la charge de l'État pour ce volet.

6.2. Pour le second recours, le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 900.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03). En effet, l'autorité de recours est tenue de dresser un état de frais pour la procédure de deuxième instance, sans égard à l'obtention de l'assistance judiciaire (arrêts du Tribunal fédéral 1B_517/2022 du 22 novembre 2022 consid. 1.3.2 et 1B_372/2014 du 8 avril 2015 consid. 4.6).

7.             Il n'y a pas lieu d'indemniser à ce stade le défenseur d'office (art. 135 al. 2 CPP).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Joint les recours.

Déclare le recours pour déni de justice sans objet.

Laisse les frais de la procédure liés à ce recours à la charge de l'État.

Rejette le recours contre la décision du 9 juin 2023.

Met les frais de la procédure pour ce recours, arrêtés à CHF 900.-, à la charge de A______.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Alix FRANCOTTE CONUS et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/9272/2021

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

815.00

-

CHF

Total

CHF

900.00